III. LUTTE CONTRE LA POLLUTION DE L'AIR : L'ÉTAT FACE À LA MULTIPLICATION DES CONTENTIEUX EUROPÉENS ET NATIONAUX

A. L'ÉTAT EST POURSUIVI POUR INSUFFISANCE DE SA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LA POLLUTION DE L'AIR

1. La France a été condamnée par la Cour de Justice de l'Union européenne pour non-respect des normes de qualité de l'air

La pollution de l'air constitue un problème de santé publique majeur, responsable de 48 000 décès prématurés par an , ce qui en fait la troisième cause de mortalité prématurée en France. Il s'agit également d'un problème économique, mis en évidence par la commission d'enquête du Sénat sur le coût économique et financier de la pollution de l'air de 2015 13 ( * ) , qui a estimé celui-ci à 100 milliards d'euros par an .

Malgré une baisse continue des émissions de polluants atmosphériques - à l'exception de l'ammoniac - enregistrée en France depuis vingt ans 14 ( * ) , et une baisse concomitante des concentrations de polluants dans l'air, plusieurs agglomérations subissent encore des dépassements chroniques des normes de qualité de l'air 15 ( * ) . Ces dépassements ont concerné, en 2019, 9 agglomérations s'agissant du dioxyde d'azote et 2 agglomérations s'agissant des particules fines PM10.

Le non-respect des valeurs limites européennes en matière de qualité de l'air a conduit la Commission européenne à lancer plusieurs procédures précontentieuses puis contentieuses contre la France :

- une procédure en manquement le 17 mai 2018 - après une mise en demeure adressée en juin 2015 - en raison de dépassements des normes relatives aux concentrations de dioxyde d'azote dans 13 zones. Cette procédure a conduit la France à être condamnée par la Cour de justice de l'Union européenne le 24 octobre 2019 , celle-ci constatant que « la République française n'a manifestement pas adopté, en temps utile, des mesures appropriées permettant d'assurer un délai de dépassement qui soit le plus court possible » 16 ( * ) ;

- une procédure en manquement le 30 octobre 2020 - après une mise en demeure adressée en février 2013 - pour non-respect des niveaux de particules fines PM10 à Paris et en Martinique. 17 ( * )

Comme l'a relevé la commission des finances du Sénat dans un récent rapport sur la politique de lutte contre la pollution de l'air 18 ( * ) , si l'État n'exécute pas l'arrêt de la CJUE du 24 octobre 2019 en prenant des mesures permettant d'assurer le respect des normes de qualité de l'air, il encourt une amende de 100 millions d'euros la première année, puis 90 millions d'euros par année de dépassement .

Les valeurs limites européennes sont pour la plupart au-dessus des valeurs guides préconisées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) permettant de réduire fortement les risques sanitaires de la pollution de l'air. Un durcissement des normes européennes de qualité de l'air pour tendre vers les valeurs recommandées par l'OMS conduirait de très nombreuses agglomérations françaises à être en situation d'infraction, comme le soulignait la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable dans un rapport sur la lutte contre la pollution de l'air publié en avril 2018 : « Si l'on tient compte des valeurs recommandées par l'OMS qui permettent de réduire fortement les risques sanitaires, 92 % de la population française est exposée à des concentrations de particules fines PM2,5 excessives, alors même qu'aucune agglomération ne dépasse les valeurs limites fixées pour ce polluant. » 19 ( * ) .

2. Le Conseil d'État ordonne à l'État de prendre des mesures pour réduire la pollution de l'air sous peine d'une amende

Au niveau national, le Conseil d'État a, dans une décision du 12 juillet 2017 20 ( * ) , jugé que les normes européennes en matière de qualité de l'air imposent une obligation de résultat de l'État. Il a par conséquent enjoint le Premier ministre et le ministre chargé de l'environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soient élaborés, dans chacune des zones concernées par des dépassements, des plans relatifs à la qualité de l'air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites dans le délai le plus court possible, ces plans devant être transmis à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.

À la suite cette décision, le Gouvernement a annoncé l'élaboration par les préfets de région, en lien avec les collectivités territoriales, de feuilles de route sur la qualité de l'air dans 14 zones 21 ( * ) devant définir des actions locales de court terme permettant de ramener les concentrations de polluants en dessous des valeurs limites.

Or, comme l'a constaté la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable dans son rapport précité , ces feuilles de route ont été élaborées dans la précipitation et sans évaluation de leur impact sur les concentrations de polluants . La commission soulignait par ailleurs que « l'élaboration des feuilles de route s'est davantage apparentée à un exercice de regroupement des mesures déjà mises en oeuvre ou envisagées par les différents niveaux de collectivités dans un document unique plutôt qu'à la définition de nouvelles mesures en concertation avec les acteurs concernés ».

Saisi par plusieurs associations de défense de l'environnement qui critiquaient l'insuffisance des feuilles de route, le Conseil d'État a rendu une décision le 10 juillet 2020 22 ( * ) dans laquelle il dresse le même constat que la commission. Hormis pour la vallée de l'Arve, il relève que les feuilles de route « ne comportent ni estimation de l'amélioration de la qualité de l'air attendue, ni précision sur les délais de réalisation de ces objectifs », et ordonne en conséquence à l'État de mettre en place les mesures nécessaires dans les 8 zones qui connaissent encore des dépassements sous peine d'une astreinte de 10 millions d'euros par semestre de retard .

À la suite de cette décision, la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili a demandé aux préfets concernés d'évaluer les effets de la mise en oeuvre des actions phares des feuilles de route sur les concentrations de dioxyde d'azote et de PM10, d'identifier de nouvelles mesures permettant d'accélérer le retour sous les valeurs limites et de réduire au maximum le calendrier de révision des plans de protection de l'atmosphère (PPA).

La ministre a par ailleurs réuni les préfets et les exécutifs locaux le 17 septembre 2020 afin de s'accorder sur un calendrier de retour sous les valeurs limites dans les différentes agglomérations concernées. L'objectif est fixé à 2023 pour Clermont-Ferrand, Toulon, Nice, Montpellier, Valence, Reims, Strasbourg, Grenoble et la Vallée de l'Arve, 2024 pour Toulouse et 2025 pour Paris, Lyon et Marseille.

Par ailleurs, la loi d'orientation des mobilités du 24 décembre 2019 prévoit la mise en place par les agglomérations concernées par des dépassements chroniques des normes de qualité de l'air de zones à faibles émissions mobilité (ZFEm) à compter du 1 er janvier 2021. Sept nouvelles agglomérations 23 ( * ) devront instaurer de telles zones en plus de Paris, Grenoble et Lyon qui en sont déjà dotées.

Le 18 novembre, la ministre de la Transition écologique a annoncé, à l'occasion du Conseil national de l'air, un renforcement des ZFEm 24 ( * ) :

- à partir de 2023, si les agglomérations ne sont pas sur une trajectoire leur permettant de respecter les normes de qualité de l'air, l'État renforcera les restrictions de circulation applicables aux véhicules Crit'Air 5, 4 et 3 - les collectivités territoriales resteront libres de fixer des règles plus strictes si elles le souhaitent ;

- le projet de loi « Convention citoyenne pour le climat » devrait proposer d'étendre le dispositif des ZFEm à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants d'ici 2025, ce qui concernerait 35 nouveaux territoires.

Le rapporteur considère qu'il est nécessaire de procéder rapidement à l'évaluation des feuilles de routes de la qualité de l'air et à la définition de nouvelles mesures dans les territoires concernés par les dépassements , si besoin en procédant à la révision anticipée des plans de protection de l'atmosphère.


* 13 « Pollution de l'air : le coût de l'inaction », Rapport de Mme Leila Aïchi, fait au nom de la commission d'enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, 8 juillet 2015. Le rapport est consultable en ligne sur le site du Sénat.

* 14 Voir le bilan de la qualité de l'air en France en 2019 publié par le Ministère de la Transition écologique en septembre 2020.

* 15 Les valeurs limites des polluants atmosphériques à ne pas dépasser sont définies au niveau européen par la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe.

* 16 CJUE, 24 oct. 2019, Commission européenne c/ République française, C-636-18.

* 17 « Qualité de l'air : la Commission décide de saisir la Cour de justice d'un recours contre la France pour non-respect de son obligation de protection des citoyens contre la mauvaise qualité de l'air ». Communiqué de presse du 30 octobre 2020. La Commission européenne constate que « les données fournies par la France confirment le non-respect systématique des règles de l'Union relatives aux valeurs limites pour les PM10 dans les zones de Paris et de la Martinique sur une durée de, respectivement, douze et quatorze ans ».

* 18 Rapport d'information de M. Jean-François Husson, fait au nom de la commission des finances, pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur la politique de lutte contre la pollution de l'air, 23 septembre 2020. Le rapport est consultable en ligne sur le site du Sénat.

* 19 « Lutte contre la pollution de l'air : au-delà du risque contentieux, une urgence sanitaire », Rapport d'information de Mme Nelly Tocqueville fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, 11 avril 2018. Le rapport est consultable en ligne sur le site du Sénat.

* 20 Conseil d'État, 12 juillet 2017, Association Les Amis de la Terre France.

* 21 Paris-Ile de France, Reims, Strasbourg, Lyon, Grenoble, Saint-Etienne, Vallée de l'Arve, Valence, Montpellier, Toulouse, Aix-Marseille, Nice, Toulon, Martinique.

* 22 Conseil d'État, 10 juillet 2020, Pollution de l'air.

* 23 Aix-Marseille Provence, Nice-Côte d'Azur, Toulon-Provence-Méditerranée, Toulouse, Montpellier-Méditerranée, Strasbourg et Rouen-Normandie.

* 24 Communiqué de presse du ministère de la Transition écologique du 18 novembre 2020.

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