B. LES POINTS DE VIGILANCE DE LA COMMISSION

1. La situation alarmante des scènes de musiques actuelles (SMAC)

La commission est particulièrement préoccupée par la situation des SMAC, qui ne parviennent plus à remplir les missions fixées dans le cahier des charges du label faute de moyens suffisants. Plusieurs d'entre elles se trouvent dans un état financier alarmant. La reprise de la fréquentation, désormais repartie à la hausse, a été plus lente pour les salles de petite et moyenne jauges après la crise sanitaire et le remplissage des salles s'est révélé plus délicat pour les artistes émergents. D'après une enquête réalisée au printemps par le ministère de la culture auprès d'une trentaine de SMAC, leurs marges artistiques se réduiraient et seraient même négatives pour un certain nombre d'entre elles. Plusieurs SMAC envisagent de procéder à des licenciements ou d'annuler partiellement ou totalement leur saison artistique afin de faire face à la hausse des charges, évaluée aux alentours de 20 % sous l'effet de l'inflation.

La contribution de l'État au financement de ces structures demeure faible en comparaison d'autres labels : les SMAC l'évaluent en moyenne à 135 000 euros, le montant plancher de participation de l'État étant par ailleurs le plus bas de l'ensemble des labels, malgré le relèvement de 75 000 à 96 000 euros prévu en 2024. L'État finance aujourd'hui ces structures à hauteur de 11 % de leur budget, contre 40 % pour les collectivités territoriales.

Aide moyenne de l'État par typologie de label

   

Au regard de l'importance des 92 SMAC pour la vie culturelle des territoires, le dynamisme de la filière musicale et le soutien à l'émergence des jeunes artistes au niveau local, la commission a déposé, sur la proposition de sa rapporteure, un amendement visant à revaloriser la dotation globale de l'État aux SMAC de 3,68 millions d'euros par le biais d'un transfert de crédits prélevé sur le pass Culture, dans la mesure où la commission considère qu'une offre culturelle diversifiée sur les territoires est un préalable nécessaire pour permettre au pass Culture de remplir ses objectifs de démocratisation culturelle et de diversification des pratiques des jeunes. Cette somme permettrait de garantir un soutien minimal de l'État de 175 000 euros à chacune des SMAC dans le but de résorber une partie de leurs difficultés de financement.

La commission a bien noté que la ministre de la culture, lors de son audition le 24 octobre, estimait qu'il pourrait être plus opportun de différencier le niveau d'accompagnement par l'État des différentes SMAC au regard de l'hétérogénéité de leur situation budgétaire. Bien que l'ensemble des SMAC soit soumis au même cahier des missions et des charges, la commission est ouverte à ce que cette dotation supplémentaire puisse être répartie entre les SMAC d'une manière différente du relèvement du montant plancher à 175 000 euros, dès lors que la solution retenue permette à l'ensemble des lieux labellisés de disposer des moyens appropriés pour continuer à remplir leurs missions. La question du financement des SMAC constitue le point de préoccupation majeur dans le domaine du spectacle vivant, comme l'a reconnu le président de l'association des directeurs régionaux des affaires culturelles lors de son audition.

2. L'impact des Jeux olympiques sur l'édition 2024 des festivals

Si le projet de loi de finances pour 2024, tel qu'il a été considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49-3 de la Constitution, prévoit une revalorisation de 2 millions d'euros du fonds festivals, porté à 12 millions d'euros, des inquiétudes persistent autour de la situation des festivals en 2024 dans la perspective des Jeux olympiques et paralympiques (JOP). Si des solutions ont généralement été trouvées pour permettre le maintien des éditions, les organisateurs craignent toujours de se voir imposer une annulation de dernière minute pour des motifs de sécurité (réquisition des services d'ordre privé par les JOP, manque de sécurité civile). Par ailleurs, la programmation simultanée de nombreux festivals suite aux décisions de report, ainsi que la concurrence créée par les JOP, laissent planer des doutes sur le niveau de la fréquentation.

Face au renchérissement des coûts artistiques, sécuritaires et techniques, accru l'année prochaine par la concomitance des différentes manifestations, le ministère de la culture envisage la possibilité d'une indemnisation des acteurs culturels qui auront subi une perte de recettes liée aux JOP. Des crédits pourraient être ouverts à cet effet en loi de finances de fin de gestion.

La commission considère qu'il s'agit d'un enjeu d'autant plus crucial pour beaucoup de festivals que leur situation budgétaire est fragile et que plusieurs d'entre eux, soutenus par l'État depuis 2022 dans le cadre de sa nouvelle politique en direction des festivals, ne pourront plus prétendre à un soutien de sa part l'année prochaine, puisque les principes d'engagement de l'État définis en 2021 prévoient que l'aide ponctuelle ne peut intervenir au maximum qu'à deux reprises.

3. Les arts visuels, éternel « parent pauvre » de la politique du ministère

En dépit de la progression de 6,7 % des crédits de l'action 2 en 2024, pour un montant total de 150,9 millions d'euros, le secteur des arts visuels estime que le rééquilibrage des crédits en cours par rapport au spectacle vivant2(*) n'est toujours pas à la hauteur du public qu'il touche proportionnellement au spectacle vivant et des retombées qu'il génère en termes économiques ou de droits culturels.

Malgré les efforts budgétaires prévus en 2024, le niveau du soutien financier de l'État reste en deçà des besoins réels du secteur, compte tenu de la sous-dotation initiale dont pâtit l'action 2.

D'une part, les efforts se concentrent essentiellement sur les grands établissements publics, qui représentent les deux tiers des crédits, et les labels, pour un cinquième des crédits. L'aide aux professionnels du secteur est très résiduelle dans le budget total. Le nombre de bénéficiaires des aides est d'ailleurs réduit, passant de 1 335 en 2023 à 738 en 2024. Les aides à la structuration du secteur au travers des SODAVI demeurent très modestes (1,2 M€), alors que ces dispositifs nécessitent d'être inscrits dans la durée pour rendre possible une véritable structuration de l'écosystème des arts visuels dans les territoires. L'absence de convention collective et de dialogue social au sein du secteur a des répercussions directes sur les niveaux de rémunération des salariés et sur les conditions de travail.

D'autre part, les revalorisations de crédits sont insuffisantes pour compenser la hausse générale des coûts subie par les structures des arts visuels et les efforts grandissants qu'elles déploient pour garantir une juste rémunération des artistes dans le cadre du droit d'exposition. À titre d'exemple, les centres d'art ont évalué à 20 % le déficit de financement du budget de fonctionnement médian d'un centre d'art (450 000 euros). Cette situation contraint un nombre croissant de lieux à diminuer les activités qui font pourtant partie de leurs missions, en produisant moins et en organisant moins d'expositions. D'après les représentants du secteur des arts visuels auditionnés, les structures, mêmes labellisées, sont aujourd'hui en danger, en dépit du fait qu'elles soient perçues de l'extérieur comme des structures solides.

Les arts visuels ne bénéficient par ailleurs qu'à la marge ou de manière partielle des politiques mises en place dans le domaine de la création, comme l'a illustré le programme « Mondes nouveaux ». Alors que les arts visuels espéraient que ce programme richement doté de commandes publiques, initié en 2021 dans un objectif de relance, leur était destiné, seuls 29 % des projets sélectionnés dans le cadre du premier appel à manifestation d'intérêt (AMI) relevaient du domaine des arts plastiques (21 % du champ du spectacle vivant et 9 % de l'écriture).

Répartition des projets « Mondes nouveaux 1 »

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication
(chiffres du ministère de la culture)

Les structures déplorent les effets limités de ce programme sur l'économie du secteur. Il n'a concerné qu'un faible nombre de bénéficiaires (260 projets sélectionnés concernant 430 artistes) en comparaison des moyens déployés (30 M€). Les structures des arts visuels n'ont par ailleurs pas été associées à sa mise en oeuvre, l'AMI ayant privilégié les sites du Centre des monuments nationaux et du Conservatoire du littoral comme espaces d'exposition.

La sélection des projets n'a également pas permis de garantir une réelle équité territoriale, même rapportée à la population de chaque région. La visibilité du dispositif est insuffisante. Compte tenu des moyens financiers alloués à ce programme, il convient qu'il permette aussi de faciliter la diffusion au plus grand nombre en plus de soutenir la production. La commission avait exprimé le souhait l'an passé d'une meilleure médiation culturelle des projets sélectionnés.

La rapporteure estime que des correctifs doivent être apportés à ce programme pour justifier le lancement de sa deuxième édition, compte tenu de son coût pour les finances publiques.

De la même manière, les arts visuels ne devraient obtenir que 10 % des crédits alloués au nouveau programme « Mieux produire, mieux diffuser », soit une part inférieure à celle qui leur est échue dans le cadre de la répartition des crédits du programme 131. Ce faible niveau d'accompagnement constitue une source de déception pour le secteur des arts visuels, qui attendait beaucoup de ce programme pour soutenir la production, faciliter la diffusion qui est le volet de leur activité le plus difficile à financer par le biais d'apports extérieurs, et contribuer à la transition écologique. Or, le programme ne vise que les projets de circulation des expositions et la coproduction et il se révèle centré sur les lieux déjà subventionnés par ailleurs. Sur la proposition de sa rapporteure, la commission a déposé un amendement rehaussant d'un million d'euros les crédits destinés à la mise en oeuvre du programme « Mieux produire, mieux diffuser » dans le champ des arts visuels, par le biais d'un transfert de crédits prélevé sur le pass Culture. Cette revalorisation vise à élargir la nature des actions financées et le nombre de ses bénéficiaires. Elle lui parait d'autant plus légitime que le secteur des arts visuels profite jusqu'ici peu des dotations du pass Culture, dans la mesure où ses offres à destination des jeunes sont gratuites et guère valorisées sur l'application.

La commission reste convaincue que le secteur des arts visuels souffre d'un déficit d'observation, ce qui nuit à l'identification de l'ensemble des acteurs concourant à cet écosystème et à la définition de politiques publiques qui lui soient véritablement adaptées. L'organisation d'une véritable observation, comme il en existe dans d'autres secteurs (Centre national de la musique, Centre national du Cinéma), et le développement de centres de ressources constituent des enjeux clés pour permettre au secteur des arts visuels de gagner en visibilité.

De ce point de vue, le manque de moyens humains et financiers du Centre national des arts plastiques et du Conseil national des professions des arts visuels restent de réels obstacles qu'il conviendrait de lever.


* 2 La part des arts visuels dans les crédits du programme « Création » est passée de 9,2 % en 2020 à 14,6 % en 2024.

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