C. LE RISQUE D'UN EFFET D'ÉVICTION

Plus largement, la rapporteure s'interroge sur un possible « effet d'éviction » favorisant les CEF au détriment d'autres formes de placement.

En effet, et comme l'ont rappelé en audition les représentants de Citoyens & Justice de l'UNIOPSS6(*) pour le compte du SAH (qui gère la grande majorité des CEF), le nombre de journées en CEF a explosé en 2005 et 2022, passant de 32 000 à plus de 100 000 ; dans le même temps, l'hébergement dit « diversifié » (donc hors CEF et CER) s'est effondré, passant de 300 000 à 138 000 journées.

Le risque est ainsi que les créations de places en CEF ou en CER soient « gagées » par des suppressions dans les autres structures. Selon les représentants du SAH, cette évolution peut s'expliquer à la fois par la plus grande facilité de gestion de ces centres (qui, financés par un seul intervenant, sont d'un pilotage plus simple que les autres structures qui font l'objet d'une gestion conjointe) comme par la méconnaissance, de la part des éducateurs et des magistrats, de la richesse des autres possibilités existantes en matière de placement.

La rapporteure s'inquiète de cette situation, qui porte notamment préjudice à deux leviers pourtant essentiels pour la réinsertion des mineurs délinquants.

Le premier concerne les établissements à double habilitation, civile et pénale, qui permettent d'envisager un suivi des mineurs plus stable et plus pérenne : une fois la prise en charge pénale achevée, cette formule ouvre la possibilité de débuter une prise en charge civile sans changer d'établissement et offre « une réversibilité des parcours du pénal vers le civil et l'administratif avant de rejoindre le droit commun »7(*). Plus largement, une telle diversification des solutions d'accueil impose une meilleure concertation entre le secteur public et le SAH dans une logique de complémentarité et d'adaptation aux spécificités des territoires. Or, comme le relevaient les acteurs du SAH et en particulier la Convention nationale des associations de protection de l'enfance (CNAPE), la coopération, effective au niveau national, mérite d'être approfondie au niveau interrégional : il importe ainsi que chaque direction compétente se saisisse rapidement et pleinement du sujet.

Le second levier négligé est celui des alternatives au milieu fermé. Témoigne, entre autres, de cette négligence la faiblesse du recours à la justice restaurative (qui est à la fois une alternative au milieu fermé, mais aussi un « module » ouvert en parallèle d'un placement en CEF ou en CER) : alors que 27 M€ avaient été prévus par le projet de loi de finances pour 2021, seuls 13 M€ sont aujourd'hui affectés à la justice restaurative. Insuffisamment utilisée par les magistrats, elle est au demeurant peu accessible dans la mesure où elle n'a pas été déployée sur l'ensemble du territoire. Alors que la réparation était au coeur des ambitions du CJPM, il semble que celui-ci a au contraire incité à privilégier le placement en milieu fermé (notamment parce que, désormais moins longs, les placements semblent considérés comme « moins graves » par les magistrats) et n'est pas parvenu à stimuler le recours à des formes pourtant innovantes de réponse pénale.

La rapporteure appelle le Gouvernement à prendre toute la mesure de cette situation et à suivre les judicieuses recommandations de la Cour des comptes en reconnaissant l'impérieuse nécessité, « avant de lancer de nouveaux projets de CEF au-delà de ceux déjà engagés, d'établir les besoins à satisfaire, en se fondant sur une évaluation de l'offre existante et la réalisation de schémas régionaux tenant compte des autres dispositifs de placement de la PJJ et intégrant les conséquences de la réforme de la justice pénale des mineurs ». Elle ajoute que cette réflexion devra tenir compte de la nécessité d'inscrire les CEF dans une « palette » de réponses possibles et s'éloigner de la logique actuelle qui tend à faire des CEF une solution « par défaut », loin de leur philosophie initiale qui en faisait un dernier recours.


* 6 Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux.

* 7 Réponse écrite commune de Citoyens et Justice et de l'UNIOPSS au questionnaire.

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