C. UNE CRISE QUI EXACERBE LES DÉFIS DE L'INDUSTRIE ET OBLIGE À REPENSER SA PLACE DANS NOTRE ÉCONOMIE

1. La crise vient accentuer les faiblesses structurelles de l'industrie française

Si les mesures d'urgence ont permis de limiter l'impact immédiat sur l'emploi et sur le tissu productif, il n'en reste pas moins que la crise a exacerbé certaines faiblesses structurelles de l'industrie française.

2. Un endettement en hausse de 13 % sur une seule année

L'endettement des entreprises industrielles françaises est une source d'inquiétude. Avant la crise déjà, celles-ci étaient significativement plus endettées que leurs équivalents européens.

Certes, le prêt garanti par l'État a permis de parer aux problèmes urgents de trésorerie et protégé de l'insolvabilité immédiate, en ouvrant accès à près de 20 milliards d'euros de liquidités. Le nombre de faillites enregistrées cette année est ainsi inférieur d'environ 30 % aux chiffres habituels . L'encours total de crédit des entreprises industrielles a en revanche augmenté d'environ 13 % cette année, et atteint en septembre 2020 environ 147 milliards d'euros. Cette hausse de l'endettement est principalement portée par les PME (18 %), loin devant les grandes entreprises (6 %).

Source : Commission des affaires économiques, données Banque de France

L'objectif du PGE - éviter la contraction de l'offre de crédit aux entreprises par le secteur financier, en faisant porter à l'État le risque de défaut - semble donc avoir été atteint ; mais il convient de noter un certain effet d'éviction de l'offre classique de crédit par le PGE, ce dernier étant presque entièrement responsable de l'augmentation de l'encours de crédit pour 2020 dans le secteur industriel. En effet, si l'encours global de crédit des entreprises industrielles a augmenté de 13 % cette année, contre 1 à 2 % en moyenne au cours des dernières années, l'encours de crédit hors PGE semble lui s'être légèrement réduit.

Bien que le taux d'octroi du PGE soit volontairement faible, et l'échéance de remboursement décalée, il n'en reste pas moins qu'il v ient accroître le ratio d'endettement des entreprises françaises, comparativement déjà surendettées : la France se situe au deuxième rang mondial par rapport à son PIB, avec un ratio d'endettement des entreprises de 74 % en 2019 contre 64 % pour le Royaume-Uni ou 41 % pour l'Allemagne. Cet endettement accru sera problématique en cas de remontée des taux d'intérêt , d'autant que les entreprises françaises pratiquent des marges relativement plus faibles que leurs concurrentes et que leur niveau de fonds propres est également plus bas (voir ci-après).

3. Un nouveau frein à l'investissement dans la modernisation et le verdissement

En outre, les problèmes de trésorerie, engendrés par les pertes d'exploitation liées à l'arrêt de la production, sont un nouvel obstacle à l'investissement des entreprises françaises.

La transformation dans la durée de l'outil industriel se heurte à une forme d'inertie , liée au coût fixe très élevé des investissements, nécessitant un effort financier plus conséquent, mais aussi à l'histoire industrielle française. L'industrie française rassemble près de 240 000 entreprises, dont 85 % environ de PME. Elles sont plus anciennes et moins robotisées en moyenne que leurs concurrentes. Malgré des efforts récents, la France accuse toujours un retard important en stock de robots industriels, et seules 11 % des TPE et PME françaises étaient dotées d'outils digitaux en 2017, les plaçant au 17 e rang européen en la matière. L'âge moyen de l'outil industriel français est de 19 ans environ, deux fois supérieur à celui de l'Allemagne.

Le vieillissement de l'industrie française accentue la tendance à la désindustrialisation du pays, dégradant la productivité relative de l'outil et empêchant la montée en gamme sur des produits plus innovants et à plus forte valeur ajoutée. En d'autres termes, il constitue un obstacle à une plus grande compétitivité des entreprises industrielles françaises. En outre, il est problématique au regard des objectifs climatiques et environnementaux : 40 % de l'énergie consommée par l'industrie en France est le fait d'équipements de plus de trente ans d'ancienneté. La modernisation et le verdissement des capacités de production est donc une priorité, mais il appelle un montant colossal d'investissement : selon des estimations des fédérations industrielles, la transformation des procédés de production exigerait que l'industrie française double son investissement annuel.

Or, dès le deuxième semestre de l'année 2020, la Banque de France a noté une forte augmentation des demandes de crédits de trésorerie, et une tendance inverse de recul marqué des demandes de crédit d'investissement, les entreprises priorisant leur survie à court terme à l'investissement à moyen terme. Selon l'Insee, les chefs d'entreprises de l'industrie manufacturière estiment en octobre 2020 que leurs dépenses d'investissement sur l'année auront chuté de 14 % par rapport à 2019 , le second confinement étant venu assombrir encore les perspectives économiques. Le maintien de l'investissement sera pourtant central à la fois pour la compétitivité de l'industrie françaises face à des concurrents innovants, mais aussi pour qu'elle s'engage pleinement dans la transition écologique.

4. L'aéronautique, moteur à l'export, a été touché de plein fouet

La crise a également mis en exergue la dépendance du commerce extérieur français à quelques secteurs industriels clefs.

Si la balance commerciale s'équilibre d'ordinaire en temps de crise, grâce à l'amélioration du solde énergétique et une dégradation proportionnelle des importations et exportations, la crise est cette fois double : les importations liées à la crise sanitaire ont fortement augmenté, tandis que certains des principaux moteurs d'exportations français sont frappés de plein fouet, accentuant le manque de compétitivité industrielle à l'exportation.

Dans un contexte déjà difficile, marqué par les tensions commerciales avec les États-Unis qui se sont répercutées sur le secteur des vins, du luxe et de l'aéronautique ; la crise a frappé durement l'un des principaux moteurs d'exportations de biens manufacturés en France, la filière aéronautique. En 2019, l'excédent du secteur aéronautique avait atteint une valeur record de 31 milliards d'euros et son poids au sein des échanges extérieurs progressait. En 2020, les exportations aéronautiques ont reculé de plus de 60 % au premier semestre, avant de récupérer à - 36 % au troisième trimestre. Le secteur est passé d'un solde d'échanges positif d'environ 4 milliards à fin 2019 à un solde négatif de plus de 3 milliards à la mi-2020.Les exportations automobiles ont également chuté de 60 % entre la fin 2019 et le premier semestre 2020, mais elles avaient quasiment retrouvé leur niveau ordinaire au troisième trimestre 2020.

Ensemble, les secteurs aéronautique et automobile représentent plus d'un quart des exportations industrielles de la France, loin devant le secteur de la chimie, de la métallurgie et des produits pharmaceutiques. Avec ces deux secteurs fortement touchés, la balance des échanges extérieurs, qui creusera son déficit de près de 22 milliards, devrait contribuer à réduire le PIB de la France de l'ordre de 2 points en 2020. Alors que se profile une nouvelle période d'incertitude économique, mais aussi d'incertitude politique avec l'échéance du Brexit et le changement de gouvernement américain, la France doit veiller à ce que la crise n'accentue pas sa dépendance aux importations et n'accélère pas la perte de parts de marchés à l'export.

5. L'emploi industriel renoue avec une tendance à la baisse

Enfin, la France semble renouer avec la destruction d'emplois industriels et de capacités de production. La dynamique positive enclenchée au cours des années précédentes, traduite par un solde positif d'ouvertures de sites industriels sur le territoire national et une stabilisation de l'emploi, risque d'être remise en cause par la récession.

Source : Commission des affaires économiques, données INSEE

Selon l'Insee, le solde d'emplois industriels de l'année 2020 serait de - 53 000 emplois, soit une baisse de 1,5 %, alors que 12 000 emplois avaient été créés en 2019. Malgré le soutien offert par les mesures d'urgence, la crise ramènerait donc l'emploi industriel à un bas historique, réduisant à néant plusieurs années de hausse. Plusieurs grands groupes ont déjà annoncé des plans sociaux, comme Airbus, Daher, Renault, Valeo, Bridgestone, Nokia, ou encore Vallourec, anticipant la fin des mesures de soutien et une contraction de la demande.

Certes, les destructions d'emplois industriels ont été plus faibles que dans d'autres secteurs économiques, l'hébergement et la restauration ayant par exemple détruit dans le même temps 131 000 emplois, soit 11.3 % de leur masse salariale totale. Mais l'extinction des dispositifs d'aides pourrait placer l'industrie française dans une situation difficile, alors que la France (13 %) se situe déjà loin derrière l'Allemagne (21 %), l'Italie (20 %), ou l'Espagne (14 %) en termes de poids de l'emploi industriel dans l'économie. À terme, cette trajectoire peut mettre en danger l'existence même de compétences industrielles sur le territoire national, à l'heure où la crise a pourtant montré que la préservation de capacités est essentielle.

Plus largement, la désindustrialisation de bassins d'emploi est lourde de conséquences pour les territoires. Outre la destruction d'emplois, elle entraîne par ricochet une chute de l'attractivité, de la consommation, et donc de l'activité d'autres secteurs comme celui du commerce et de la construction ; mais réduit aussi les ressources fiscales des collectivités territoriales avec, à terme, un impact sur l'offre de service public. Dans les territoires à fort patrimoine industriel, a fortiori concentrés sur certains secteurs, cet impact emporte de graves conséquences économiques, sociales et humaines : la multiplication des plans sociaux et des fermetures de sites de production aéronautique en Occitanie , par exemple, pèsera fortement sur le territoire à court terme.

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