EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 29 novembre 2023, la commission a examiné le rapport pour avis de Mme Martine Berthet sur les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État » du projet de loi de finances pour 2024.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous examinons ce matin les crédits du compte d'affectation spéciale (CAS) « Participations financières de l'État ».

Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - Cette année 2023 a été marquée par l'achèvement d'une opération structurante pour l'État actionnaire : la finalisation du rachat de 100 % du capital d'EDF, annoncé en juillet 2022. Nous pouvons nous réjouir que l'État actionnaire garde dans son giron le plus proche les entreprises les plus stratégiques pour sa souveraineté, surtout lorsqu'elles sont confrontées, comme EDF, à des défis immenses. L'année 2023 a aussi été marquée par la poursuite du redressement de la situation financière d'Air France-KLM. L'entreprise a remboursé en avril l'intégralité des 320 millions d'euros d'aides versées par l'État pour faire face à la crise sanitaire.

La valorisation du portefeuille coté de l'État actionnaire a retrouvé un niveau satisfaisant par rapport aux niveaux constatés après la crise sanitaire. Les entreprises publiques étaient largement en décrochage par rapport au CAC 40. Mais cela va beaucoup mieux depuis mars 2022. Depuis novembre dernier, le portefeuille de l'État actionnaire a même été légèrement plus performant que le CAC 40 - + 9,5 %, contre + 9 %.

Concernant la doctrine de l'État actionnaire, le commissaire aux participations de l'État a confirmé les priorités identifiées en 2021, à savoir la prise en compte de la souveraineté économique et la ré-industrialisation, la prise en compte des exigences environnementales ainsi que l'accompagnement des évolutions numériques. Nous pouvons saluer le fait que l'axe « Soutien aux entreprises frappées par la crise » soit abandonné, trois ans après la crise sanitaire où l'État actionnaire a opéré plusieurs sauvetages.

Au gré de mes auditions, j'ai pu constater que l'Agence des participations de l'État (APE) mène une politique plutôt volontariste auprès des entreprises de son portefeuille, en matière de valorisation de leur performance et de responsabilité sociale et environnementale.

Toutes ces évolutions sont à saluer, mais elles appellent plus que jamais à une mise à jour de la doctrine officielle de l'État actionnaire par le Gouvernement : celle de 2017, qui allait vers un désengagement progressif de l'État, est totalement obsolète. Certes, l'APE se fixe des objectifs, mais le Gouvernement doit fixer un cap clair.

Bien sûr, les critiques que nous réitérons chaque année sont toujours valables. Mais elles concernent un volet plus budgétaire, plus comptable. J'ai estimé que les progrès accomplis sur le plan économique, sur les questions de souveraineté particulièrement, justifiaient un avis favorable de notre part. Le formalisme comptable et budgétaire est une autre affaire.

Je vous rappelle toutefois les principaux points d'attention.

D'une part, 98 % des recettes du compte d'affectation spéciale proviennent du budget général. Cela détourne le CAS de sa raison d'être, qui est de financer des opérations en capital, au moyen des recettes d'autres opérations en capital. Cependant, dans un contexte plus propice aux nationalisations qu'aux privatisations, il faut bien trouver des sources de financement !

D'autre part, les deux tiers des dépenses du CAS viennent alimenter la caisse de la dette publique, pour contribuer de façon totalement artificielle au désendettement. C'est un pur effet d'affichage, et cela détourne aussi le CAS de sa raison d'être.

Enfin, je tiens à souligner que l'information du Parlement sur les opérations en capital est toujours aussi lacunaire. Je le conçois, il faut garder certaines opérations stratégiques confidentielles, afin de ne pas renchérir ou faire chuter le prix des actifs sous l'effet des annonces. Mais le Gouvernement ne doit pas maintenir le Parlement dans l'ignorance. Des outils existent pour allier confidentialité et information du Parlement ; je pense, par exemple, aux auditions à huis clos, sans compte rendu.

Autre source de manque d'information : la difficile évaluation des crédits, qui pousse le Gouvernement à sur-doter le compte d'affectation spéciale, entraînant des reports. Ce n'est pas tant un problème budgétaire qu'un problème de portée de l'autorisation parlementaire. Pour 2024 par exemple, plus de 1,5 milliard d'euros de crédits pourront être mobilisés pour financer des opérations relevant du périmètre de l'APE, mais ils ont été approuvés par le Parlement en... 2022 ! Et ils ont été constamment reportés depuis, en raison d'une opération confidentielle non réalisée.

C'est pourquoi j'ai fortement insisté auprès du nouveau commissaire aux participations de l'État sur la nécessité de revenir devant le Parlement, sans attendre l'examen du prochain budget, afin de s'expliquer si des opérations en capital sont menées dans un futur proche. Ma demande a été bien accueillie : attendons de voir si elle sera effectivement mise en oeuvre.

C'est pourquoi je propose un avis favorable à l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », principalement pour souligner le fait que les priorités identifiées pour l'État actionnaire vont dans le bon sens, celui de la préservation de la valeur d'entreprises essentielles à la souveraineté de la France. C'est une politique qu'il convient désormais de formaliser et de partager davantage avec le Parlement.

M. Franck Montaugé. - Merci pour ce travail. Un sujet n'est pas du tout pris en compte dans ce CAS : la situation particulière de l'entreprise Atos, qui engage, d'une certaine manière, la question de la souveraineté nationale en matière de sécurité et de process sur des enjeux d'avenir, comme les supercalculateurs et le quantique. L'entreprise est en passe d'être rachetée, les conséquences potentielles pour l'avenir industriel de notre pays sont vertigineuses. Une solution temporaire de nationalisation pourrait nous donner le temps de réfléchir à la bonne stratégie nationale compte tenu de la situation de l'entreprise aujourd'hui. Je proposerai un amendement en ce sens.

M. Fabien Gay. - Si on l'analyse sur le long cours, le CAS « Participations financières de l'État » dégringole. Une seule grosse entreprise - EDF - a été ré-étatisée et les autres ne sont que des participations dans quelques grandes entreprises, dont on ne sait pas bien pourquoi l'État y siège ni quel est son rôle en tant qu'actionnaire. Notre groupe considère que l'État ne peut pas agir comme un actionnaire privé. Nous considérons que cela relève d'une stratégie, pour arracher une entreprise aux griffes du marché.

Avec sa participation dans Renault par exemple, que fait l'État ? On l'entend peu ou pas sur les choix stratégiques qu'il y aurait à faire, comme les relocalisations, la sauvegarde des emplois ou des savoir-faire.

Dans ce contexte, pourquoi l'État participe-t-il encore à ces grandes entreprises ? Nous devons poser cette question. Dans certains domaines stratégiques, comme les médicaments, cette participation se justifie, la crise du covid-19 qui a mis notre pays en difficulté nous l'a bien rappelé.

Je serai clair : l'APE aujourd'hui se limite quasiment à EDF, ce qui ne va pas dans le bon sens. On souhaite une renationalisation, mais pas une ré-étatisation. À cet égard, que compte faire l'État ? L'entreprise va-t-elle être scindée en plusieurs entités ? L'accord récent entre l'État et EDF pour fixer à 70 euros le prix du mégawattheure ne permettra pas à EDF de faire face aux dépenses prévues, soit 65 milliards d'euros pour le désendettement, 50 milliards pour le Grand Carénage, et 50 milliards pour les réacteurs pressurisés évolutifs de nouvelle génération (EPR2 - Evolutionnary Power Reactor). C'est un défi à hauteur de 165 milliards d'euros que l'État actionnaire demande à EDF de relever en investissant lourdement. Je crains que, dans quelques années, on nous annonce qu'EDF n'y arrive pas et doive être démantelée. Le Gouvernement doit donc nous dire ce qu'il compte faire d'EDF.

Nous voulons renationaliser tout le secteur énergétique, TotalEnergies et Engie. D'ailleurs, la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) a permis de réduire les dernières participations de l'État au capital d'Engie - nous étions les seuls à nous y être opposés - et la crise du gaz sur le marché européen, où nous n'avons plus aucun administrateur d'État, rend la question de sa renationalisation légitime.

Nous déposerons nous aussi un amendement visant à renationaliser de manière temporaire Atos, je rejoins les arguments de mon collègue Franck Montaugé. Nous pouvons au moins tous nous accorder sur le fait que l'on ne peut pas laisser cette entreprise stratégique être démantelée financièrement.

Vous l'aurez compris, nous sommes en désaccord complet avec la stratégie gouvernementale et donc nous ne voterons pas les crédits de la mission.

Mme Viviane Artigalas. - Je crois qu'on n'a aucune visibilité parce que l'État n'a plus aucune stratégie dans ce domaine. On pourrait ajouter l'industrie spatiale aux domaines déjà mentionnés par mes collègues. Ce programme pourtant devrait témoigner d'une vraie stratégie, globale, de l'État sur des secteurs clés de notre souveraineté.

M. Daniel Salmon. - L'État a investi 9,7 milliards d'euros pour étatiser EDF, ce qui ne résout en rien l'endettement de 65 milliards. Nous sommes devant un mur d'investissements de 25 milliards d'euros par an au bas mot, pendant plusieurs années et n'avons aucune visibilité sur l'avenir du groupe.

Par ailleurs, le groupe Atos, crucial pour notre souveraineté, en étant très impliqué dans les logiciels pour l'armée et les centrales nucléaires, attise, à l'heure actuelle, les convoitises d'investisseurs étrangers. Que fait l'État ? L'État stratège s'est désengagé depuis de nombreuses années, même si l'on constate un léger rebond en matière d'engagement. Or on a besoin d'une vision stratégique, qui nous engage vers la transition écologique et pas de saupoudrages occasionnels. En conséquence, nous ne voterons pas ces crédits.

M. Alain Chatillon. - Pour avoir fait ce rapport pendant une dizaine d'années, je suis surpris qu'il soit aussi bref et qu'il ne comporte pas de détails concrets, société par société, sur leur activité ou les résultats. Dans la mesure où l'État a investi beaucoup d'argent, il me semble important de savoir quelles sociétés méritent de bénéficier de crédits.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - En réponse aux questions de M. Montaugé et de M. Gay, je vous informe que, avec le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Cédric Perrin, nous avons eu une réunion sur la question d'Atos. Nous organiserons vraisemblablement dès le début de 2024 une première audition commune du directeur d'Atos. Il appartiendra ensuite à nos deux commissions de voir comment nous poursuivrons nos travaux. Notre commission peut en effet demander à se voir octroyer les pouvoirs d'une commission d'enquête ou choisir, comme le suggérait Fabien Gay dans son courrier, d'instituer une mission flash avec deux co-rapporteurs, un au nom de la majorité et un au nom de l'opposition.

Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - Personne ne nie l'aspect stratégique de l'entreprise Atos. Le commissaire des participations de l'État que j'ai interrogé sur ce sujet m'a indiqué qu'aucune opération particulière n'était prévue pour le moment sur Atos. On sait simplement qu'environ 1,8 milliard d'euros sont prévus pour des opérations en capital relevant du périmètre de l'APE, qui restent aujourd'hui confidentielles.

Je vous propose d'adopter les crédits pour obtenir plus d'informations. Je note des avancées par rapport aux années précédentes sur ce qui est mis en oeuvre par l'APE par exemple, au niveau d'EDF, de la mise à disposition de terrains non utilisés, de l'engagement en matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ou de décarbonation, etc. Cependant, le Gouvernement ne nous donne pas de stratégie claire.

Le portefeuille de l'État actionnaire comprend Renault, Orange, Air France, la SNCF, l'aéronautique, la défense, des valeurs stratégiques. Je n'ai parlé que de l'évolution globale, mais des données supplémentaires se trouvent dans le rapport.

La vente, entre autres, des actions Oceane a permis de consolider les fonds propres d'EDF et d'être bien notée en vue des investissements massifs qui devront être faits dans les prochaines années.

En résumé, les orientations de l'État font défaut, mais, je le répète, on constate des avancées de l'APE dans ses interventions à l'égard des entreprises stratégiques. Notez qu'il y a peu de mouvements en ce moment, la stratégie actuelle étant de conserver les entreprises dans le giron de l'État. Une opération de cession d'actifs à hauteur de 45 millions d'euros est prévue, mais nous n'aurons pas de précision sur ce sujet avant le printemps.

M. Alain Chatillon. - J'aimerais savoir ce que vous a dit le président de l'Agence : quelles sont les stratégies, quels sont les résultats de chaque société par rapport à leur chiffre d'affaires, quels sont les investissements à venir ; en somme, tous ces éléments contribuent à analyser un budget. Or nous n'avons pas d'informations. Je peux voter des crédits quand je dispose des chiffres et que je connais les objectifs assignés aux sociétés. En l'espèce, je ne voterai pas ces crédits. D'ailleurs, combien y a-t-il de sociétés aujourd'hui ?

M. Fabien Gay. - Quoi que l'on pense les uns ou les autres, on ne peut pas accepter d'entendre qu'il va y avoir une opération à 45 millions, sans savoir de quoi il s'agit. Comment décider avec si peu d'informations ? Je crois que l'État a une stratégie : le laisser-faire et le laisser-vendre, contrairement à ce qui est dit. Rappelez-vous Alstom. On a laissé de grandes entreprises être démantelées, y compris par le biais de participations financières d'États étrangers.

Madame la rapporteure, vous nous donnez une liste de groupes, mais si l'État actionnaire s'y conduit comme un partenaire privé, cela nous conduit à nous interroger. On le voit pour les stratégies en matière d'emplois : l'État n'est pas protecteur, et accepte de larges plans de licenciement ou de délocalisation. Nous voterons donc contre les crédits.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je rappelle que la rapporteure émet un avis favorable sur les crédits de ce CAS pour souligner le fait que les priorités identifiées pour l'État actionnaire vont dans le bon sens, celui de la préservation d'entreprises essentielles à la souveraineté de la France.

M. Franck Montaugé. - Notre groupe s'abstiendra.

Mme Anne-Catherine Loisier. - J'aimerais savoir si des amendements sont proposés.

Mme Martine Berthet, rapporteure pour avis. - Le rapporteur spécial a déposé un amendement sur les crédits qui transitent du budget général pour alimenter la caisse de la dette publique.

Mme Amel Gacquerre. - Je m'abstiendrai pour toutes les raisons évoquées.

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

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