IV. DE LA BANDE DESSINÉE À LA SITUATION DES ARTISTES, UN SECTEUR DE L'ÉDITION À CONFORTER

A. LE RENOUVEAU DE LA BANDE DESSINÉE FRANÇAISE

1. Un secteur important, mais qui ne fait plus l'objet d'une politique dédiée

En 2017, année exceptionnelle avec la sortie du dernier album d'Astérix, la bande dessinée a été le deuxième segment le plus dynamique du marché du livre en France.

En 2018, selon les chiffres du Syndicat national de l'édition (SNE), la bande dessinée représente le sixième secteur en valeur , avec un chiffre d'affaires de 276,2 millions d'euros, soit 10,9 % du marché.

Source : Syndicat national de l'édition (SNE)

La politique de soutien à la bande dessinée a été initiée au début des années 80 par Jack Lang, dans le cadre d'une approche renouvelée en direction des cultures « populaires ». La première politique de soutien a été mise en place en 1983, et complétée en 1997 par Philippe Douste-Blazy sur la base du rapport remis par le dessinateur Fred . Depuis cette date, la politique de soutien à la BD est intégrée à celle en faveur du livre, sans plus tenir compte de ses spécificités . La bande dessinée bénéficie en 2017 d'un montant d'aides totales de 3,1 millions d'euros , à travers le CNL et les structures régionales.

2. Le choix du Ministre de la culture d'ouvrir le débat

La bande dessinée constitue un point d'entrée vers la lecture pour les jeunes publics, mais ne se cantonne plus à ce rôle depuis longtemps. De nouvelles formes de bandes dessinées ont émergé ces dernières années, comme le roman graphique (« Lapinot et les carottes de Patagonie » de Lewis Trondheim) ou la bande dessinée autobiographique (« L'Arabe du futur » de Riad Sattouf, traduite en plus de 20 langues).

Au niveau mondial, la bande dessinée constitue un outil de « soft power » avéré. La production française est la plus importante d'Europe en termes de chiffre d'affaires et l'une des plus importantes du monde sur la diversité du catalogue. Les cessions de droits représentent 25 % de l'ensemble des titres cédés, juste précédées par la littérature jeunesse .

Par lettre en date du 13 mars 2018, la Ministre de la culture a confié à M. Pierre Lungheretti, Directeur général de la Cité International de la bande dessinée et de l'image d'Angoulême, une mission visant à redéfinir le cadre des politiques publiques de soutien au secteur. Le rapport a été remis au mois de janvier 2019 .

Votre Rapporteure pour avis a tenu à auditionner l'auteur du rapport, tant il lui parait que la bande dessinée participe pleinement du patrimoine culturel français, et mérite à ce titre toute l'attention des pouvoirs publics .

3. Les constats du rapport « Lungheretti »
a) La bande dessinée, à la confluence des industries culturelles

La bande dessinée a la particularité d'infuser très largement avec les autres industries culturelles.

Des passerelles ont été créées avec le monde du cinéma , à l'étranger, où les adaptations des héros Marvel et DC Comics représentent aujourd'hui les plus grands succès du cinéma mondial, mais également en France, avec les films tirés de Astérix ou bien la production internationale Valerian . Le film « La vie d'Adèle » d'Abdellatif Kechiche, Palme d'Or du Festival de Cannes 2013, est lui-même tiré d'un roman graphique « Le bleu est une couleur chaude » de Julie Maroh. L'esthétique développée par les auteurs de bande dessinée inspire régulièrement le cinéma, avec Jodorowsky ou Moebius, qui a travaillé notamment sur Alien de Ridley Scott. Le lien existe également avec le cinéma d'animation, depuis les dessins animés Astérix dans les années 70 et 80, jusqu'à récemment le succès du triptyque « Kirikou » de Michel Ocelot ou de « Persépolis » de Marjane Satrapi.

Enfin, industrie culturelle dynamique et en plein développement, le jeu vidéo puise souvent son inspiration dans la bande dessinée, et plusieurs séries ( Largo Winch , Boule et Bill ,..) ont été déclinées sous forme de jeu.

La bande dessinée est donc en mesure de jouer un rôle central dans les industries culturelles, comme support, mais aussi comme source d'inspiration .

b) Un « artisanat furieux » fragilisé

Les auteurs de bande dessinée jouissent d'un statut paradoxal.

D'un côté, ils sont ceux qui bénéficient du taux moyen de rémunération le plus élevé de la profession (8 % du prix de vente, contre 7,2 % dans le reste de l'édition et 5,2 % dans l'édition jeunesse). Ils profitent également des avances sur droit les plus conséquentes.

De l'autre, leur situation matérielle et de travail se sont extrêmement dégradées ces dernières années, pour des raisons communes à l'ensemble des auteurs, mais également spécifiques à la profession.

• Une surproduction partagée par l'ensemble du secteur de l'édition

Le secteur de la bande dessinée concentre et amplifie les problèmes de surproduction du secteur de l'édition évoqués l'année dernière par votre Rapporteure pour avis dans son rapport pour avis. Cela contribue à détériorer encore plus la situation des auteurs.

Le domaine de l'édition subit ainsi une crise de surproduction, avec un nombre de titres publiés qui progresse fortement. La production de bande dessinée est passée entre 2000 et 2017 de 1 500 à plus de 5 000 titres, soit une multiplication par plus de trois , le double du secteur du livre dans son ensemble . Les raisons sont connues et communes à l'ensemble des industries culturelles dont le modèle est basé sur des prototypes, qui peuvent produire à chaque fois un grand succès très rentable ou ne pas rencontrer leur public, dans une logique de pure offre.

• Une dégradation accentuée des revenus

Cet accroissement de la production n'est pas corrélé à une hausse des ventes, ce qui entraine une chute des tirages moyens et corrélativement une diminution de la rémunération . Les avances sur droit ont ainsi été divisées par près de deux en 20 ans, passant d'un peu plus de 20 000 € à 11 278 € par album en 2017, avec des écarts très importants (entre 1 500 et 160 000 €).

• Les spécificités du travail dans la bande dessinée

Une étude de 2016 réalisée à l'occasion des États Généraux de la Bande Dessinée en 2016, a révélé que 53 % des auteurs touchaient moins que le SMIC , et 36 % vivent sous le seuil de pauvreté .

Concevoir une bande dessinée est un métier très particulier, y compris au sein de la catégorie elle-même très spécifique des auteurs. Cette activité nécessite « une concentration, une minutie et un temps passé qui rendent difficile le cumul avec un emploi parallèle comme pour la majorité des auteurs ». La formule de Pierre-Michel Menger pour décrire le travail sur un album de bande dessinée traduit les conditions de travail dans le milieu : un « artisanat furieux ». Trois métiers sont en effet mobilisés : dessinateur, scénariste et coloriste, exercés dans 52 % des cas par une seule et même personne.

La situation matérielle des auteurs de BD s'est donc plus dégradée que celle des autres auteurs, dont la situation est elle-même préoccupante , notamment en raison des spécificités du secteur.

En effet, l'économie de la bande dessinée a été fondée pendant longtemps sur la complémentarité entre les revenus tirés des publications périodiques et de la sortie des albums . La forte baisse des ventes de la presse a impacté très défavorablement ce modèle, qui ne repose plus désormais que sur la vente des albums dans le cadre d'un contrat d'édition.

4. Les propositions du rapport

Pierre Lungheretti trace, à travers 54 propositions , le cadre d'une politique de soutien renouvelée et spécifique à la bande dessinée.

Parmi ces axes de travail, on peut retenir plusieurs points, qui pour certains ont déjà reçu un accueil favorable du ministre.

• « 2020, année de la bande dessinée »

Dès la remise du rapport le 25 janvier, le Ministre de la culture a donné son accord pour que 2020 soit consacrée « Année de la bande dessinée », une des propositions du rapport destinée à donner une visibilité accrue au « 9 ème art ». Elle sera organisée conjointement par la Cité Internationale et le CNL.

La conception de la série d'événements est en cours de finalisation, mais il en ressort un ensemble cohérent permettant de donner des bases aux autres propositions. Ainsi, cette année est supposée cumuler une dimension populaire, avec la participation du grand public, une dimension patrimoniale, une dimension éducative en lien avec le ministère de l'éducation nationale, une dimension académique et universitaire et des aspects professionnels.

• Le renforcement de la reconnaissance académique et institutionnelle de la bande dessinée

La bande dessinée souffre d'une légitimité culturelle encore contestée, même si la situation s'est beaucoup améliorée ces dernières années avec certains travaux universitaires dédiés. En plus d'une sensibilisation des milieux académiques, la création d'une école nationale de la bande dessinée , qui pourrait s'appuyer sur l'expérience reconnue de l'École européenne supérieure de l'image Angoulême-Poitiers, permettrait de professionnaliser, d'unifier la formation et d'accélérer la recherche .

• L'amélioration de la situation matérielle des auteurs

Elle passe pour l'instant par les mesures qui pourraient être proposées pour l'ensemble des créateurs et décrites par votre Rapporteure pour avis dans la partie suivante. L'auteur du rapport évoque de manière prioritaire la refonte de la circulaire du 16 février 2011 sur les revenus accessoires, dans le sens d'un assouplissement des règles qui permettrait aux auteurs d'améliorer leurs revenus avec des activités en lien avec leur pratique professionnelle (animation d'ateliers, etc...).

• Le Développement de l'éducation artistique et culturelle dans les écoles

Ce développement ne peut se concevoir qu'en lien très étroit avec l'éducation nationale.

Le Ministre a annoncé, dans le cadre de l'expérimentation Pass Culture, le test dans cinq départements d'une offre de bande dessinée.

Le coût partiel du plan, hors mesures non chiffrables et prises en commun avec les autres auteurs, est estimé à 2,4 millions d'euros .

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