C. LES DÉFIS DE L'INDEMNISATION DES VICTIMES DU VALPROATE DE SODIUM

En complément de la dotation des régimes obligatoires d'assurance maladie, d'un montant de 150 millions d'euros en 2020, l' office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) bénéficie d'une dotation de l'État au titre du programme 204 qui s'élèvera en 2020 à 39,4 millions d'euros. Cette participation assure, pour le compte de l'État :

- l'indemnisation des accidents vaccinaux survenus depuis le 1 er janvier 2006 et l'indemnisation des victimes de mesures sanitaires d'urgence ;

- l'indemnisation des victimes du valproate de sodium (Dépakine®) et du benfluorex (Médiator®).

Si le dispositif d'indemnisation de la Dépakine® existe depuis 2017, sa montée en charge reste très lente, en raison de la complexité juridique et médicale des phases d'instruction . Seulement 555 dossiers d'indemnisation ont été déposés à ce jour et concernent autant d'enfants exposés in utero aux effets du valproate sur leur développement et présentant des séquelles indemnisables. Ces demandes d'indemnisation concernent également 1 417 victimes indirectes, en tenant compte des conséquences de cette situation pour l'entourage de l'enfant. Au cours de la phase d'instruction, un collège d'experts se prononce dans un premier temps sur l'imputabilité des séquelles à l'exposition au valproate. Un comité d'indemnisation intervient ensuite sur le niveau de la réparation à proposer.

Pour chacune de ces deux étapes, la réglementation prévoit la nomination par l'organisation de représentation des entreprises pharmaceutiques 6 ( * ) de médecins appelés à siéger dans ces deux instances. Sanofi, entreprise exploitant la Dépakine®, refuse néanmoins de désigner des participants , en considérant que leur participation en son nom reviendrait à une reconnaissance implicite de sa part de responsabilité que le laboratoire refuse, pour l'heure, d'admettre.

Dans ces conditions, le comité d'indemnisation détermine la part imputable à l'État et celle imputable à l'entreprise pharmaceutique. Compte tenu du refus de Sanofi de participer à cette indemnisation, l'Oniam se substitue au laboratoire et émet, en retour, un titre de recettes qu'il adresse au laboratoire. Sanofi devrait vraisemblablement attaquer ces titres de recettes par la voie contentieuse.

Bilan de la mise en oeuvre de l'indemnisation de la Dépakine®

Le dispositif d'indemnisation des victimes de la Dépakine® (valproate de sodium) a été créé par l'article 150 de la loi n° 2016-1917 de finances pour 2017 et par le décret d'application modifié n° 2017-810 du 7 mai 2017. Il est inscrit dans le code de la santé publique aux articles L. 1142-24-9 et suivants et R. 1142-63-18 et suivants.

Sur la base des estimations, la procédure d'indemnisation a fait l'objet d'un chiffrage établi à 466,2 millions d'euros pour une période de six ans, soit 77,7 millions d'euros annuel. Il se décompose en 424,2 millions d'euros de prévisions d'indemnisation, 30 millions d'euros d'expertises et 12 millions d'euros de coût de fonctionnement des instances collégiales. Mais la prévision de la budgétisation en pluriannuel reste complexe. Les prévisions annuelles dépendent encore de facteurs difficilement évaluables et nécessitent des ajustements.

Entré en vigueur le 1 er juin 2017, il a été opérationnel dès le mois de juillet. Il vise avant tout à faciliter le règlement des indemnités en organisant une expertise coordonnée des demandes. Il repose actuellement sur deux instances, le collège d'experts, qui examine la question de l'imputabilité des dommages au produit et qui, lorsqu'il constate l'imputabilité, « informe, le cas échéant, le demandeur de la filière de soins et de prise en charge appropriée » (article R. 1142-63-31 du code de la santé publique), le comité d'indemnisation, qui se prononce sur les circonstances, les causes, la nature et l'étendue des dommages ainsi que sur les responsabilités.

Le dispositif a connu une montée en charge progressive freinée par la complexité inédite des questions médicales et juridiques soulevées mais également par des difficultés de fonctionnement du dispositif tenant notamment à l'existence de deux instances adossées à l'Oniam, lui-même en pleine restructuration :

- de septembre 2017 à septembre 2018, 296 dossiers ont été déposés ;

- au 30 septembre 2019, 555 dossiers ont été déposés, concernant autant de victimes directes, et 1 417 victimes indirectes. L'unité de compte est bien le nombre de dossiers déposés au nom de la victime directe, le collège d'experts puis le comité d'indemnisation examinant conjointement les demandes faites au titre des victimes directes et indirectes.

Le collège d'experts avait examiné au moins une fois 258 dossiers et rendus 172 rapports dont 155 d'imputabilité, soit plus de 90 % d'imputabilité.

Le comité d'indemnisation, pour sa part, avait examiné au moins une fois 121 dossiers. Il a rendu 78 avis dont 52 notifiés, soit 33 retiennent la responsabilité du laboratoire Sanofi, 14 retiennent un partage de responsabilité laboratoire/l'État, 2 retiennent la responsabilité des prescripteurs et 3 avis met l'indemnisation à la charge de l'Oniam en application du II de l'article L. 1142-24-16 du code de la santé publique.

Compte tenu de la position de principe du laboratoire Sanofi, qui refuse de reconnaître une quelconque part de responsabilité quelle que soit la période considérée, l'Oniam a d'ores et déjà fait 35 offres en substitution du laboratoire Sanofi. 13 offres ont été présentées pour le compte de l'État. Au 30 septembre 2019, 113 protocoles ont été présentés pour un montant de 6,5 millions d'euros.

Source : Direction générale de la santé du ministère des solidarités et de la santé

Selon les réponses de la direction générale de la santé du ministère des solidarités et de la santé au questionnaire de votre commission, sur les 77,7 millions d'euros inscrits en loi de finances initiale pour 2018, 16 millions d'euros ont été délégués à l'Oniam au titre du fonctionnement du dispositif et de l'indemnisation des victimes de la Dépakine®. En effet, avant d'examiner les premières demandes, le collège d'experts et le comité d'indemnisation ont dû stabiliser et finaliser leur doctrine, et mettre en place les outils d'analyse.

Les crédits votés en loi de finances initiale pour 2019 pour l'indemnisation des victimes du valproate de sodium et de ses dérivés se sont établis à 65,7 millions d'euros. Toutefois, compte tenu de la montée en charge progressive du dispositif, ces crédits seront fortement sous-consommés. Les ressources propres de l'office s'élèveraient, pour leur part, à 29 millions d'euros en 2020.

Afin d'améliorer les conditions d'indemnisation des victimes des préjudices nés de l'exposition au valproate de sodium et, plus largement, de l'exposition à d'autres traitements médicamenteux, votre commission préconise :

• de simplifier la procédure d'indemnisation en fusionnant les deux instances que sont le collège d'experts et le comité d'indemnisation , faisant sienne la recommandation formulée en ce sens par l'Assemblée nationale dans une résolution de juin 2019 7 ( * ) ;

• de confirmer, dans la loi, la possibilité pour l'Oniam d'être pleinement subrogé , à due concurrence des sommes versées par la solidarité nationale, aux droits que les victimes se verraient attribuer par les juridictions contre les personnes reconnues responsables du dommage, comme c'est déjà le cas pour de nombreux fonds d'indemnisation comme le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA).

À l'heure actuelle, la subrogation de l'Oniam intervient dans le cadre du dispositif amiable des victimes du valproate de sodium mis en place. Lorsque le comité d'indemnisation conclut à la responsabilité d'un exploitant, d'un professionnel de santé ou de l'État, le responsable désigné dispose ainsi d'un mois pour formuler une offre à la victime.

Aux termes de l'article L. 1142-24-17 du code de la santé publique, en cas de silence ou de refus explicite ou d'offre manifestement insuffisante dans ce délai, l'Oniam fait une offre en substitution du responsable. Il se retourne ensuite contre responsable pour récupérer les sommes qu'il a avancées à l'amiable, puis, le cas échéant, au contentieux. Le juge peut alors condamner le responsable au versement d'une pénalité qui ne peut toutefois dépasser 30 % de l'indemnité allouée . Depuis les deux avis rendus par le Conseil d'État 8 ( * ) , l'Oniam à la suite d'une substitution est en droit d'émettre un titre exécutoire à l'encontre du responsable défaillant. Toutefois, le laboratoire Sanofi conteste sa responsabilité et il introduit des requêtes au fond à l'égard des titres émis par l'Oniam ;

• d'engager une réflexion sur la mise en place d'une contribution obligatoire des industriels au titre de l'assurance contre les accidents potentiellement causés par l'administration de médicaments ou l'utilisation de dispositifs médicaux . Cette contribution apparaît, pour l'heure, difficilement envisageable dans un contexte de baisse de la dépense des remboursements de médicaments qui contraint l'évolution du prix du médicament et les marges de ses producteurs et distributeurs ;

• d'améliorer les procédures en responsabilité civile . La direction générale de la santé du ministère des solidarités et de la santé indique, dans ses réponses au questionnaire de votre commission, qu'un projet de loi portant réforme de la responsabilité civile, qui devrait être adopté en conseil des ministres d'ici la fin 2019, devrait introduire une responsabilité de plein droit du fait des effets indésirables causés à un patient par un produit de santé . Par ailleurs, une note des autorités françaises adressée le 3 juillet 2017 à la Commission européenne invite à une évolution de la réglementation communautaire en matière de responsabilité des laboratoires sur deux points :

- la suppression de la forclusion , c'est-à-dire le délai butoir de dix ans à compter de la mise en circulation du produit au terme duquel le producteur n'est plus responsable du défaut ;

- la suppression de la clause d'exonération pour risque du développement prévue aux articles 7 e) et 15.1 b) de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 9 ( * ) , selon laquelle le producteur n'est pas responsable s'il prouve « que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise en circulation du produit par lui n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ». Cette clause a pour effet de créer une véritable immunité de l'exploitant au regard des risques que comporte son produit. Pour atténuer la rigueur de la règle, la directive prévoit en son article 15.1 b) que les États membres peuvent écarter cette cause d'exonération et maintenir la responsabilité du producteur. La France a utilisé cette faculté en écartant l'exonération « lorsque le dommage a été causé par un élément du corps humain ou par les produits issus de celui-ci ». Le ministère des solidarités et de la santé indique que des réflexions sont en cours, au niveau national, afin d'exclure plus généralement les produits de santé de cette clause d'exonération.


* 6 En l'espèce, Les Entreprises du médicament (Leem).

* 7 Résolution de l'Assemblée nationale relative à la simplification du dispositif d'indemnisation des victimes du valproate de sodium et de ses dérivés, 19 juin 2019.

* 8 Conseil d'État, 9 mai 2019, n° 426321 et n° 426365.

* 9 Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux.

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