II. LE LOGEMENT EN OUTRE-MER : UNE IMPULSION BUDGÉTAIRE BIENVENUE, DES DIFFICULTÉS STRUCTURELLES QUI DEMEURENT

A. CONSTRUCTION, RÉHABILITATION, LUTTE CONTRE L'HABITAT INDIGNE : TROIS ENJEUX FORTS, POUR DES RÉSULTATS DURABLEMENT DÉCEVANTS

Les besoins en logements des Drom sont considérables. C'est pour faire face à ces besoins et aux spécificités des territoires ultramarins que l'ensemble des crédits en faveur du logement ont été rassemblés au sein d'une LBU en 1987, pilotée directement par le ministère des outre-mer. La LBU intervient dans le cadre d'actions diverses et complémentaires visant notamment à soutenir les besoins en ingénierie, à financer la construction de logements sociaux, à soutenir l'accession sociale à la propriété, la rénovation du parc de logements et la lutte contre l'habitat indigne12(*).

Source : CAE, d'après les données DGOM et USH

La rapporteure a souhaité mettre en exergue trois enjeux pour lesquels, malgré les efforts des acteurs du logement et les crédits alloués, souvent non entièrement consommés, les résultats demeurent insatisfaisants.

Le premier enjeu est celui de la construction. Fin 2022, le parc total de logements sociaux dans les Drom comprend 178 083 logements13(*). Ce chiffre est insuffisant dans un contexte où 80 % des ménages ultramarins sont éligibles au logement social, et 70 % au logement très social (contre 36 % de la population hexagonale). Selon la DGOM, le besoin annuel en logements sociaux est estimé pour les Drom entre 8 600 et 10 400 logements. L'Union sociale pour l'habitat (USH) estime le déficit global de logements sociaux à plus de 110 00014(*). Il faudrait donc près de 290 000 logements sociaux pour répondre convenablement à la demande des ménages ultramarins15(*).

Or, là où le plan logement outre-mer (Plom) prévoyait la construction et la rénovation de 10 000 logements par an et où la loi EROM16(*) fixait comme objectif la construction et la réhabilitation de 150 000 logements entre 2017 et 2027, le rythme de construction poursuit son effondrement, atteignant en 2022 un point bas historique avec seulement 2 729 logements livrés.

Source : DGOM

Malgré une deuxième mouture du Plom pour les années 2019 à 2022, et prolongée pour 2023, censée venir corriger la centralisation excessive de la première version et mieux prendre en compte la diversité des besoins et des situations locales, on observe une tendance lourde au déclin de la construction de logements sociaux en outre-mer, confirmée par les multiples baisses des CP de la LBU, faute de consommation des AE.

Certes, il est important de ne pas négliger les profonds impacts de la crise sanitaire puis de l'inflation sur le secteur de la construction. Les contributions écrites adressées à la rapporteure font état d'une augmentation des coûts de construction de l'ordre de 15 à 20 %, ce qui justifie d'autant plus l'évolution à la hausse des crédits de la LBU. Cependant, il convient aussi de noter que la tendance au déclin de la construction s'observe désormais à l'échelle d'une décennie.

Source : commission des affaires économiques,
d'après les données DGOM

Le deuxième enjeu est celui de la réhabilitation du parc de logements existant. Cet enjeu est devenu de plus en plus prégnant, à mesure que les trajectoires démographiques des territoires d'outre-mer divergeaient. Aux besoins considérables en construction des territoires démographiquement dynamiques tels que la Guyane ou encore Mayotte, les questions de réhabilitation de quartiers entiers menaçant d'être déqualifiés, notamment en centres-villes, mais aussi de l'adaptation des logements au vieillissement, se sont fait jour dans des territoires tels que la Martinique et la Guadeloupe, au sein desquels on observe un bouleversement de la pyramide des âges. Un rapport du Sénat de mai 2023 souligne qu'en 2050, la Martinique sera la collectivité la plus âgée de France, avec une part des personnes âgées de 65 ans et plus de 42,3 % de la population, contre 16,9 % en 201317(*).

Là encore, exception faite de l'année 2021 où 7 230 réhabilitations ont été financées, et dont on peine encore à observer la livraison effective, on assiste, comme pour la construction, à un écart entre logements financés et logements effectivement livrés. In fine, depuis 2011, le total des réhabilitations plafonne autour de 2 000 par an, très en deçà des besoins et à l'heure où les deux tiers du parc de logement ont plus de 20 ans.

Enfin, troisième enjeu de taille, qui recoupe en partie la question de la réhabilitation et de la rénovation des logements, la question du logement indigne demeure centrale dans certains territoires d'outre-mer. En 2022, suite à une l'évaluation conduite par la DGOM sur la mise en oeuvre de la loi Letchimy du 23 juin 201118(*), le nombre de logements en situation d'indignité a été réévalué de 68 000 à près de 150 00019(*).

À ce titre, la résorption de l'habitat indigne doit être une priorité du Gouvernement en Outre-mer, comme elle le fut par le passé pour l'hexagone. La Fondation Abbé Pierre identifie 600 000 personnes en situation de mal-logement ou confrontées à l'absence de logement personnel, soit près de trois habitants ultramarins sur 1020(*).


* 12 Les crédits de la LBU sont complétés par des dispositions fiscales visant à équilibrer les opérations des bailleurs sociaux.

* 13 Réponse au questionnaire budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2024.

* 14 Contribution écrite.

* 15 Le nombre de demandes de logement en attente dans les Drom fin 2023 s'élève à 79 370, avec un délai moyen d'attente pour d'attribution allant de 11 mois en Guadeloupe à 18 mois en Martinique.

* 16 Article 3 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.

* 17 Rapport d'information fait au nom de la commission des affaires sociales sur le vieillissement de la population en Martinique, par Mmes Catherine Deroche, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, Colette Mélot et M. Philippe Mouiller.

* 18 Loi n° 2011-725 du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer.

* 19 Ces chiffres s'expliquent d'une part par un meilleur recensement dans le cadre des plans communaux et intercommunaux de lutte contre l'habitat indigne et, d'autre part, par le phénomène actuel de « bidonvilisation » observable en Guyane et à Mayotte (contribution USH). On dénombre officiellement 38 000 logements indignes à Mayotte, 37 000 en Guyane et 32 000 en Martinique.

* 20 Fondation Abbé Pierre, Agir contre le mal-logement dans les départements et territoires d'outre-mer, 2023.

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