D. LES RISQUES PORTÉS PAR LES ATTAQUES ANNUELLES

1. Des évaluations remises en cause

Les crédits d'impôt font donc l'objet d'évaluations régulières, en général positives.

Leur légitimité est cependant mise en cause. Menés par le CNC ou des cabinets suspectés d'être favorables aux intérêts des commanditaires, ces travaux suscitent une forme de méfiance de la part de certains , qui préféreraient une étude menée par les services de l'État. Cette attitude, bien que finalement désobligeante vis-à-vis des travaux parus, peut éventuellement se comprendre, et on peut valablement accorder plus de foi à une évaluation réalisée par les corps d'inspection. Si ces études existent, elles n'ont cependant pour la plupart jamais été rendues publiques . Par ailleurs, il est douteux que les corps d'inspection soient en mesure d'évaluer très régulièrement la totalité des dépenses fiscales sous menace de leur extinction. Dès lors, il convient de trouver un modus vivendi qui associe évaluations extérieures et contrôles internes menés par l'administration. Plus largement, il faut s'efforcer de sortir des « postures » qui font qu'une évaluation positive sera perçue comme peu fiable par l'un et pertinente par l'autre, l'inverse étant tout aussi vrai pour une évaluation plus nuancée.

Cet accord préalable sur les mesures à prendre, prorogation, modifications ou suppression, doit faire dans l'idéal l'objet d'un accord préalable, pour éviter que des études soient menées sans convaincre toutes les parties prenantes.

2. La France dans la compétition internationale

Les industries culturelles ont pour caractéristique l'extrême fluidité des talents et des capitaux. Les employés de ces secteurs, en général très bien formés, peuvent facilement aller travailler à l'étranger, ou bien être remplacés par des salariés d'autres pays. De même, le choix d'un lieu de tournage pour un film prend en compte l'ensemble des facteurs, dont l'image de marque d'un pays n'est qu'un élément parmi d'autres.

Dès lors, ces crédits d'impôt s'inscrivent tous dans une optique de compétition internationale .

Dans le domaine du cinéma, cette compétition reste intense. Neuf nouveaux crédits d'impôts ont été mis en place sur le territoire européen depuis 2015, dont certains dans des pays déjà attractifs en raison du coût de leur main d'oeuvre (Serbie, Ukraine, Monténégro).

D'autres pays ont revalorisé leur dispositif pour le rendre plus compétitif, notamment pour capter les projets internationaux, comme l'Irlande dont le crédit d'impôt est passé de 28 à 32 % en 2015 avec une assiette élargie pour les dépenses éligibles.

Le Royaume-Uni a par ailleurs élargi en 2015 son crédit d'impôt à l'ensemble des films, quel que soit leur budget, afin de capter les productions américaines. Avec un taux à 25 % et des dépenses éligibles beaucoup plus larges que la France, il reste un des pays les plus attractifs pour les films américains . Le scénario d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne devrait donner une plus grande latitude pour augmenter le taux du crédit d'impôt et/ou l'orienter sur certaines dépenses spécifiques (industries techniques, post-production).

L'effet plus que proportionnel du « rabot »

Il est démontré qu'un rabot a un effet récessif plus que proportionnel à son ampleur.

En 2011, le Royaume-Uni a réduit son taux de crédit d'impôt de 25 % à 20 % et en pratique a ciblé les films à gros budget au-delà de 20 millions de livres. Il s'en est suivi une baisse drastique du nombre de films, mais surtout du volume des dépenses de 1 550 m£ à 684 m£ en une année. Les films en cours ont été achevés, mais les nouveaux projets ont été mis en attente. Les producteurs craignaient d'autres modifications ultérieures, d'où un phénomène d'attentisme. Les producteurs ont demandé explicitement de développer des studios d'effets visuels dans d'autres juridictions qui leur semblaient attractives : Montréal ou Vancouver. Face à la baisse d'activité à l'automne 2013, le Gouvernement britannique a annoncé un retour et une amélioration des taux, effective au 1er avril 2014 (approbation de la Commission Européenne), pour récupérer la dynamique.

En juin 2014, le nouveau Gouvernement du Québec a voulu rétablir immédiatement l'équilibre budgétaire et a appliqué dans les deux mois suivant son élection une réduction paramétrique de 20 % sur l'ensemble des programmes de crédit d'impôt sans distinction. Les taux respectifs étaient de 25 % pour les productions internationales et 40 % pour les productions nationales. L'impact les faisait passer respectivement à 16 % d'une part et 32 % d'autre part. Tous les nouveaux projets de films internationaux ont été suspendus jusqu'à la fin de l'année et les projets d'investissements de studios ont été reportés. Dès l'été 2014, le Gouvernement québécois a lancé une commission pour revoir les impacts non estimés et évaluer les modifications rectificatives à faire pour éliminer les effets négatifs. Au début de l'hiver, devant les difficultés des sociétés de production québécoises, il a annoncé qu'il allait revoir les taux à la hausse lors du budget 2015-2016 annoncé en mars.

Source : ministère de la culture

Dans le domaine du jeu vidéo, la France occupe une position enviable sur un marché international extrêmement concurrentiel et dominé par les Anglo-Saxons . Paris notamment est la 6 e ville mondiale en nombre de studios, à égalité avec Montréal .

Classement des villes en fonction du nombre de studios en 2017

Ville

Nombre de studios

Londres

108

San Francisco

107

Tokyo

101

Los Angeles

69

Seattle

67

Paris

58

Montréal

58

Vancouver

54

Austin

47

Toronto

38

Source : ministère de la culture, traitement commission de la culture du Sénat

Il est donc primordial de prendre en compte trois paramètres avant toute remise en cause des crédits d'impôt :

• Le degré de compétition internationale . Si la France dispose de formations reconnues mondialement comme de conditions idéales pour les tournages, elle doit faire face à de nombreux pays qui ont identifié de longue date les industries culturelles comme des vecteurs de développement pour des emplois qualifiés. Dans ce secteur, le coût du travail est moins important que dans l'industrie, mais les studios examinent l'ensemble des conditions d'implantation et de développement . Les crédits d'impôt constituent donc parmi d'autres un élément supplémentaire d'attractivité.

• Le risque de déstabilisation . Votre Rapporteure pour avis est bien entendu très favorable à des évaluations régulières et les moins contestées possible. Pour autant, les annonces régulières dans la presse de « menaces » sur les crédits d'impôt ont un effet très négatif, car elles laissent des traces et ne contribuent pas à un environnement serein propre à permettre des investissements sur le long terme .

• Le « soft power » . Les États-Unis avaient compris après la seconde guerre mondiale l'intérêt de diffuser à l'échelle mondiale leur cinéma. Plus récemment, le très grand succès de la série de jeux vidéo « The Witcher 7 ( * ) » a contribué à améliorer l'image de la création polonaise dans son ensemble. Dès lors, toute décision prise doit bien mesurer l'impact global d'un affaiblissement non seulement économique, mais également en termes d'image pour le pays.

Votre Rapporteure pour avis restera très attachée dans les années à venir à une défense non pas aveugle, mais raisonnée de ces dispositifs fiscaux .


* 7 Tirés d'une série de roman de Andrzej Sapkowski et développés en jeu par le studio polonais CD Projekt, les trois volets ont connu un succès mondial, remportant les prix les plus prestigieux. Le dernier opus paru en 2015 « The Witcher 3 : Wild Hunt » a été vendu à plus de 10 millions d'exemplaires. Netflix a annoncé la prochaine parution d'une série tirée de cet univers.

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