EXAMEN DES ARTICLES

TITRE II
PROMOUVOIR LA BIENTRAITANCE EN LUTTANT CONTRE LES MALTRAITANCES DES PERSONNES EN SITUATION DE VULNÉRABILITÉ ET GARANTIR LEURS DROITS FONDAMENTAUX

Article 5
Encadrement de l'activité des mandataires judiciaires à la protection des majeurs dans le code de l'action sociale et des familles

L'article 5 a pour objet de définir les missions accomplies par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM) et de les soumettre à une formation continue obligatoire. Il leur imposerait également de signaler auprès d'une instance dédiée tout cas de maltraitance et au procureur de la République tout crime ou délit commis à l'encontre d'une personne protégée et dont ils auraient connaissance en exerçant leurs fonctions.

La commission s'est montrée favorable à l'adoption d'une définition des missions des MJPM dans le code de l'action sociale et des familles (CASF), tout en renvoyant aux grands principes déjà définis par le code civil.

En revanche, elle a souhaité supprimer :

- la référence à une charte éthique définie par arrêté ministériel puisqu'un document rédigé en concertation avec les organisations représentant la profession existe déjà ;

- la disposition créant des obligations de signalement spécifiques, afin de conserver les obligations de droit commun qui semblent suffisantes.

La commission a donné un avis favorable à l'article ainsi modifié.

1. Favoriser une meilleure reconnaissance de la profession des mandataires judiciaires à la protection des majeurs

La profession de mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM) a été formellement créée par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs. Salariés au sein de services mandataires, en exercice libéral ou préposés d'établissement, ils prêtent tous serment devant le tribunal judiciaire et sont soumis à des règles communes de formation certifiée, de contrôle, d'évaluation et de rémunération.

En 2022, 72 % des près de 61 000 mesures de curatelle et de tutelle leur ont été confiés.

Hormis un rappel sur le fait qu'ils exercent à titre habituel les mesures de protection des majeurs que le juge des tutelles prononce, aucune définition de leurs missions n'est à ce jour inscrite dans la loi, au risque de créer une certaine confusion avec d'autres professions, en particulier celles qui assurent des mesures d'accompagnement social.

Afin d'améliorer la reconnaissance de ce jeune métier, qui souffre d'un manque d'attractivité, l'article 5 de la proposition de loi vise à définir dans le code de l'action sociale et des familles (CASF) leurs missions en s'appuyant sur un document élaboré en collaboration avec les représentants des professionnels du secteur7(*). La commission a été favorable à cet ajout, tout en préférant définir les principes de l'action des MJPM par référence à l'article 415 du code civil8(*) afin d'éviter des dissonances entre les deux codes.

Elle a également salué l'inscription d'une obligation de formation continue qui permettrait de systématiser une pratique existante et de s'assurer notamment que les MJPM demeurent informés des évolutions législatives.

En revanche, elle a souhaité supprimer la référence à une charte éthique définie par arrêté ministériel. La profession des MJPM s'est déjà dotée de « repères pour une réflexion éthique » issus du consensus de l'ensemble des fédérations du secteur après deux ans de travaux. Il semble donc inutile de prévoir une charte arrêtée par le ministre, ce d'autant plus que la profession ne s'est pas structurée autour d'un ordre disposant d'un pouvoir disciplinaire. Le document existant semble suffisant en l'état et plus susceptible d'appropriation par la profession qu'une charte arrêtée par un ministre.

En conséquence, et en coordination avec la commission des affaires sociales saisie au fond, la commission des lois a adopté l'amendement COM-100, qui a également supprimé le caractère annuel de la formation continue obligatoire pour donner plus de souplesse d'organisation.

La liste nationale des mandataires judiciaires radiés,
un dispositif favorisant la qualité et la probité des MJPM qui manque à l'appel

L'article L. 471-3 du code de l'action sociale et des familles (CASF) prévoit la création d'une « liste noire » nationale des mandataires judiciaires à la protection des majeurs interdits d'exercer leur profession. Créée par la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, elle était censée être mise en place le 1er janvier 2009. Elle est depuis unanimement réclamée par les instances représentatives du secteur.

En juillet 2023, le rapport issu des États généraux de la maltraitance a rappelé l'importance de veiller à la qualité et à la probité des mandataires judiciaires en mettant effectivement en place cette liste, en ouvrant son accessibilité plus largement aux autorités judiciaires, aux directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) et aux directions départementales de l'emploi, du travail et des solidarités (DDETS), et en rendant obligatoire sa consultation par les commissions d'examen des candidatures.

2. Refuser de prévoir des obligations de signalement spécifiquement mises à leur charge

L'article 5 imposerait également aux MJPM de signaler les cas de maltraitance9(*) à une nouvelle cellule départementale de recueil et de suivi des signalements créé par l'article 4 et d'informer sans délai le procureur de la République des délits ou crimes commis à l'encontre de personnes protégées et portés à leur connaissance dans l'exercice de leurs fonctions.

En l'état du droit, les MJPM ont une obligation de signaler les actes de maltraitance à l'autorité judiciaire, en application de l'article 434-3 du code pénal qui prévoit que le fait, pour quiconque ayant eu connaissance de privations, de mauvais traitements ou d'atteintes sexuelles infligés à une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. Par ailleurs, il entre dans leurs missions de protéger la personne et ses intérêts patrimoniaux, ce qui implique de signaler au juge des tutelles et au procureur tout fait qui pourrait recevoir une qualification pénale, sachant qu'ils n'y sont pas empêchés par un secret professionnel au sens de l'article 226-13 du code pénal.

Enfin, l'article 4 de la proposition de loi qui crée une obligation générale de signalement de maltraitance sur des personnes vulnérables à une instance départementale de recueil et de suivi ad hoc les concerne déjà, sans qu'il soit nécessaire de reproduire cette obligation dans un article dédié.

La commission a adopté l'amendement COM-101 rédigé en concertation avec les rapporteurs de la commission des affaires sociales.

La commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 5 ainsi modifié.

Article 5 bis A
Contrôle des antécédents judiciaires des personnes intervenant auprès de majeurs vulnérables et élargissement des usages du Fijais

Cet article additionnel, adopté par l'Assemblée nationale par voie d'amendement en séance, vise à étendre le champ de l'article L. 133-6 du code de l'action sociale et des familles (CASF) qui instaure un mécanisme d'incapacité et de contrôle des antécédents judiciaires des personnes exerçant des fonctions permanentes ou occasionnelles dans les établissements, services ou lieux de vie et d'accueil du secteur social et médico-social.

Il élargirait le champ des professionnels concernés par les interdictions d'exercice aux services de gardes d'enfants ou d'assistance aux personnes âgées et handicapées, y compris auprès d'employeurs particuliers, et autoriserait l'accès au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais) pour procéder à des vérifications concernant des activités ou professions impliquant un contact avec des majeurs vulnérables, et non plus seulement avec des mineurs.

La disposition proposée donnerait également une base légale à un système d'information sécurisé permettant d'automatiser la consultation du bulletin n° 2 du casier judiciaire (B2) et du Fijais et de délivrer un « certificat d'honorabilité » aux personnes pour lesquelles aucune infraction entraînant incapacité n'est repérée.

Elle permettrait d'engager une procédure de suspension temporaire d'activité ou d'agrément en cas de condamnation non définitive ou de mise en examen d'une personne inscrite au Fijais.

En concertation avec la commission des affaires sociales saisie au fond, la commission a accepté l'extension du champ de l'incapacité professionnelle et des finalités du Fijais au regard de l'objectif de protection des personnes vulnérables contre les risques de réitération d'infractions commises par des professionnels ou bénévoles en contact avec elles.

Elle a clarifié les conditions dans lesquelles le directeur d'établissement peut être informé d'une condamnation non définitive ou d'une mise en examen inscrite dans le Fijais et a soumis sa décision de suspension provisoire à une analyse in concreto établissant l'existence de risques pour la santé ou la sécurité des mineurs ou majeurs en situation de vulnérabilité avec lesquels la personne est en contact.

La commission a donné un avis favorable à l'article ainsi modifié.

L'article 5 bis A de la proposition de loi concerne le mécanisme d'incapacité et de contrôle des antécédents judiciaires des personnes exerçant des fonctions - permanentes ou occasionnelles, y compris bénévole, dans les établissements, services ou lieux de vie et d'accueil du secteur social et médico-social. Le contrôle des antécédents judiciaires est assuré, au moment du recrutement puis en cours d'exercice, par la délivrance du bulletin n° 2 du casier judiciaire et par l'accès aux informations contenues dans le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijais), depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite « loi Taquet ».

La rapporteure a regretté qu'un tel dispositif ait été introduit par amendements en séance10(*) sans étude d'impact ni avis du Conseil d'Etat, compte tenu de sa sensibilité au regard des libertés publiques.

1. Accepter une extension de l'incapacité professionnelle et du contrôle des antécédents judiciaires pour protéger les majeurs vulnérables

L'article 5 bis A étendrait le champ des professionnels concernés par les interdictions d'exercice aux services de gardes d'enfants ou d'assistance aux personnes âgées et handicapées, y compris auprès d'employeurs particuliers, et autoriserait l'accès au Fijais pour procéder à des vérifications concernant des activités ou professions impliquant un contact avec des majeurs vulnérables, et non plus seulement avec des mineurs. Il faciliterait en outre l'accès indirect par les exécutifs locaux à ce fichier par l'intermédiaire de toute administration désignée par décret en conseil d'Etat, et non plus uniquement par le biais des préfets.

La disposition proposée augmenterait ainsi considérablement le nombre de personnes pouvant faire l'objet d'un contrôle des antécédents judiciaires et d'incapacité professionnelle11(*), tout en changeant substantiellement la nature d'un fichier créé en 200412(*) dans le but explicite de protéger les mineurs.

Malgré ces réserves, la commission a estimé que l'objectif de protection de personnes en état de vulnérabilité contre la réitération de certaines infractions commises à leur préjudice justifiait une atteinte qui resterait proportionnée à la liberté d'entreprendre et au respect de la vie privée13(*).

Par son amendement COM-104, elle a souhaité clarifier le champ des activités ou professions pour lesquelles la consultation du Fijais serait étendue en faisant expressément référence à l'état de vulnérabilité des personnes majeures concernées14(*).

2. Conforter un contrôle des antécédents judiciaires par un système d'information dédié interrogeable par les personnes concernées

Pour des raisons pratiques, compte tenu de son ampleur, le criblage ainsi instauré serait mis en oeuvre via un système d'information dédié permettant la systématisation du contrôle du B2 et du Fijais et une interrogation directe par les candidats, professionnels ou bénévoles concernés. Le résultat de cette vérification prendrait la forme d'un « certificat d'honorabilité » qui semble avoir vocation à remplacer le bulletin n° 3 du casier judiciaire (B3), prévu par l'article 777 du code de procédure pénale, qui permet à toute personne désireuse de présenter un état de ses antécédents judiciaires soit de sa propre volonté, soit à la suite d'une demande administrative, mais dont le champ est plus restreint15(*).

Cet outil baptisé « SI Honorabilité » est en cours de déploiement au sein des ministères sociaux et déjà utilisé pour contrôler les antécédents judiciaires des éducateurs bénévoles16(*). L'article 5 bis A de la proposition de loi lui donnerait la base légale nécessaire à son interconnexion avec le casier judiciaire et le Fijais, par dérogation aux articles 706-53-11 et 777-3 du code de procédure pénale.

Les conditions de ce traitement seraient fixées par décret en Conseil d'Etat, soumis pour avis à la Commission nationale de l'informatique et des libertés17(*) qui vérifierait à cette occasion les garanties mises en place, afin d'assurer de manière sécurisée la délivrance, l'accès et le stockage des certificats d'honorabilité.

Par amendement COM-102 de la rapporteure, la commission a souhaité apporter deux modifications de clarification afin de supprimer :

les termes « certificat d'honorabilité » qui ne recouvrent aucune réalité puisqu'il s'agit seulement d'un document attestant à un instant donné de l'absence d'inscription au casier judiciaire et Fijais ;

- la mention de la possibilité qu'a la personne concernée d'obtenir elle-même un extrait intégral de ces fichiers par demande adressée au procureur de la République en application des articles 706-53-9 et 777-2 du code de procédure pénale, qui compliquerait inutilement la compréhension de cette disposition.

3. Mieux encadrer la suspension provisoire en cas de condamnation non définitive ou de mise en examen

L'article 5 bis A prévoit enfin la possibilité pour tout responsable d'établissement de prononcer une mesure de suspension temporaire d'activité ou d'agrément jusqu'à la décision définitive de la juridiction compétente, en cas d'inscription au Fijais pour une condamnation non définitive ou en raison d'une mise en examen.

À l'initiative de la rapporteure et compte tenu de la sensibilité de ce dispositif au regard du principe de présomption d'innocence, la commission a souhaité clarifier les conditions dans lesquelles le directeur d'établissement pourrait être informé d'une condamnation non définitive ou d'une mise en examen d'un intervenant inscrite dans le Fijais. La formulation actuelle semble en effet ambiguë car elle laisse penser que l'information lui serait directement accessible ; en tout cas, elle ne précise pas le canal de transmission de cette information, ce qui semble problématique s'agissant de structures qui peuvent être de droit privé. Afin de sécuriser cette question, une référence aux transmissions d'informations par le Parquet déjà prévues par le code de procédure pénale18(*) semble donc en l'état préférable.

Enfin, afin de restreindre le recours aux mesures de suspension provisoire aux cas les plus nécessaires, il lui a paru souhaitable d'imposer une analyse in concreto établissant l'existence de risques pour la santé ou la sécurité des mineurs ou majeurs en situation de vulnérabilité avec lesquels la personne est en contact.

À cette fin, la commission a adopté l'amendement COM-103, que la rapporteure a élaboré en concertation avec les rapporteurs de la commission des affaires sociales, qui tend par ailleurs à supprimer la possibilité pour un directeur d'établissement de suspendre un agrément car cette suspension relève de la compétence de l'autorité qui le délivre.

La commission a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 5 bis A ainsi modifié.


* 7 « Repères pour une réflexion éthique des mandataires judiciaires à la protection des majeurs », ministères sociaux et ministère de la justice, 2021. Ce texte a été construit en partenariat avec la Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs (FNMJI), la Fédération nationale des associations tutélaires (FNAT), l'Union nationale des associations familiales (UNAF), l'Union nationale des associations de parents d'enfants inadaptés (Unapei), le Centre de formation et de recherche sur l'aide et le soin (CFRAS), l'Association Nationale des Mandataires Judiciaires à la Protection des Majeurs (ANMJPM) et l'Association nationale des délégués et personnels des services mandataires à la protection juridique des majeurs (ANDP).

* 8 Respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne, finalité dans l'intérêt de la personne protégée et autonomie.

* 9 Définie à l'article L. 119-1 du code de l'action sociale et des familles (CASF) depuis la loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, dite « loi Taquet ».

* 10 Amendements identiques n° 1005 de la rapporteure Annie Vidal et n° 1287 de Freddy Sertin et des autres députés du groupe Renaissance

* 11 La direction générale de la cohésion sociale du ministère du travail, de la santé et des solidarités estime que le nombre de personnes concernées par cette extension s'élève à 1 million s'agissant des personnes déjà en poste.

* 12 Par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. D'abord baptisé Fijais, la lettre « V » est ensuite ajoutée à l'acronyme car des crimes n'ayant pas de caractère sexuel y sont mentionnés dès 2005.

* 13 Voir la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-904 QPC du 7 mai 2021, pour une disposition similaire (article L. 212-9 du code du sport).

* 14 Cette précision semble nécessaire notamment au regard de la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-888 QPC du 12 mars 2021 (Mme Fouzia L.).

* 15 Il contient les informations sur les peines d'emprisonnement de deux ans et plus sans sursis, tout comme les suivis socio-judiciaires et les peines d'interdiction d'activités professionnelles ou sociales en contact avec des mineurs, le temps de leur durée d'application.

* 16 Selon la direction des affaires criminelles et des grâces, les données d'identité de 158 247 éducateurs bénévoles ont ainsi été vérifiées au FIJAISV grâce à ce système en novembre 2023.

* 17 En application de l'article 8 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

* 18 L'article 11-2 du code de procédure pénale permet au parquet d'informer l'administration, les personnes publiques, les personnes morales de droit privé chargées d'une mission de service public ou les ordres professionnels de la mise en examen ou de la condamnation non définitive d'une personne qu'ils emploient, y compris à titre de bénévole, s'il estime cette transmission nécessaire, en raison de la nature des faits ou des circonstances de leur commission, pour mettre fin ou prévenir un trouble à l'ordre public ou pour assurer la sécurité des personnes ou des biens.

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