N° 579

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 mai 2024

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif,

Par M. Jean-François HUSSON,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet,
Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (16ème législ.) :

1176, 1928 et T.A. 231

Sénat :

292 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Déposée le 28 avril 2023 par Annaïg Le Meur et plusieurs de ses collègues, la proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif devait initialement ne concerner que les zones tendues. Le titre de la proposition de loi a ensuite été amendé pour tenir compte de l'évolution du texte, qui concerne désormais l'ensemble du territoire. Elle a été adoptée le 29 janvier 2024 par l'Assemblée nationale.

La commission des finances, réunie le 7 mai 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, a examiné le rapport de M. Jean-François Husson sur les articles 3 et 4 de la proposition de loi n° 292 (2023-2024), délégués à la commission des finances par la commission des affaires économiques.

Alors que nos concitoyens rencontrent d'importantes difficultés pour accéder au logement, la présente proposition de loi apporte quelques éléments de réponse, afin de limiter l'essor des meublés de tourisme et l'effet d'éviction sur le parc de logements.

Outre les mesures de régulation et d'encadrement de l'activité, qui relèvent de la compétence de la commission des affaires économiques, les articles 3 et 4 prévoient des dispositifs fiscaux censés rendre le régime fiscal applicable aux meublés de tourisme moins attractif.

La commission a ainsi adopté deux amendements du rapporteur. Le premier amendement ( COM-37) vise à modifier l'article 3 afin :

- d'aligner le plafond du régime micro-BIC applicable aux locations meublées de tourisme non classés sur celui des loueurs de meublés non professionnels (LMNP), à savoir 23 000 euros ;

- d'aligner les revenus tirés de la location de meublés classés sur un régime micro-BIC existant, en les intégrant aux catégories d'activité qui bénéficient du régime jusqu'à 77 700 euros de chiffre d'affaires et de 50 % d'abattement. Cet alignement permet de conserver un caractère incitatif au classement et de prendre en compte le différentiel de charges existant entre un meublé classé et un meublé non classé ;

- de supprimer la référence à un abattement de 71 % pour certains meublés de tourisme classés, qui constitue, dans le droit actuellement en vigueur, un avantage fiscal excessif. Ainsi, est également supprimée la référence à un zonage, alors que l'ensemble des hébergements classés sont intégrés à une même catégorie.

Le second amendement ( COM-38) supprime l'article 4, qui modifie de manière substantielle le régime d'imposition des plus-values des loueurs de meublés touristiques non professionnels sans qu'aucune étude d'impact n'ait été réalisée en amont, ni qu'aucune évaluation précise n'ait pu être transmise ensuite.

I. LA RÉFORME DE LA FISCALITÉ DES MEUBLÉS DE TOURISME A TOURNÉ À L'IMBROGLIO LORS DE L'EXAMEN DU PLF 2024

A. LES MEUBLÉS DE TOURISME CLASSÉS BÉNÉFICIENT D'UNE FISCALITÉ FAVORABLE AU TITRE DU RÉGIME MICRO-BIC, QUE LE GOUVERNEMENT A VOULU RÉFORMER SANS S'Y ÊTRE VRAIMENT PRÉPARÉ

La classification d'un meublé de tourisme permet aux loueurs de bénéficier d'un régime fiscal favorable. Avant la loi de finances initiale pour 2024, alors que le droit commun du régime micro-BIC prévoyait, pour les meublés non classés, un abattement sur le chiffre d'affaires de 50 % jusqu'à un plafond de 77 700 euros, l'abattement sur le chiffre d'affaires était porté à 71 % et le plafond d'éligibilité à 188 700 euros pour les hébergements classés. Dans une interview au Parisien en date du 26 septembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, avait indiqué vouloir remettre en cause le niveau d'abattement applicable aux revenus issus de la location de meublés classés de tourisme.

Ainsi, le ministre a indiqué « nous allons également prendre une mesure sur les locations meublées classées, type Airbnb. Aujourd'hui, environ 100 000 logements loués en France bénéficient d'un abattement fiscal de 71 %. C'est énorme ! C'est une incitation à ne pas mettre son logement à la location, puisque vous pouvez gagner autant d'argent en trois mois qu'en une année ! Nous réduirons cet abattement fiscal à 50 % comme pour les autres logements meublés pour que ces Airbnb reviennent sur le marché. » Qu'il soit permis de rectifier ici les propos du ministre : l'abattement de 71 % concerne uniquement les meublés de tourisme classés, soit seulement un cinquième des logements mis en location sur Airbnb1(*).

Le projet de loi de finances pour 2024, présenté en conseil des ministres le lendemain, 27 septembre, ne comportait cependant aucune mesure concernant les meublés de tourisme. Le sujet a finalement été intégré au texte par la voie d'un amendement gouvernemental alors que le rapport recommandant cette évolution avait été produit près d'un an et demi auparavant. Ce procédé, auquel le Gouvernement a un recours abusif, a pour conséquence que le Parlement ne dispose d'aucune analyse précise des conséquences de sa mesure, faute d'évaluations préalables. L'article introduit par le Gouvernement supprimait donc le régime préférentiel des meublés classés, et les renvoyait au même régime que les meublés non classés, à savoir un abattement de 50 % jusqu'à 77 700 euros. Un abattement supplémentaire de 21 % du chiffre d'affaires était également prévu, portant l'abattement à 71 %, pour les logements s'ils n'étaient pas situés dans des zones géographiques se caractérisant par un déséquilibre important entre l'offre et la demande de logement et si le chiffre d'affaires lié à cette activité n'excédait pas 50 000 euros.

Modifications du régime fiscal de la location meublée
proposées initialement par le Gouvernement

(en euros et en pourcentage du chiffre d'affaires)

Source : commission des finances du Sénat

B. LE GOUVERNEMENT A RETENU PAR INADVERTANCE, DANS LE TEXTE DÉFINITIF DE LA LOI DE FINANCES POUR 2024, LE DISPOSITIF VOTÉ PAR LE SÉNAT

Le Sénat a, sur la proposition conjointe de Nathalie Goulet, Max Brisson, Ian Brossat et Rémi Féraud, ainsi que plusieurs de leurs collègues, adopté un dispositif prévoyant l'application d'un abattement réduit à 30 % pour les locaux meublés de tourisme non classés, dans un plafond de revenus de 15 000 euros. Par ailleurs, un abattement supplémentaire de 21 % était prévu pour les abattements classés, soit un abattement total de 92 % pour les locaux classés meublés de tourisme situés hors des zones géographiques se caractérisant par un déséquilibre important entre l'offre et la demande de logements, dans la limite d'un chiffre d'affaires hors taxes de 15 000 euros.

En nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a, dans l'élaboration du texte sur lequel il a engagé sa responsabilité en application du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, retenu cet article sans modification, reconnaissant par la suite une erreur. Postérieurement à la promulgation de la loi de finances pour 2024, la doctrine fiscale a indiqué que, « afin de limiter les conséquences d'une application rétroactive de cette mesure à des opérations déjà réalisées, il est admis que les contribuables puissent continuer à appliquer aux revenus de 2023 les dispositions de l'article 50-0 du code général des impôts, dans leur version antérieure à la loi de finances pour 2024 ».

II. LA PROPOSITION DE LOI PROPOSE DE NOUVEAUX PARAMÈTRES POUR L'IMPOSITION AU RÉGIME MICRO-BIC DES MEUBLÉS DE TOURISME

L'article 3 de la présente proposition de loi propose de modifier les seuils d'éligibilité au régime micro-BIC des meublés de tourisme classés et non classés, et de faire évoluer les niveaux des abattements applicables. Le dispositif prévoit que les meublés de tourisme classés seraient éligibles jusqu'à 30 000 euros au régime micro-BIC, tandis que les meublés de tourisme non classés ne pourraient bénéficier de ce régime que jusqu'à 15 000 euros de revenus. L'abattement applicable s'élèverait dans les deux cas à 30 %.

Le dispositif prévoit de porter l'abattement du régime micro-BIC à 71 % du chiffre d'affaires pour les hébergements classés lorsqu'ils sont situés dans une commune très peu dense au sens de la grille communale de densité de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) ou dans une commune classée station de sports d'hiver et d'alpinisme. Cet abattement ne concernerait que les locations dont le chiffre d'affaires n'excéderait pas 50 000 euros au cours de l'année.

Plafonds et abattements du régime micro-BIC
adoptés par l'Assemblée nationale

(en euros et en pourcentage du chiffre d'affaires)

Source : commission des finances du Sénat

III. LA COMMISSION A MAINTENU L'OBJECTIF DE RÉÉQUILIBRER LA FISCALITÉ DES MEUBLÉS DE TOURISME ET TOUT EN MAINTENANT LA SIMPLICITÉ DU RÉGIME MICRO-BIC

L'amendement COM-37 adopté par la commission propose d'aligner le taux d'abattement du régime micro-BIC de la location de meublés de tourisme non classés sur le régime micro-foncier de la location nue, à savoir un abattement de 30 % du chiffre d'affaires.

Par ailleurs, dans un objectif de lisibilité et de simplicité, l'amendement aligne le plafond du régime micro-BIC des meublés de tourisme non classés sur celui de la location meublée non professionnelle (LMNP), à savoir 23 000 euros de chiffre d'affaires.

Proposition de plafonds et d'abattements du régime micro-BIC

(en euros et en pourcentage du chiffre d'affaires)

Source : commission des finances du Sénat

Les meublés de tourisme classés doivent faire l'objet d'un traitement différencié par le législateur dans la mesure où le classement des hébergements meublés répond à un objectif de montée en gamme des capacités d'accueil touristique. Ainsi, l'amendement COM-37 adopté par la commission des finances prévoit que les meublés de tourisme classés bénéficient d'un abattement de 50 %. Ils seraient ainsi maintenus dans le droit commun du régime micro-BIC et ne feraient pas l'objet d'un traitement dérogatoire comme les meublés de tourisme non classés. L'amendement supprime la référence à un zonage, qui reviendrait, au regard des autres taux définis par l'amendement, à maintenir une dépense fiscale excessive au profit de certains hébergements et qui créerait des différences entre contribuables difficilement justifiables.

IV. UNE RÉFORME À L'AVEUGLE DU CALCUL DE LA PLUS-VALUE DES LOUEURS DE MEUBLÉS DE TOURISME NON PROFESSIONNELS

L'article 4 de la proposition de loi prévoit de réintégrer au calcul de la plus-value de cession des loueurs de meublés touristiques non professionnels les amortissements déduits du revenu de la location de ces biens. Ce dispositif ayant été introduit par amendement parlementaire lors de l'examen du texte par la commission des finances de l'Assemblée nationale, il n'est accompagné d'aucune étude d'impact et l'administration n'a été en mesure d'apporter aucun élément précis sur les conséquences de la mise en oeuvre de ce dispositif. Alors que les régimes d'imposition des plus-values des particuliers et des professionnels diffèrent sensiblement, notamment en termes d'abattements et d'exonérations, il aurait pourtant été indispensable d'évaluer avec précision les conséquences de ce changement de régime, afin de s'assurer qu'il ne conduit pas à des différences de traitement injustifiées. L'amendement  COM-38, adopté par la commission, a supprimé cet article et renvoyé une éventuelle modification de ce dispositif fiscal à la loi de finances, sur la base d'une étude précise de son impact.


* 1 D'après les informations recueillies par le rapporteur auprès de l'entreprise, seuls 20 % des logements sur la plateforme seraient des logements classés de tourisme.

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