III. LA SITUATION DE LA COMMUNAUTE FRANÇAISE ET DE NOTRE RESEAU CONSULAIRE AU ROYAUME-UNI DANS LE CONTEXTE DU BREXIT

Dans le cadre de la préparation de cet avis budgétaire, les rapporteurs se sont rendus le 25 octobre 2019 au consulat général de Londres pour apprécier la situation de la communauté française et de notre réseau consulaire au Royaume-Uni au regard du Brexit . Ils ont été reçus par M. Guillaume Bazard, consul général et M. Charles Denier, consul général adjoint, qu'ils remercient pour leur accueil et leurs explications.

Comptant 78 agents (dont 2 agents de catégorie A, 3 agents de catégorie B, 19 agents de catégorie C et 54 agents de droit local), le consulat général de Londres est l'un des trois premiers postes de notre réseau consulaire.

1. Des résidents français au Royaume-Uni préoccupés par leur avenir
a) Le statut post-Brexit des résidents européens, un sujet de préoccupation

Comptant parmi les plus importantes communautés françaises à l'étranger, la communauté française au Royaume-Uni représente une population estimée à 300 000 personnes , dont environ la moitié (145 639 au 1 er septembre 2019) est inscrite au Registre.

Cette communauté, qui a connu une croissance continue depuis une décennie et qui, sans qu'on puisse parler de « Brexodus », a diminué légèrement depuis le Brexit (-1 % en 2018, -0,85 % sur les 9 premiers mois de 2019), s'interroge aujourd'hui sur son avenir outre-manche et notamment sur le statut qui sera le sien à l'issue du Brexit.

Ce statut dépend largement de la ratification par le Royaume-Uni du dernier accord de retrait signé en octobre dernier avec l'Union européenne, dont la date limite vient d'être reportée au 31 janvier 2020.

Cet accord global comprend, en effet, un volet - correspondant à un chapitre de la négociation paraphé dès le 19 mars 2018 - qui garantit les droits des quelque 3,8 millions de citoyens européens résidant au Royaume-Uni et des 2 millions de ressortissants britanniques résidant dans l'Union européenne au moment du Brexit.

Contenu du chapitre relatif aux droits des citoyens résidents

Il prévoit que les citoyens européens présents au Royaume-Uni au 31 décembre 2020 pourront continuer à y vivre, travailler,étudier, accéder aux prestations sociales dans les mêmes conditions que celles prévues actuellement par le droit européen. Ceux ayant déjà résidé cinq ans à cette date pourront accéder au statut de résident permanent , les autres bénéficiant d'un droit de séjour permanent en attendant de satisfaire à cette condition de durée de 5 ans.

L'accord garantit le droit au regroupement familial ainsi que les droits sociaux et d'accès aux soins , les périodes antérieures d'assurance, de travail ou de séjour dans l'Union ou au Royaume-Uni étant prises en compte.

Ces droits seront garantis par le droit de l'Union européenne pendant la période de transition (avant le 31 décembre 2020) et par le droit britannique au-delà, les cours britanniques devant interpréter le droit de l'Union européenne conformément à la jurisprudence de la CJUE antérieure au 31 décembre 2020 et tenir compte de la jurisprudence postérieure.

Malgré les demandes britanniques, l'accord de retrait ne préserve pas le droit de vote des ressortissants européens ou britanniques aux élections municipales. Il ne préserve pas non plus la libre circulation des Britanniques entre Etats membres, dans toute l'Union, ni la liberté d'établissement ou encore la libre prestation de services 5 ( * ) .

En cas de Brexit « dur », c'est-à-dire sans accord de retrait, la situation des résidents européens ne sera pas garantie de la même façon et dépendra du gouvernement britannique. Dans une notice publiée le 6 décembre 2018 , le gouvernement britannique confirmait toutefois son intention de préserver le statut permanent (« settled status ») pour les résidents européens dans tous les cas de figure, y compris en l'absence d'accord.

Des craintes demeurent cependant : comme l'a souligné M. Nicolas Hatton, co-fondateur de l'association The 3Million, créée au lendemain du référendum sur le Brexit pour sensibiliser les pouvoirs publics britanniques aux droits des résidents européens, il existerait, dans cette configuration, un risque d'alignement de leurs droits sur ceux des non-européens, c'est-à-dire sur le droit commun . Cette perspective suscite des inquiétudes, compte tenu du projet du gouvernement britannique de refondre sa politique migratoire dans le sens d'une immigration choisie assortie de quotas (sur le modèle australien).

Une sortie sans accord n'exclurait pas, à moyen terme, la négociation avec le Royaume-Uni d'un cadre régissant certains aspects de la situation de nos ressortissants , qu'ils soient arrivés avant ou après le retrait britannique. Ce cadre serait négocié :

- entre le Royaume-Uni et l'Union européenne pour ce qui concerne les sujets relevant de la compétence de l'Union (exemple : reconnaissance des qualifications professionnelles,...) ;

- entre le Royaume-Uni et la France pour les matières qui relèvent toujours de la compétence des Etats-Membres (exemple : visas de long séjour, fiscalité, etc.).

b) Les enjeux de la procédure d'enregistrement

Quelle que soit l'issue, le gouvernement britannique a inauguré le 30 mars 2019, après une phase expérimentale ouverte depuis fin août 2018, une procédure d'enregistrement en ligne visant à permettre aux résidents européens de solliciter le statut de résident permanent (« EU Settlement Scheme »). La date limite pour accomplir cette démarche, fixée au 31 décembre 2020 en l'absence d'accord, sera reportée au 30 juin 2021 en cas d'accord. Chaque demande présentée donne lieu à une décision d'attribution, après vérification de l'identité, de la condition de résidence et des antécédents judiciaires. 1 500 personnes ont été recrutées par le Home Office pour traiter ces dossiers.

A la date du 30 septembre 2019, un peu plus de 70 000 Français (soit moins de la moitié des inscrits aux registres de Londres et d'Edimbourg et seulement un quart des effectifs estimés) avaient effectué la démarche, les Français étant au 8 e rang pour le nombre de demandes déposées (après les Polonais, les Roumains, les Italiens, les Portugais, les Espagnols, les Bulgares et les Lituaniens, qui possèdent des communautés plus importantes).

Un grand nombre de nos compatriotes, bien que préoccupés par la situation, continuent d'adopter une attitude relativement attentiste , envisageant que la procédure pourrait ne pas être nécessaire. La prise de conscience de la nécessité d'effectuer la procédure est encore insuffisante, en dépit des efforts de communication des autorités britanniques, de l'UE et des Etats membres.

Par ailleurs, si la procédure d'enregistrement est assez simple, gratuite et rapide, mais elle n'en présente pas moins quelques défauts . Entièrement numérisée (scanning de la puce du passeport, croisement avec les bases de données pour vérifier l'identité et la condition de résidence, téléchargement des pièces justificatives si nécessaire), elle ne donne pas lieu à la délivrance d'un document matériel de type carte de séjour, ce qui peut paraître déstabilisant et insuffisamment stabilisant pour les demandeurs. Jusqu'à récemment, l'application n'était pas disponible sur IPhone, ce qui restreignait l'accès à la procédure. Les délais de réponse du Home Office sont en outre très variables (parfois le jour même, parfois six semaines) et un risque d'engorgement de l'application dans le courant 2020 n'est pas exclure. Il faut aussi évoquer la crainte de certains ressortissants concernant l'utilisation qui pourrait être faite ultérieurement de leurs données.

En revanche, contrairement aux craintes exprimées lors du lancement de la procédure, quasiment aucune demande n'a été refusée, en dehors des dossiers écartés pour défaut d'éligibilité.

La principale difficulté porte sur les personnes « vulnérables » : personnes âgées ou isolées, éloignées des équipements informatiques, socialement précaires, difficiles à localiser, à identifier, à sensibiliser et à amener à faire la démarche de manière autonome. Leur nombre est en outre très difficile à évaluer (de 30 à 80 Français selon les consuls honoraires sur chacun de leur secteur, mais ils sont probablement beaucoup plus nombreux ; certaines ONG évaluent leur nombre à 5 % des effectifs des communautés européennes). Un réseau d'ONG mis en place avec le soutien de la représentation de la Commission européenne à Londres travaille à localiser et assister ces personnes.

2. Un net surcroît d'activité pour notre réseau consulaire
a) Un surcroît d'activité dans tous les domaines

La hausse d'activité de nos postes consulaires au Royaume-Uni (Londres et Edimbourg 6 ( * ) ) est manifeste dès le lendemain du Brexit. C'est donc la troisième année qu'ils sont sous tension.

EVOLUTION DE L'ACTIVITE DU CONSULAT GENERAL A LONDRES

2015

2016

2017

2018

TIV DELIVRES

34 543

33 872

35 753

37 026

NATIONALITE : DOSSIERS TRAITES

127

124

262 (+ 111 %)

571 (+ 118 %)

ACTES D'ETAT CIVIL ETABLIS

4 417

5 606

7 244

5 831

NOMBRE D'USAGERS AFF SOC UNIQUES (HORS BOURSES)

4 497

4 524

5 027

5 515

VISAS DELIVRES

81 823

90 122

110 868

125 444

INSCRITS AUX REGISTRES (31/12)

127 837

140 224

147 506

146 213

RECETTES

6,2 M

6,8 M

7,8 M

8,8 M

Source : consulat général de Londres

On observe ainsi une hausse sans précédent des demandes de passeports et de cartes nationales d'identité . Au poste de Londres, elles ont atteint le chiffre record de 37 000 en 2018 , soit + 3,6 % par rapport à 2017, après une hausse de de 5 % entre 2016 et 2017 . Pour la seule année en cours, la hausse devrait atteindre 15 %.

Il s'agit de demandes émanant de Français installés de longue date au Royaume-Uni, qui ne s'étaient pas manifestés depuis longtemps ou n'en avaient jamais sollicité et qui s'en préoccupent maintenant, dans le contexte du Brexit. Il s'agit également de demandes portant sur un second titre d'identité, afin de pouvoir en adresser un au Home Office dans le cadre d'une demande de nationalité britannique ou d'un permis de résidence.

Cette activité pourrait augmenter encore, compte tenu de l'intention du gouvernement britannique de ne plus accepter la carte d'identité mais seulement le passeport pour entrer et sortir du pays à compter de 2020 (la date précise n'est pas connue à ce stade) en l'absence d'accord.

Les demandes d'actes d'état civil et les déclarations de nationalité ont également enregistré une forte croissance ces dernières années.

Depuis le second semestre 2016, on constate un afflux de demandes de transcription d'actes d'état civil britanniques (naissance, mariage..) émanant notamment de couples franco-britanniques régularisant leur situation dans la perspective d'une déclaration de nationalité française par le conjoint étranger au titre de l'article 21-2 du code civil (c'est-à-dire acquisition de nationalité par mariage). Ainsi, 4 322 actes avaient été établis en 2015 (avant referendum), 7 244 en 2017, 5 831 l'ont été en 2018, et leur volume a augmenté encore de 22,3% sur les 9 premiers mois de 2019.

Les déclarations de nationalité , qui avaient déjà plus que doublé entre 2016 et 2017 (+131%), ont poursuivi leur hausse exceptionnelle en 2018 (+118%) et en 2019 (chiffres de 2018 d'ores et déjà réalisés en octobre 2019). Elles sont, en grande majorité, le fait de conjoints britanniques de Français (pour les 2/3 d'entre elles, alors qu'elles représentaient entre 5 et 10 % des déclarations avant le Brexit). Il convient de souligner que parallèlement, de nombreux conjoints français sollicitent la nationalité britannique.

Au-delà du surcroit d'activité administrative qu'elle génère (jusqu'à 600 visites par jour en période haute pour demandes des papiers d'identité), cette hausse sensible a des conséquences sur l'organisation des cérémonies d'accueil dans la citoyenneté française qui se déroulent en principe une fois par mois au consulat général. Du fait du nombre de livrets à remettre (50 voire 60 par mois) et compte tenu de l'exiguïté de l'espace de réception, il a été nécessaire, pour réduire le délai d'attente, d'organiser désormais deux petites cérémonies par semaine.

Enfin, il faut évoquer l'impact du Brexit sur l'activité des visas . Si le Royaume Uni et l'UE ont exclu, par une déclaration conjointe et sur la base de la réciprocité, de réintroduire des visas de court séjour 7 ( * ) (ce qui aurait représenté, pour nos postes consulaires, un volume à traiter de l'ordre de 4 millions par an), le Brexit impliquera, en cas de sortie sans accord, d'attribuer des visas de long séjour aux Britanniques souhaitant s'installer en France 8 ( * ) . S'il reste difficile d'évaluer le besoin en la matière (de 2 000 à  10 000), le traitement des dossiers de visas de long séjour est sensiblement plus lourd que celui des visas de court séjour et représentera une charge supplémentaire pour le réseau. Le consulat général de Londres se prépare à cette éventualité, en lien avec le prestataire extérieur chargé du recueil des demandes de visas. Lors de notre visite, plusieurs personnels de cette entreprise étaient en train d'être formés à cette nouvelle tâche éventuelle. Il faut souligner également une nette augmentation des demandes de visas des conjoints européens de Britanniques, qui semblent vouloir "prendre les devants" en sollicitant aujourd'hui un visa en qualité de conjoint de ressortissant européen pour ne pas avoir à le faire ultérieurement en qualité de "simple" extra-communautaire".

b) La mise en place d'une communication adaptée

Outre un impact sur les différents volets de l'activité consulaire, la perspective du Brexit a entraîné un développement important des actions de communication afin de répondre aux nombreuses demandes d'information et accompagner les résidents français dans leurs démarches auprès de l'administration britannique. Le poste est aussi sollicité par les Britanniques, comme les saisonniers qui vont travailler dans les stations de ski.

Outre la mobilisation des relais de communication traditionnels (élus, consuls honoraires, conseillers consulaires...), le poste a mis en oeuvre des moyens divers : diffusion d'une lettre d'information mensuelle aux personnes inscrites au Registre, présence renforcée sur les réseaux sociaux, rendez-vous avec la presse, organisation de réunions d'information publiques avec les associations françaises, le réseau d'enseignement français, la chambre de commerce...Un document synthétisant les questions reçues et les réponses à apporter au public a été remis aux agents du consulat tournés vers la réponse téléphonique et mail.

En plus de ces actions, un site dédié www.brexit.gouv.fr s'adressant aussi bien aux Français qu'aux Britanniques a été mis en place pour répondre aux questions générales et orienter vers les sites des ministères selon les sujets concernés.

Néanmoins, la principale difficulté est de réussir à toucher la population- souvent non londonienne - non connectée à ces réseaux de diffusion et de l'inciter à s'enregistrer auprès du Home Office. Il s'agit de personnes, parfois vulnérables, présentes depuis longtemps sur le territoire britannique, ayant perdu tout lien avec la France et qui, faute de démarches, pourraient se retrouver dans l'illégalité. Le Consulat s'appuie notamment, pour les localiser, sur le réseau des vingt consuls honoraires. Il faut aussi souligner le rôle essentiel joué par les associations. Repérer et assister juridiquement les personnes vulnérables dans leurs démarches est l'objectif que s'est fixé l'association Settled, émanation de l'association the 3Million, dont nous avons rencontré le fondateur, M. Nicolas Hatton.

c) Une augmentation de l'activité bien prise en compte, dans la limite des possibilités

La hausse de l'activité de notre consulat général de Londres (jusqu'à 650 visites par jour au service de l'administration des Français pour les demandes de papiers d'identité) est bien prise en compte par le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères.

Dans un contexte général de suppressions de postes dans le réseau consulaire, il bénéficie de créations de postes et de vacations .

Ainsi 3 ETP de titulaires de catégorie C ont été créés au 1 er septembre 2018. En 2019, outre une dotation en vacations, une mission de renfort lui a été accordée pendant trois mois pour résorber le retard dans la délivrance des titres d'identité.

Pour 2020 est ainsi prévue la création d'un poste d'agent titulaire de catégorie C pour le service « administration des Français et un poste d'agent de droit local (ADL) pour les visas. En cas de Brexit sans accord, deux agents de catégorie C supplémentaire seraient envoyés en renfort, ainsi que des vacations supplémentaires.

Par ailleurs, les conditions d'accueil du poste ont été récemment améliorées , ce qui était une nécessité s'agissant d'un bâtiment ancien qui a encore accueilli en 2018 plus de 90 000 visiteurs. Ainsi, des travaux (aménagement de box, insonorisation...) ont été effectués dans l'espace d'accueil et la première salle de l'administration des Français.

Néanmoins, d'autres aménagements seraient nécessaires pour assurer la confidentialité de l'accueil et le confort des agents dans d'autres salles.

Par ailleurs, le poste n'est pas bien équipé au plan de la sécurité, Ainsi, l'entrée principale est dépourvue de sas, les personnes étant tenues de faire la queue dehors et passant les contrôles au compte-goutte. Une fois à l'intérieur, elles entrent directement dans les locaux. Or, les risques ne sont pas négligeables (chaque jour, 4 à 5 armes blanches sont confisquées parmi les visiteurs).

De manière générale, ces locaux anciens sont assez mal adaptés et vétustes (façade délabrée) mais toute avancée dans ce domaine est suspendue à la réalisation d'un projet immobilier d'envergure visant à regrouper les services consulaires et de l'ambassade, qui semble enlisé depuis des années.

Nous avons là une illustration des limites de la politique immobilière du ministère dont la commission des affaires étrangères déplore régulièrement les effets délétères.


* 5 Toutefois, la suppression, dans le texte finalement agréé le 19 mars, de la stipulation qui prévoyait explicitement le non maintien de ces derniers droits rend nécessaire la confirmation par la Commission d'un accord avec les Britanniques sur ce point.

* 6 Londres représente 95 % des inscrits au Registre.

* 7 Pour mémoire, on a dénombré quelque 3 800 000 séjours temporaires de Français sur le territoire britannique en 2018.

* 8 Les 160 000 Britanniques résidant en France devront, quant à eux, solliciter une carte de séjour en préfecture.

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