Avis n° 143 (2019-2020) de Mme Chantal DESEYNE , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 21 novembre 2019

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N° 143

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2019

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2020 ,

TOME III

DIRECTION DE L'ACTION DU GOUVERNEMENT

Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca)

Par Mme Chantal DESEYNE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Alain Milon, président ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général ; MM. René-Paul Savary, Gérard Dériot, Mme Colette Giudicelli, M. Yves Daudigny, Mmes Michelle Meunier, Élisabeth Doineau, MM. Michel Amiel, Guillaume Arnell, Mme Laurence Cohen, M. Daniel Chasseing, vice - présidents ; M. Michel Forissier, Mmes Pascale Gruny, Corinne Imbert, Corinne Féret, M. Olivier Henno, secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mmes Martine Berthet, Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Jean-Noël Cardoux, Mmes Annie Delmont-Koropoulis, Catherine Deroche, Chantal Deseyne, Nassimah Dindar, Catherine Fournier, Frédérique Gerbaud, M. Bruno Gilles, Mmes Michelle Gréaume, Nadine Grelet-Certenais, Jocelyne Guidez, Véronique Guillotin, Victoire Jasmin, M. Bernard Jomier, Mme Florence Lassarade, M. Martin Lévrier, Mmes Monique Lubin, Viviane Malet, Brigitte Micouleau, MM. Jean-Marie Morisset, Philippe Mouiller, Mmes Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, Patricia Schillinger, MM. Jean Sol, Dominique Théophile, Jean-Louis Tourenne, Mme Sabine Van Heghe.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 2272 , 2291 , 2292 , 2298 , 2301 à 2306 , 2365 , 2368 et T.A. 348

Sénat : 139 et 140 à 146 (2019-2020)

LES OBSERVATIONS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES

Réunie le 20 novembre 2019 sous la présidence de M. Alain Milon, président , la commission a examiné le rapport pour avis de Mme Chantal Deseyne sur les crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » (Mildeca) du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du gouvernement » du projet de loi de finances pour 2020 .

La Mildeca impulse et coordonne la politique gouvernementale en matière de drogues et d'addictions, avec ou sans substance. L'année 2019 a été marquée par le lancement du nouveau plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 , dévoilé en décembre 2018 après de nombreux ajournements.

Après avoir rappelé les progrès de la lutte contre les addictions en France - recul du nombre de fumeurs, inflexion relative de la consommation d'alcool - le rapporteur pour avis a salué les avancées de ce plan , qui tiennent en partie compte des recommandations formulées antérieurement par cette commission : équivalence des soins en milieux ouvert et carcéral, prise en compte des addictions outre-mer et des addictions sans substance, amélioration de l'information des jeunes. Il en a également souligné les insuffisances , notamment en matière de prévention de l'addiction au cannabis ou sur le caractère disparate des mesures annoncées .

L'année 2019 a également été marquée par la réduction , préconisée par votre rapporteur pour avis, du délai d'expérimentation des salles de consommation à moindre risque et leur ouverture à de nouveaux usagers , ainsi que par la mise en oeuvre du fonds de lutte contre les addictions . Celui-ci, créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 au sein de la Caisse nationale d'assurance maladie, pose la question de la cohérence de la politique publique de lutte contre les addictions .

Suivant la proposition de son rapporteur pour avis, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du gouvernement » du projet de loi de finances pour 2020.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), qui anime et coordonne les initiatives de l'État en matière de lutte contre l'usage de stupéfiants et les addictions, se trouve au tournant de l'année 2020 dans une situation triplement inconfortable.

D'abord, le nouveau plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 qu'elle est chargée de mettre en oeuvre semble dépourvu du portage politique qu'exige une telle politique publique. Plusieurs fois reporté avant d'être enfin annoncé, en décembre 2018, il se caractérise, comme le précédent, par le fourmillement de plus de 200 mesures techniques desquelles on peine à distinguer quelques grands messages forts. On peut toutefois se réjouir que certaines des recommandations du Sénat aient été prises en compte, telles la prise en compte des addictions sans substance, l'équivalence des soins en milieux ouvert et carcéral ou l'attention prêtée aux addictions outre-mer.

Ensuite, les moyens de la Mildeca continuent à diminuer : de 2,3 % entre 2019 et 2020, après avoir diminué de 25 % depuis 2012. Si ses crédits d'intervention sont préservés, son plafond d'effectifs atteint un niveau critique. Les subventions pour charge de service public de ses deux opérateurs, l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et le Centre interministériel de formation anti-drogue (Cifad) diminuent légèrement. Un motif de satisfaction toutefois, mais ambigu : l'apport complémentaire du fonds de concours « drogues » à la Mission, indexé sur les avoirs saisis et confisqués lors de procédures pénales, dépasserait en 2020 le montant de son budget propre...

Enfin, la Mildeca est concurrencée sur son terrain par le fonds de lutte contre les addictions liées aux substances psychoactives, créé par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 au sein de la Caisse nationale d'assurance maladie. Abondé par la contribution spécifique sur les fournisseurs agréés de produits du tabac, mais également par le produit des amendes forfaitaires sanctionnant la consommation de cannabis, il est doté de pas moins de 120 millions d'euros pour mener des actions de prévention, de soutien à la recherche et de marketing social. Il est douteux que le pilotage de l'action publique, en la matière, y gagne en efficacité.

Le bilan de la lutte contre les addictions affiche pourtant en 2019 des résultats encourageants : la consommation de tabac continue à baisser, la consommation d'alcool reste stable, la prévalence des principales substances psychoactives diminue chez les jeunes. Ces bons résultats doivent inciter à poursuivre les efforts visant à faire reculer le tabagisme et à faire respecter tant les recommandations des pouvoirs publics en termes de consommation que les interdits de vente aux mineurs des boissons alcoolisés.

Il conviendra également de veiller à améliorer la politique de réduction des risques liés aux usages dangereux et la prise en charge des personnes. À cet égard, la baisse de la durée minimale d'expérimentation des salles de consommation à moindre risque et leur ouverture aux consommateurs autres qu'aux injecteurs, par l'arrêté du 15 juillet 2019, est à saluer. Un autre chantier devra être entrepris : renforcer la prévention relative au cannabis, dont les Français sont les plus gros consommateurs en Europe, et aux euphorisants en vogue chez les jeunes - voire les très jeunes.

La clarification du pilotage et de l'affectation des moyens de cette politique seront à l'avenir cruciaux, car les attentes à l'égard des acteurs de la lutte contre les addictions ne sauraient faiblir.

*

* *

Suivant la proposition de son rapporteur pour avis, la commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2020.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. POURSUIVRE LES EFFORTS POUR PRÉVENIR L'ENTRÉE EN DÉPENDANCE

A. DES INDICATEURS DE TENDANCE RASSURANTS, MAIS DES NIVEAUX DE CONSOMMATION QUI RESTENT PRÉOCCUPANTS ET DES PHÉNOMÈNES DE MODE À SURVEILLER

1. Tabac et alcool sont en recul, mais toujours destructeurs

La baisse du nombre de fumeurs se poursuit . D'après l'édition 2019 du baromètre annuel de Santé publique France, le nombre de fumeurs a baissé de 1,6 million, soit 12 %, en deux ans. Cela traduit non seulement l'arrêt du tabac par les fumeurs, mais aussi la réduction du nombre de nouveaux fumeurs. La part de fumeurs quotidiens est ainsi passée de 30 % en 2000 à 27 % en 2017.

Ces bons résultats sont le fait de politiques publiques déterminées : hausse du prix, paquet neutre, remboursement des produits nicotiniques, opération « Mois sans tabac », etc. La communication des pouvoirs publics, depuis des années, a aussi contribué à ternir l'image du tabac : 54 % des personnes interrogées estiment que l'on est moins bien accepté quand on est fumeur.

La part des adultes consommant de l'alcool à une fréquence hebdomadaire est en baisse, celle des consommateurs quotidiens se stabilise à 10 % . Reste que près de 10,6 millions de personnes dépassent les seuils de consommation à moindre risque fixés par les pouvoirs publics (pas plus de dix verres par semaine et deux par jour ; respecter des jours sans consommation). L'image de l'alcool y est encore pour beaucoup : pour 56 % de nos concitoyens, offrir ou boire de l'alcool fait partie des règles de savoir-vivre, et près d'un sur deux estime qu'il est acceptable de boire son premier verre d'alcool avant 18 ans.

Tabac et alcool continuent à faire des ravages : chaque année, leur sont respectivement imputables 75 000 et 41 000 décès. Leur coût respectif est estimé à 120 milliards d'euros à la société française chaque année, si l'on prend en compte les coûts des vies perdues, du trafic et de la perte de qualité de vie.

Niveaux d'usage de tabac, alcool et cannabis chez les adultes (en %)

Source : Santé publique France, 2019

2. Autres drogues : installation du cannabis, diversification des usages
a) Cannabis

La France est le pays dans lequel la prévalence de la consommation de cannabis, quoiqu'en baisse, est la plus élevée chez les jeunes et les adultes en Europe . L'expérimentation concerne 45 % des adultes de 18 à 64 ans, et l'usage régulier, qui diminue chez les jeunes de 17 ans (7,2 %, contre 9,2 % en 2014), a été multiplié par deux chez les adultes depuis 2000 pour atteindre 11 %.

Un quart des usagers présentent un risque élevé d'usage problématique ou de dépendance, progression en hausse de quatre points depuis 2014 : plus d'un million de personnes sont concernées.

b) Cocaïne et crack

L'usage au cours de l'année de la cocaïne a été multiplié par 8 entre 2000 et 2017 , mais ne concerne que 1,6 % de la population. Alors qu'il s'était stabilisé entre 60 et 65 euros, son prix médian a récemment augmenté, atteignant 70 à 80 euros le gramme, et son taux de pureté est passé de 35 % en 2009 à 59 %.

Les consommateurs de crack, forme basée de la cocaïne, sont de plus en plus nombreux : 27 000 en ont pris au cours du dernier mois. Les saisies sont les plus élevées depuis 2000. Le marché progresse en Ile-de-France et dans le nord de la France, en raison de l'implantation de filières - albanaise par exemple.

c) Héroïne et opioïdes

La part des expérimentateurs d'héroïne est stable , à 1,3 % des 18-64 ans. Parmi les jeunes de 17 ans, ce chiffre est en baisse. Les saisies sont en revanche en forte augmentation, l'offre progressant dans le Nord-Est et en Auvergne Rhône-Alpes du fait de l'implantation de réseaux criminels.

Les opioïdes restent les produits les plus impliqués dans les décès directement liés aux drogues. En 2015, 10 millions de personnes ont bénéficié du remboursement d'un antalgique opioïde, mais leur consommation est aussi orientée à la baisse. La surveillance des pouvoirs publics a empêché la survenance d'une crise analogue à celle qui sévit aux Etats-Unis.

d) Produits de synthèse

Après la forte augmentation enregistrée entre 2010 et 2014, la part des expérimentateurs de MDMA/ecstasy se stabilise à environ 5 %.

Les nouveaux produits de synthèse, en essor depuis 2008 regroupent près de 300 molécules. Leur prévalence reste difficile à évaluer. Comme les hallucinogènes, leur usage se rencontre plus fréquemment dans les espaces festifs.

Les solvants et préparations chimiques euphorisantes comme le GHB/GBL, le poppers ou le protoxyde d'azote connaissent une visibilité accrue mais restent cantonnés aux contextes sexuel et/ou festif. Le poppers est aujourd'hui l'un des produits psychoactifs les plus expérimentés par les jeunes de 17 ans après l'alcool, le tabac et le cannabis . Le protoxyde d'azote, peu cher et accessible légalement, connaît un certain succès chez les plus jeunes.

e) Des usagers et des usages qui se diversifient

La représentation de l'usager de drogue héroïnomane injecteur a vécu.

Pour les consommateurs socialement insérés , l'usage de drogue va de pair avec l'espace festif : plutôt alternatif pour les consommateurs de cannabis, d'alcool ou d'hallucinogènes, plutôt commercial pour les consommateurs de cocaïne ou d'euphorisants chimiques.

Les usagers précarisés présentent divers profils : l'OFDT distingue les « désocialisés traditionnels », souvent atteints de troubles psychiatriques, des jeunes en errance ou des migrants d'Europe centrale et orientale ; s'ils sont souvent polyusagers, tous n'appellent pas la même prise en charge.

Les patients en traitement de substitution présentent un profil différent encore. Les plus âgés ont pu connaître la dépendance à l'héroïne avant la diffusion des traitements de substitution aux opioïdes à partir de 1995, certains ont été d'emblée des polyusagers d'opioïdes, d'autres sont codépendants, à l'alcool ou aux nouveaux produits de synthèse.

Enfin, les modes d'usage s'hybrident : l'héroïne est à présent majoritairement sniffée, la cocaïne fumée. L'injection reste toutefois une pratique stable.

B. MIEUX PROTÉGER LES JEUNES DES ADDICTIONS, AVEC OU SANS SUBSTANCE

Cette année, votre rapporteur pour avis s'est particulièrement intéressée à l'addiction des jeunes - majoritairement des garçons - aux substances et aux jeux vidéo, en auditionnant notamment le Dr Olivier Phan, pédopsychiatre et chercheur à l'Inserm.

Le léger recul de l'âge de la première expérimentation et la légère baisse de la consommation dissimule la forte prévalence des comportements à risque et ne doivent pas conduire à relâcher les efforts de prévention.

Niveaux d'usage de tabac, alcool et cannabis à 17 ans (en %)

Source : Escapad, OFDT

a) Cannabis : mieux prendre en charge

Si l'expérimentation du cannabis recule chez les jeunes, la fréquence de l'usage problématique a augmenté, pour atteindre un quart - et 30 % chez les garçons.

Votre rapporteur pour avis plaide pour des outils de prise en charge rapide plus développés , concentrés sur les jeunes en souffrance (ceux adressés à la protection judiciaire de la jeunesse par exemple) et ouverts à toutes les méthodes thérapeutiques - thérapie familiale, thérapie comportementale, psychanalyse, etc.

Le discours public doit en outre rappeler inlassablement les effets nocifs du cannabis sur les jeunes cerveaux, hélas minimisés par des industriels désireux de profiter des opportunités de légalisation ouvertes dans un nombre croissant de pays - à l'automne 2019 encore, au Luxembourg.

b) Jeux vidéo : repérer précocement

L'addiction aux jeux vidéo, incluse dans la classification internationale des maladies de l'OMS en janvier 2018, reste mal documentée. Elle concernerait, selon une étude, déjà ancienne, de 2012, entre 1 % et 5 % des adolescents dans le monde. Le pronostic de certains joueurs dépendants est plus grave que pour certains fumeurs de cannabis. L'enquête PELLEAS, conduite auprès d'adolescents en Ile-de-France en 2014, avait révélé un usage des jeux vidéo problématique pour un adolescent sur huit.

L'addiction aux jeux vidéo se développe sur des profils de type phobique et propices à l'isolement, sur lesquels la prévention ne fonctionne guère. Le repérage précoce , celui du désinvestissement scolaire notamment, au sein de l'éducation nationale et avec l'appui de la médecine scolaire, est fondamental pour prévenir ce type de dépendance.

II. UNE POLITIQUE PUBLIQUE DE LUTTE CONTRE LES ADDICTIONS QUI S'INSCRIT DANS LA CONTINUITÉ DES PLANS PRÉCÉDENTS

A. LE PLAN NATIONAL DE MOBILISATION CONTRE LES ADDICTIONS 2018-2022

Le plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022

6 axes

6 défis

Axe 1 : une prévention pour tous
et tout au long de la vie

protéger dès le plus jeune âge

Axe 2 : une meilleure réponse
pour les citoyens et la société
aux conséquences des addictions

mieux répondre aux conséquences
des addictions pour les citoyens et la société

Axe 3 : un engagement fort contre les trafics

améliorer l'efficacité
de la lutte contre le trafic

Axe 4 : la recherche et l'observation
au service de l'action

renforcer les connaissances
et favoriser leur diffusion

Axe 5 : un impératif : observer
et agir aussi au-delà de nos frontières

renforcer la coopération internationale

Axe 6 : mobiliser dans les outre-mer

créer les conditions de l'efficacité de l'action publique sur l'ensemble du territoire

Le nouveau plan national de mobilisation contre les addictions , couvrant la période 2018-2022, plusieurs fois annoncé puis reporté , a finalement été validé par le Premier ministre le 19 décembre 2018 . Il tient en partie compte des préconisations formulées naguère, notamment par votre commission :

• Améliorer l'information : la première priorité consiste à clarifier le discours public sur les risques et dommages liés à l'alcool et au cannabis - notamment à l'attention des jeunes.

• Respecter l'équivalence des soins entre milieu ouvert et milieu carcéral . La priorité n° 10 consiste ainsi à diminuer les risques pour les personnes sous main de justice.

• Trois addictions sans substance sont prises en compte : les écrans, les jeux vidéo et les jeux de hasard et d'argent. Le programme d'études de l'OFDT devrait en porter la trace.

• Les phénomènes addictifs outre-mer devraient enfin faire l'objet d'une attention spécifique du plan (axe 6).

De plus, un arrêté du 15 juillet 2019 a réduit de trois à un an la durée minimale de fonctionnement des salles de consommation à moindre risque et ouvert leurs portes aux consommateurs autres qu'injecteurs - aux inhalateurs, par exemple. L'ouverture d'un nouveau centre est hélas retardée par la perspective des prochaines élections municipales.

Le nouveau plan suscite également un certain nombre d'interrogations :

D'abord, il contient, comme les précédents, plus de 200 mesures . Votre commission a déjà alerté le Gouvernement sur le risque de brouillage de la politique menée et de saupoudrage des crédits qui y sont associés.

Ensuite, aucune mesure significative - sur le prix ou la publicité par exemple - ne renforce l'arsenal de lutte contre les addictions à l'alcool . La préférence est donnée au renforcement du contrôle de l'interdiction de vente aux mineurs.

Les mesures relatives à la consommation de cannabis mettent surtout l'accent, comme précédemment, sur les compétences psychosociales , ce qui n'est pas suffisant . Une campagne sanitaire nationale serait bienvenue - la dernière remonte à 2005. Le marché du cannabis est évalué à 1,1 milliard d'euros - soit la moitié du marché national des drogues illicites -, et a donné lieu en 2017 à la saisie de 20 tonnes, contre 5,6 en 2013, de produits de plus en plus dosés.

Enfin et surtout, la création par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 d'un fonds de lutte contre les addictions au sein de la Caisse nationale d'assurance maladie , dont la gouvernance a été mise en place par un décret du 21 juin 2019, fait perdre en lisibilité à l'action publique.

La gouvernance du fonds est assurée par un conseil d'orientation stratégique et un comité restreint. Le premier, qui formule des propositions d'orientations et d'axes d'intervention à financer en priorité et évalue les actions financées par le fonds, réunit tous les acteurs impliqués, associatifs et administratifs. Le comité restreint, qui émet un avis sur les actions proposées par le conseil d'orientation stratégique, est composé des directeurs des administrations concernées et présidé par le directeur général de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie.

La Mildeca est membre des deux organes. Sa force d'intervention est cependant sans commune mesure avec celle du fonds, doté en 2019 de 120 millions d'euros répartis ainsi :

• Plus de 46 millions investis dans l'aide à l'arrêt du tabac.

• 32 millions pour soutenir des projets en régions.

• Près de 18 millions pour les projets nationaux de la société civile.

• Plus de 13 millions investis dans la recherche.

• 11 millions pour la mise en place de nouvelles campagnes de marketing social.

B. UN CADRE BUDGÉTAIRE TOUJOURS PLUS CONTRAINT

Les ressources de la Mildeca proviennent :

• des crédits ouverts en loi de finances.

• du dixième du montant du fonds de concours « Drogues » créé par la loi du 9 juillet 2010.

1. La dotation budgétaire poursuit sa baisse

Dotation budgétaire de la Mildeca entre 2014 et 2020 (en M€)

Source : Lois de finances initiales successives

Crédits de paiement pour 2020 (en euros)

PLF 2019

PLF 2020

Action n° 15 « Mildeca »

17 496 968

17 101 000

(- 2,3 %)

dont subventions
pour charges
de service public

Observatoire français
des drogues et des toxicomanies (OFDT)

2 805 000

2 575 000

(- 8 %)

Centre interministériel
de formation anti-drogue (Cifad)

365 000

357 000

(- 2,2 %)

Source : PAP de la mission annexé au PLF pour 2020

Pour 2020, les dépenses sont ainsi réparties :

Crédits de personnel : 2 107 628 euros, en baisse de 4 %, correspondant à un effort de 2 ETP, qui fait suite à l'effort d'une unité demandé à la Mildeca l'an passé. Sur une si petite structure, qui comptera donc 19 ETP en 2020, l'effort est considérable.

Crédits de fonctionnement : 3 332 327 euros, correspondant aux subventions pour charge de service public accordées à l'Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) et au Centre interministériel de formation anti-drogue (Cifad). Ces crédits sont en légère baisse en raison des économies de loyer réalisées par l'OFDT (cf. infra ) .

Crédits d'intervention : 11 661 714 euros, en légère hausse pour passer de 66 % l'an dernier à 68 % des dépenses totales.

Les dépenses d'intervention financent pour un quart, soit 3,1 millions d'euros, des projets, assez hétérogènes, de prévention et de recherche scientifique. Les documents budgétaires en possession de votre rapporteur ne lui donnent toutefois de vue sur les actions ainsi financées qu'à hauteur de 2,3 millions en 2018 et 1,6 million en 2019. La moitié des dépenses engagées chaque année à ce titre finance en outre des contributions à des organismes internationaux, tels l'Office des Nations unies contre la drogue ou le crime ou le Conseil de l'Europe.

Les trois quarts restants, soit 8,6 millions d'euros, financent la déclinaison territoriale du plan national de mobilisation contre les addictions par les chefs de projet Mildeca dans les préfectures, en lien avec les partenaires institutionnels locaux. C'est une priorité d'action pour la Mildeca en 2020.

2. L'apport bienvenu du fonds de concours « drogues »

Le fonds de concours « Drogues » est abondé principalement par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) des sommes saisies lors de procédures pénales. Seuls les 10 % restant après affectation aux ministères régaliens sont alloués à la Mildeca, mais les crédits alloués à un ministère mais non engagés en fin d'exercice sont également réattribués en gestion à la Mildeca. Ses ressources sont gérées en année n+1 : le fonds de concours 2019 sera ainsi ouvert au plus tard en mars 2020.

La somme apportée en 2020 par le fonds de concours devrait avoisiner les 20 millions d'euros , soit un retour au niveau observé dans les années 2008-2009. Bonne nouvelle pour la Mildeca, cette somme témoigne de l'efficacité des services de police mais aussi de la vigueur des trafics.

Les documents budgétaires en possession de votre rapporteur pour avis ne lui permettent pas d'avoir connaissance de l'affectation précise des ressources du fonds de concours.

C. LES OPÉRATEURS DE LA MILDECA : DES RÉORGANISATIONS ANNONCÉES

1. L'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT)

Sa subvention pour charges de service public s'élèvera en 2020 à 2,58 millions d'euros, soit une baisse de 230 000 euros. Celle-ci correspond à l'économie de 400 000 euros occasionnée par son installation dans un bâtiment domanial, et à l'apport de 170 000 euros au titre du transfert à l'OFDT des missions de l'Observatoire des jeux.

En 2020, l'OFDT s'est vu notifier, en dépit d'une erreur matérielle dans les documents budgétaires, un plafond d'emploi de 28 ETP, ainsi qu'un ETP hors plafond.

L'OFDT engagera en 2020 une refonte de son organisation interne , pour la rendre plus adéquate à sa taille : deux pôles scientifiques et un secrétariat général remplaceront les six structures actuelles. L'accord d'établissement sera en outre renégocié, pour rapprocher la gestion des ressources humaines et la politique salariale de l'OFDT des standards de la fonction publique.

Sa convention constitutive pourrait enfin être réécrite pour y mieux faire apparaître les addictions sans substance dans les objets d'étude, et intégrer à un collège scientifique plus proche de l'office lui-même, davantage de spécialistes de ces domaines de recherche.

2. Le Centre interministériel de formation anti-drogue (Cifad)

Créé en 1992 afin de renforcer la coopération internationale dans la lutte contre les drogues et d'échanger les savoir-faire avec les États de la Caraïbe et d'Amérique latine, le Cifad est basé à Fort-de-France.

Le nombre d'actions menées par le Cifad est passé de 129 en 2017 à 85 en 2018, en raison d'un nombre élevé d'annulations et de la vacance de postes de formateurs. L'Inspection générale de l'administration, sollicitée à l'initiative de la Mildeca en 2018, a préconisé dans un rapport de juin 2019 de modifier substantiellement ses missions, les territoires d'intervention prioritaires, son organisation et son mode de pilotage, sans toutefois remettre en cause l'intérêt de son implantation en Martinique.

Sa transformation est annoncée dans le cadre du plan national de mobilisation contre les addictions.

EXAMEN EN COMMISSION

___________

Réunie le 20 novembre 2019, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'examen du rapport pour avis de Mme Chantal Deseyne sur l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » « du projet de loi de finances pour 2020.

Mme Chantal Deseyne , rapporteur pour avis de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » . - Il me revient de vous présenter les crédits de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, la Mildeca. Placée auprès du Premier ministre, cette structure anime et coordonne les initiatives de l'État en matière de lutte contre les addictions, avec ou sans substances.

Un mot, d'abord, sur la situation des addictions dans notre pays. D'abord, la consommation de tabac poursuit sa diminution. D'après l'édition 2019 du baromètre annuel de Santé publique France, le nombre de fumeurs a baissé de 1,6 million, soit 12 %, en deux ans. Ces bons résultats sont sans nul doute le fait des politiques conduites depuis des années : hausse du prix du tabac, paquet neutre, opération « Mois sans tabac », etc. Les enquêtes qualitatives montrent en outre que la perception du tabac a été efficacement dégradée : 54 % des personnes interrogées estiment que l'on est moins bien accepté quand on est fumeur.

La situation de l'alcool est plus ambigüe, en raison de l'image qu'il garde dans l'esprit des Français. La part de l'usage régulier est en recul et celle de l'usage quotidien s'est stabilisée autour de 10 %, alors qu'elle atteignait 22 % en 2000.

Mais pour 56 % de nos concitoyens, offrir ou boire de l'alcool fait partie des règles de savoir-vivre, et près d'un sur deux estime qu'il est acceptable de boire son premier verre d'alcool avant 18 ans. En conséquence, la consommation d'alcool reste une pratique courante, près de 90 % des personnes déclarant une consommation au moins une fois dans l'année. Surtout, près de 10,6 millions de personnes dépassent les seuils de consommation à moindre risque fixés par les pouvoirs publics sur recommandation des experts sanitaires : pas plus de 10 verres par semaine et 2 par jour ; respecter des jours sans consommation.

Plus globalement, il faut rappeler que tabac et alcool continuent à faire des ravages dans notre pays : le tabac tue chaque année 75 000 personnes et l'alcool 41 000.

S'agissant des autres psychotropes, le tableau est également contrasté : le cannabis recule chez les jeunes mais semble s'installer chez les adultes, et les stimulants et euphorisants de toutes sortes rencontrent un succès certain, quoique dans des publics très choisis.

La prévalence de la consommation de cannabis est toujours la plus élevée d'Europe, chez les jeunes comme chez les adultes. L'expérimentation concerne 45 % des adultes de 18 à 64 ans, et l'usage régulier, qui a diminué de deux points en trois ans chez les jeunes de 17 ans, a été multiplié par deux chez les adultes depuis 2000 pour atteindre 11 % ! Un quart des usagers présentent un risque élevé d'usage problématique ou de dépendance, progression en hausse de quatre points depuis 2014 : plus d'un million de personnes sont concernées.

L'usage déclaré de la cocaïne au cours de l'année écoulé a été multiplié par 8 entre 2000 et 2017, mais ne concerne que 1,6 % de la population. Les consommateurs de crack, forme basée de la cocaïne, sont de plus en plus nombreux, et les saisies sont les plus élevées depuis 2000. Le marché progresse en Ile-de-France et dans le nord de la France.

La part des expérimentateurs d'héroïne est stable, à 1,3 % des 18-64 ans. Les opioïdes restent les produits les plus impliqués dans les décès directement liés aux drogues, mais leur consommation est orientée à la baisse et la surveillance des pouvoirs publics a pour l'heure contenu la survenance d'une crise comme celle qui sévit aux États-Unis.

Les espaces festifs restent propices à l'expérimentation de préparations chimiques euphorisantes, solvants, ou nouveaux produits de synthèse. Leur consommation est donc limitée à des publics restreints, mais ils peuvent avoir des conséquences sanitaires sérieuses. Le poppers est ainsi l'un des produits psychoactifs les plus expérimentés par les jeunes de 17 ans après l'alcool, le tabac et le cannabis, et l'usage détourné du protoxyde d'azote, peu cher et accessible légalement, connaît un certain succès chez les plus jeunes. Depuis la rentrée, c'est le Buddha Blue, un cannabinoïde de synthèse, qui inquiète les autorités sanitaires, en Normandie notamment.

Cette année, j'ai en outre souhaité m'intéresser plus particulièrement à la dépendance chez les jeunes, en auditionnant notamment le docteur Olivier Phan, chercheur à l'Inserm. L'addiction aux jeux vidéo est encore mal connue. Elle se développe sur un terrain psychologique fragile, souvent de type phobique ou propice à l'isolement, fragilités sur lesquelles la prévention a peu d'effets. Il faut donc encourager le repérage précoce de ces comportements à risques, parfois plus dangereux pour l'adolescent que le cannabis, au sein de l'éducation nationale, et agir plus transversalement en limitant l'exposition des jeunes aux écrans.

L'année 2019 a été marquée par le lancement du nouveau plan d'action gouvernemental, baptisé cette fois « plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 ». Plusieurs fois annoncé et reporté, il a finalement été validé par le cabinet du Premier ministre en décembre 2018. Derrière le changement sémantique se cache, en première analyse, une arborescence touffue d'axes, de priorités et d'objectifs, hérissée de plus de 200 mesures.

Ces 130 pages, aussi avenantes que les meilleurs documents budgétaires, font d'abord craindre, sous couvert d'efficacité technocratique, une certaine dispersion de l'action publique et un regrettable saupoudrage des moyens.

Le risque de dispersion a été encore accru par la création, à l'article 38 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, d'un fonds de lutte contre les addictions au sein de la Caisse nationale d'assurance maladie. Sa gouvernance a été mise en place par le décret du 21 juin 2019, et sa capacité atteint les 120 millions d'euros. L'idée est intéressante, mais le Fonds d'intervention régional, le programme 204 de la mission « Santé » ou la Mildeca elle-même financent déjà des actions analogues, ce qui peut conduire à s'interroger sur la juxtaposition des structures de financement.

Il faut sans doute déplorer l'absence de mesure emblématique en matière de lutte contre l'addiction à l'alcool, la priorité étant mise sur le respect de l'interdiction de vente aux mineurs, ou de plan national de prévention des dangers du cannabis.

Notons toutefois quelques éléments de satisfaction : le plan tient compte de quelques préconisations de notre commission sur les plans antérieurs, s'agissant notamment de l'équivalence des soins en prison, de la prise en compte des addictions outre-mer, ou de l'attention accordée aux addictions sans substance.

De plus, un arrêté du 15 juillet 2019 a réduit de 3 à 1 an la durée minimale de fonctionnement des salles de consommation à moindre risque et ouvert leurs portes aux consommateurs autres qu'injecteurs - aux inhalateurs, par exemple - ainsi que je l'avais suggéré l'an dernier. L'ouverture d'un nouveau centre est cependant, hélas, retardée par la perspective des prochaines municipales.

Pour relever ces défis, la Mildeca dispose de moyens assez réduits, et dont la baisse se poursuit en 2020 : 17,1 millions d'euros, soit une diminution de 2,3 % par rapport à 2019. Il faut en outre se rappeler que son budget avait déjà diminué de 25 % depuis 2012.

La Mildeca bénéficie cependant aussi d'un dixième du montant du fonds de concours « drogues », alimenté par le produit de la vente des biens saisis et confisqués aux trafiquants de drogues. Leur montant devrait retrouver à la fin de l'année les niveaux enregistrés il y a dix ans, soit près d'une vingtaine de millions d'euros. La Mildeca consacre cette somme à des actions de prévention. Bonne nouvelle en apparence pour la Mildeca, cette somme témoigne aussi de l'efficacité de forces de police sans doute, mais aussi de la vigueur des trafics...

Les deux opérateurs de la Mildeca, l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et le Centre interministériel de formation anti-drogue (Cifad), voient leur subvention pour charges de services publics très légèrement diminuer.

La baisse de la dotation de l'OFDT tient en réalité compte du déménagement de l'organisme dans des locaux domaniaux, ce qui lui économise des charges de loyers non négligeables. L'OFDT dispose d'un programme d'études chargé pour l'an prochain, qui devrait mieux tenir compte des addictions sans substances, et son organisation interne devrait être refondue pour plus d'efficacité.

Le Cifad, quant à lui, est chargé de renforcer la coopération internationale dans la lutte contre les drogues avec les États de la Caraïbe et d'Amérique latine. Il est basé depuis sa création, en 1992, à Fort-de-France. La forte baisse du nombre d'actions menées par le Cifad en 2018 a conduit la Mildeca à proposer qu'il fasse l'objet d'une mission de l'inspection générale de l'administration (IGA). Celle-ci a préconisé en juin dernier de modifier substantiellement ses missions, son organisation et son mode de pilotage. Sa transformation devrait être conduite l'an prochain.

Sur ces considérations, je vous propose, mes chers collègues, d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2020.

M. Alain Milon , président . - Dans la mesure où les crédits de la Mildeca diminuent, et où ceux que l'Assurance maladie consacre aux mêmes actions augmentent, ne risque-t-on pas de voir la Mildeca disparaître ?

M. Michel Amiel . - Dispose-t-on d'une évaluation des salles de consommation à moindre risque ?

Le plan de mobilisation contre les addictions 2018-2022 contient-il des mesures relatives à l'addiction aux jeux ? C'est probablement l'une des plus dures, qui provoque d'assez nombreux suicides chaque année. Alors que la Française des jeux est en voie de privatisation, j'ai l'impression que ce problème est passé sous silence.

Mme Laurence Cohen . - Je remercie Mme Deseyne pour son rapport, toujours très riche.

Ma question rejoint la vôtre, monsieur le président : doit-on s'inquiéter de la disparition prochaine de la Mildeca ?

Le plan de mobilisation contre les addictions 2018-2022 a été validé par le Premier ministre en décembre 2018, donc après le vote du budget pour 2019. A-t-on des éléments précis sur les premières actions menées dans ce cadre ?

Le bleu budgétaire indique que les risques liés à la consommation de produits psychoactifs sont encore assez méconnus par la population. Le Gouvernement propose d'y remédier par une sorte de débat public. Qu'en sait-on, plus précisément, à ce stade ? Plus généralement, on ne peut qu'être préoccupé par la baisse des crédits prévus pour mener de telles actions à bien.

Enfin, je veux dire mon étonnement devant les réactions que suscitent chaque année dans l'hémicycle, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, les mesures de santé publique que notre commission défend. Cette année encore, nous avons passé un temps disproportionné à examiner des amendements de défense des alcooliers, et certains de nos collègues quittaient même les débats une fois ceux-ci passés. Nous avons encore du travail d'éducation à faire, et pas seulement à l'égard de la population générale...

Mme Nadine Grelet-Certenais . - L'addiction aux écrans est devenue, en quelques années, un vrai sujet. J'ai longtemps cru que placer son tout-petit devant un écran pour lui faire manger sa purée était un phénomène marginal, mais de très nombreux jeunes parents se disent désemparés à ce point - je le constate dans mon entourage ! Il faut absolument que le message « 3-6-9-12 », qui vise notamment à proscrire les écrans avant trois ans, soit passé au plus grand nombre.

M. Guillaume Arnell . - Je m'interrogeais également sur la nécessité de réfléchir plus en profondeur sur l'addiction aux jeux, des très jeunes enfants notamment, ainsi que sur les retours d'expérience sur les salles de consommation à moindre risque.

Que sait-on précisément de la baisse d'activité du Cifad, et de la reconfiguration annoncée de ses missions ?

M. Bernard Jomier . - Les chiffres affichent en effet une disproportion entre les crédits de la Mildeca et ceux portés par le fonds de lutte contre les addictions : 17 millions d'un côté, 120 de l'autre. Ce n'est toutefois pas forcément inquiétant, sous réserve que l'organe chargé de coordonner la politique en la matière a les prérogatives qui lui permettent de le faire. Pour ma part, je ne mènerai pas une guerre de religion sur les financements de la Mildeca. Le problème, c'est que les plans nationaux contiennent de plus en plus de mesures, qu'aucune ligne politique n'apparaît et que les moyens pour les mettre en oeuvre ne suivent pas. Ces plans à plusieurs centaines de mesures ont été écrits par de très bons techniciens mais ils révèlent l'absence d'intérêt et de vision politique du sujet.

Sur le tabagisme, nous avons certes une bonne politique et, d'ailleurs, la consommation de tabac recule. Sur l'alcool, les choses sont plus compliquées, notamment car le chef de l'État a estimé qu'il ne fallait pas envoyer de signaux négatifs à l'industrie - du vin, en particulier. Il vient d'ailleurs de décider que n'aurait pas lieu l'initiative « Janvier sobre » : on peut certes discuter de sa pertinence, mais est-ce vraiment au chef de l'État de se mêler de telles affaires, de si bas niveau dans la hiérarchie des initiatives publiques, et pour tout dire si peu jupitériennes ? Il y a manifestement une difficulté à aborder ces questions sous l'angle de la santé publique de manière cohérente ; 20 % de personnes ne respectant pas les normes de consommation à moindre risque, c'est une proportion bien trop élevée, et qui pose d'autres problèmes de société - les violences faites aux femmes, par exemple.

S'agissant du cannabis, on continue à se mettre la tête dans le sable. Notre politique ne marche pas ! Le cannabis est une substance dangereuse pour la santé, elle est massivement consommée, et notre politique de guerre à tout prix est un échec ! Toutes les pistes peuvent être mises sur la table mais, au moins, changeons quelque chose.

Deux grands principes manquent à cette politique : intégration et déconcentration. Il faut plus d'intégration, c'est-à-dire une autorité qui la pilote vraiment, afin d'éviter la dispersion des moyens, et plus de déconcentration, car les enjeux varient selon les territoires. À Paris, nous avions mis en place une mission métropolitaine de prévention des conduites à risque, pour analyser les enjeux de dépendance, parmi lesquels figuraient les jeux vidéo. Les salles de consommation à moindre risque ne règleront pas du tout le problème des addictions, car elles s'adressent à un public désocialisé. Elles correspondent néanmoins à un besoin, à Strasbourg comme à Paris, et je crois néanmoins que d'autres ouvriront, une fois les municipales passées.

Mme Florence Lassarade . - Je voudrais revenir sur les addictions sans substance. Je suis frappée, quand je rencontre les maires des petites communes, par l'intérêt qu'ils portent aux tableaux numériques en maternelle. Or ces enfants ont déjà chez eux, dès le petit déjeuner, non plus les dessins animés de la télévision mais la tablette sous les yeux ! Je suis assez révoltée contre l'installation systématique de tels outils en maternelle, dans lesquels les parents voient une autorisation à ce que les écrans pénètrent tous les aspects de la vie quotidienne. L'éducation nationale devrait jouer un rôle plus important, dès la petite enfance, pour prévenir l'exposition précoce.

Mme Patricia Schillinger . - Le législateur ayant beaucoup fait contre les addictions depuis des années, les progrès sont plutôt à attendre du côté de l'application de la loi. Souvenez-vous des publicités rappelant que « celui qui conduit, c'est celui qui ne boit pas » : autrement dit, le passager, lui, peut boire comme un trou ! Je sais telle jeune femme qui a dû subir une greffe de foie à 24 ans, après des années d'alcoolisation excessive en soirée. Les publicités peuvent être très nocives. Ce n'est pas que le fait de prendre le volant qui est nocif, c'est l'alcool lui-même !

Et je ne dis rien de certains comportements, comme l'engouement phénoménal pour l'« apéro » ! À Paris, les terrasses sont remplies de jeunes qui boivent pendant des heures, phénomène n'existait pas il y a quelques temps. Cela conduit à se poser des questions.

D'aucuns considèrent que fumer quelques joints n'est pas grave ; or les médecins ont apporté la preuve du contraire. Fumer plusieurs joints par jour, c'est grave, et c'est une addiction. Que sait-on, d'ailleurs, des résultats des tests de dépistage de cannabis que font passer les gendarmes sur les routes ? Une vraie campagne de prévention serait utile.

Mme Chantal Deseyne , rapporteur pour avis . - La disparition de la Mildeca est en effet une vraie question. Je rejoins M. Jomier : peu importe qui se voit attribuer les crédits, l'essentiel étant que la politique menée soit lisible. Or il y a pour l'heure un certain brouillage.

Les écrans deviennent en effet dans de nombreuses familles, plus qu'un moyen de faire avaler la purée, un véritable mode de garde. Il faut rappeler combien ils peuvent être nocifs. Nous avons auditionné à ce sujet le docteur Olivier Phan, qui a publié de nombreuses études sur les addictions sans substances, aux jeux notamment. La Mildeca participe aux travaux de rédaction du projet d'ordonnance réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard, défendant la réaffirmation de l'interdit de vente de jeux aux mineurs, l'encadrement du taux de retour au joueur, la limitation de l'implantation de nouveaux points de vente ou encore l'encadrement de la publicité. En outre, c'est l'OFDT qui a repris les missions de l'Observatoire des jeux.

Sur les salles de consommation à moindre risque, il faudra attendre la fin des expérimentations en cours pour en avoir une vue complète. À Paris, la file active est composée de pas moins de 1 100 personnes. J'ai visité le site l'an dernier : la situation est satisfaisante. Le quartier de Lariboisière est plutôt apaisé, il n'y a pas d'injecteurs aux abords de la salle. Il a de plus été ouvert à d'autres usagers, tels les inhalateurs. On peut toutefois regretter que les projets d'ouverture de nouvelles salles, à Bordeaux ou à Marseille, aient été suspendus en raison de l'approche des élections municipales.

Monsieur Jomier, les trois quarts des dépenses d'intervention de la Mildeca servent déjà à décliner le plan national au niveau local, grâce aux chefs de projet, qui sont souvent les directeurs de cabinet des préfets.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de l'action « Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives » du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2020.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

___________

• Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT)

Julien Morel d'Arleux , directeur

• Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca)

Valérie Saintoyant , déléguée

Arnaud Covin , chef du service administratif et financier

• Olivier Phan , psychiatre et docteur en neuroscience sur addictions à l'adolescence (jeux vidéos, cannabis...)

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