EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 29 NOVEMBRE 2023

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M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons d'abord ce matin l'avis budgétaire préparé par Claude Kern sur les crédits relatifs à l'action culturelle extérieure de l'État.

M. Claude Kern, rapporteur pour avis des crédits relatifs à l'action extérieure de l'État. - Les crédits du programme 185 finançant la diplomatie culturelle et d'influence s'élèvent dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 à 805,9 millions d'euros, soit une hausse de 8,3 % et de 62 millions d'euros par rapport à l'année passée. Les dépenses de fonctionnement et d'intervention sont portées à 721 millions d'euros, en hausse de 7,5 %.

Comme vous le savez, le Président de la République a annoncé en 2018 vouloir doubler les effectifs des élèves du réseau de l'enseignement français à l'étranger (EFE) pour atteindre 700 000 élèves en 2030. Personnellement, je suis très circonspect, depuis plusieurs années, sur la faisabilité de cet objectif et, malheureusement, l'évolution des effectifs du réseau me donne pour le moment raison. Mme Claudia Scherer-Efosse, directrice de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), admet elle-même que cet objectif est « extrêmement ambitieux ». Par rapport à la rentrée 2022, le nombre d'enfants scolarisés dans le réseau à la rentrée 2023 n'a progressé que de 1 %. Cette faible hausse est d'ailleurs portée principalement par les élèves de nationalité tierce, c'est-à-dire des élèves qui n'ont ni la nationalité française ni la nationalité du pays d'implantation de l'établissement. Actuellement, deux tiers des élèves de l'enseignement français à l'étranger n'ont pas la nationalité française ; ils devraient être plus de 80 % à l'horizon 2030.

Le « Cap 2030 » de doublement des effectifs dans le réseau a pourtant été réaffirmé le 3 juillet 2023 lors des conclusions des consultations sur l'EFE. On peut d'ailleurs s'interroger sur les conséquences du décalage entre les objectifs fixés au plus haut sommet de l'État et la réalité du terrain. Si la subvention de l'AEFE augmente bien de 8 millions d'euros dans le budget pour 2024, cette hausse servira uniquement à financer la moitié des coûts engendrés par la refonte du statut des personnels détachés.

En effet, à la suite d'un récent contentieux, l'État est désormais tenu de financer le déménagement et les frais de transport des fonctionnaires détachés à l'étranger et de leurs ayants droit. La somme de ces mesures correspond à 30 millions d'euros sur deux années. Pour l'exercice 2024, les surcoûts liés à la revalorisation du point d'indice et à l'inflation sont quant à eux internalisés et financés sur les fonds propres de l'AEFE.

Je regrette les difficultés de recrutement des enseignants détachés dans le réseau en raison des refus de détachement de la part des académies. C'est la conséquence directe de notre difficulté actuelle à recruter des enseignants sur le territoire national. Il faut avoir à l'esprit qu'à la rentrée 2023, 230 postes étaient vacants sur l'ensemble du réseau, un nombre multiplié par deux depuis l'année dernière. En conséquence, de plus en plus de personnels français sont désormais recrutés sur des contrats locaux, ce qui constitue une aberration.

J'en viens à un autre opérateur de l'État en matière de diplomatie d'influence : Campus France. Sa subvention pour charge de service public s'élève pour 2024 à 87 600 euros, en augmentation de presque 10 %.

Entre 2011 et 2021, le nombre d'étudiants étrangers en France s'est accru de 30 %. L'année 2022 a été marquée par la reprise des mobilités étudiantes dans un contexte de relance post-covid - à l'exception de la Chine, pour lequel le vivier d'étudiants reste encore très faible. En 2022, le nombre total de visas pour études délivrés surpasse même son niveau d'avant la crise sanitaire, avec plus de 108 000 visas délivrés. La stratégie interministérielle Bienvenue en France a fixé, en 2019, l'objectif d'un demi-million d'étudiants étrangers accueillis en France en 2027, contre 325 000 en 2017, et de 15 000 bourses d'études octroyées à l'horizon 2027. Dans le PLF 2024, le poste « bourses de mobilité étudiants étrangers en France » connaît également une augmentation des crédits de 6 millions, pour atteindre 70,1 millions d'euros. La hausse de cette enveloppe permettra notamment de financer un plus grand volume de bourses, qui s'adresseront en priorité à des profils qualifiés sur des secteurs en tension.

Lors de son audition et dans les divers documents budgétaires, le ministère des affaires étrangères nous promet un « réarmement » du réseau culturel extérieur, composé des Services de coopération et d'action culturelle (SCAC), des Instituts français et des Alliances françaises. Si les crédits budgétaires augmentent effectivement, nul ne peut penser que dix équivalents temps plein (ETP) supplémentaires suffiront à réarmer le réseau culturel de la France. Si les dotations destinées aux Instituts français augmentent de 8,2 millions d'euros par rapport à l'an passé, la subvention pour charges de service public de l'Institut français demeure strictement stable.

Je tiens à alerter sur les grandes difficultés que connaissent plusieurs Instituts français. Au 31 décembre 2022, six d'entre eux avaient un fonds de roulement inférieur ou égal à la norme prudentielle de 60 jours : Chypre, Koweït, Japon, Jordanie, Jérusalem et l'Institut français de recherche en Allemagne. Pour rappel, ils n'étaient que trois fin 2021.

Du côté des alliances françaises, le soutien financier du ministère des affaires étrangères est globalement stable depuis deux ans. Pour 2024, la subvention qui leur est octroyée augmente néanmoins de 1,5 million d'euros. Les ressources propres des Alliances françaises approchent 200 millions d'euros, et leur taux d'autofinancement est de près de 95 %.

Les réseaux de diplomatie culturelle et d'enseignement français à l'étranger s'adaptent continuellement au contexte géopolitique de leur territoire d'implantation. C'est particulièrement vrai en temps de guerre. J'ai donc souhaité évoquer la situation particulière des réseaux dans deux zones de conflit mondial : l'Ukraine et le Proche-Orient.

Avant-guerre, le dispositif en Ukraine reposait sur l'Institut français d'Ukraine ; huit Alliances françaises, dont deux fermées depuis l'invasion russe du Donbass en 2014, et trois établissements d'enseignement français homologués. Ce dispositif s'appuyait sur 15 agents sous plafond d'emploi ministériel. L'Institut français d'Ukraine employait par ailleurs 19 agents de droit local. Aujourd'hui, le service de coopération et d'action culturelle de l'ambassade ne se compose plus que d'un conseiller de coopération et d'action culturelle et d'un attaché humanitaire. La situation de guerre a imposé de redéfinir les missions du dispositif d'action culturelle, qui incluent désormais un soutien à la société civile via l'aide humanitaire et la formation en France d'enquêteurs, policiers et procureurs ukrainiens. Un soutien à la mobilité étudiante est également apporté.

L'Institut français d'Ukraine a dans un premier temps su préserver un certain nombre de ses missions initiales : enseignement de la langue française, certifications linguistiques, médiathèques, promotion des études en France. Il a ensuite adapté un certain nombre de ses activités en fonction du contexte de guerre qui a fait apparaître de nouvelles demandes des partenaires ukrainiens. C'est le cas de la formation continue des professeurs de français, qui a désormais lieu en France et en Pologne. L'établissement a lancé de nouvelles coopérations, comme la formation des magistrats ukrainiens à l'école nationale de la magistrature ou la formation de conservateurs et restaurateurs en France afin de protéger les oeuvres des musées ukrainiens. Actuellement, les six Alliances françaises d'Ukraine continuent leurs activités d'enseignement en distanciel et fonctionnent en mode dégradé. Leurs locaux sont tous intacts à ce jour, à l'exception de ceux de l'emprise de Lviv, pour laquelle des aménagements sont nécessaires à la suite de leur occupation durant cinq mois par l'ambassade. Il n'est pas prévu à ce jour de recruter de nouveau des directeurs d'Alliances françaises expatriés à Dnipro, Lviv et Kharkiv.

Le dispositif d'enseignement français en Ukraine comprenait trois établissements qui scolarisaient 765 élèves à la rentrée 2021, dont 114 Français. Depuis l'offensive russe de février 2022, l'école française privée d'Odessa a fermé ses portes. Les deux autres établissements, l'école française internationale de Kiev et le lycée Anne de Kiev, sont demeurés fonctionnels, en présentiel ou en distanciel, lorsque les contraintes sécuritaires et énergétiques l'imposaient. Le lycée Anne de Kiev a rouvert ses portes avec 62 élèves à la rentrée 2022, un effectif qui a d'ailleurs doublé à la rentrée dernière. L'école française internationale de Kiev scolarise 110 élèves, contre 154 avant-guerre.

D'autre part, dans le conflit de haute intensité qui a éclaté plus récemment au Proche-Orient, les infrastructures culturelles françaises sont également au premier plan. Comme vous le savez, le 3 novembre dernier, l'Institut français de Gaza a été touché par une frappe israélienne. Le personnel, heureusement, ne se trouvait pas dans le bâtiment ; il avait déjà été évacué vers le sud de la bande de Gaza. Neuf agents de droit local qui y travaillaient et leur famille ont quitté Gaza par le poste-frontière de Rafah et sont actuellement en France en attente de régularisation de leur situation. L'institut franco-allemand de Ramallah reste fermé, en coordination avec la représentation diplomatique allemande. Notre poste diplomatique travaille à faciliter une réouverture limitée en journée, uniquement pour les cours de langue. À Jérusalem-Est et Ouest, les structures ont rouvert. L'Alliance française de Bethléem poursuit ses activités en mode dégradé, la moitié des cours étant annulés. Des professeurs locaux ont par ailleurs été recrutés à la suite du départ des volontaires internationaux.

Le dispositif en Israël compte un SCAC, l'Institut français d'Israël à Tel-Aviv, avec deux antennes à Haïfa et Nazareth, et un Institut français de recherche à Jérusalem. Tout le dispositif est resté ouvert, à l'exception de l'antenne de Nazareth, du fait de la sécurisation défaillante des locaux. Les cours de langue ont repris le 22 octobre en modalité hybride, c'est-à-dire en présentiel et distanciel. L'activité reste perturbée et soumise aux restrictions locales de limitation des regroupements de personnes. Les six établissements d'enseignement français dans la zone, quatre en Israël, un à Jérusalem et un à Ramallah, se sont conformés aux recommandations des autorités éducatives locales concernant les modalités d'enseignement, en distanciel et présentiel. Le contexte sécuritaire a engendré un départ important d'élèves à l'étranger : jusqu'à un tiers des effectifs pour certains établissements. Un soutien d'écoute et psychologique a été proposé à toutes les familles, ainsi qu'aux personnels.

Voilà, mes chers collègues, les éléments de constat et d'appréciation que je souhaitais porter à votre connaissance. Compte tenu du renforcement des crédits dédiés à la diplomatie d'influence et tout en continuant d'affirmer que l'objectif de doublement ne me paraît pas réalisable en l'état actuel, je propose à la commission d'émettre un avis favorable sur l'adoption des crédits du programme 185 du PLF pour 2024.

M. Yan Chantrel. - Merci, monsieur le rapporteur, pour votre excellent rapport.

Ce programme spécifique me semble présenter deux versants : un versant lumineux et un versant sombre.

Le premier est marqué par une réelle augmentation du budget, principalement en lien avec notre réseau culturel, les instituts français, les alliances françaises... Ces dernières, vous l'avez souligné, s'autofinancent à hauteur de 95 % grâce aux cours qu'elles dispensent. L'État joue donc un rôle réduit dans leur financement.

Le versant sombre concerne, quant à lui, le budget lié à l'AEFE. Le Gouvernement a fixé l'objectif d'un doublement du nombre d'élèves dans le réseau. Celui-ci a été fixé après une baisse draconienne du budget, lors de l'arrivée au pouvoir du Président Macron, d'un peu plus de 30 millions d'euros. Cette dernière a été compensée quelques années plus tard, mais a nettement porté préjudice à l'AEFE, qui en subit encore les contrecoups. La problématique qui est la nôtre consiste à trouver comment atteindre cet objectif de doublement des effectifs, sans profiter d'un doublement des moyens de l'agence. Autrement dit, comme M. le rapporteur l'a bien souligné, moins de compatriotes vont profiter de ces enseignements.

Nous assistons par ailleurs à une privatisation accélérée du réseau : la part d'établissements conventionnés et d'établissements en gestion directe (EGD) est en baisse, à l'inverse de celle des partenariats privés. Bien souvent, malheureusement, ces derniers ont pour seul objectif de produire des profits. Nos compatriotes les plus démunis - et c'est à porter au crédit de notre pays - profitent de bourses, qui rendent possible une certaine mixité sociale. Notre groupe y est très attaché, ainsi que la commission de la culture dans son ensemble.

Mécaniquement, en doublant les effectifs sans ajouter le moindre centime de budget pour l'AEFE ou les bourses, la part de boursiers va baisser. Or ces bourses participent au rayonnement de notre pays, au message que nous envoyons en direction d'une école inclusive, ouverte, quel que soit le niveau social. Malheureusement, nous sommes en train de perdre cette spécificité de notre modèle éducatif. Nos écoles vont être de plus en plus réservées aux personnes privilégiées, et pas toujours ressortissantes françaises. Certes, il est indispensable pour notre rayonnement que notre modèle inclue des élèves qui ne soient pas des ressortissants français. Néanmoins, sa beauté réside dans sa mixité, dans le mélange des deux types d'élèves à parts égales.

C'est la raison pour laquelle mon groupe ne peut être en faveur de ces crédits, qui nous apparaissent comme la reconnaissance que l'objectif fixé est inatteignable et imposent une pression supplémentaire sur le réseau. Même nos consuls et nos ambassadeurs ont pour objectif, par leur lettre de mission, d'ouvrir des écoles ; c'est à partir du nombre d'écoles ouvertes qu'on jugera de leur action. Cela n'est pas possible.

Mon groupe plaide plutôt pour un renforcement du service public, par une dotation suffisante, et surtout pour la fin de cette course effrénée qui met en danger la spécificité de notre réseau éducatif à l'étranger. C'est la raison pour laquelle nous ne suivrons pas l'avis du rapporteur et voterons contre ces crédits.

Mme Else Joseph. - Monsieur le rapporteur, merci pour ces informations précises et argumentées, qui nous permettent de dresser un bilan trois ans après la crise sanitaire.

Nous avons vu que l'action extérieure touche à de nombreux domaines et mobilise différents moyens. Moi aussi, je salue la hausse des crédits. Dans ce contexte international compliqué et instable, l'action extérieure de l'État doit symboliser notre ambition en faveur d'une diplomatie d'influence, pour mettre en avant l'image d'une France innovante, attractive, riche en talents, au travers de ses réseaux diplomatiques, consulaires et culturels. Il est vrai que cette volonté se traduit par des efforts de contribution volontaire dans les organismes internationaux, mais nous sommes loin de l'objectif fixé de doubler le nombre d'enfants dans le réseau EFE. On se demande donc comment la promotion de l'éducation francophone a été définie. L'ambition va bien au-delà de l'enseignement du français et comprend aussi un enseignement en France.

Je me pose également des questions sur la modernisation de notre administration consulaire, de notre diplomatie d'influence. L'enseignement francophone est en baisse, la langue française est de moins en moins attractive et son usage recule ; logiquement, notre influence s'étiole donc. Ce constat explique notre faible attractivité universitaire auprès des talents et élites étrangers. Qu'envisage-t-on pour renforcer cet enseignement ?

Je m'interroge par ailleurs sur la situation des projets d'établissements dans certaines zones du globe. Je pense notamment au projet annoncé à Taïwan il y a plusieurs années, et qui avait produit de grandes attentes. Où en est-il aujourd'hui ?

Enfin, comment pouvons-nous mieux utiliser notre réseau culturel pour promouvoir notre langue ? J'en profite pour faire le lien avec le rapport portant sur l'expertise patrimoniale internationale française, porté par Catherine Morin-Desailly et moi-même. Lors de nos travaux, nous avions constaté que la France jouit encore d'une bonne image, mais souffre d'un manque de coordination, de structuration et, peut-être, d'envie pour la faire progresser. Notre expertise est patrimoniale, mais pas uniquement ; elle est reconnue et appréciée à l'étranger. Néanmoins, nous nous heurtons désormais à la vive concurrence d'autres pays. Nous pouvons avoir l'impression que le soft power, aux yeux de certains, n'a aucune importante. J'estime pourtant que c'est notre influence qui se joue dans ce domaine. Nous devons donc trouver comment utiliser notre réseau diplomatique et culturel, lequel est dense, dans un domaine qui soulève de nombreux défis.

Monsieur le rapporteur, je vous remercie aussi d'avoir fait le point sur la situation de nos réseaux dans les zones de conflits que sont l'Ukraine et le Proche-Orient. Je suis d'accord avec l'ensemble de vos remarques, et c'est pourquoi notre groupe donnera un avis favorable à l'adoption de ces crédits consacrés à l'action extérieure de l'État.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci, monsieur le rapporteur, pour la qualité de votre rapport et pour les nouvelles que vous nous avez données des fronts. Je pense qu'il est important de se souvenir que sur tous ces fronts, que ce soit en Ukraine ou au Proche-Orient, des ressortissants français se battent et mettent parfois leur vie en péril pour essayer de maintenir ce que nous représentons auprès de ces pays. Il me semblait nécessaire de leur rendre cet hommage.

L'excellent rapport de Catherine Morin-Desailly et d'Else Joseph nous a donné le sentiment qu'il existe un besoin de France qui n'est aujourd'hui pas satisfait. J'ai pu le constater en Arménie et en Albanie, deux pays qui me tiennent à coeur. La demande de francophonie n'y est pas satisfaite ; au contraire même, puisque la francophonie est en recul dans ces pays. Parce qu'il n'y a plus de mobilité possible pour les enseignants entre la France et l'étranger, le recrutement local est marqué par une baisse générale du niveau pédagogique. Celle-ci est reconnue et dénoncée par les enseignants eux-mêmes. En Arménie, par exemple, recruter de bons francophones localement est devenu très difficile, car les bons francophones arméniens se trouvent en France. Le constat est triste, mais vrai.

J'aimerais attirer votre attention sur un sujet préoccupant, qui est la baisse des doctorants étrangers dans l'enseignement supérieur français. Parmi les dix grandes nations qui accueillent le plus de doctorants, la France est la seule avec l'Australie à voir son nombre de doctorants étrangers baisser régulièrement, de 3 % environ par an. Aujourd'hui, la part de doctorants étrangers est de 35 %, contre 40 % jusqu'à présent. La ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a très justement affirmé que ce recul compromet la compétitivité de la recherche nationale, car 80 % des doctorants étrangers restent en France. Autrement dit, lorsque nous arrivons à les attirer pour leur doctorat, nous parvenons à les retenir dans notre système de recherche.

Le sujet est donc celui d'une perte de l'influence française qui peut, à terme, s'avérer dramatique et poser problème pour la compétitivité de notre recherche. Cette problématique n'est pas abordée dans les plans lancés par Campus France, mais j'estime qu'il faut s'y intéresser. La précédente ministre, Frédérique Vidal, souhaitait lancer un plan concernant la Chine. Aujourd'hui, en raison des nombreux problèmes d'ingérence étrangère, l'Inde est privilégiée. Reste que, pour ces deux pays, la destination principale n'est plus la France. Il existe donc une forte concurrence internationale, pour laquelle je trouve que nous sommes de moins en moins bien armés.

Pour toutes ces raisons, nous aurons du mal à voter ce rapport, car il contient des zones d'ombre récurrentes qui, depuis une dizaine d'années, ne sont pas traitées.

M. Bernard Fialaire. - Je souhaite remercier le rapporteur pour son éclairage très intéressant sur les zones de conflits. Je salue cette ambition que nous avons pour la France, même si beaucoup de réserves peuvent être émises quant aux résultats attendus.

Je souhaite un éclaircissement sur un point précis concernant les publics tiers, c'est-à-dire ni ressortissants français ni nationaux du pays d'implantation de l'établissement concerné. J'imagine qu'il s'agit des enfants d'expatriés d'autres pays. Le fait qu'ils puissent étudier dans des lycées français, qu'ils puissent apprendre le français, sera-t-il bénéfique pour le nombre de futurs doctorants étrangers en France ? Faut-il s'en réjouir ? S'agit-il d'un simple constat ou d'une véritable stratégie ?

Mon groupe soutiendra l'effort fait en votant ces crédits.

Mme Laure Darcos. - J'imagine que M. le rapporteur a eu à l'esprit notre voyage qui nous avait permis, il y a quelques années, de constater que c'était les attachés d'ambassade qui emmenaient eux-mêmes les enfants palestiniens dans l'enclave de Bethléem pour s'assurer qu'ils passent tous les points de contrôle et puissent continuer à bénéficier de l'école. Depuis le 7 octobre dernier, bien entendu, je ne cesse de penser à eux et à leurs petits camarades israéliens.

Je vous remercie d'avoir évoqué l'urgence d'essayer de conforter notre réseau français d'enseignement à l'étranger. Je souhaitais revenir en particulier sur les Instituts français et sur le travail qui pourrait être mené avec les Alliances françaises. Vous le savez, ces dernières ont traversé de nombreuses crises ; nous avions d'ailleurs mené des auditions à ce sujet, il y a quelques années, avec Pierre Vimont. Pourriez-vous nous faire un point sur cette question ? Avez-vous aussi la sensation que l'Institut français n'est plus qu'une super direction du Quai d'Orsay, et plus simplement une instance permettant d'avoir une double tutelle entre la culture et les affaires étrangères, pour que la culture soit indépendante du travail mené au Quai d'Orsay et dans les ambassades ?

Nous constatons un manque de rayonnement du soft power français, mais nous allons soutenir ce rapport.

Mme Mathilde Ollivier. - Je souhaite revenir sur le sujet de l'AEFE, notamment sur cette chimère du doublement des effectifs de l'enseignement français à l'étranger. M. Chantrel a déjà longuement évoqué le statut des enfants et des bourses, dont les niveaux actuels sont largement insuffisants. Cette question ne relève pas de ce programme, mais a aussi un impact sur le rayonnement de la France et la possibilité pour les enfants français de rejoindre notre réseau scolaire à l'étranger.

J'axerai donc mon intervention sur le statut des enseignants dans les écoles et lycées français à l'étranger. Favoriser le développement des écoles privées conduit à recruter des enseignants qui relèvent du droit local, et non pas des enseignants détachés, ce qui remet en cause la qualité de l'enseignement français à l'étranger. Cette tendance favorise aussi le moins-disant social pour ces enseignants qui, selon leur pays d'implantation, peuvent être remerciés du jour au lendemain. Se pose également la question de leur formation dans les écoles, et cette baisse de niveau de l'enseignement fragilise l'image de l'enseignement français à l'étranger dans sa globalité et dans tout le réseau.

La manière dont est envisagé le développement de l'AEFE est aujourd'hui insatisfaisante. Notre objectif sera de revenir sur cette idée de doublement et de soutenir plus fortement nos EGD à l'étranger, plutôt que de nous lancer dans cette fuite en avant de la privatisation de l'EFE.

Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué Campus France, et notamment l'objectif d'atteindre 500 000 étudiants étrangers en 2027. Ce dernier me paraît marquer un fort paradoxe avec ce qui a été voté dans le projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, c'est-à-dire un durcissement de l'accueil des étudiants étrangers et des conditions pour qu'ils puissent venir en France. On dit vouloir attirer les étudiants et les doctorants, mais la réalité de nos politiques migratoires consiste plutôt à limiter notre capacité à les accueillir.

Je souhaite également attirer votre attention sur les formations répertoriées sur Campus France. Le Sénat a organisé il y a peu une audition portant sur les universités et écoles privées, au cours de laquelle il nous a été signalé que certaines formations répertoriées seraient des arnaques. Ainsi, des étudiants étrangers s'inscrivent dans des universités en passant par Campus France et ont déjà payé les frais d'inscription lorsque leur visa leur est refusé. Les sommes, parfois importantes, ne leur sont jamais remboursées. Ces élèves se sont donc endettés de plusieurs milliers d'euros et se retrouvent dans des situations très compliquées pour poursuivre leurs études.

Enfin, j'estime qu'il nous faudrait bien plus de moyens pour soutenir notre réseau d'Instituts français et le rayonnement de la France dans le monde. Nous prenons aujourd'hui conscience de la nécessité de changer la manière dont est menée la politique d'influence française dans le monde. Les événements au Sahel, cet été, en témoignent. Nous devons sans doute réorienter une partie de notre diplomatie vers le rayonnement culturel de notre pays, qui se heurte à notre politique de visas, notamment pour les artistes et les élites intellectuelles. Les Instituts français jouent un rôle important dans la structuration de ces liens culturels et intellectuels avec de nombreux pays du monde. Nous devons donc leur apporter un soutien renforcé, et ce d'autant plus que ces Instituts français recherchent désormais des financements privés, ce qui remet en cause leur indépendance.

Nous serons donc défavorables à l'adoption de ces crédits.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Le groupe Union Centriste soutiendra l'avis du rapporteur. Je voudrais réaffirmer la grande actualité des questions de diplomatie d'influence et de l'action extérieure de l'État. Il est important de disposer d'une politique forte et des crédits correspondants.

Comme Mme Darcos, j'ai été sensible au point qui a été fait sur la situation en Israël et en Palestine. Notre commission s'était rendue dans l'un et l'autre de ces États, car M. le Président Larcher nous avait invités à visiter les deux lors de nos déplacements dans la région. Merci d'avoir évoqué ces établissements que nous avons eu l'occasion de visiter et de nous faire un point sur leur situation dans ce contexte très compliqué et douloureux.

Je ne peux m'empêcher d'associer à la réflexion collective que nous menons présentement celle portée par M. Vial il y a quelques jours, lors de sa présentation des crédits relatifs aux avances à l'audiovisuel public. En effet, la diplomatie d'influence passe aussi par France Médias Monde, Arte, et TV5 Monde. Ils forment un tout lorsqu'il s'agit de promouvoir et défendre la francophonie, l'information et la culture.

Je me réjouis que les crédits soient en hausse ; il était temps ! Il est toujours bon de savoir pourquoi une situation est telle qu'elle est. C'est pourquoi je souhaite rappeler à nos collègues que le quinquennat de François Hollande a marqué une descente aux enfers des crédits accordés aux Instituts français. Ces derniers ont enregistré des baisses comprises entre 37 % et 47 % ! À l'époque, notre commission avait d'ailleurs émis un avis défavorable aux contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM). Le président de l'Institut français était alors Bruno Foucher. Notre décision ne signifiait pas que nous remettions en cause les missions de l'Institut français, mais que nous ne comprenions pas comment, avec les moyens alloués, il parviendrait à atteindre les objectifs fixés.

En 2017, lors du changement de gouvernement, les crédits se sont stabilisés. Reste que cette stabilisation n'est pas une solution. Il est donc important, aujourd'hui, de décider d'une forme de rattrapage pour que l'Institut français puisse mener les missions si importantes qui sont les siennes, en lien avec les Alliances françaises. À ce sujet, monsieur le rapporteur, pourriez-vous nous faire un point d'étape sur la coordination au niveau national, qui était aussi portée par Jean-Yves Le Drian ? Je tenais à rappeler l'origine de la présente situation. Il est important de s'en souvenir pour qu'ici, au sein de cette commission, nous puissions nous battre comme nous l'avions fait à l'époque en dénonçant cette baisse draconienne.

Je souhaite aussi me joindre aux propos de Mme Joseph. Il est en effet important d'améliorer la coordination entre les ministères de la culture et des affaires étrangères sur les questions d'action extérieure de l'État et de diplomatie d'influence. J'y ajoute cependant une remarque : le conseil stratégique de l'Institut français, sous la double tutelle des ministres de la culture et des affaires étrangères, ne se réunit jamais. Il se réunit tous les trois ans seulement, pour parler des CPOM. Voilà un sujet qui mériterait d'être mis sur la table ! Il faudrait demander à ce qu'il se réunisse plus régulièrement, pour s'adapter aux situations et permettre une action de fond beaucoup plus efficace.

M. Claude Kern, rapporteur pour avis. - Avant 2017, j'étais déjà rapporteur pour avis. Je puis donc confirmer que notre commission émettait toujours des avis défavorables au sujet de ces crédits, qui étaient en forte baisse et sont désormais stables. Cette année, enfin, ils sont de nouveau en hausse. Je puis vous affirmer que tous les intervenants que nous avons auditionnés, qu'ils représentent l'Institut français, les Alliances françaises ou l'AEFE, se sont dits satisfaits des crédits actuels qui leur sont alloués. Tous ont dit qu'ils aimeraient naturellement recevoir plus encore, mais ils se réjouissent de l'effort qui est fait.

Je suis personnellement sceptique concernant l'objectif de doublement des effectifs de l'enseignement français à l'étranger. La directrice de l'AEFE a mis en place une feuille de route en quatre axes, que je ne détaillerai pas ici, pour s'approcher de cet objectif.

Nous avons tous des critiques à émettre au sujet de la politique diplomatique et culturelle à l'étranger. Nous pourrions faire bien mieux. Il est vrai que cette attente de France est perceptible à l'étranger, que ce soit en Afrique, en Asie, ou même en Europe.

Le coeur de notre problème de recrutement est simple : nous manquons d'enseignants en France. Il est donc difficile de leur permettre de partir. Malgré tout, un tiers des enseignants sont aujourd'hui formés dans les seize instituts régionaux de formation (IRF). L'objectif est désormais de sensibiliser les enseignants français qui partent, afin qu'ils participent aussi à ces formations dans les IRF.

Le nombre de doctorants étrangers enregistre en effet une baisse de 8 %. Nous savons que des efforts restent à faire au niveau de Campus France.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ».

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