TRAVAUX EN COMMISSION

MERCREDI 25 NOVEMBRE 2020

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M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis des crédits du cinéma . - Monsieur le président, mes chers collègues, si vous me permettez cette image pour débuter cette présentation des crédits dédiés au cinéma, la situation que vit le secteur rappelle plus les films catastrophes que l'ambiance chaleureuse des oeuvres de Marcel Pagnol...

Il y a en effet une spécificité française du cinéma, que je peux résumer en une formule : le train parti en gare de La Ciotat en 1896 ne s'est jamais arrêté et a fait de la France un pays de cinéma !

Deux éléments pour illustrer mon propos. Premier point, les spectateurs.

La France est le pays d'Europe disposant du plus grand nombre d'écrans et où les entrées sont les plus importantes. En moyenne, chaque Français va 3,3 fois au cinéma dans l'année, contre 2,2 en Espagne. L'Allemagne, à population supérieure, enregistre près de 100 millions d'entrées en moins. En 2019, 213,1 millions d'entrées ont été enregistrées dans les salles, soit la 6ème année consécutive au-dessus de 200 millions.

Second point, la production. La France se singularise par la part de la production nationale, qui représente en moyenne 35 % de la fréquentation, contre 10 % en Angleterre et 22 % en Allemagne. Le système unique de monde de soutien mis en place après la seconde guerre mondiale via le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), s'il est d'une grande complexité, est redoutablement efficace pour révéler et accompagner les talents, soutenir la production et offrir au public français, mais également partout dans le monde, des oeuvres différentes, voire complémentaires, d'un cinéma américain souvent impérialiste.

Ce pays de cinéma a subi avec consternation le premier confinement, qui a malmené tous les acteurs du secteur.

Les salles ont ainsi été contraintes de fermer du 14 mars au 22 juin, date à partir de laquelle elles ont pu reprendre en suivant un protocole sanitaire strict. Conséquence de cette jauge « dégradée » et de l'absence de « blockbusters » sur les écrans, la fréquentation a chuté de 70 % durant l'été. Sur l'année, et sans le deuxième confinement, le chiffre d'affaires des salles aurait accusé une baisse de 50 %.

Pour autant, je veux saluer la remarquable capacité de résilience de notre cinéma, qui a été en mesure de proposer aux spectateurs des productions françaises de qualité qui ont supplée l'absence de films américains. Peu de pays peuvent se targuer d'une telle capacité, et nous pouvons je crois tous nous féliciter de la continuité dans les politiques publiques qui a permis depuis la seconde guerre mondiale de mettre en place ce formidable système.

C'est pourquoi, dans ce contexte si lourd, il me parait important de souligner le fort engagement des pouvoirs publics en faveur du cinéma, qui ont bien gardé en tête cette spécificité de notre cinéma.

Tout d'abord, le CNC a rapidement mis en place un fonds alors unique au monde pour garantir les tournages.

Au printemps dernier, les tournages ont été brutalement interrompus, et auraient pu ne pas reprendre faute de possibilité pour les producteurs de s'assurer contre les risques liés à la pandémie. Cela aurait conduit à terme à un « assèchement » de la production de films et de séries.

Le CNC a mis en place un fonds doté de 50 millions d'euros, porté à 100 millions d'euros par un pool d'assureurs, pour permettre aux tournages de reprendre, et donc à l'ensemble de la chaîne (scénaristes, acteurs, industries techniques) de retrouver une activité. 400 tournages sont actuellement ou ont été assurés par ce fonds, pour 30 sinistres constatés, ce qui est inférieur aux prévisions.

Ensuite, des mesures ont été prises en faveur des salles de cinéma.

D'une part, dès le mois d'avril, le CNC a pris la décision de renoncer au montant de la taxe que les salles devaient verser pour les mois de février et mars, ce qui a permis de soulager leur trésorerie de 17 millions d'euros.

D'autre part, le CNC a créé en septembre un fonds doté de 50 millions d'euros pour compenser partiellement la différence entre les recettes « normales » et celles de 2020.

Enfin, des mesures de relance sont proposées.

Le projet de lois de finances que nous examinons prévoit une enveloppe de 165 millions d'euros en 2020. 60 millions d'euros sont destinés à soutenir un budget du CNC extrêmement fragilisé et 105 millions à permettre aux industries techniques de se relancer, suivant des modalités qui seront définitivement actées d'ici la fin de l'année.

En 2021, le CNC devait bénéficier, d'une part, d'un « retour à la normal » du niveau de fiscalité affecté, d'autre part, d'une enveloppe supplémentaire de 165 millions d'euros du plan de relance, ce qui lui aurait permis de compenser les pertes du précédent exercice.

Dans l'ensemble donc, le CNC se trouvait « réarmé » avec 265 millions d'euros sur deux ans.

C'est alors qu'est intervenue l'annonce du deuxième confinement.

Comme mes autres collègues rapporteurs, je dois bien confesser que son impact est pour l'instant presque impossible à évaluer, même si l'annonce hier soir par le Président de la République de la réouverture des salles à compter du 15 décembre, suivant un protocole sanitaire strict, donne un peu d'espoir pour la toute fin de l'année.

Ce qui est certain, par contre, c'est qu'il n'est pas encore intégré aux projections financières du CNC.

En conséquence, il est d'ores et déjà certain que les prévisions de ressources pour 2020, voire 2021, sont caduques. De même, il est probable que les mesures de soutien proposées pour 2021 seront insuffisantes pour préserver le cinéma français.

Il ressort de mes auditions que les crédits actuellement disponibles devraient permettre de passer le cap de 2020, mais en aucun cas de conséquences qui pour la plupart interviendront en 2021.

Face à l'ampleur d'une crise qui frappe indistinctement tous les secteurs, il nous appartiendra de veiller à ce que le cinéma continue de recevoir toute l'attention à laquelle sa place privilégiée dans notre pays lui donne droit.

Je voudrais avant de conclure évoquer deux autres sujets liés au cinéma, la transposition de la directive « service médias audiovisuel » (SMA) du 14 novembre 2018, et le piratage.

L'histoire de la transposition de la directive SMA mériterait presque un film. Elle devait initialement être adoptée dans le cadre du projet de loi audiovisuel promis pour début 2019, puis mi 2019, puis fin 2019, bref, toujours repoussé par des sujets plus urgents... Finalement présenté à l'Assemblée nationale, le projet de loi n'a pas dépassé le stade de la commission en mars où son examen a d'ailleurs occasionné l'un des premiers « clusters » du pays. Une fois le projet de loi enterré, les dispositions de la directive ont été introduites péniblement par amendement en juillet à la loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (loi « Daddue »). La commission avait alors accepté - mais je n'en étais pas encore membre ! - d'adoucir ses traditionnelles préventions contre les ordonnances. Finalement, a et à la surprise générale, la commission mixte paritaire (CMP) a échoué en octobre, ce qui a contraint à un nouvel examen au Sénat le 17 novembre dernier.

Si les conditions d'adoption sont rocambolesques, le propos de la directive ne l'est pas. Il s'agit de rien de moins que de faire participer les plateformes de vidéo en ligne à la création française, c'est-à-dire, et c'est un terme quel je sais que la commission est attachée, de rétablir une forme d'équité entre :

- des acteurs nationaux soumis à de contraintes d'investissement dans les oeuvres françaises, dans la production indépendante ;

- et des acteurs mondiaux qui ont imposé un modèle attractif, mais porteur de danger pour notre exception culturelle.

La question est devenue d'autant plus urgente que les confinements ont au premier chef bénéficié à ces services, en raison de la fermeture des salles.

Une approche nuancée de la réalité est cependant nécessaire, car il y a plateforme et plateforme.

D'un côté, Netflix et quelques autres qui sont des acteurs à part entière de la production. Le dialogue avec eux semble plus aisé, car la base qui servira à déterminer leur contribution est simple - l'abonnement. Si leur modèle doit évoluer, en particulier pour faire une place à la production indépendante, nous sommes, si je puis dire, avec des spécialistes qui ont fait la preuve de leur capacité à « projeter » les oeuvres dans différents pays - pensons au succès de séries espagnoles par exemple.

D'un autre côté, les plateformes comme Amazon Prime ou Apple reposent sur des modèles très différents, avec des modalités d'abonnement plus complexes.

Avec mes autres collègues rapporteurs, je pense en particulier à Jean-Raymond Hugonet et Julien Bargeton, il nous appartiendra d'être attentifs à la bonne entrée en application de la directive au 1 er janvier - si aucune autre catastrophe ne s'abat sur la transposition !

Dernier sujet que je souhaite évoquer, le piratage.

Il représente plus de 1,2 milliard d'euros en France, et concerne les oeuvres cinématographiques comme audiovisuelles. Le projet de loi audiovisuel proposait une fusion ambitieuse entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et la Hadopi, ainsi que des dispositions destinées à mieux armer notre législation, je pense en particulier aux nouvelles formes de piratage ou aux « sites miroirs » qui ouvrent et ferment au gré des décisions judiciaires. La ministre n'a pas pu nous donner de calendrier pour un examen au Parlement qui est très attendu par toute la profession, et qui concerne d'ailleurs également le streaming de retransmissions sportives. Je formule donc le souhait très vif que nous puissions rapidement nous saisir de ce texte et apporter une nouvelle ligne de défense à notre création.

Pour résumer donc nos attentes en conclusion, il me semble important de formuler trois interrogations, dont je me ferai l'écho en séance publique :

Quid des nouveaux moyens pour le cinéma hélas rendus nécessaires par le deuxième confinement ?

Quid des négociations avec les plateformes ?

À quand un nouveau projet de loi sur la question spécifique du piratage ?

J'y ajoute une ultime réflexion sur la portée « psychologique » du soutien au cinéma. Dans quelques semaines ou mois, lorsque, nous l'espérons, la vie reviendra à la normale, nos concitoyens auront plus que jamais besoin de la capacité du cinéma à nous faire rire, rêver, réfléchir. Nous devons tout mettre en oeuvre et sans tarder pour assurer à nos concitoyens cette heureuse perspective.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés au cinéma pour 2021.

Mme Alexandra Borchio Fontimp . - La crise a touché l'ensemble de l'industrie du cinéma. Comme l'a dit le rapporteur pour avis, de nouveaux moyens seront nécessaires pour faire face aux conséquences du deuxième confinement et poursuivre la modernisation de la production et des salles. J'attire votre attention sur l'importance pour mon département des Alpes-Maritimes de la tenue du Festival de Cannes. Pierre Lescure, son Président, a indiqué qu'il souhaitait vivement pouvoir l'organiser cette année et j'espère que les conditions sanitaires le permettent.

M. Pierre-Antoine Levi . - L'évolution des crédits telle que présentée par le rapporteur pour avis me paraît satisfaisante et je me félicite du caractère massif du plan de relance. Je m'interroge cependant sur la capacité des salles à supporter cette crise. Les conditions de reprise seront difficiles à mettre en oeuvre, avec les craintes des spectateurs et l'obligation de porter un masque. Si je salue la mise en place du fonds de compensation, je m'interroge sur son niveau, les pertes telles qu'estimées par la profession s'établissant à 500 millions d'euros. Dans ce contexte, le plan de relance peut paraître d'un montant insuffisant pour les salles, qui constituent le coeur du cinéma et doivent absolument être préservées.

Mme Sylvie Robert . - J'approuve pleinement le rapporteur pour avis quand il évoque la pertinence du modèle français de soutien au cinéma. Je ne suis pas certaine que l'annonce par le Président de la République d'une ouverture des salles le 15 décembre permette d'apporter à elle-seule une solution aux difficultés de la filière même si l'expérience de l'été nous montre que les spectateurs ont été au rendez-vous. Dans ma région, la Bretagne, les pertes d'exploitation des salles sont considérables et je souhaiterais pouvoir connaître les critères de l'aide accordée par le CNC.

M. Pierre Ouzoulias . - La mise en place de la plateforme Salto est un sujet qui doit attirer notre attention. La plateforme ne regroupe en effet pas tous les producteurs et me semble être loin de la taille critique nécessaire.

M. Julien Bargeton . - L'impact de la crise a été immense pour tout le secteur, qui n'a pu bénéficier que d'une reprise très progressive durant l'été. Il est de notre devoir de démontrer notre attachement au cinéma. Je note que, comme l'a indiqué le rapporteur pour avis, la mobilisation de l'État a été forte. De ce point de vue, l'annonce de la reprise le 15 décembre me semble être un compromis pertinent au regard de la pandémie.

Mme Catherine Morin-Desailly . - Je remercie le rapporteur pour avis pour la qualité de ses propos que je partage pleinement. Les salles de cinéma constituent un atout précieux pour nos territoires et il est primordial de préserver ce maillage avec le soutien, jamais démenti, du CNC. Il serait intéressant de disposer de données sur l'aide apportée par les collectivités territoriales. Les salles de cinéma sont en effet le support privilégié de la politique d'éducation à l'image à destination des jeunes publics. En ce qui concerne la création, je rappelle que nous avions donné notre accord au mois de juillet à la transposition de la directive SMA. Les décrets sont toujours en cours de discussion et j'insiste sur l'urgence absolue d'édicter rapidement des règles claires pour associer les plateformes à la création française, le confinement leur ayant exclusivement bénéficié. En parallèle, il est crucial de faire évoluer notre chronologie des médias et d'avancer sur le sujet du piratage.

Mme Sonia de La Provôté . - J'attire l'attention sur le rôle des salles associatives qui permettent de toucher tous les publics, notamment dans les territoires ruraux. Ces salles d'art et d'essai favorisent la diversité de la programmation.

M. Jérémy Bacchi . - Je partage la préoccupation de Mme Borchio Fontimp sur la nécessité d'articuler les mécanismes d'aide avec la modernisation du secteur, ce que devrait permettre le plan de relance. Il en va de notre souveraineté culturelle, tout comme le Festival de Cannes qui, je le souhaite, pourra se tenir si les conditions sanitaires sont réunies. Je suis en effet très sensible à son impact pour le département des Alpes-Maritimes dont il constitue une vitrine tout comme il est un moteur de l'industrie du cinéma en France.

Je partage également la préoccupation de Pierre-Antoine Levi sur la pérennité des salles de cinéma. Les crédits prévus jusqu'à présent sont incontestablement utiles, sans oublier la suspension de la taxe sur les billets aux mois de février et mars, soit un gain de 17 millions d'euros pour les salles, que l'Assemblée nationale a souhaité étendre au reste de l'année, soit 20 millions d'euros supplémentaires. Le compte n'y est probablement pas encore, mais ces aides permettent au secteur de surnager. En réponse à Sylvie Robert, je précise que la compensation est plus généreuse pour les petites que pour les grandes salles. Il y a une problématique particulière, liée aux salles municipales pour lesquelles aucun remboursement n'était prévu à l'origine. Le CNC semble cependant évoluer sur cette question.

Monsieur Ouzoulias, je suis pleinement en accord avec vos propos sur la plateforme Salto. Il nous faut réfléchir à sa taille critique, pour non pas concurrencer mais exister face aux plateformes américaines.

Je suis également très sensible à l'intervention de Mme Sonia de La Provôté sur l'intérêt des salles associatives qui permettent au cinéma de se développer dans les territoires, pour nos concitoyens qui n'auraient pas la possibilité de couvrir de longues distances pour se rendre dans un multiplex. Cette spécificité doit bien évidemment perdurer.

Enfin, sur la question des plateformes, il est essentiel de créer les conditions d'un juste équilibre pour l'ensemble de la profession, ce qui est l'objet des négociations relatives à la mise en oeuvre de la directive SMA.

M. Bernard Fialaire . - Je soutiens pleinement la défense du cinéma itinérant qui constitue une des meilleures initiatives pour faciliter la démocratisation de la culture. Il reste à réfléchir à la cohabitation, dans les villes moyennes, entre les multiplexes et les salles d'art et d'essai, qui n'est pas toujours aisée.

M. Jérémy Bacchi . - Sur cette question précise des multiplexes, je suis persuadé qu'il y a de la place pour tous. Il est important que les salles d'art et d'essai soient non pas « derrière », mais « à côté » des multiplex. Le public y trouvera son intérêt notamment, et je rebondis sur les propos de la présidente Catherine Morin-Desailly, pour la pratique de l'éducation à l'image et au cinéma. N'oublions pas en effet que les jeunes spectateurs continueront à fréquenter les salles une fois devenus adultes.

Mme Catherine Morin-Desailly . - J'apporte mon plein soutien à la plateforme Salto. Je tiens cependant à rappeler que ce sujet n'a jamais été traité par la tutelle et relève de la seule initiative de France Télévisions qui n'a pas la tâche aisée pour rassembler les chaînes et les producteurs. Cette carence de la puissance publique est regrettable et doit être dénoncée. Par ailleurs, des interrogations existent sur son modèle : la plateforme doit-elle être payante alors que les téléspectateurs acquittent déjà la contribution à l'audiovisuel public (CAP) ?

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