EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 18 NOVEMBRE 2020

M. Guy Benarroche , rapporteur pour avis . - Nous examinons pour avis deux programmes de la mission « Conseil et contrôle de l'État », dont le responsable est le Premier ministre : le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et le programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières ».

Les moyens alloués à ces programmes sont prévus en augmentation en 2021, mais dans une moindre mesure que l'année dernière.

Le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » présente une hausse des crédits de paiement de 2,7 %. Par comparaison, celle-ci était de 4,6 % entre 2019 et 2020. Cela représente 12 millions d'euros supplémentaires et un schéma d'emplois en augmentation de 28 équivalents temps plein (ETP).

Les moyens du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » sont stables avec une légère augmentation des crédits de paiement de 0,3 % et un schéma d'emplois prévoyant la création de 10 ETP.

Contrairement aux années précédentes, le projet de loi de finances pour 2021 (PLF 2021) ne prévoit pas de mobiliser la majorité des moyens supplémentaires du programme 165 en faveur de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) qui traite des recours contre les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Entre 2018 et 2020, la CNDA a obtenu la création de 260 postes et ouvert dix chambres pour augmenter ses capacités de jugement. Aucune création d'emploi de magistrat ou d'agent n'est prévue en 2021.

Cette année, les crédits supplémentaires sont principalement destinés à financer 28 ETP pour renforcer les effectifs des tribunaux administratifs (TA), avec six magistrats et quatre agents de greffe, et créer la nouvelle cour administrative d'appel (CAA) de Toulouse, avec un membre du Conseil d'État, six magistrats et onze agents de greffe.

Les crédits hors titre 2 sont en augmentation de 6,1 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2020, principalement en raison, d'une part, de la hausse de 6,2 % des frais de justice qui est mécaniquement due à l'accroissement des entrées contentieuses et, d'autre part, des dépenses immobilières du programme, en particulier de l'opération de désamiantage du site où doivent être relogés la CNDA et le TA de Montreuil et de la création de la CAA de Toulouse.

Les juridictions administratives sont confrontées à un défi récurrent : faire face à moyens quasi-constants à des requêtes enregistrées toujours plus nombreuses. Les entrées devant les TA ont ainsi augmenté de 8,6 % en 2019, avec près de 231 000 dossiers enregistrés. Devant les CAA, cette progression est de 5 ,7 % avec 35 700 entrées.

La création de postes - vingt-huit ETP, soit treize équivalents temps plein travaillés (ETPT) - pour renforcer les effectifs des juridictions, reste très modeste au regard du plafond des emplois affectés dans ces juridictions qui est de 2 534 ETPT. Elle équivaut à un renfort de 0,3 % par rapport à l'année dernière, ce qui est sans commune mesure par rapport à la hausse des entrées auxquelles les juridictions administratives sont confrontées.

Comment faire face à ces entrées toujours plus nombreuses, sans dégrader ni la qualité des décisions ni les délais de jugement ?

Je vous avoue que les pistes évoquées par le Conseil d'État, sur l'aide à la décision qu'il s'agirait de mieux mobiliser, ou sur le développement de la médiation, ne me semblent pas très convaincantes. Elles ne paraissent pas pouvoir apporter d'effets perceptibles en 2021, ou même à moyen terme, la médiation en particulier. Celle-ci vient souvent à rebours de la culture administrative et peut de surcroît apporter un supplément de travail aux magistrats et greffiers chargés de sa mise en oeuvre compte tenu de la longueur du processus. 1 040 médiations, dont 66 % à l'initiative des juridictions, ont abouti à un accord en 2019. C'est une goutte d'eau dans l'océan des requêtes déposées devant les juridictions administratives ...

Il semble exister peu de solutions en dehors du renforcement des équipes - magistrats, greffiers et agents d'aide à la décision - affectées au traitement des dossiers.

Cette année encore, les performances des juridictions administratives reposeront avant toute chose sur l'engagement individuel des personnels des juridictions administratives et leur sens du service public. Cette situation ne peut être pérenne et le programme 165 ne pourra pas échapper à mon avis à un questionnement sur le renforcement des moyens humains et la revalorisation indemnitaires des personnels.

Parmi les contentieux traités par les juridictions administratives, le contentieux des étrangers a pris au fil des ans une place centrale. Il représente, en 2019, 51 % des affaires enregistrées dans les CAA, soit 18 086 requêtes, et 41 % de celles enregistrées dans les TA, soit 94 260 requêtes. Depuis 2015, le nombre des entrées dans cette matière a crû de 31 % devant les CAA et de 63 % devant les TA.

Au-delà de la masse qu'il représente, ce contentieux est très exigeant pour les magistrats et les greffes qui assurent des permanences 365 jours sur 365. Il complique singulièrement la gestion des juridictions.

Une étude a été commandée par le Premier ministre au Conseil d'État. Le groupe de travail présidé par Jacques-Henri Stahl suggère une simplification des procédures, en réduisant le type de procédure d'une douzaine à trois, et en prévoyant que l'administration se prononce, dès la première demande de titre de séjour, au regard de l'ensemble des hypothèses d'attribution d'un tel titre, seuls des éléments nouveaux pouvant être présentés à l'appui de demandes ultérieures. Si tous les intervenants ne sont pas d'accord sur la manière de mener cette réforme procédurale, sa nécessité semble faire consensus. Aucune concrétisation législative n'est annoncée et là encore, il n'y a pas de perspective d'amélioration proche.

Les juridictions administratives comprennent également deux juridictions spécialisées qui sont fortement exposées : la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et la Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP).

La CNDA est confrontée à une hausse très importante de ses entrées depuis plusieurs années. Le nombre de décisions rendues a atteint un pic historique de 66 464 affaires en 2019, en augmentation de 40,5 % par rapport à l'année précédente, grâce à l'importance des moyens mobilisés les années précédentes.

Son activité a été fortement touchée par la grève des transports et la mobilisation des avocats contre la réforme des retraites, début 2020, puis par la crise sanitaire ; seules environ 50 000 requêtes seront jugées en 2020. Et les délais de jugement, qui avaient presque atteint l'objectif légal de 5 mois pour les formations collégiales en février 2020, à la veille du confinement, ont été fortement dégradés en passant à une moyenne de 11 mois sur l'année 2020.

Sa présidente, Mme Dominique Kimmerlin, m'a indiqué avoir organisé l'ouverture en février 2021 de quatre salles d'audiences supplémentaires et estime que la CNDA pourrait rendre 80 000 décisions si les conditions sanitaires le permettent.

Il est important d'accompagner sa reprise d'activité et de l'aider à résorber son stock d'affaires enregistrées. C'est la raison pour laquelle je suis favorable à un report sur l'année 2021 de la vingtaine d'emplois qui n'ont pu être pourvus en 2020 en raison de la crise sanitaire. Il s'agit d'une mesure a minima compte tenu de l'absence de création d'emplois en faveur de la CNDA dans le PLF 2021.

La CCSP prend en charge les recours en matière de stationnement des véhicules sur voirie. Elle a enregistré plus de 72 000 requêtes en 2018, sa première année d'activité, et le double en 2019.

Toutefois, en 2020, la prévision risque d'être révisée à la hausse. Par décision du 9 septembre 2020, le Conseil constitutionnel a censuré, avec effet immédiat, la disposition du code général des collectivités territoriales subordonnant la recevabilité du recours contentieux devant la CCSP au paiement préalable du montant de l'avis de paiement du forfait post-stationnement.

Cette situation est préoccupante pour la CCSP qui pourrait faire face à une augmentation très importante de son contentieux du fait de la suppression de l'obligation de paiement préalable, ce qui risque de favoriser les recours dilatoires. Pour mémoire, en 2019, l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions (ANTAI) a émis 8,1 millions d'avis de paiement de forfait de post-stationnement ...

L'article 54 quater adopté par l'Assemblée nationale, à l'initiative du rapporteur spécial, se propose d'encadrer l'obligation de paiement préalable en fixant un plafond maximum et en prévoyant des exceptions afin de se conformer à la décision du Conseil constitutionnel. Cette tentative de solution ne semble toutefois pas destinée à prospérer puisqu'une disposition similaire adoptée en PLF 2020 a déjà été censurée comme « cavalier budgétaire » par le Conseil. C'est la raison pour laquelle, notre collègue Christian Bilhac, rapporteur spécial de la commission des finances, propose un amendement de suppression.

Avant d'en terminer avec les juridictions administratives, je voudrais vous communiquer quelques éléments sur le contentieux électoral en 2020, année « doublement électorale » avec les élections municipales et sénatoriales.

La singularité de l'année 2020 est que la crise sanitaire a modifié le calendrier des élections et les dossiers contentieux ont été enregistrés sur une période beaucoup plus longue. Le nombre de recours est quant à lui tout à fait comparable à celui de l'année 2014, avec 4 978 requêtes enregistrées au 31 juillet 2020.

Pour le premier tour qui a eu lieu le 15 mars, le délai de recours a été prolongé jusqu'au 25 mai. La grande majorité des recours ont été enregistrés en mars, avec 2 700 dossiers environ. En juin et juillet, 1 200 dossiers ont été enregistrés, soit 23 % des entrées qui correspondent au second tour.

Pour le contentieux des sénatoriales qui concerne les élections des délégués des conseils municipaux et déclarations de candidatures, au 31 juillet, 1 843 dossiers ont été enregistrés. Là encore, ce nombre est comparable à celui de 2014.

J'aborderai à présent le programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières ».

Ses crédits prévoient des dépenses de personnel (titre 2) à hauteur de 196,2 millions d'euros, soit une augmentation de 0,7 million d'euros. Ces crédits supplémentaires sont destinés à la création de dix ETP. Cinq ETP renforceraient les fonctions de contrôle et d'appui selon le schéma d'emplois révisé en 2019. Les cinq autres seraient créés pour préparer le mandat 2022-2028 de la Cour des comptes au Comité des commissaires aux comptes de l'Organisation des Nations Unies et correspondraient au recrutement d'auditeurs financiers.

Les crédits de paiement, hors titre 2, qui visent à assurer aux juridictions financières les moyens informatiques, immobiliers et humains leur permettant d'exercer leurs missions, sont stables avec un montant de 24,9 millions d'euros.

Deux questions me semblent importantes. Tout d'abord, le périmètre des compétences des juridictions financières s'est étendu de manière importante au cours des dernières années et le nombre des organismes soumis au contrôle des comptes et de la gestion s'est multiplié. Je pense notamment aux établissements et services médico-sociaux du secteur privé que la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a ajouté à l'escarcelle des juridictions financières. Parallèlement, les dossiers se sont aussi complexifiés et les organismes contrôlés sont montés en compétence.

Dans ces conditions, la stabilité des moyens humains consacrés aux juridictions financières entraîne de facto une priorisation toujours plus forte des contrôles des comptes et de la gestion. Ces contrôles, je le rappelle, sont l'occasion pour la Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) d'exercer la fonction juridictionnelle qui justifie leur statut, celle de « juges des comptes ».

Ce phénomène est accentué pour les CRTC qui participent aux travaux des formations interjuridictions (FIJ) dans le cadre de l'évaluation des politiques publiques. Au 1 er juillet 2020, 23 FIJ sont en cours, ce qui ne peut manquer de prendre une part importante de leur programmation.

La baisse d'intensité des contrôles est une vraie question. Elle peut à terme entraîner une érosion de la confiance des citoyens envers leurs décideurs publics.

Mon deuxième point est lié au chantier de réflexions stratégiques des juridictions financières « JF 2025 » qu'a lancé Pierre Moscovici, sitôt après sa nomination comme Premier président de la Cour des comptes, en juin dernier.

Dans le cadre de la réforme envisagée, il me semble important de dégager d'ores et déjà quelques lignes de force. La première est, à mes yeux, que les CRTC maintiennent l'indépendance de leur programmation. La deuxième est qu'elles puissent conserver au sein de celle-ci une place suffisante pour les missions traditionnelles qu'elles exercent auprès des collectivités territoriales, à savoir le contrôle organique, le jugement des comptes et le contrôle budgétaire. La troisième est que les contrôles puissent s'exercer sur un temps suffisamment long pour permettre la collégialité et la contradiction ; dans ce domaine, « aller plus vite », ne me semble pas être un objectif prioritaire.

Enfin, pour une meilleure lisibilité des crédits alloués, il me semblerait utile qu'une ventilation des crédits soit opérée entre la Cour des comptes et les CRTC, à l'instar de ce qui est fait en programme 165 où des actions distinctes sont consacrées au Conseil d'État, aux CAA et aux TA ou avec le Haut conseil des finances publiques qui figure dans le programme 340.

Avant de conclure, je souhaite rappeler que les deux programmes 165 et 164 sont constitués à 80 % de dépenses de personnel. Ils reposent sur le savoir-faire, l'expérience et l'engagement des agents. Les difficultés liées à la crise sanitaire ont été surmontées grâce à eux et un soin particulier doit être apporté à leur reconnaissance et à leurs conditions de travail pour conserver cette « richesse humaine ». Mes auditions avec les syndicats ou associations de magistrats et les contributions que j'ai reçues des personnels de greffe m'en ont convaincu.

En conclusion, et malgré les réserves exprimées sur certains points, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de ces deux programmes.

M. Jean-Yves Leconte . - Comme vous l'avez évoqué, un rapport récent remis au Premier ministre porte sur la situation des tribunaux administratifs et du contentieux des étrangers. La loi Asile et immigration de 2018 n'a pas favorisé la simplification de ce contentieux. Je suis pour la simplification mais tout dépend de la manière dont elle est mise en oeuvre. Un certain nombre de propositions du rapport soulèvent des problèmes de fond.

En outre, j'émets de sérieux doutes quant au caractère suffisant des moyens alloués à la CNDA au vu du grand nombre de décisions rendues par l'OFPRA. En effet, 85 % d'entre elles donnent lieu à un recours devant la CNDA. Il est important qu'elle puisse agir dans de bonnes conditions et la collégialité en fait partie. Je vous rappelle que le Conseil d'État a suspendu la disposition de l'ordonnance du 13 mai 2020 qui autorisait pendant l'état d'urgence sanitaire le jugement de l'ensemble des affaires de la CNDA par juge unique. Le Sénat avait d'ailleurs averti sur les risques liés à l'élargissement du recours au juge unique en dehors des procédures accélérées.

M. François-Noël Buffet , président. - En l'absence d'autres observations, nous suivons l'avis favorable du rapporteur.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits des programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État ».

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