EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 8 NOVEMBRE 2023

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M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen de l'avis préparé par Sabine Drexler sur les crédits consacrés aux « Patrimoines ».

Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis des crédits des patrimoines. - L'ampleur de la progression des crédits du programme 175 en 2024 (+ 8 % en crédits de paiement, + 33 % en autorisations d'engagement) démontre à quel point le patrimoine reste un axe fort de la politique culturelle, même si certaines dimensions sont plus négligées que d'autres : je pense en particulier aux crédits d'acquisition et aux crédits consacrés à l'architecture et aux espaces protégés.

Les deux tiers des revalorisations de crédits sont évidemment liés à l'augmentation du point d'indice et à l'inflation. Au demeurant, la compensation de l'inflation n'est que partielle : ce sont surtout les crédits d'investissement qui ont été privilégiés afin de garantir que les chantiers engagés soient menés à leur terme. Les budgets de fonctionnement des établissements n'ont pas progressé de manière proportionnelle à l'inflation.

Le poids des grands projets dans les mesures nouvelles est élevé. Plusieurs concernent des chantiers en régions, que ce soit la cathédrale de Nantes, l'abbaye de Clairvaux ou le château de Gaillon. Mais, l'augmentation très significative des autorisations d'engagement s'explique principalement par le lancement à venir du chantier de rénovation du Centre Pompidou, ainsi que par le projet d'extension du bâtiment des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine. Quoi qu'indispensables, il faut avoir conscience que ces deux chantiers franciliens pèseront fortement sur les budgets dans les années à venir.

L'effort en direction des monuments historiques n'appartenant pas à l'État est modeste. Les crédits de restauration restent inchangés, à l'exception du Fonds incitatif et partenarial dont les crédits augmentent de 2 millions d'euros. Les crédits d'entretien sont réduits d'un million d'euros afin de s'ajuster à la consommation réelle de cette ligne budgétaire ces dernières années. S'il est vrai que les services de l'État ont parfois du mal à inciter les autres catégories de propriétaires à engager des travaux d'entretien, on peut se demander si le niveau des effectifs dans les services déconcentrés de l'État ne pèse pas aussi sur l'exécution de ces crédits. Le ministère de la culture m'a indiqué que de nombreux postes vacants seraient pourvus d'ici la fin de l'année grâce aux concours d'ingénieurs et de techniciens qui viennent d'être organisés. Mais cela reste un enjeu à surveiller de près.

Vous avez noté que les questions liées au patrimoine religieux se retrouvent particulièrement au centre de l'actualité.

L'année 2024 devrait être marquée par l'achèvement de la deuxième phase du chantier de Notre-Dame pour rendre possible sa réouverture au public, comme prévu, en décembre. Il faudra décider quoi faire du surplus de dons, évalué à 144,5 millions d'euros. La deuxième phase du chantier n'a pratiquement pas concerné les extérieurs, en mauvais état - et ce, encore plus depuis l'incendie.

Le ministère de la culture défend l'idée d'affecter le surplus au financement d'une troisième phase de travaux qui pourraient débuter sans attendre, comme l'avait également suggéré la Cour des comptes dans son deuxième rapport de contrôle du chantier l'an passé. Cette solution permettrait de prolonger l'existence de l'établissement public, qui assurerait ainsi le rodage des dispositifs de sécurité qu'il a mis en place.

D'autres jugent, au contraire, qu'il est temps que l'État reprenne la main sur le financement de l'entretien et de la restauration de la cathédrale. Quoi qu'il en soit, l'accord des grands mécènes et des fondations parait être un préalable indispensable au lancement d'une troisième phase de travaux sur la cathédrale. Si le surplus de dons devait être affecté à son financement, il me semblerait légitime que nous plaidions pour que les marges de manoeuvre financières que l'État en récupérera soient consacrées au financement d'autres chantiers de restauration.

L'autre sujet en matière de patrimoine religieux, ce sont évidemment les annonces faites par le Président de la République autour d'un plan d'actions en faveur du patrimoine cultuel des petites villes et des zones rurales. Il comprend trois volets :

- premièrement, le lancement d'une campagne de protection au titre des monuments historiques ciblant prioritairement les édifices des petites communes construits aux XIXe et XXe siècles ;

- deuxièmement, la mise en place d'une collecte nationale de dons gérée par la Fondation du patrimoine afin d'aider à financer les travaux de conservation d'édifices religieux situés dans les petites communes. Pour la rendre attractive, le taux de la réduction d'impôt accordée aux particuliers est relevé de 66 % à 75 % dans la limite de 1 000 euros par an ;

- troisièmement, un accompagnement des communes sur le plan de l'ingénierie, avec d'une part, la possibilité d'allouer jusqu'à 10 % du montant de la collecte aux études et à l'ingénierie et, d'autre part, la mise à disposition par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) de chefs de projets dans le cadre du programme « Villages d'avenir ».

Il nous faut évidemment saluer ces différentes mesures, qui s'inscrivent dans la droite ligne des recommandations formulées par nos collègues Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon dans leur rapport d'information sur le patrimoine religieux en péril en juillet 2022. J'ai néanmoins plusieurs remarques concernant la collecte nationale.

D'abord, je juge souhaitable que le produit de la collecte bénéficie en priorité à des édifices non protégés, puisque les édifices classés ou inscrits bénéficient déjà de mesures de soutien spécifiques.

Ensuite, il faudra veiller à tenir compte du régime particulier en vigueur en Alsace-Moselle lorsque seront définies les règles d'éligibilité à la collecte.

Enfin, si l'on peut comprendre que le Gouvernement, dans un souci de simplicité et de lisibilité, ait choisi de confier cette collecte à un opérateur unique - en l'espèce, la Fondation du patrimoine -, je considérerais opportun que plusieurs associations et fondations qui bénéficient d'une grande expertise en matière de patrimoine religieux, comme la Sauvegarde de l'art français ou l'Observatoire du patrimoine religieux soient associées à l'identification des projets et à la mise en oeuvre des opérations.

S'agissant du volet « ingénierie », ces mesures apparaissent comme un premier pas dans la bonne direction. Pour autant, le problème d'ingénierie se pose de manière plus globale et nécessite de trouver des réponses pérennes et accessibles à toutes les communes. Comme l'avait suggéré Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon, les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) pourraient jouer un rôle central pour résorber ces difficultés. Il est regrettable que plusieurs départements ne se soient toujours pas dotés d'une telle structure, malgré l'obligation légale qui s'applique. Le financement de ces structures reste pas ailleurs complexe dans un certain nombre de départements, bien que la loi autorise le prélèvement d'une part départementale de la taxe d'aménagement à cet effet. Il est important que les départements se saisissent pleinement de cette possibilité.

J'en viens maintenant à un autre sujet qui me tient à coeur : les enjeux liés à la rénovation énergétique des logements qui sont, vous le savez, l'une des priorités budgétaires du Gouvernement dans le cadre de ce projet de loi de finances.

Depuis l'alerte que nous avions lancée il y a un an, quelques progrès ont été enregistrés. Les échanges entre le ministère de la transition écologique et le ministère de la culture se sont intensifiés et ce dernier parait désormais correctement associé aux réflexions sur le volet affectant le patrimoine bâti. Un travail a été engagé afin de garantir la formation des acteurs de la transition écologique aux spécificités du bâti ancien, qu'il s'agisse des diagnostiqueurs, des auditeurs énergétiques, des accompagnateurs Rénov' ou des architectes. Des guides et un portail internet devraient bientôt voir le jour pour mieux sensibiliser les porteurs de projet, les élus, et les professionnels du bâtiment à la bonne adaptation de la transition écologique au bâti ancien, via la diffusion de bonnes pratiques.

En revanche, d'autres enjeux sont encore en suspens, et non des moindres, puisque le ministère de la transition écologique refuse catégoriquement une révision du diagnostic de performance énergétique (DPE). Il estime que ses modalités de calcul retranscrivent de façon objective et satisfaisante les caractéristiques thermiques d'un bâtiment. C'est une vraie déception. L'explication pour justifier les mauvaises performances du bâti ancien dans le cadre du DPE, c'est que le diagnostiqueur associe le plus souvent des « valeurs par défaut », évidemment grevées des performances les plus mauvaises, aux matériaux utilisés dans le bâti antérieur à 1948. Pourquoi ? Parce que les propriétaires ne coopéreraient pas lors de la venue du diagnostiqueur, mais aussi parce que le corpus de matériaux préenregistrés dans la feuille de calcul intègre peu de matériaux anciens. Le référencement exhaustif de ces matériaux dans la feuille de calcul constitue donc un enjeu dont nous devons demander au ministère de la transition écologique de se saisir dans les plus brefs délais.

Je reste néanmoins convaincue que nous devons réclamer la mise en place d'un DPE spécifique qui ne concernerait que les bâtiments à intérêt patrimonial préalablement identifiés dans le cadre d'un inventaire intégré dans les documents d'urbanisme. C'est le meilleur moyen d'assurer la prise en compte des qualités bioclimatiques intrinsèques de ce type de bâti. C'est aussi le meilleur moyen de garantir que les logements, notamment en centre-bourgs, restent occupés et entretenus.

C'est la raison pour laquelle nous devons aussi obtenir que les collectivités territoriales soient mieux accompagnées pour procéder à l'identification du bâti à préserver. La revalorisation d'un million d'euros des crédits destinés aux études et travaux en espaces protégés, inscrits sur l'action 2 « Architecture et espaces protégés », reste très en deçà des besoins. Par ailleurs, le ministère de la culture m'a indiqué qu'il ne disposait d'aucun crédit pour financer l'élaboration d'un plan local d'urbanisme (PLU) patrimonial. Sur le plan technique, les tensions sur les effectifs au sein des services patrimoniaux de l'État sont aussi une vraie source de difficultés, car les collectivités sont livrées à elles-mêmes pour ce qui concerne le patrimoine non protégé.

Quant aux aides financières ciblées sur la problématique de la rénovation thermique du bâti ancien, rien n'a encore été mis en place. Les deux ministères devraient travailler ensemble pour faire évoluer la liste des travaux de rénovation énergétique éligibles aux aides, primes et dispositifs fiscaux afin que soient mieux pris en compte les travaux respectueux du bâti ancien, mais ces travaux n'ont pas encore été lancés.

C'est l'une des raisons pour lesquelles je vous proposerai de co-signer l'amendement que je déposerai à la première partie du projet de loi de finances en mon nom propre, puisque notre commission n'est pas saisie pour avis de cette partie du texte. Il vise à étendre le bénéfice de l'avantage fiscal associé au label attribué par la Fondation du patrimoine aux travaux réalisés à des fins de rénovation énergétique, y compris sur les parties intérieures des immeubles labellisés. Grâce aux avantages fiscaux qu'il procure, ce label joue en effet un rôle important pour la sauvegarde du patrimoine non protégé, mais il ne peut pas aujourd'hui être utilisé pour répondre à l'enjeu de rénovation énergétique du petit patrimoine, car ses avantages ne s'appliquent qu'aux travaux extérieurs. C'est pourquoi il me parait primordial de pouvoir en élargir les modalités de fonctionnement, même si je suis consciente que cela ne règlera qu'une partie des difficultés qui se posent en matière de rénovation énergétique du bâti ancien et qu'il convient de continuer à lutter pour que la question soit aussi traitée de manière plus globale.

J'en viens maintenant au dernier sujet de préoccupation à propos duquel je souhaitais vous alerter, qui concerne l'archéologie préventive. Les opérateurs ont vu leurs coûts pour la réalisation des diagnostics exploser ces dernières années, du fait de l'inflation et des revalorisations salariales et indiciaires, mais aussi des mutations profondes dans la politique d'aménagement du territoire qui se traduisent par une réorientation des opérations d'aménagement des zones rurales et périurbaines vers les zones urbaines et les friches industrielles. Cette nouvelle dynamique se traduit par une réduction de la taille des projets, ainsi qu'un accroissement du coût et de la complexité technique des opérations de diagnostic, dont le niveau devrait encore s'amplifier dans les années à venir.

Malgré ce contexte qui frappe autant l'INRAP que les services d'archéologie de collectivités territoriales, seuls les crédits de l'INRAP sont revalorisés en 2024. Il est vrai que le barème de compensation des diagnostics réalisés par les collectivités territoriales habilitées avait été revu à la hausse fin 2022, mais cet effort budgétaire n'a résorbé qu'en partie l'accroissement des coûts subis par les collectivités et n'a pas permis de corriger l'écart de niveau d'indemnisation entre elles et l'INRAP, qui serait de près de 50 % inférieur à l'hectare sondé.

Compte tenu des menaces que fait peser cette sous-compensation sur l'avenir de certains services de collectivités, il est urgent que le ministère de la culture s'empare de cette question. Ce n'est pas qu'un enjeu pour les collectivités : c'en est un aussi pour l'État qui, sinon, devra reprendre en main l'intégralité de la mission de diagnostic avec l'INRAP.

Les collectivités évaluent l'effort budgétaire pour résorber l'écart avec l'INRAP à 10 millions d'euros. Il parait d'autant plus facile à financer sans porter atteinte aux crédits de l'INRAP que l'État dégage chaque année un excédent, de l'ordre de 30 millions d'euros, entre ce qu'il perçoit au titre de la taxe sur l'archéologie préventive et les crédits qu'il octroie aux opérations d'archéologie préventive.

Je vous aurais volontiers proposé un amendement de crédit. Mais, d'une part, cela aurait supposé de ponctionner les crédits d'un autre programme de la mission Culture d'un montant équivalent. Et d'autre part, cela n'aurait pas vraiment réglé les difficultés, puisque la dotation inscrite en loi de finances n'est pas versée de façon automatique aux collectivités. En effet, le montant de la subvention allouée à chaque collectivité habilitée est fonction, chaque année, de la surface couverte par les diagnostics qu'elle a réalisés et de leur complexité, conformément au barème établi en 2022. L'enjeu est donc une révision rapide de ce barème, afin de garantir une meilleure compensation des dépenses des collectivités territoriales au titre de la mission de service public qu'elles rendent. Je vous propose d'insister auprès de la ministre au nom de notre commission en ce sens.

Sous ces réserves, je vous propose néanmoins de donner un avis favorable aux crédits du programme « Patrimoines ».

Mme Marie-Pierre Monier. - Je félicite Sabine Drexler pour la pertinence de ses analyses. Si l'on peut se féliciter de la hausse des moyens alloués aux patrimoines, cette hausse doit être relativisée, comme vous l'avez dit, par le fait que la croissance des autorisations d'engagement est principalement liée au financement des travaux d'extension des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine et au chantier de rénovation du Centre Pompidou. À cela s'ajoute le fait que les crédits du programme ne sont plus complétés par les crédits du plan de relance et que le secteur est particulièrement affecté par la hausse des coûts de l'énergie.

Je me réjouis de la hausse d'un million d'euros des crédits de l'action 2, tant les personnes que nous avons auditionnées ont exprimé le vif intérêt des collectivités territoriales pour l'outil des sites patrimoniaux remarquables, jugé très pertinent. Ceci dit, le manque criant des personnels des unités départementales de l'architecture et du patrimoine reste un problème pour répondre à l'ensemble des demandes des territoires en matière de patrimoine. Lors de son audition devant notre commission, la ministre a salué le travail réalisé par ces services et annoncé l'organisation de nombreux concours dans les années à venir. J'espère que ces efforts seront poursuivis.

L'archéologie préventive est dans une situation alarmante. J'ai été marquée par l'audition de l'association nationale pour l'archéologie de collectivité territoriale, qui nous a fait part de l'inadéquation des subventions allouées aux collectivités territoriales face à la hausse de leurs coûts d'intervention, de l'ordre de 30 %. Si les services de collectivité traitent en moyenne 25 % des surfaces soumises à diagnostics, ils ne perçoivent que 16 % des crédits destinés à financer cette mission de service public. Cette situation interroge. L'excédent réalisé par l'État sur la taxe d'archéologie préventive lui offre des marges de manoeuvre budgétaires qui lui permettraient de mieux accompagner les collectivités sans porter atteinte aux crédits de l'INRAP.

La conciliation des enjeux de rénovation énergétique et de préservation du patrimoine doit encore être améliorée. Certes, on peut noter quelques progrès dans la réflexion. Mais l'inadaptation du DPE nous conduit aujourd'hui à une impasse. Nous ne pouvons pas lâcher sur cet enjeu, alors que l'urgence s'accroit chaque jour un peu plus compte tenu de l'entrée en vigueur progressive des dispositions de la loi « Climat et résilience ». Toutes les portes et les fenêtres anciennes sont menacées de disparaitre. C'est pourquoi je suis favorable, comme vous, à la mise en place d'un DPE spécifique au bâti ancien.

Le groupe socialiste votera en faveur des crédits de ce programme malgré ces points d'alerte.

Mme Anne Ventalon. - Je remercie Sabine Drexler pour son rapport très complet. Nous nous réjouissons de la hausse des crédits du programme, malgré la part qui doit en être retranchée liée à l'inflation. Le patrimoine mérite une attention particulière, dans la mesure où il se restaure, mais ne se remplace pas. La hausse des crédits démontre qu'il y a eu une prise de conscience de la part de l'État autour de cet enjeu. L'émotion suscitée par l'incendie de Notre-Dame y a sans doute contribué.

Mais il faut aussi soutenir les édifices qui ne bénéficient pas d'une renommée internationale ou nationale. À l'heure où se tiennent les États généraux du patrimoine religieux, je me réjouis de la mise en place par le Gouvernement d'un plan d'actions consacré au patrimoine religieux, tant les petites communes ont besoin d'un accompagnement financier. Mais, l'une des principales conclusions du rapport que Pierre Ouzoulias et moi avons rédigé sur le patrimoine religieux en péril est que l'ingénierie constitue la clé de voûte du processus de rénovation. Il faut que les CAUE soient dotés de davantage de moyens pour mieux accompagner les communes autour de cet enjeu. Si je ne souhaite pas pointer du doigt la responsabilité des départements dans le sous-financement de ces structures, au regard des contraintes budgétaires auxquelles ils font eux-mêmes face, il reste des solutions à trouver pour améliorer leurs financements, car ils ont un rôle éminent à jouer sur toutes les questions relatives à la sauvegarde et à la restauration du patrimoine non protégé.

En ce qui concerne l'adaptation du patrimoine aux enjeux de la transition écologique, il est urgent que le ministère de la transition écologique prenne enfin cet enjeu à bras le corps afin que les propriétaires de logements anciens participent à l'effort de rénovation. Il doit cesser d'opposer rénovation thermique et habitat typique et mener un travail rigoureux de recensement des matériaux pour qu'il n'y ait plus de diagnostics fondés sur des valeurs par défaut. Parfois, une rénovation inadaptée est aussi nuisible à notre patrimoine que sa dégradation. L'absence de dispositif financier adéquat est problématique. C'est pourquoi l'amendement proposé par Sabine Drexler relatif au label de la Fondation apparait opportun.

Malgré ces quelques réserves, les sénateurs du groupe Les Républicains voteront les crédits du programme « Patrimoines ».

M. Pierre Ouzoulias. - J'apprécie le travail réalisé par Sabine Drexler qui met l'accent sur les questions auxquelles les élus locaux sont confrontés au quotidien dans le domaine du patrimoine.

Je suis ravi de constater que le retentissement de notre rapport sur le patrimoine religieux a incité le Président de la République à s'emparer de cet enjeu et à redéfinir la politique de l'État. La réponse est-elle pour autant adaptée ? Je ne crois pas, pour ma part, qu'on trouve des solutions pérennes par le biais d'une souscription.

Nous avions fait le constat, dans notre rapport - et manifestement, nous n'avons pas été entendus - que nous sommes face à une décentralisation de facto d'une partie de la protection du patrimoine. Comme Sabine Drexler, je suis convaincu que les CAUE seraient une structure appropriée pour fournir aux communes de petite taille l'ingénierie culturelle qui leur fait défaut. Je rappelle que le financement de ces structures est assuré par une fraction de la part départementale de la taxe d'aménagement. Si la loi fixe un taux plafond de 2,5 % à cette part départementale, dans les faits, cette part départementale s'établit, en moyenne, à 1,8 %. Il y a donc des marges budgétaires considérables que les départements peuvent mobiliser. Avec Anne Ventalon et Sabine Drexler, nous avons évoqué l'idée de déposer un amendement collectif au projet de loi de finances pour 2024 afin de rappeler l'importance des CAUE et la nécessité pour les départements de bien les doter, tant ils permettent d'apporter une aide de terrain utile aux communes. Je doute que l'État cherche jamais à reconquérir le terrain qu'il a cédé sur ces questions ces dernières années.

L'adoption du zéro artificialisation nette (ZAN) a des conséquences directes sur le fonctionnement de l'archéologie préventive. Les opérations d'archéologie se situent désormais de plus en plus régulièrement en ville, ce qui ne requiert ni les mêmes compétences ni les mêmes moyens. Il est clair que le système de financement de l'archéologie préventive doit être révisé pour l'adapter à la nouvelle donne en matière d'aménagement.

Mme Sonia de La Provôté. - Le budget des patrimoines pour 2024 connait certes une croissance de ses crédits dont nous devons nous féliciter, mais j'ai le sentiment qu'il contribue encore à amplifier les défauts que nous avons toujours relevés.

J'estime qu'il y a un vrai sujet en matière de pilotage. On a du mal à comprendre quelles sont les priorités de la politique de l'État en matière de patrimoine. Cette politique déserte de plus en plus le champ du régalien. Alors que le patrimoine religieux est un élément important du patrimoine de la France, l'enjeu du financement de sa restauration et de son entretien est reporté sur les Françaises et les Français et la gestion de ces nouveaux moyens financiers à la Fondation du patrimoine. Même pour la part publique du financement, on mobilise la DSIL et la DETR, c'est-à-dire des outils qui ne relèvent pas de la responsabilité du ministère de la culture.

Malgré nos demandes répétées en ce qui concerne les crédits d'entretien, ceux-ci sont en baisse. La conservation préventive est pourtant un enjeu pour garantir un meilleur usage des crédits. Je constate aussi que la dimension paysagère du patrimoine est négligée au profit du patrimoine bâti.

Pour finir, je m'inquiète toujours de la disproportion des crédits entre l'Ile-de-France et les autres régions. La part des crédits du fonds incitatif et partenarial reste extrêmement modeste, sans compter que nous manquons de transparence sur l'utilisation des crédits de ce fonds.

Mme Laure Darcos. - Je m'interrogeais sur l'existence éventuelle de crédits permettant à l'État de soutenir des bonnes pratiques participant à la préservation et à la valorisation de notre patrimoine. À l'initiative de la Conférence des Églises de France, il est désormais organisé chaque année une « Nuit des églises », ponctuée d'animations permettant de faire découvrir ce patrimoine de proximité. Dans quelle mesure le ministère de la culture soutient-il les communes qui participent à ce type d'évènements ? Des crédits accompagnent-ils les initiatives des collectivités visant à faire découvrir à nos plus jeunes le patrimoine et ses métiers ? Dans mon département, plusieurs communes organisent des visites de chantiers de restauration qui permettent aux élèves de découvrir le travail des Compagnons du devoir. Ces initiatives sont à encourager.

M. Adel Ziane. - Même si l'on peut se féliciter des revalorisations de crédits et des efforts réalisés sur les investissements, ces éléments ne doivent pas masquer un certain nombre de difficultés à venir. La ministre avait qualifié ce budget de « budget de transformation ». Est-il effectivement de nature à projeter les établissements vers l'avenir ? Les nouveaux crédits se portent prioritairement sur des grands projets.

Dans ce contexte, il ne faut pas s'attendre à une augmentation des budgets de fonctionnement - stables, voire en baisse, compte tenu de l'atténuation progressive des effets du plan de relance et de l'impact de l'inflation et des surcoûts énergétiques. L'enjeu des ressources propres des établissements va de nouveau se poser et je crains qu'une augmentation des tarifs d'entrée ne se profile, même si la ministre n'a pas répondu à cette question lors de son audition. Si tel était le cas, il y aurait évidemment un impact sur l'accessibilité de ces établissements.

S'agissant des musées en régions, il est heureux que leurs budgets soient préservés, mais compte tenu de l'inflation, cette stabilité des crédits pose la question du soutien de l'État au renforcement de l'attractivité des territoires.

Le rapporteur a rappelé que les budgets d'acquisition demeurent inchangés. La ministre a indiqué lors de son audition que cette décision avait relevé d'un arbitrage, compte tenu des dispositifs en place facilitant le recours au mécénat pour les acquisitions. Je constate néanmoins qu'il n'est pas toujours très facile pour les musées de mobiliser du mécénat en ce sens, sauf quelques rares très grands mécènes qui sont sollicités de toute part. Je peux comprendre qu'on ne veuille pas encourager la spéculation sur le marché de l'art en revalorisant les budgets d'acquisition, mais je m'interroge quand même sur la stratégie de notre pays en matière d'enrichissement des collections publiques.

Je suis moi aussi favorable à la mise en place d'un DPE spécifique pour le bâti ancien. Pour avoir été élu en charge de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire, je peux témoigner du dénuement des collectivités en l'absence d'accompagnement spécifique pour réaliser des PLU patrimoniaux. Cet enjeu de l'ingénierie est primordial pour garantir une meilleure préservation de la cohérence urbaine et paysagère, d'autant que le ZAN va avoir un impact de plus en plus fort sur ces questions dans les années à venir.

Pour finir, je souhaitais évoquer la question du fonctionnement de Villers-Cotterêts. Le chantier de restauration a nécessité des sommes importantes, le projet de cité internationale de la langue française est intéressant, mais je regrette que nous n'ayons pas davantage d'informations sur la programmation à venir, les perspectives de fréquentation et les modalités de financement du fonctionnement de l'établissement.

Mme Annick Billon. - Je m'inquiète des difficultés de fonctionnement que pourraient éprouver les établissements compte tenu de la compensation insuffisante de l'inflation. Quelles sont les catégories de personnel ou les domaines qui devraient être les plus impactés ?

Je ne suis pas favorable à ce que le surplus de la collecte organisée pour Notre-Dame soit affecté à d'autres projets, car j'y verrai un risque de porter atteinte au succès d'autres souscriptions à venir dans le domaine du patrimoine religieux.

À l'heure où est évoquée l'idée d'un rétablissement de la réserve parlementaire, ne pensez-vous pas que cette dotation serait de nature à accompagner la restauration du patrimoine cultuel, compte tenu des besoins financiers que vous avez évoqués ?

Vous avez mentionné une multiplicité de dispositifs d'accompagnement. Plutôt que d'en créer de nouveaux, il me semblerait plus judicieux de les regrouper pour gagner en lisibilité et en efficacité.

En ce qui concerne la rénovation énergétique, ne serait-il pas pertinent d'utiliser davantage certains dispositifs existants, qui ont fait la preuve de leur efficacité pour rénover les centres-villes et les centres-bourgs ? Je pense par exemple au dispositif « Malraux ». Croyez-vous qu'il pourrait être utile de le faire évoluer ?

M. Jean-Gérard Paumier. - Je partage les propos de notre rapporteur au sujet de l'importance et des difficultés des services d'archéologie de collectivité territoriale. Je constate que de très nombreuses collectivités ont des problèmes face au coût de ces opérations et aux délais d'intervention de l'INRAP, ce qui freine leurs projets d'aménagement.

Concernant le surplus de la collecte de Notre-Dame, ne serait-il pas au contraire pertinent de déconcentrer les crédits dans tous les territoires, plutôt qu'ils ne profitent qu'à quelques grands projets structurants ?

Mme Monique de Marco. - Je constate que si certaines causes avancent, comme celle du petit patrimoine religieux, d'autres stagnent : c'est le cas du DPE spécifique pour le bâti ancien. Ce sujet est pourtant un enjeu d'actualité très important.

Comme Adel Ziane, je m'interroge sur les crédits destinés au fonctionnement du château de Villers-Cotterêts en 2024 et les perspectives à venir.

S'agissant de l'affectation du surplus de Notre-Dame, nous avions évoqué ce sujet avec le Président de la Fondation du patrimoine lors de son audition l'an passé. Il nous avait suggéré plusieurs pistes, qui requièrent, dans tous les cas, d'obtenir en amont l'accord des donateurs. S'agissant du chantier, savez-vous ce qu'il en est de la reconstruction de la flèche en plomb, parce que j'ai cru comprendre que cette question n'était peut-être pas toujours totalement tranchée, compte tenu de sa nocivité et de son coût ?

Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis des crédits des patrimoines. - Je suis touchée par le soutien que vous exprimez à l'égard de mon travail. Vous avez été nombreux à appuyer l'idée du DPE patrimonial. Il est clair que la réponse donnée aujourd'hui par le ministère de la transition écologique face à cet enjeu n'est pas satisfaisante. Il est essentiel de mieux reconnaitre les matériaux de construction du bâti antérieur à 1948 et les qualités intrinsèques de ce bâti. Nous ne devons surtout rien lâcher à ce sujet.

Beaucoup d'entre vous ont souligné l'importance de mieux identifier ce qui constitue notre patrimoine et déploré l'insuffisance des personnels susceptibles d'accompagner les collectivités en matière d'ingénierie. Face au désengagement de l'État, les collectivités doivent trouver les moyens de prendre soin de ce patrimoine. D'où l'idée de donner davantage de moyens aux CAUE, qui ont une mission d'accompagnement et de conseil des collectivités. J'espère que vous serez nombreux à co-signer l'amendement que Pierre Ouzoulias, Anne Ventalon et moi-même vous adresserons sur ce sujet, de même que l'amendement que je vais vous envoyer concernant l'extension du label de la Fondation du patrimoine aux travaux intérieurs de rénovation énergétique.

Laure Darcos a évoqué l'enjeu de la transmission des métiers du patrimoine. C'est une question cruciale face à l'enjeu de rénovation énergétique, car si nous voulons procéder à des rénovations de qualité, respectueuses de ce bâti, il nous faut des artisans qualifiés.

Concernant le surplus de Notre-Dame, l'accord des donateurs est un préalable indispensable. J'y souscris comme vous et c'est ce que j'indique dans mon rapport. À l'époque où la réserve parlementaire existait, elle était très souvent mobilisée pour la restauration d'édifices cultuels. Toutefois, on ne règlera pas la question du financement de la restauration du petit patrimoine religieux avec cette seule dotation, mais si elle constituerait certainement un coup de pouce appréciable.

S'agissant du manque de lisibilité des différents dispositifs d'aide, c'est effectivement une difficulté. C'est ce qui fait l'intérêt de structures comme les maisons de l'habitat, afin d'aider tout le monde à s'y retrouver.

M. Laurent Lafon, président. - Je vais mettre aux voix l'avis de notre rapporteure qui nous propose de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175 « Patrimoines » au sein de la mission Culture du projet de loi de finances pour 2024.

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