N° 144

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la c ommission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2021 ,

TOME IV

JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET JURIDICTIONS FINANCIÈRES

Par M. Guy BENARROCHE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer, secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, M. Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Mikaele Kulimoetoke, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

La commission des lois a examiné, mercredi 18 novembre 2020, le rapport de M. Guy Benarroche (groupe Écologiste - Solidarité et Territoires - Bouches-du-Rhône) sur les crédits des programmes 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État », inscrits au projet de loi de finances pour 2021.

Les moyens alloués à ces deux programmes - constitués à plus de 80 % de dépenses de personnel (titre 2) - seraient en augmentation en 2021, mais dans une moindre mesure que l'année dernière.

Le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » présente une hausse des crédits de paiement de 2,7 % (à comparer à + 4,6 % entre 2019 et 2020), soit 12 millions d'euros supplémentaires, et un schéma d'emplois en augmentation de 28 équivalents temps plein (ETP). Les moyens du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » sont stables avec une légère augmentation des crédits de paiement de 0,3 % (+ 0,2 % l'année dernière) et un schéma d'emplois prévoyant la création de 10 équivalents temps plein (ETP).

Progression des crédits de paiement des programmes 165 et 164

Exécution 2017

Exécution 2018

Exécution 2019

LFI 2020

PLF 2021

Progression 2020/2021

(en millions d'euros)

(en %)

Programme 165

388,0

404,2

417,7

439,7

451,7

12,0

2,7

dont CNDA

24,8

27,8

34,7

44,9

45,3

0,4

0,9

Programme 164

215,1

218,0

220,7

220,4

221,1

0,7

0,3

Source : Commission des lois, sur la base des documents budgétaires

I. LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

Contrairement aux années précédentes, le projet de loi de finances pour 2021 ne prévoit pas d'attribuer la majorité des moyens supplémentaires mobilisés pour le programme 165 à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Aucune création d'emploi de magistrat ou d'agent n'est en effet prévue en 2021, alors que 59 emplois avaient été budgétés en 2020.

Cette année, les crédits supplémentaires sont principalement destinés à financer 28 ETP pour renforcer les effectifs des tribunaux administratifs (6 magistrats et 4 agents de greffe) et créer la nouvelle cour administrative d'appel de Toulouse (1 membre du Conseil d'Etat, 6 magistrats et 11 agents de greffe).

Les crédits hors titre 2 sont en augmentation de 6,1 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale (LFI) pour 2020, principalement en raison de la hausse des frais de justice (+ 6,2 % par rapport à la LFI 2020), qui est mécaniquement due à l'accroissement des entrées contentieuses, et des dépenses immobilières du programme (en particulier, l'opération de désamiantage du site où doivent être relogés la CNDA et le tribunal administratif de Montreuil ainsi que la création de la cour administrative d'appel de Toulouse).

A. UN DÉFI RÉCURRENT : FAIRE FACE À MOYENS QUASI-CONSTANTS
À DES AFFAIRES À TRAITER TOUJOURS PLUS NOMBREUSES

La création de postes - 28 ETP, soit 13 équivalents temps plein travaillé (ETPT) - pour renforcer les effectifs des tribunaux administratifs (TA) et des cours administratives d'appel (CAA) est en progression par rapport au budget de l'année dernière qui avait prévu la création de 13 ETP en juridictions (2 membres du Conseil d'État, 7 magistrats et 4 agents de greffe). Celles-ci avaient également été autorisées à recruter 21 juristes assistants en 2020, mais à la condition d'un autofinancement grâce à un moindre recours aux vacataires (non comptabilisés dans le plafond d'emplois).

Cette hausse d'effectifs reste toutefois modeste au regard du plafond des emplois affectés dans ces juridictions qui est de 2 534 ETPT. Elle équivaut à un renfort de 0,3 % par rapport à l'année dernière , ce qui est sans commune mesure par rapport à la hausse des entrées auxquelles les juridictions administratives sont confrontées.

Nombre d'affaires enregistrées en données nettes
par les juridictions administratives 1 ( * )

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Évolution

2018-2019

CE

9 456

8 727

9 620

9 864

9 563

10 216

+ 6,8 %

CAA

29 857

30 597

31 308

31 283

33 773

35 684

+ 5,7 %

TA

195 625

192 007

193 532

197 243

213 029

231 280

+ 8,6 %

Source : Commission des lois à partir des données du Conseil d'État

Comment faire face à ces entrées toujours plus nombreuses, sans dégrader ni la qualité des décisions ni les délais de jugement ?

Une réflexion est actuellement en cours, sous l'égide de la mission d'inspection des juridictions administratives, sur l'aide à la décision afin de mieux utiliser cette ressource désormais largement déployée. Il s'agit, selon le Conseil d'État, de généraliser les bonnes pratiques permettant de donner une meilleure visibilité aux chefs de juridiction sur leur capacité d'aide à la décision et d'accorder une meilleure attention aux agents chargés de l'aide à la décision.

Le Conseil d'État mène également une politique active de développement de la médiation . Dans ce cadre, une expérimentation de médiation obligatoire est menée jusqu'au 31 décembre 2021 dans les domaines suivants : différends entre les fonctionnaires et leur employeur, requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d'emploi. Cette voie de résolution des litiges vient souvent à rebours de la culture administrative (refus de principe pour certaines administrations ou manque d'intérêt à écourter une instance). Elle peut de surcroît apporter un supplément de travail aux magistrats et greffiers chargés de sa mise en oeuvre compte tenu de la longueur du processus. Seules 1 040 médiations, dont 66 % à l'initiative des juridictions, ont abouti à un accord en 2019 .

Ces deux voies ne semblent pas pouvoir apporter d'effets perceptibles en 2021 ou même à moyen terme . Cela confirme qu'il semble exister peu de solutions en dehors du renforcement des équipes - magistrats, greffiers et agents d'aide à la décision - affectées au traitement des dossiers.

Cette année encore, les performances des juridictions administratives reposeront donc avant toutes choses sur l'engagement individuel des personnels des juridictions administratives et leur sens du service public.

Cette situation ne peut être pérenne et le programme 165 ne pourra échapper à un questionnement sur le renforcement des moyens humains et la revalorisation indemnitaire des personnels.

Une dégradation des indicateurs de performance
du fait de la crise sanitaire

En 2020, la crise sanitaire a fortement bouleversé l'activité des juridictions administratives, déjà affectée par la grève des transports et la mobilisation des avocats contre la réforme des retraites en début d'année.

Sur les huit premiers mois de l'année, les tribunaux administratifs (TA) ont ainsi connu une baisse des entrées de 15 % et des sorties de 17 %. Dans les cours administratives d'appel (CAA), la baisse s'est établie à 22 % pour les entrées et à 16 % pour les sorties. La CNDA a quant à elle été confrontée à une baisse de 33 % de ses entrées et de 54 % de ses sorties.

Sans surprise, le délai moyen constaté de jugement des affaires, qui sert d'indicateur de performance, a été allongé devant les TA, les CAA (12 mois au lieu de l'objectif anticipé de 11 mois) et surtout la CNDA (11 mois contre 5 prévus pour les procédures en formation collégiale, 20 semaines au lieu de 5 pour les procédures à juge unique). Un allongement des procédures au regard de la réalisation 2019 est également attendu en 2021 (1 an devant les CAA et TA, 7 mois et 7 semaines devant la CNDA). Il est rappelé qu'en février 2020, à la veille du confinement, la CNDA avait presque atteint l'objectif légal de 5 mois de traitement des dossiers en formation collégiale.

Le stock d'affaires anciennes est également en hausse : selon les prévisions actualisées, en 2020, 25 % des affaires enregistrées devant la CNDA auront plus de 1 an (à comparer aux 5 % prévus initialement) et respectivement, 7 et 10 % des affaires enregistrées devant les CAA et les TA auront plus de 2 ans (contre 4 et 7,5 % en prévision initiale). Là encore, les prévisions pour 2021 restent en deçà de leur réalisation en 2019.

Cette dégradation de deux indicateurs de performance importants est due aux annulations d'audience pendant les huit semaines du confinement 2 ( * ) , puis aux difficultés à organiser celles-ci compte tenu des perturbations causées par la pandémie de la covid-19 (jauge dans les salles d'audience, report pour cause de suspicion de contamination ou cas contacts etc...). Elle n'est pas liée aux moyens matériels des juridictions administratives, par ailleurs plutôt adaptés au travail à distance.


* 1 Les données nettes excluent les affaires dites de « séries », c'est-à-dire celles qui présentent une question qui a déjà fait l'objet d'une décision juridictionnelle, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification des faits.

* 2 Hors référés urgents qui ont augmenté sur la période, les juridictions administratives étant appelées à juger de nombreux décrets et arrêtés préfectoraux ou municipaux pris dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

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