II. EXAMEN DE L'AVIS

Au cours d'une première séance qui s'est tenue dans la matinée du mercredi 25 octobre 1995, sous la présidence de M. Jean-Pierre Fourcade, président, la commission a procédé l'examen du rapport pour avis de M. Pierre Lagourgue sur le projet de loi de finances pour 1996 (outre-mer : aspects sociaux).

M. Pierre Lagourgue, rapporteur pour avis, a déclaré à titre liminaire que ce budget de l'outre-mer pour 1996 faisait apparaître des points très positifs concernant tant les orientations de la nouvelle politique en faveur de l'égalité sociale avec la métropole que les moyens financiers qui seraient engagés par le ministère au cours de l'année prochaine. Toutefois, il convient de relever également des aspects moins satisfaisants qui tiennent essentiellement à la situation économique et sociale générale de l'outre-mer.

Il a ensuite présenté les principaux axes de cette politique. En matière de rémunérations, le Gouvernement a décidé un rehaussement du Salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) en deux étapes en vue de son alignement sur le niveau métropolitain. Quant au SMIC applicable dans les départements d'outre-mer (DOM), qui a déjà été revalorisé de 6,84 % au 1er juillet 1995, il augmentera de 6,8 % au 1er janvier 1996.

En matière de prestations familiales et sociales, deux mesures d'alignement font actuellement l'objet d'un décret, en cours de signature, avec date d'application au 1er septembre 1995. Il s'agit de :

- l'allocation de soutien familial attribuée aux personnes ou familles qui assument la charge d'au moins un enfant orphelin ou abandonné dont le montant (à taux plein) passera de 404 francs à 625 francs (soit + 55 %) ;

- la prime de déménagement versée aux familles qui engagent des frais à l'occasion de l'emménagement dans un nouveau logement ouvrant droit à l'allocation logement. Ainsi, un ménage de trois enfants percevra 4.990 francs contre 1.833 francs actuellement.

Par ailleurs, il a précisé que le gouvernement allait proposer d'étendre deux autres allocations à l'outre-mer :

- l'allocation parentale d'éducation à taux plein c'est-à-dire sans laquote-part prévue par la loi du 25 juillet 1994, à compter du 1er janvier1996 ;

- l'allocation pour jeune enfant qui se substituera à la prime pour la protection de la maternité, au complément familial de 0 à 3 ans et à l'allocation familiale au premier enfant de 0 à 3 ans.

Enfin, il a indiqué que, le gouvernement s'était enfin engagé à convoquer d'ici la fin de l'année des « assises de l'égalité sociale active » qui permettront d'examiner les propositions et de définir les plus appropriées à l'égard de l'outre-mer.

Puis il a fait trois observations.

D'abord, il a jugé exagéré de voir dans cette nouvelle politique une rupture par rapport à la politique menée par les précédents gouvernements qui mettaient davantage l'accent sur le principe de parité. L'alignement de l'essentiel des allocations familiales, par exemple, est effectif depuis le 1er juillet 1993. S'agissant du SMIC, le processus de rattrapage a été mis en oeuvre depuis le 1er juillet 1990 et a été poursuivi chaque année.

Ensuite, il a rappelé que l'actuel gouvernement avait pris soin d'annoncer que certaines spécificités seraient maintenues, spécificités auxquelles les élus des DOM sont attachés. Ce sera notamment le cas de la prestation de restauration scolaire et de la créance de proratisation du revenu minimum d'insertion (RMI).

Enfin, troisième remarque, l'extension des allocations n'est pas indistincte. Autrement dit, il y aura une appréciation au cas par cas. Ainsi, n'est-il pas prévu d'aligner le montant de l'allocation de parent isolé.

Puis, M. Pierre Lagourgue, rapporteur pour avis, a abordé l'examen des crédits budgétaires en faveur de l'outre-mer pour 1996.

Le budget proprement dit du ministère de l'outre-mer pour 1996 s'élève à 4,903 milliards de francs soit un doublement des crédits par rapport au budget voté pour 1995 qui était de 2,460 milliards. Cette progression exceptionnelle des crédits s'explique par deux séries de facteurs :

1°) Par le rapatriement dans le budget de l'outre-mer des crédits correspondants à la créance de proratisation du RMI dans les DOM soit 872 millions de francs et à la ligne budgétaire unique (LBU) en faveur du logement social dans les DOM, soit 1,173 milliard de francs en autorisations de programme et 632 millions de francs en crédits de paiement.

2°) Par la montée en régime du fonds pour l'emploi dans les DOM (ou Fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer (FEDOM)) institué par la loi du 25 juillet 1994. Pour 1996, le FEDOM s'élèvera à 1,060 milliard de francs. Le FEDOM enregistre par ailleurs l'incidence de l'alignement du SMIC sur certains contrats en faveur de l'emploi ainsi que de l'alignement de la prime des contrats d'accès à l'emploi sur les nouveaux contrats « initiative-emploi ».

Pour les territoires d'outre-mer, les dotations enregistrent un certain tassement. Aussi, par exemple, le Fonds d'investissement et de développement économique et social (FIDES) bénéficiera d'une dotation de 180 millions de francs en autorisations de programme et de 183 millions de francs en crédits de paiement, soit une baisse de 6 %. La dotation d'investissement allouée à la Nouvelle-Calédonie (390 millions de francs en autorisations de programme et 378 millions de francs en crédits de paiement) sont à peu près reconduites pour permettre de mettre en oeuvre les engagements pris dans le cadre du contrat de développement et des accords de Matignon.

M. Pierre Lagourgue, rapporteur pour avis, a souhaité d'une part que ces crédits soient davantage déconcentrés au niveau des préfets afin d'accélérer les versements correspondants et permettre une utilisation plus proche du terrain et, d'autre part, qu'un effort particulier soit fait en faveur du logement social. Pour 1996, en effet, la LBU a été fixée au même niveau qu'en 1995 alors que le précédent gouvernement s'était engagé à augmenter cette ligne, à compter de 1995, de 100 millions de francs par an pendant cinq ans.

M. Pierre Lagourgue, rapporteur pour avis, a évoqué par la suite des aspects plus préoccupants, tenant au contexte économique et social de l'outre-mer.

Il a souligné la persistance de graves problèmes sociaux liés à l'ampleur du chômage. Au premier semestre 1995, on recensait par rapport à la population active 24,5 % de chômeurs à la Guadeloupe, 23,7 % à la Martinique, 18,8 % en Guyane, et 36,3 % à la Réunion.

Par rapport à 1994, la croissance du chômage dans les DOM s'élève à 9 % contre 1 % environ en métropole. Surtout, le nombre de demandeurs inscrits depuis plus d'un an s'élève à 47 % dans les DOM contre 37,4 % en métropole.

Il a rappelé les conséquences de cette situation.

Le RMI concerne environ 20 % de la population des DOM contre 1,8 % en métropole. Le nombre de bénéficiaires, qui s'était stabilisé en 1993 sous l'effet notamment de l'alignement des allocations familiales, a enregistré une nouvelle hausse en 1994 de 9 % sachant que, contrairement à la métropole, ce sont les personnes et les familles avec enfants qui prédominent.

Il a noté que le dispositif d'application de la « loi Perben » du 28 juillet 1994, qui avait suscité beaucoup d'espoir, avait pris du retard. En effet, les agences d'insertion instituées par cette loi et qui se substituent au conseil départemental d'insertion sont tout juste en cours d'installation et ne seront pleinement opérationnelles qu'au début de l'année 1996. Le décret prévoyant l'alignement du dispositif du Contrat d'aide à l'emploi (CAE) sur celui du Contrat initiative-emploi (CIE) n'a toujours pas été publié (même si le ministre a indiqué qu'il devrait l'être à la mi-novembre) et nombre de chefs d'entreprise ont suspendu leurs recrutements dans l'attente de ces dispositions. Le Gouvernement espère néanmoins atteindre un objectif de 17.500 contrats d'accès à l'emploi en 1996.

Il a enfin abordé certains problèmes qui le préoccupent particulièrement.

En premier lieu, les problèmes de l'enseignement en outre-mer. Si on constate que sept élèves métropolitains sur cent ont un retard de deux ans ou plus en classe de sixième, ils sont 12 % à la Réunion et si en métropole 60 % d'entre eux vont jusqu'en terminale, ils sont seulement 51 % à la Réunion. Par ailleurs, il existe un besoin en personnels d'encadrement pédagogique et technique qui est évalué pour le seul département de la Réunion à environ 2.000 postes. Ces vacances d'emploi ont une incidence certaine sur l'enseignement proprement dit.

En second lieu, il a déploré une disparité choquante qui concerne les tarifs téléphoniques. La minute de téléphone au départ de la Réunion est facturée trois fois plus cher que pour les métropolitains. Cette situation est contradictoire avec les principes de continuité territoriale dont bénéficie notamment la Corse. Elle est également injustifiable au regard des coûts puisque des études pour le Conseil régional de la Réunion ont clairement établi que le prix de revient de la communication par satellite entre la Réunion et la métropole était faible (de l'ordre de 0,15 francs la minute). Enfin, elle est particulièrement mal ressentie par les originaires des DOM vivant en métropole -population estimée à environ 530.000 personnes- et ne coïncide pas avec le discours gouvernemental sur la mobilité de l'emploi.

En dernier lieu, il a appelé l'attention sur l'extension du « prêt à taux zéro » aux DOM en soutenant que le renvoi de cette question à un financement par la LBU était selon lui un faux problème dans la mesure où ces moyens ne s'adressaient pas à la même population.

Sous réserve de ces observations, M. Pierre Lagourgue, rapporteur pour avis, a proposé d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du ministère de l'Outre-mer contenus dans le projet de loi de finances pour 1996.

Puis un large débat s'est ouvert. M. Louis Souvet a demandé à M. Pierre Lagourgue, rapporteur pour avis, de lui préciser l'ampleur de l'écart résiduel entre le SMIC-DOM et celui de la métropole, les compensations prévues pour les entreprises pour faire face au rattrapage prévu au 1er janvier 1996, les bénéficiaires du relèvement de la prime de déménagement, l'évolution de la participation des familles au financement des cantines scolaires et les principales causes du chômage en outre-mer.

M. Charles Metzinger a indiqué que l'examen de ces crédits était l'occasion d'avoir un aperçu d'ensemble sur la situation en outre-mer et a souhaité avoir des éléments sur le niveau de vie dans les départements d'outre-mer et sur la situation salariale.

M. Jean Madelain a interrogé le rapporteur sur l'évolution du taux de fécondité dans les différents départements d'outre-mer et sur la possibilité de proposer aux « Rmistes » des emplois dans le secteur de la construction de logement social où des besoins importants se manifestent.

M. Claude Huriet a demandé des précisions concernant l'impact du relèvement du SMIC sur les économies locales, la présence de nombreux ressortissants comoriens à la Réunion et sur l'encadrement de l'urbanisation croissante constatée en outre-mer.

M. Marcel Lesbros a interrogé le rapporteur sur les effets du régime de défiscalisation des investissements dans les DOM.

M. Pierre Lagourgue, rapporteur pour avis, a apporté les précisions suivantes :

- L'écart restant à combler entre le SMIC métropolitain et le SMIC applicable dans les DOM est de 6,8 %. Le relèvement du SMIC est assorti d'un plan d'accompagnement devant permettre un allègement des charges de cotisations sociales sensiblement égal à la hausse du SMIC en outre-mer.

- La prime de déménagement concerne les familles qui engagent des frais à l'occasion de l'emménagement dans un nouveau logement ouvrant droit à l'allocation logement. Elle est distincte de celle versée aux fonctionnaires affectés en outre-mer.

- La contribution des familles aux frais de restauration scolaire est appelée à augmenter compte tenu de l'alignement des prestations familiales.

- Les taux particulièrement élevés du chômage en outre-mer sont liés à divers facteurs dont l'isolement de ces territoires, le fort taux de natalité, et l'importance de la population d'origine étrangère comme par exemple à la Réunion qui compterait, selon certaines sources, près de 35.000 comoriens.

- La politique de mobilité vers la métropole qui avait donné de bons résultats jusqu'au début des années 80 n'a plus le même effet à cause de la croissance du chômage en métropole, elle-même.

- Les statistiques d'échec scolaire ne permettent pas de comparer le pourcentage de réussite des enfants issus de la population locale avec celui des enfants d'origine métropolitaine vivant à la Réunion.

- Avant 1978, les salaires des fonctionnaires se voyaient appliquer une majoration élevée pour tenir compte du coût de la vie. Le coefficient qui était de 2,03 a été ramené à 1,53 sous le gouvernement Barre. Ces « sursalaires » ont néanmoins un effet de contagion sur les salaires de secteur privé. Enfin, on peut dire qu'un « smicard » vit plutôt mieux à la Réunion qu'en Île-de-France car il n'a pas de charges de chauffage, celles liées au transport sont faibles et les habitudes alimentaires très économiques.

- Les taux de fécondité dans les DOM restent élevés, notamment à la Réunion, où ce taux atteint 2,4 %, sauf à la Martinique où le taux se rapproche du niveau métropolitain.

- Il paraît difficile de confier à tous les Rmistes des activités dans le secteur de logement social, même si certaines expériences ont lieu pour les logements très sociaux, car ils manquent généralement de formation et ne sont pas concurrentiels face aux grosses entreprises du bâtiment.

- Il est délicat d'évaluer l'impact du relèvement du SMIC sur l'économie car dans le domaine de la consommation courante, l'implantation des grandes surfaces a freiné l'effet inflationniste des relèvements précédents.

- Face à l'afflux de ressortissants comoriens qui trouvent à s'employer, notamment, dans des emplois domestiques de gardiennage ou de restauration, le rétablissement du visa entre Mayotte et les Comores paraît souhaitable.

- Chaque année, 500 hectares de terres agricoles disparaissent à la Réunion au profit des terrains constructibles. Le schéma d'aménagement régional qui avait été élaboré en 1990 n'a pas encore été validé. Les rectifications demandées font qu'il n'est pas encore appliqué.

- Le montant des investissements ayant bénéficié de la défiscalisation s'élève sur cinq ans à 7 milliards et a représenté un coût pour le budget de 700 millions de francs.

Mesdames, Messieurs,

L'examen du budget de l'État est l'occasion, chaque année, de mesurer la cohérence des orientations gouvernementales avec les moyens mis en oeuvre pour leur réalisation.

Pour l'outre-mer, cet exercice prend un relief particulier compte tenu de la volonté exprimée par le Gouvernement de mener une politique ambitieuse.

Le ministre de l'outre-mer, Jean-Jacques de Peretti, a rappelé le 28 octobre dernier à l'Assemblée nationale les trois grandes orientations de cette politique : « D'abord, achever l'égalité sociale, en harmonie avec le développement économique, donner ensuite à ce ministère un rôle pilote en matière de politique sociale ; affirmer enfin la dimension internationale de l'outre-mer ».

Réclamé depuis longtemps, en particulier par votre rapporteur au nom de la justice et de la dignité de nos concitoyens d'outre-mer, l'objectif d'égalité sociale s'est traduit par de fortes revalorisations en juillet dernier et devrait être pratiquement réalisé au 1er janvier 1996 en matière de prestations sociales et de rémunérations minimales.

Pourtant, le doublement des crédits constatés dans le présent budget de l'outre-mer n'est pas une conséquence directe de ces mesures. En effet, cette majoration substantielle s'explique essentiellement par des transferts en provenance d'autres administrations et par la montée en charge du Fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer institué par la loi du 25 juillet 1994 dite loi Perben.

Il répond en revanche au second objectif tendant à donner au ministère un rôle pilote en matière de politique sociale. Les crédits correspondant au développement social et économique (ces deux aspects sont liés dans l'approche gouvernementale) représentent désormais à eux seuls 75 % de l'ensemble du budget de l'outre-mer contre 50 % en 1995.

Même à structure constante, les crédits de ce ministère progressent de 4,12 % par rapport au projet de loi de finances pour 1995, malgré le contexte actuel de rigueur budgétaire et la norme de cadrage budgétaire initialement fixée à 1,7 % par le Premier ministre pour les différents ministères. Ils traduisent l'existence d'un effort particulier en faveur de celui-ci.

De plus, l'analyse doit tenir compte de ce que ces crédits ne constituent que 10,4 % de l'ensemble des dotations en direction de l'outremer. Ces dernières s'élèvent en 1996 à 46,8 milliards, soit une progression de 1,45 % par rapport à 1995.

Si globalement, votre commission se montre satisfaite des orientations politiques et de l'évolution des crédits ainsi rappelée, elle souhaite souligner l'ampleur des difficultés auxquelles restent confrontées les collectivités d'outre-mer et mettre l'accent sur certains dossiers de nature sociale qui doivent retenir prioritairement l'attention du Gouvernement.

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