EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 3 NOVEMBRE 2021

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M. Laurent Lafon , président . - Nous examinons ce matin les crédits du projet de loi de finances pour 2022 relatifs à la recherche, à l'enseignement supérieur et au sport. Nous débutons par l'avis budgétaire consacré à la recherche.

Mme Laure Darcos , rapporteur pour avis des crédits de la recherche au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur » . - Le projet de loi de finances (PLF) pour 2022 constitue la deuxième marche budgétaire de la loi de programmation de la recherche (LPR), entrée en vigueur il y a près d'un an. Mon intention, dans cet avis, n'est toutefois pas de dresser un état des lieux de sa mise en oeuvre ; cela relève de la mission de contrôle que le président nous a confiée, à Stéphane Piednoir et à moi-même.

Je souhaite plutôt concentrer mon analyse sur l'Agence nationale de la recherche (ANR), devenue l'acteur clé de notre système de recherche, pour savoir si sa trajectoire financière exécutée en 2021 et prévue en 2022 correspond bien à celle que nous avions votée l'année dernière. Ainsi, sur les 5 milliards d'euros d'augmentation progressive du budget de la recherche publique entre 2021 et 2030, 1 milliard d'euros est destiné à l'Agence, dans l'objectif d'accroître son niveau d'intervention.

Jugeant la programmation proposée par le Gouvernement dans le cadre de la LPR à la fois trop longue - dix ans - et insuffisante sur les premières années, nous avions voté une programmation plus courte - sept ans - et plus ambitieuse. Bien que nous ayons dû accepter de la faire repasser à dix ans, afin de parvenir à un accord en commission mixte paritaire, nous avons obtenu du Gouvernement qu'il augmente son effort sur les deux dernières années du quinquennat, en intégrant à la programmation les crédits supplémentaires prévus dans le cadre du plan de relance.

La programmation inscrite à l'article 2 de la LPR prévoit ainsi un apport de plus de 400 millions d'euros à l'ANR en 2021. S'y ajoute une enveloppe de 100 millions d'euros pour la préservation de l'emploi de recherche et développement. L'exécution budgétaire pour 2021 montre le respect de la trajectoire programmée, puisque le budget d'intervention de l'ANR a progressé cette année de plus de 400 millions d'euros pour atteindre 1,19 milliard d'euros, soit un niveau inédit depuis la création de l'établissement en 2005.

Cette augmentation de moyens rend possible, dès cette année, l'atteinte de deux objectifs fondamentaux fixés par la LPR.

Le premier est le relèvement du taux de succès aux appels à projets. La LPR prévoit ainsi, entre 2021 et 2027, de porter ce taux à 23 %, puis à 30 %. Or, les résultats de l'appel à projets générique de l'ANR pour 2021 font état d'un taux de succès de 22,9 %. La cible de 23 % du premier palier est donc quasiment atteinte, ce dont je me félicite. Pour mémoire, au cours de la dernière décennie, on observait plutôt des taux compris entre 10 et 15 %.

Le second objectif est l'augmentation du taux de préciput, qui sert à couvrir les coûts indirects des projets de recherche. La LPR prévoit une nouvelle répartition du préciput entre les différentes parties prenantes et son relèvement de 19 % à 40 % à l'horizon 2027. Je me réjouis de constater que, dès cette année, la dynamique a été enclenchée, puisque le préciput atteint 25 % avec la ventilation suivante : 10 % pour la part « gestionnaire », contre 8 % en 2020, 13 % pour la part « hébergeur », contre 11 % en 2020, et 2 % pour la part « laboratoires » nouvellement introduite, soit un montant total de préciput de 170 millions d'euros, contre 100 millions en 2020. Je resterai toutefois très vigilante quant à l'évolution des crédits alloués directement aux laboratoires par le biais du préciput, le financement de la recherche française devant impérativement continuer à reposer sur le double pilier des crédits sur projets et des crédits de base.

L'exécution 2021 appelle une dernière remarque sur les 100 millions d'euros prévus pour la préservation de l'emploi en recherche et développement. Selon l'ANR, qui s'est vu confier la gestion de cette mesure, les premiers financements alloués atteignent à ce jour 54 millions d'euros. Le dispositif a connu un bon démarrage, mais la trajectoire de dépenses semble ralentir. Je n'ai malheureusement pas réussi à obtenir d'explications précises sur les raisons de cette décélération. Nous ne manquerons pas d'y revenir dans le cadre de notre travail de contrôle sur la LPR.

J'en viens maintenant à la trajectoire de l'ANR prévue dans le PLF pour 2022. Conformément à la LPR, ses moyens d'intervention continueront à progresser l'année prochaine grâce à un apport de 158 millions d'euros sur le programme 172 et de 142 millions d'euros au titre du plan de relance. . Ces financements supplémentaires doivent permettre à l'Agence de déployer son plan d'action 2022 et de poursuivre l'atteinte des objectifs fixés en termes d'amélioration du taux de sélection et d'augmentation du préciput. Malgré ce respect de la trajectoire, j'émets un bémol : comme l'année dernière, la coexistence de plusieurs supports budgétaires - programme 172, plan de relance - et le manque de précisions du bleu budgétaire rendent peu lisible la ventilation des apports de crédits.

Enfin, la LPR prévoit qu'au moins 1 % du budget d'intervention de l'Agence soit fléché sur le partage de la culture scientifique. Cette part de financement a trouvé, dès cette année, une traduction dans le lancement d'appels à projets spécifiques, l'incitation des bénéficiaires de financements de l'ANR à participer à des activités de transfert de connaissances vers les citoyens et la conclusion de partenariats avec des acteurs de l'audiovisuel public.

Signe que l'ANR s'est emparée de cette problématique, bien qu'il ne s'agisse pas de son coeur de métier, la promotion de la culture scientifique fait partie des objectifs de son plan d'action 2022, démarche que j'encourage pleinement. En effet, à l'heure où les fausses informations et les théories du complot circulent abondamment et font de plus en plus d'adeptes dans une société en perte de confiance, je crois urgent d'enrayer la perte de crédit de la parole scientifique, de refonder le rapport des citoyens à la rationalité scientifique et de développer la culture scientifique chez les plus jeunes.

La LPR peut être porteuse d'une dynamique en ce sens, plusieurs acteurs du secteur me l'ont confirmé. Sa première année de mise en oeuvre a déjà donné lieu à des concrétisations, dont certaines ont été mentionnées par la ministre la semaine dernière, par exemple les actions menées par l'ANR dans le cadre de sa politique d'appels à projets, la création de prix récompensant l'engagement en faveur de la médiation scientifique ou encore le lancement d'un appel à projets pour des courts métrages valorisant les femmes dans les métiers scientifiques.

Je regrette cependant que le rapport prévu par la LPR visant à dresser un état des lieux exhaustif des politiques menées en faveur de la culture scientifique n'ait pas été remis au Parlement, alors qu'il devait l'être dans les six mois suivant la promulgation de la loi. Sa transmission dans les délais aurait permis, dès cette année, de dresser le bilan des actions menées jusqu'alors et de servir de base à une refondation ambitieuse de la politique publique de la culture scientifique.

J'estime aussi indispensable de mettre des moyens à la hauteur des ambitions affichées. Le PLF pour 2022 consacre un peu plus de 20 millions d'euros à l'ouverture de la science vers la société dans le cadre du programme 172. Or je crains que ces financements soient davantage fléchés sur les transferts des résultats de la recherche vers le monde de l'entreprise qui, certes, sont un sujet très important, mais ne relèvent pas à proprement parler de la culture scientifique.

Je rappelle que celle-ci est régulièrement le parent pauvre du budget de la mission « Recherche et enseignement supérieur » (Mires). Depuis que je suis rapporteur pour avis, je pointe le trop faible soutien de l'État aux établissements publics de diffusion de la culture scientifique, alors que ceux-ci mènent des politiques très volontaristes et connaissent un grand succès public.

C'est pourquoi j'ai souhaité, cette année, mettre un coup de projecteur sur deux d'entre eux, Universcience et le Muséum national d'Histoire naturelle, dont j'ai rencontré les équipes. Ces deux établissements, aux statuts et tutelles différents, ont en commun d'être des acteurs clés du partage des savoirs scientifiques au plus grand nombre, reconnus pour leur histoire, l'exigence de leur démarche et leur rayonnement. Alors que la crise sanitaire a soulevé de nombreuses questions sur les relations entre sciences et société, ils sont plus que jamais convaincus de leurs missions, notamment expliquer la démarche scientifique, susciter le goût des sciences, développer l'esprit critique, tisser des liens entre scientifiques et non-scientifiques, susciter des vocations et donner des outils de compréhension du monde contemporain.

Cependant, l'ambition de leurs projets culturels et scientifiques se heurte à une équation financière délicate. Sur la dernière décennie, les subventions de l'État se sont caractérisées au mieux par une stabilisation, au pire par une diminution, les obligeant à compter sur leurs ressources propres de billetterie, de location d'espaces ou de mécénat, pour faire face à leurs besoins d'investissement, qui sont très importants. C'est finalement grâce à une gestion rigoureuse de leurs directeurs respectifs que les deux établissements se sont maintenus à flot, mais leur soutenabilité financière reste précaire, d'autant plus depuis la survenue de la crise sanitaire. Celle-ci a en effet eu une incidence très lourde sur leurs recettes commerciales, avec des pertes de l'ordre de 10 millions d'euros pour Universcience et de 42 millions d'euros pour le Muséum, en 2020 et 2021.

Dans ce contexte, Universcience a bénéficié, en 2021, d'un soutien de l'État sous plusieurs formes : 2 millions d'euros au titre de l'amorçage de la remise à niveau de sa subvention d'investissement, qui avait fortement baissé en 2017 et 2018, 13,7 millions d'euros de dotation exceptionnelle du plan de relance et 23 millions d'euros en investissement dans le cadre de la fin de gestion. Ces aides vont permettre à l'établissement de ne pas courir de risque de rupture de trésorerie à court terme, mais sa situation à moyen terme demeure fragile étant donné l'ampleur de ses besoins d'investissement. Le Muséum a reçu 4 millions d'euros d'aide de l'État, soit moins de 10 % des pertes envisagées, ce qui n'est pas de nature à lui redonner les marges de manoeuvre budgétaires nécessaires.

Si les deux établissements se réjouissent du retour progressif des flux de fréquentation et de billetterie au niveau d'avant crise, en particulier en période de vacances scolaires, ils se disent très inquiets du fait que les groupes scolaires ou associatifs demeurent les grands absents. C'est pourquoi j'appelle le ministère de l'enseignement supérieur, le ministère de l'éducation nationale et le ministère de la culture à travailler de concert pour trouver rapidement une solution : il y a urgence à éviter que toute une génération d'élèves ne soit privée de sorties culturelles scientifiques, que l'école est parfois la seule à assurer.

Compte tenu du respect de la trajectoire budgétaire fixée par la LPR et des hausses de crédits programmées pour 2022, je vous propose d'émettre un avis favorable sur l'adoption des crédits consacrés à la recherche de la mission « Recherche et enseignement supérieur » du PLF pour 2022.

M. Pierre Ouzoulias . - Je salue la qualité de votre rapport, qui montre que le Sénat poursuit son travail de suivi de ce budget. Il sera important de confirmer le respect des engagements du Gouvernement.

Face aux enjeux qui attendent la planète et l'humanité, certains pays ont investi massivement dans la recherche et la connaissance pour aborder la conversion climatique. C'est par exemple le cas de l'Allemagne, qui va consacrer 3,5 % de son PIB pour la seule recherche publique, alors que la France vise 3 % du PIB pour l'ensemble de sa recherche. De son côté, le Royaume-Uni consacrera plus de 1 % de son PIB à la recherche publique en faveur de la neutralité carbone. La recherche publique a un intérêt réel en matière de planification de la recherche, qui doit être appliquée et impliquée dans la conversion du système productif. Elle est un levier pour les entreprises soumises à la concurrence internationale.

Avec le dernier budget du quinquennat, ce Gouvernement n'aura pas pris la mesure de la nécessité d'un investissement massif dans la recherche. C'est une déception, car la France va prendre du retard dans une conversion dans laquelle d'autres pays se sont engagés. En raison de ce défaut total d'ambition du Gouvernement dans la recherche, le groupe CRCE ne votera pas l'adoption de ces crédits.

M. Max Brisson . - Je remercie à mon tour le rapporteur, dont je partage les conclusions avec les membres du groupe Les Républicains. Nous ne pouvons nier que l'effort est réel et que la trajectoire prévue est respectée. Comme Laure Darcos, je considère qu'il est important d'insister sur le développement de la culture scientifique si l'on pense que la raison doit l'emporter.

Même si nous avons pu progresser, grâce à votre travail, dans le décorticage d'emboîtements budgétaires complexes, l'imbrication de la LPR avec « France Relance » demeure particulièrement difficile à comprendre. Pour citer une ancienne ministre, quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup.

S'il faut saluer cette trajectoire, le constat reste que l'Allemagne dépose 15 % des brevets en Europe, contre 6 % pour la France. C'est dire le retard pris.

Je n'ai pas été convaincu par la réponse de la ministre sur l'articulation de la LPR et du plan de relance et, le 12 octobre dernier, le chef de l'État annonçait une nouvelle ambition avec le plan « France 2030 ». Quelle est l'articulation entre ce nouveau plan et le budget de l'État ?

Mme Monique de Marco . - Merci pour la clarté de votre rapport. J'approuve la nécessité de soutenir la culture scientifique.

Ce budget est en phase avec la LPR, contre laquelle nous avions voté. Nous pouvons certes saluer la dynamique initiée et le taux de succès de l'ANR, mais ce budget reste en deçà des besoins et confirme nos inquiétudes. On n'observe que 850 créations d'emplois sous plafond. Pour la majorité des opérateurs relevant du programme 172, comme le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), les emplois sous plafond stagnent voire baissent, alors que les emplois hors plafond progressent.

Ensuite, nous sommes réticents s'agissant du renforcement des appels à projets. L'ANR voit son budget augmenter de 17 %, bien plus que les financements de base des laboratoires. Mais ce mode de financement a ses risques : surcharge administrative, manque de visibilité, focalisation sur certains sujets et problèmes de méthodologie.

Par ailleurs, quelle logique conduit au maintien du crédit d'impôt recherche (CIR) ? Cette niche fiscale se monte à plus de 7 milliards d'euros, c'est-à-dire autant que le programme 172, mais son fonctionnement est opaque et son utilité discutée. Ainsi, certaines entreprises en ont bénéficié alors qu'elles ont supprimé des emplois de recherche et développement. Pourriez-vous nous donner des éclaircissements à ce sujet ?

Pour conclure, dans le prolongement de notre vote sur la LPR, le GEST votera contre l'adoption de ces crédits.

M. Bernard Fialaire . - Je salue à mon tour la clarté de l'exposé dans un domaine pourtant complexe.

Ayant voté pour la LPR, et pour une fois que les engagements sont tenus, voire dépassés, avec le plan de relance, nous voterons pour ce budget.

M. Lucien Stanzione . - Félicitations pour ce rapport concis et précis. Le groupe SER relève néanmoins des manques au niveau budgétaire, c'est pourquoi il s'abstiendra.

Mme Laure Darcos , rapporteur pour avis . - Une précision préliminaire : en tant que rapporteur pour avis, mon rôle n'est pas de faire une analyse exhaustive des crédits - c'est la mission de la commission des finances, mais de mettre en lumière des sujets spécifiques, en l'occurrence cette année la situation financière de l'ANR et la culture scientifique.

Dans la continuité de notre travail de rapporteurs au fond et pour avis sur la LPR, nous poursuivons, avec Jean-François Rapin, le suivi scrupuleux de la trajectoire budgétaire programmée.

En écho à ce qu'a dit Pierre Ouzoulias sur l'avancée prise par nos voisins européens, avec l'irruption de la crise sanitaire, j'estime qu'il aurait dû y avoir un sursaut national bien plus puissant. Par exemple, lors d'une réunion de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), les représentants des académies de médecine et des sciences ont confirmé que l'ARN messager était étudié dans nos laboratoires depuis 1995 ! Cependant, les gouvernements successifs et les laboratoires privés n'ont pas voulu le développer faute de rentabilité. Nous avons d'excellents scientifiques, mais ne pouvons pas les retenir et ne leur donnons pas les moyens de travailler dans de bonnes conditions.

Sur le CIR en revanche, Monique de Marco, nous sommes en désaccord : la recherche publique et privée ne s'opposent pas, bien au contraire, elles se stimulent l'une et l'autre.

Il est vrai que l'ambition nationale en matière de recherche n'est pas au rendez-vous. Mais, il faut reconnaître que cette deuxième année de mise en oeuvre de la LPR est bien conforme à la programmation votée, avec un bémol toutefois : la difficulté à s'y retrouver entre les différents supports budgétaires.

Enfin, on l'a vu lorsque nous avons auditionné la ministre Frédérique Vidal : la publication des décrets d'application a pris beaucoup de retard, empêchant le déploiement de certains nouveaux dispositifs et alimentant les critiques L'effet d'embouteillage du guichet unique de Bercy est à cet égard fort dommageable.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la recherche au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur ».

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