EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 17 novembre 2021, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport pour avis de Mme Annie Delmont-Koropoulis sur le projet de loi de finances pour 2022 (mission « Santé »).

Mme Annie Delmont-Koropoulis , rapporteure pour avis de la mission « Santé » . - Mes chers collègues, avec 1,3 milliard d'euros en crédits de paiement demandés pour 2022, les moyens de la mission « Santé » sont en diminution de 1,6 % par rapport à 2021.

Les dépenses d'intervention discrétionnaires de cette mission sont désormais réduites à la portion congrue. La mission concentre en effet très majoritairement des dépenses de guichet et de solidarité nationale, à hauteur de près de 91 % de ses crédits. Dans ces dépenses plus ou moins contraintes, on recense : l'aide médicale de l'État (AME), qui capte déjà plus de 83 % des moyens de la mission avec plus de 1 milliard d'euros ; le soutien à l'agence de santé de Wallis-et-Futuna, qui prend en charge l'ensemble du système de santé local ; l'indemnisation des victimes des accidents médicaux et de l'amiante, au travers de dotations de l'État à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam) et au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (FIVA).

Le reste des dépenses de la mission se trouve ainsi éclaté entre quelques actions éparses qui ne s'insèrent dans aucune vision globale de santé publique et dont les moyens atteignent un niveau résiduel.

Depuis le basculement du financement de la plupart des opérateurs sanitaires à l'assurance maladie, le programme 204 se résume à quelques lignes budgétaires disparates dépourvues de cohérence stratégique et dont les crédits se cantonnent souvent à compléter, pour une série d'actions de santé publique et de sécurité sanitaire, les financements déjà attribués par l'assurance maladie. La justification de l'existence du programme 204 devient ainsi chaque année plus fragile, le transfert de la majorité de ses crédits à l'assurance maladie pouvant largement se justifier.

On peut en effet légitimement s'interroger sur la pertinence du maintien dans le programme 204 de lignes de crédits qui peinent à dépasser 5 millions d'euros.

Prenons l'exemple des systèmes d'information de santé publique. Un peu moins de 2,5 millions d'euros seront consacrés au financement de projets confiés à l'Agence du numérique en santé, alors que celle-ci est déjà financée par l'assurance maladie à hauteur de 370 millions d'euros en 2021 au titre du Ségur du numérique en santé.

De même, les comités de protection des personnes (CPP), financés à hauteur d'un peu plus de 4 millions d'euros par la mission « Santé », n'obtiennent désormais leurs moyens supplémentaires que par le biais de dotations complémentaires reversées par l'assurance maladie, transitant par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Bien que le périmètre du programme 204 ait été considérablement réduit, la crise sanitaire a donné lieu à une très forte surconsommation des crédits de ce programme. Ces dépenses sont en réalité imputables à un fonds de concours créé sur le programme en mars 2020 et alimenté par des versements de Santé publique France, agence désormais financée intégralement par l'assurance maladie. Ce fonds a vocation à couvrir des dépenses en lien avec la gestion de la crise liée à l'épidémie de covid-19, comme l'acquisition de matériel médical et de vaccins.

En 2020, pas moins de 700 millions d'euros issus de ce fonds de concours ont été rattachés au programme 204. Le Gouvernement assume pleinement de conserver un programme dédié aux politiques de santé, mais dépouillé d'une part substantielle de ses crédits, afin d'y rattacher des fonds de concours pour permettre, selon ses termes, une intervention réactive en cas de situation exceptionnelle.

Cette pratique, dérogatoire au principe d'universalité budgétaire, est peu compatible avec l'autorisation parlementaire des dépenses de l'État. Le détail des dépenses du fonds de concours n'est en effet retracé nulle part dans les documents budgétaires, alors même qu'elles ont représenté plus du triple des crédits ouverts sur le programme 204 en loi de finances initiale pour 2020. À cela s'ajoute le fait que ce fonds est alimenté par des ressources de l'assurance maladie, transitant par Santé publique France, dont la dotation, vous le savez, échappe à l'autorisation parlementaire.

S'agissant du programme 183, la dépense de l'aide médicale de l'État (AME) reste insuffisamment maîtrisée. Elle devrait en effet progresser de 2 % en 2022, pour s'établir à 1,08 milliard d'euros. Le nombre de bénéficiaires de l'AME a, quant à lui, augmenté de 12 % en 2020, après avoir déjà augmenté de 5 % en 2019.

Les mesures d'encadrement de l'éligibilité à l'AME adoptées en loi de finances pour 2020 tardent à produire leurs effets, leur mise en oeuvre ayant été différée en raison de la crise sanitaire. Par ailleurs, les informations du Gouvernement sur le renforcement des contrôles pour prévenir la fraude et les abus restent très parcellaires. Un rapport des inspections générales des affaires sociales et des finances d'octobre 2019 sur la gestion de l'AME avait pourtant évoqué des situations problématiques de détournement du dispositif, en estimant par exemple qu'un quart des 40 dossiers de chimiothérapie oncologique analysés étaient constitutifs d'une « migration pour soins ».

Par ailleurs, je reste convaincue que l'AME ne répondra à ses objectifs de santé publique qu'à la condition que ses bénéficiaires adhèrent pleinement à une démarche de prévention et de soins inscrite dans la durée. À titre d'exemple, on sait que les migrants en situation précaire et isolés sont particulièrement vulnérables face aux addictions. Leur accès à l'AME devrait alors, selon moi, s'accompagner d'exigences accrues en termes d'observance du parcours de soins, ce qui suppose une articulation renforcée entre les caisses primaires d'assurance maladie et les structures de prise en charge, notamment les hôpitaux, les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) et les futures « haltes soins addictions ».

Mes chers collègues, vous l'aurez compris, nous nous retrouvons face à une mission « Santé » problématique à plus d'un titre. Son programme 204 a été vidé de sa substance et ne supporte désormais que quelques lignes de crédits résiduelles qui pourraient être aisément basculées sur l'assurance maladie. Quant au programme 183, il est quasi intégralement accaparé par les dépenses de guichet de l'AME, qui, en raison de leur caractère humanitaire, trouveraient mieux leur place sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Dans ces conditions, plus rien ne justifie de conserver la mission « Santé » dans sa configuration actuelle.

En conséquence, je vous propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Santé ».

Mme Catherine Deroche , présidente . - Cela rejoint ce que nous avons dit lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale sur la place des agences : soit les agences sanitaires reviennent dans le budget de l'État, soit on supprime la mission « Santé ». Garder des queues de crédits alors que tout relève du PLFSS n'a aucun sens. Il est clair que l'AME constitue aujourd'hui l'essentiel de la mission, qui, en l'état actuel, n'a plus beaucoup de substance.

M. Alain Milon . - Je veux insister sur la question des agences. Lors de la discussion du PLFSS, nous avons souhaité que Santé publique France revienne dans le giron de l'État. Là, on nous dit qu'il faut prendre l'AME et continuer... Si l'on réaffecte l'ensemble de la mission « Santé » à l'assurance maladie, il faut que ce soit compensé à l'euro près tous les ans par l'État : cela ne marchera pas longtemps si l'État se décharge financièrement et si l'assurance maladie doit tout financer.

L'AME ne relève pas de la politique de l'immigration : elle procède du constat que des immigrés ont besoin de soins sur le territoire national. La France, en pays civilisé, donne des soins à toutes les personnes présentes sur son territoire. On peut critiquer la politique d'immigration, mais pas qu'il faille une politique de soins pour l'ensemble des personnes se trouvant sur le territoire national.

Mme Laurence Cohen . - Bravo !

Mme Catherine Deroche , présidente . - Mme la rapporteure pour avis a proposé de déplacer l'AME vers la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». La commission des affaires sociales n'a pas parlé d'immigration.

M. Bernard Jomier . - Je suis globalement d'accord sur le constat : je note également des incohérences.

La vraie question de fond est celle du rôle de l'assurance maladie, qui a beaucoup évolué dans notre pays sans qu'un texte acte cette évolution. L'assurance maladie était un payeur ; elle est devenue un ordonnanceur et un maître d'oeuvre des politiques de santé publique. Son articulation, notamment avec l'Agence nationale de santé publique, est fragile dans sa conception. Les errances budgétaires traduisent le fait que le budget santé de l'État a, pour l'essentiel, été transféré vers l'assurance maladie. Dans le même temps, l'assurance maladie a été complètement étatisée... Elle est désormais entièrement aux mains de l'État. L'État n'a pas abandonné ces politiques ; il a simplement pris un autre chemin, lequel se traduit par ce mouvement budgétaire. Il faudra remettre de la cohérence dans la définition législative du système.

Dans l'hypothèse où l'on viderait complètement la mission « Santé », nous défendons l'idée que l'AME aille à l'assurance maladie. Je rappelle que cette position est défendue par un certain nombre d'institutions, dont l'Académie de médecine. Ce serait beaucoup plus cohérent.

Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale . - Depuis quelques années, on arrive à cette conclusion que l'on a vidé de sa substance cette partie du budget.

C'est terrible, alors même que nous constatons tous que notre système de santé est très fragile, que l'hôpital ne se porte pas bien et que la présence des professionnels de santé sur notre territoire n'est pas satisfaisante. Il est problématique que le budget ne traduise pas les préoccupations de nos citoyens.

Nous avons demandé, dans le dernier PLFSS, la juste compensation des dépenses de l'agence Santé publique France, qui était auparavant dans le giron de l'État. Nous demandons également que le Parlement puisse décider chaque année des montants attribués à chacun des fonds et agences qui dépendent de l'assurance maladie.

Je rejoins Bernard Jomier : il faut absolument que nous nous penchions sur la question de la définition. Que recouvre l'assurance maladie ? Qu'est-ce qui relève d'un budget santé national ? On voit bien que les déficits de l'assurance maladie sont si énormes qu'ils ne sont pas tenables, qu'ils tirent la trajectoire financière vers le bas et qu'il faudra trouver des solutions. Or il y a des besoins d'investissement et des urgences. Nous devons réfléchir à une proposition du Sénat sur cette question, à ce qui relève de l'exploitation, du fonctionnement du quotidien, de la santé des Français et à ce qui relève de l'investissement. Comme je l'ai dit lors de l'examen du PLFSS, la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ne peut pas être un fonds d'investissement : c'est une caisse d'amortissement. Ainsi, les dépenses que nous avons engagées dernièrement du fait de la crise ne sont pas de même nature que la prise en charge, par exemple, de la dette des hôpitaux ou de la construction des projets structurants annoncés.

Mme Laurence Cohen . - Je soutiens complètement Alain Milon sur la question de l'AME. Il est important que la commission des affaires sociales dise les choses franchement.

Nous ne pouvons pas être étonnés du contenu des différentes missions que nous examinons ce matin : elles sont en cohérence totale avec le PLFSS 2022 que nous venons d'examiner.

Il existe un principe de réalité : nous sommes toutes et tous confrontés, dans nos territoires, à une catastrophe annoncée pour l'hôpital et la médecine de ville, dont on parle moins, mais qui est, elle aussi, sinistrée. Les recettes déployées pour alimenter les caisses de sécurité sociale sont insuffisantes. On continue d'exonérer à tour de bras, ce qui fait perdre des milliards d'euros à la sécurité sociale...

Nous devons être cohérents et chercher de nouveaux financements. Il faut changer les recettes qui ont été employées depuis vingt ans - cela date d'avant le quinquennat d'Emmanuel Macron. La logique de rustines est mauvaise : elle envoie l'hôpital et le système de santé dans le mur.

Mme Annie Delmont-Koropoulis , rapporteure pour avis . - Monsieur Milon, la commission a régulièrement réclamé - vous le premier - la compensation à l'euro près à l'assurance maladie par l'État du financement de Santé publique France. Nous avions adopté un amendement en ce sens pendant l'examen du PLFSS 2022.

Monsieur Jomier, effectivement, le basculement du financement des agences sanitaires à l'assurance maladie est une forme de détournement de la procédure budgétaire. Dans le cadre du PLFSS, nous n'avons aucune vision de la dotation envisagée, puisque l'assurance maladie ne dispose que de crédits évaluatifs. C'est l'État qui décide ensuite du montant de la dotation par arrêté, sans autorisation préalable du législateur.

La commission s'est toujours opposée au basculement de l'AME sur l'assurance maladie, pour la raison très simple que les bénéficiaires ne cotisent pas à celle-ci. L'AME constitue une aide humanitaire consentie au titre de la solidarité nationale, d'où sa place dans le budget de l'État.

M. Bernard Jomier . - La cotisation n'ouvre plus beaucoup de droits !

Mme Catherine Deroche , présidente . - C'est vrai, mais l'AME n'en reste pas moins un dispositif de prise en charge dérogatoire.

Contrairement à la commission des finances, qui a toujours voulu rattacher l'AME à l'immigration, nous plaidons pour que celle-ci reste une politique de solidarité portée par le budget de l'État.

Mme Annie Delmont-Koropoulis , rapporteure pour avis . - Je suis étonnée que la création du fonds de concours rattaché au programme 204 ne vous ait pas posé problème, parce que ce sont des millions d'euros qui partent de l'assurance maladie et transitent par Santé publique France sans faire l'objet d'aucun contrôle du Parlement. Pour ma part, ce procédé m'a choquée. Nous devrons y réfléchir. Même si elles visent à acheter des vaccins ou des masques, il n'est pas normal que ces sommes échappent à notre contrôle.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Santé ».

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