2. La directive du 9 février 1976 : la réduction des recrutements distincts

a) La situation délicate de la France au regard des exigences de la directive du 9 février 1976

En se référant à la nature des fonctions ou à leurs conditions d'exercice, le droit français autorise encore, dans les années 1970, bien des exceptions au principe de l'égalité d'accès aux emplois publics entre hommes et femmes. A titre d'exemple, ces critères ont amené le Conseil d'Etat à juger légale l'exclusion de principe des candidats du sexe féminin de l'accès aux services actifs de la police nationale 8 ( * ) .

La loi du 10 juillet 1975 9 ( * ) , si elle dispose qu'aucune distinction n'est faite entre les hommes et les femmes, autorise cependant les recrutements exclusifs d'hommes ou de femmes ainsi que les recrutements distincts entre hommes et femmes. Cette loi a par exemple établi pour les instituteurs d'une part, et pour les institutrices d'autre part, des recrutements distincts 10 ( * ) .

b) La transposition en droit français de la directive de 1976

La directive 76/207/CEE du Conseil 11 ( * ) du 9 février 1976 va contraindre la France à modifier sa conception du principe d'égalité entre hommes et femmes pour l'accès aux emplois publics.

Le premier paragraphe de l'article 2 de la directive dispose que " le principe de l'égalité de traitement implique l'absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l'état matrimonial ou familial ".

Cette affirmation de principe souffre trois exceptions .

La première concerne la faculté qu'ont les Etats membres d' exclure du champ d'application de ce principe les activités professionnelles et, le cas échéant, les formations y conduisant, pour lesquelles, en raison de leur nature ou des conditions de leur exercice, le sexe constitue une condition déterminante " (paragraphe 2 de l'article 2).

La deuxième exception réserve les mesures de protection des femmes, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité (paragraphe 3 de l'article 2 de la directive).

La dernière exception autorise les " mesures visant à promouvoir l'égalité des chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent les chances des femmes " en matière professionnelle (paragraphe 4 de l'article 2, voir infra ).

L'article 3 de la directive affirme l'interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe dans les conditions d'accès, y compris les critères de sélection, aux emplois ou postes de travail, quel qu'en soit le secteur ou la branche d'activité, et à tous les niveaux de la hiérarchie professionnelle.

La directive, qui devait être transposée en droit interne dans un délai de deux ans et demi, imposait aux Etats membres de procéder périodiquement à un examen des activités professionnelles faisant exception au principe d'égalité entre hommes et femmes, afin d'apprécier, compte tenu de l'évolution sociale, s'il est justifié de maintenir les exclusions en question .

Dans un avis motivé du 25 avril 1981, la Commission des Communautés européennes a estimé que les dérogations prévues par la législation (loi du 10 juillet 1975) et la réglementation (décret du 25 mars 1977) françaises méconnaissaient la directive en ce qu'elles étaient fondées sur des considérations autres que des raisons objectives tenant à la nature même des emplois à occuper ou aux conditions de leur exercice.

Aussi, pour la transposition de la directive du 9 février 1976 dans le domaine de la fonction publique, a été adoptée la loi du 7 mai 1982 12 ( * ) . Après avoir rappelé qu'aucune distinction n'est faite entre les hommes et les femmes pour l'application du statut général des fonctionnaires, la loi définit les dérogations à ce principe. Désormais, le sexe devra constituer une condition " déterminante " de l'exercice des fonctions 13 ( * ) pour justifier l'organisation de recrutements distincts. Ainsi, les recrutements exclusifs d'hommes ou de femmes dans la fonction publique ne sont plus possibles.

Le décret du 15 octobre 1982 14 ( * ) fixe la liste des corps pour lesquels les recrutements distincts entre hommes et femmes sont organisés. La légalité de ce décret a été admise par le juge administratif 15 ( * ) . Les corps concernés sont ceux des commissaires, des commandants et officiers de paix, des inspecteurs, des enquêteurs, et des gradés et gardiens de la paix de la police nationale ; le corps des attachés d'éducation des maisons d'éducation de la Légion d'honneur ; les corps des services extérieurs de l'administration pénitentiaire ; les corps des contrôleurs, agents de constatation et préposés des douanes ; enfin les corps des professeurs et professeurs-adjoints d'éducation physique et sportive.

Le Conseil d'Etat a considéré que certains des emplois auxquels ont vocation les membres de ces corps ne pouvaient, sans de graves inconvénients pour le bon fonctionnement du service public, être indifféremment occupés par des hommes ou par des femmes. Il a ainsi fait application du nouveau critère selon lequel l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue une condition déterminante pour l'exercice des fonctions assurées par les membres de ces corps.

S'agissant du corps des instituteurs et des institutrices, le Conseil d'Etat a interprété la volonté du législateur comme permettant des recrutements distincts dans les cas exceptionnels où la prédominance excessive des membres de l'un ou l'autre sexe serait de nature à compromettre le fonctionnement du service public.

Comme le prévoyait la directive, la France a réexaminé la liste des corps donnant lieu à un recrutement distinct selon le sexe. Elle a ainsi eu l'occasion de supprimer les recrutements distincts dans certains corps des douanes dès 1985, dans les corps des instituteurs en 1987 et dans le corps des professeurs et professeurs-adjoints d'éducation physique et sportive en 1988 16 ( * ) .

c) La condamnation de la France par la CJCE

Saisie par la Commission d'un recours en manquement, la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) a condamné la France 17 ( * ) le 30 juin 1988 pour avoir maintenu des recrutements distincts dans certains corps de l'administration pénitentiaire et dans les cinq corps de la police nationale.

La Cour a jugé que l'administration française n'avait pas cherché à isoler les emplois spécifiques ne pouvant être occupés que par des hommes et n'avait pas institué, à cet effet, des critères objectifs 18 ( * ) permettant de donner au système de recrutements distincts la transparence nécessaire au contrôle de la Commission comme au contrôle des citoyens.

Le droit communautaire conduit la Cour de Justice à raisonner en termes de fonctions et d'emplois alors que le Conseil d'Etat, en admettant la légalité du décret du 15 octobre 1982, avait raisonné en termes de corps, conformément aux principes du droit français de la fonction publique.

Doivent être recherchés les emplois précis ne pouvant être occupés par les personnes d'un sexe donné (en général, les femmes), en se fondant sur un critère objectif défini par un texte législatif ou réglementaire et dans le respect du principe de proportionnalité tendant à limiter les restrictions d'accès à ce qui est indispensable 19 ( * ) .

L'arrêt du 30 juin 1988 de la CJCE invalide ainsi l'arrêt du Conseil d'Etat du 16 avril 1986, CFDT, selon lequel des recrutements distincts peuvent être institués pour éviter la proportion excessive de personnes d'un même sexe dans un corps .

En effet, la dérogation de l'article 2, paragraphe 2, de la directive du 9 février 1976 est d'interprétation stricte 20 ( * ) ; sans interdire un système de quota, elle ne se justifie que par les caractères particuliers de certaines fonctions ; elle ne peut avoir pour objet de permettre, dans telle ou telle profession, de préserver un équilibre entre les hommes et les femmes.

* 8 Conseil d'Etat, Assemblée, 28 janvier 1972, Fédération générale des syndicats de la police CGT et autres.

* 9 Loi n° 75-599 portant modification de l'ordonnance n° 59-244 du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires : " Lorsque la nature des fonctions ou les conditions de leur exercice le justifient, il peut être prévu, pour certains corps dont la liste est établie par décret en Conseil d'Etat, après avis du Conseil supérieur de la fonction publique et des comités techniques paritaires, un recrutement exclusif d'hommes ou de femmes ou, à titre exceptionnel, selon les modalités prévues dans le même décret, des recrutements et des conditions d'accès distincts pour les hommes et les femmes. "

Décret d'application du 25 mars 1977 donnant une liste de cinq corps à recrutement exclusivement masculin, deux corps à recrutement exclusivement féminin et 22 corps à recrutements distincts.

* 10 Conseil d'Etat, Assemblée, 9 juin 1978, ministre de l'Education contre demoiselle Bachelier.

* 11 Directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelle, et les conditions de travail.

* 12 Loi n° 82-380 du 7 mai 1982 modifiant l'article 7 de l'ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires et portant dispositions diverses concernant le principe d'égalité d'accès aux emplois publics.

* 13 " Pour certains corps dont la liste est établie par décret en Conseil d'Etat après avis du Conseil supérieur de la fonction publique et des comités techniques paritaires, des recrutements distincts pour les hommes ou les femmes pourront être organisés si l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue une condition déterminante pour l'exercice des fonctions assurées par les membres de ces corps ".

* 14 Décret n° 82-886 du 15 octobre 1982 portant application de l'article 18 bis de l'ordonnance du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires.

* 15 Conseil d'Etat, 16 avril 1986, Confédération française démocratique du travail.

* 16 Décret n° 85-841 du 6 août 1985, décret n° 87-55 du 2 février 1987, décret n° 88-476 du 29 avril 1988.

* 17 CJCE, 30 juin 1988, Commission des Communautés européennes contre France.

* 18 " Le système de recrutements distincts consiste à fixer, dans chaque arrêté de concours, le pourcentage de postes qui sera attribué respectivement aux hommes et aux femmes ; cette fixation n'est régie par aucun critère objectif défini dans un texte législatif ou réglementaire (...) Le principe de proportionnalité exige de concilier, dans toute la mesure du possible, l'égalité de traitement des hommes et des femmes avec les exigences qui sont déterminantes pour l'exercice de l'activité spécifique qui est en cause ".

* 19 En l'espèce, la CJCE a admis les recrutements distincts des surveillants-chefs chargés de diriger les maisons d'arrêt, appartenant au corps du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire, pour des motivations tenant à l'organisation du service public pénitentiaire et à la gestion du corps.

Mais la Cour a condamné la France au titre des recrutements distincts dans les corps du personnel de direction et du personnel technique et de formation professionnelle des services extérieurs de l'administration pénitentiaire, ainsi que dans les cinq corps de la police nationale.

* 20 CJCE, 15 mai 1986, Jonhston.

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