CHAPITRE IV LA POLITIQUE DE L'ESPACE

La politique générale définie par le Gouvernement dans le domaine de l'espace repose sur la conviction -entièrement fondée- que l'espace est un domaine de souveraineté emportant des enjeux industriels majeurs et qu'il nécessite, de ce fait, une action déterminée de l'État. Les orientations générales de cette politique, exposées -le 4 octobre 1994- dans une déclaration du Premier Ministre, ont été depuis confirmées et précisées par les décisions prises à Toulouse, en octobre 1995, par la Conférence des Ministres de l'Espace de l'Union européenne.

C'est pourquoi, le présent rapport s'attachera à présenter ces décisions porteuses d'avenir, après avoir brièvement rappelé les principaux objectifs de la politique spatiale française et avoir mis en évidence son impact sur l'activité économique.

I. LES PRINCIPAUX OBJECTIFS

A. LES GRANDS PROGRAMMES D'INFRASTRUCTURES ET LES PROGRAMMES SCIENTIFIQUES

Dans le domaine civil, la France a choisi de privilégier le cadre de l'Agence spatiale européenne pour les programmes scientifiques et pour les grands programmes d'infrastructures lourdes.

Rappelons, pour mémoire, que, dans le domaine militaire, la priorité donnée à la composante spatiale résulte des orientations à long terme fixées par le Livre blanc sur la défense et se traduit concrètement par la loi de programmation militaire.

C'est au programme Ariane 5 qu'est actuellement donnée la première priorité. La France s'est tout particulièrement attachée à renforcer la solidarité européenne autour de ce programme. Il s'agit, en effet, que le lanceur Ariane puisse disposer des mêmes avantages que ses grands concurrents internationaux et conserver la flatteuse position commerciale qu'il a su acquérir.

LE PROGRAMME ARIANE 5


• L'intérêt du programme

L'Europe dispose depuis maintenant 15 ans, avec Ariane, d'une autonomie d'accès à l'espace qui lui permet de déployer, sans contrainte extérieure, les systèmes spatiaux nécessaires à son rayonnement scientifique, à son développement économique et à sa défense.

Mais le maintien de cette autonomie, dans des conditions de crédibilité technique suffisante et à un coût acceptable pour les gouvernements européens, impose que le lanceur soit exploité avec fréquence et régularité, ce que ne permet pas le niveau modeste des besoins proprement européens. Il est donc essentiel, pour Ariane, de servir une part importante du marché mondial des services de lancement (15 à 20 satellites à lancer par an). Cet impératif de compétitivité est une constante de l'effort européen et explique l'enchaînement des développements conduisant d'Ariane-1 à Ariane-4, puis au nouveau lanceur Ariane-5 qui entrera en service du début de 1996.

L'entrée en service d'Ariane-4 en 1988 -qui a porté la performance en lancement double à 4,0 tonnes- puis la mise en production d'une série de 50 lanceurs ont assuré à Arianespace la première place sur le marché des satellites, avec près des deux tiers des contrats commerciaux de lancement. Cependant, l'évolution de ce marché et l'accentuation de la concurrence -due au renforcement des offres américaine, russe et chinoise- a confirmé le nécessaire passage à Ariane-5. Ce nouveau lanceur devrait permettre à Arianespace de réhausser sa compétitivité par un recours systématique au lancement double -grâce à une performance portée à 5,9 tonnes- et par un coût de lancement inférieur à celui d'Ariane-4, lorsque la production aura atteint un régime de croisière.


Son état d'avancement

Le programme Ariane-5 est aujourd'hui en phase finale de développement et se déroule sans difficulté majeure. Le premier vol de qualification est prévu pour janvier 1996 et le second cinq mois plus tard. Arianespace assurera ensuite l'exploitation opérationnelle à compter de la fin 1996. Une phase dite de transition s'ouvrira alors sur trois ans, pendant laquelle Ariane-5 et les derniers Ariane-4 seront exploités simultanément. À partir de l'an 2000, il est prévu qu'Ariane-5 soit exploitée seule à une fréquence d'au moins cinq lancements par an.

À l'heure actuelle, le programme d'essais de l'étage principal cryotechnique se poursuit selon un calendrier se déroulant conformément aux prévisions. L'ensemble des installations sol à Kourou est achevé et est en phase de mise en configuration. Le premier modèle de vol est maintenant sorti des chaînes d'assemblage et les essais devraient donc commencer à la date fixée.

Le coût à achèvement devrait approcher 37,4 milliards de francs, soit 120 % de l'enveloppe financière initiale.


• Ses perspectives commerciales

Le transport de 5,9 tonnes en orbite de transfert géostationnaire, objectif défini dès 1987 pour Ariane-5, est bien adapté aux prévisions actuelles du marché à l'horizon 2000. Une telle performance permet en effet d'associer, dans le cadre d'un lancement double, un satellite de 3 tonnes à un satellite de 2,5 tonnes, qui sont tous deux des composantes importantes du marché dans les projections actuelles. L'évolution vers des satellites de 3 à 3,5 tonnes au-delà des années 2002 rendra cependant plus difficile la réalisation systématique de lancements doubles dans la limite de la performance actuelle d'Ariane-5.

C'est pourquoi, a été élaboré un programme complémentaire « Évolution Ariane-5 » d'un montant estimé à 6,6 milliards de francs, dont le démarrage a été décidé à la Conférence de Toulouse. Ce programme repose sur un ensemble de développements qui permettront d'accroître les performances du lanceur tout en conservant sa simplicité de conception et sa fiabilité.

Le projet de station spatiale internationale est la seconde priorité des grands programmes d'infrastructure spatiale. Dans le contexte de la disparition de l'affrontement Est-ouest, ce projet impulsé par les États-Unis et dont le principal objectif est la maîtrise d'une coopération technique à l'échelle mondiale présente un caractère symbolique trop marqué. L'Europe prévoit de s'y associer -au travers de l'Agence spatiale européenne (ESA)- en fournissant un laboratoire pressurisé (Columbus Orbital facility) et un véhicule de transport de fret (Ariane Transfer Vehicle) se substituant au dernier étage d'Ariane.

Enfin, ne l'oublions pas, la France contribue au programme scientifique obligatoire de l'ESA par la réalisation, au plan national, d'instruments scientifiques destinés à être embarqués sur des satellites de l'ESA.

B. LES PROGRAMMES CIVILS OPÉRATIONNELS OU AYANT DES APPLICATIONS COMMERCIALES

Il avait été indiqué, en octobre 1994, que « le cadre national sera retenu pour tout programme civil opérationnel devant conduire à l'exploitation d'un service ou ayant des applications commerciales. Bien entendu, des coopérations internationales seront mises en place aussi souvent que possible. La synergie avec les programmes militaires français sera recherchée, en privilégiant l'observation de la terre et les télécommunications spatiales. »

Sur cette base, le Gouvernement a pris la décision de poursuivre le programme Spot d'observation de la terre avec les modèles Spot 5A et Spot 5B. Ce programme de diffusion de données d'observation a des retombées géopolitiques et économiques importantes, et permet de participer au rayonnement de la France dans le monde. Il contribue également à renforcer la synergie avec le programme militaire d'observation.

LE SYSTÈME SPOT

Le système Spot (satellite pour l'observation de la terre) présente quelques caractéristiques qui méritent d'être soulignées. Construits sous la maîtrise d'oeuvre de Matra Marconi Space, les satellites de cette famille ont, en particulier, l'avantage de la simplicité. Ils sont tous basés sur la même « plate-forme », ce qui permet de moduler la configuration en fonction des besoins. De la sorte, la base sert pour les générations successives de Spot.

Contrairement à leurs confrères américains qui sont installés sur une orbite de « parking » d'où il faut les faire descendre pour observer tel ou tel point précis, les Spot tournent inlassablement. Ce qui permet d'obtenir, avec plusieurs satellites, une vision « dynamique » de la zone observée. De surcroît, évoluant à une plus grande altitude, ils permettent d'avoir un champ de vision plus vaste, couvrant des bandes de superficie terrestre allant jusqu'à 950 km de large.

L'observation est essentiellement optique, c'est-à-dire dans la lumière perceptible par l'oeil humain, mais des capacités limitées permettent aussi de passer dans les premières fréquences de l'infrarouge.

Dernière particularité : les satellites Spot figurent parmi les rares engins d'observation de la Terre dont les enseignements soient accessibles à qui veut bien les acheter. Rien n'empêche un particulier de demander que soit réalisée depuis l'espace une prise de vue de sa maison de campagne. Ainsi, la CEE utilise les vues commercialisées par Spotimage pour vérifier l'application des mesures de mise en jachère des terres agricoles.

Parallèlement, le CNES développe une contribution originale au programme mondial de recherche sur le climat (Topex/Poséidon) recommandé par la deuxième conférence mondiale sur le climat et le sommet de Rio sur l'environnement : il participe à la réalisation d'une série de petits satellites altimétriques (Topex/Poséidon Follow on : TPFO). Ceux-ci sont destinés à assurer au meilleur coût de la continuité des observations des satellites Topex/Poséidon.

L'étude de la définition est menée en coopération entre le CNES et la NASA, auxquels s'est jointe la NOAA, l'agence américaine pour l'étude des océans et de l'atmosphère.

Par ailleurs, les radiocommunications spatiales représentant plus de 80 % des services civils de lancements, la Délégation générale pour l'armement, France Télécom, le CNES et les industriels maîtres d'oeuvre se sont associés pour proposer le programme technologique Stentor. Ce programme vise à permettre la maîtrise des techniques devant assurer les télécommunications du futur. Le Gouvernement en a décidé l'engagement à la fin de 1994.

Il est actuellement proposé de concentrer Stentor sur des techniques correspondant aux marchés des télécommunications du XXIème siècle (autoroutes de l'information et télécommunications mobiles). Un premier satellite expérimental devrait être achevé, à la fin de l'an 2000 et son lancement pourrait avoir lieu en 2001 ou 2002. L'application des décisions prises à Toulouse conduira à réduire les crédits prévus pour ce programme, de 400 millions de francs à 350 millions de francs.

C. LE MAINTIEN DE L'INDÉPENDANCE NATIONALE

Dans le domaine spatial, votre rapporteur pour avis en est convaincu, le maintien de l'indépendance nationale nécessite un effort soutenu de recherche et de développement des technologies.

Or, la plupart de programmes spatiaux sont, à des degrés divers, conduits dans des cadres coopératifs. L'importance dans ce contexte est donc de rester un partenaire dont le savoir faire est reconnu. À défaut, la perte de compétence industrielle pour une technologie essentielle de l'activité spatiale entraînerait, ipso facto, une situation de dépendance à l'égard de nos grands partenaires. Elle porterait en germe une menace sérieuse pour certains pans de notre industrie. Elle pourrait, en outre, perturber la bonne fin des programmes d'intérêt national, civils et militaires.

C'est pourquoi, le maintien de la France parmi les puissances spatiales conduit votre commission à approuver la politique de soutien des techniques et technologies spatiales que le Gouvernement a décidé de mener.

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