II. EXAMEN DE L'AVIS

Au cours d'une séance tenue dans la matinée du mercredi 22 novembre 1995, sous la présidence de M. Jean-Pierre Four code, président, la commission a procédé l' examen des crédits de la santé et des services communs ouverts par le projet de loi de finances pour 1996.

M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a estimé que le budget de la santé était à la croisée des chemins.

D'une part, en effet, la présentation des crédits résulte cette année de la structure ministérielle éclatée qui avait été retenue dans le premier Gouvernement de M. Alain Juppé et qui n'est plus d'actualité.

D'autre part, l'analyse de la politique de santé et de l'assurance maladie doit tenir compte, depuis le 15 novembre dernier, des nouvelles perspectives ouvertes par la réforme d'ensemble de la sécurité sociale annoncée par le Premier ministre.

M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a indiqué que les crédits delà santé et des services communs pour 1996 s'élèveraient à 8,2 milliards de francs.

A structure constante, ils progressent de 3,2 %. Ils ont été quelque peu affectés par les réductions de crédits adoptées par l'Assemblée nationale, qui ont touché en particulier les subventions à l'Agence du médicament.

Il a observé que les crédits de personnel de l'administration étaient stables, le budget permettant la création de 36 emplois pour une administration qui comprend près de 15.000 agents, tandis que ceux des services déconcentrés régressaient de 3,8 %.

Il a regretté que les crédits déformation médicale et paramédicale ne soient pas à la hauteur des besoins et que les subventions d'investissement destinées aux hôpitaux baissent cette année encore d'une manière très significative.

Evoquant la situation de l'hôpital, M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a affirmé que, depuis 1990, le taux d'évolution des dépenses hospitalières n'avait plus fléchi. Il a expliqué cette situation par les conséquences budgétaires des mesures résulta* des protocoles « Evin » et « Durafour » et par l'évolution des effectifs à l'hôpital.

// a estimé que le taux directeur qui avait été fixé à 2,1 %, soit le taux de la hausse des prix prévue pour 1996, ne serait pas suffisant pour assurer la reconduction de tous les budgets hospitaliers à moyens constants.

M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a évoqué les autres problèmes de l'hôpital. Il a regretté que, depuis le printemps dernier, la réforme des urgences n'ait pas reçu d'application significative et que les nécessaires redéploiements n'aient pas été entrepris. Ils auraient en effet permis de dégager des marges de manoeuvre rendant plus aisé le respect d'un taux directeur rigoureux pour l'année 1996.

M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a affirmé que de nombreux hôpitaux publics étaient en situation de sous-médicalisation. Celle-ci est particulièrement évidente dans certains hôpitaux non universitaires et dans certaines disciplines telles que la radiologie ou l'anesthésie.

Il a ensuite commenté la réforme annoncée par le Gouvernement qui, si elle doit permettre de remédier à ces difficultés, mériterait d'être précisée afin d'apprécier son exacte portée. Ainsi, le discours du Premier ministre ne précise pas quelle sera la composition des agences régionales, ni si le financement des cliniques privées sera modifié.

Il n'est pas davantage précisé qui, du côté des établissements de santé, conclurait les contrats. Or, la réponse à cette question est essentielle pour des établissements publics de santé.

Evoquant l'évaluation et l'accréditation, il a observé qu'il faudrait veiller à harmoniser le financement des hôpitaux et des cliniques pour pouvoir évaluer et comparer les coûts.

Il faudra aussi rendre compatibles cette évaluation et cette accréditation avec les dispositifs actuels de planification hospitalière.

Selon M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, les réformes annoncées par le Premier ministre devraient être complétées.

D'abord, dans le cadre de l'harmonisation des conditions d'exercice des médecins exerçant dans des structures publiques et privées, des références médicales devraient être appliquées à l'hôpital public.

Ensuite, il faudra réfléchir, non seulement à la composition des conseils d'administration des hôpitaux, mais aussi à un éventuel élargissement de leurs compétences.

Enfin, l'hôpital ne sera pas véritablement réformé si les causes de la sous-médicalisation des établissements publics de santé perdurent.

Concernant les soins de ville, M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a estimé que la réforme annoncée par le Premier ministre mettait un terme à un an d'incertitudes.

Il a rappelé que, selon les prévisions de la Commission des comptes de la sécurité sociale, plusieurs professions auront respecté, en 1995, les objectifs fixés. C'est le cas des biologistes, des infirmiers libéraux, des orthophonistes, des orthoptistes et des chirurgiens-dentistes.

En revanche, des secteurs devraient déraper, telles les dépenses de médecine libérale et les dépenses pharmaceutiques.

Il a indiqué que trois ans après sa signature, la mise en oeuvre, sur le terrain, des instruments de maîtrise médicalisée laissait encore à désirer.

Ainsi, seulement 0,4 % des médecins contrôlés ont fait l'objet d'une sanction pour non-respect des références médicales opposables.

Par ailleurs, alors que 4,7 millions de personnes satisfaisant aux critères, étaient potentiellement concernées par le dossier médical, seuls 5.000 dossiers avaient été distribués.

Ce n'est que le 7 mai dernier qu'avait été publié au Journal officiel le décret relatif au codage des actes, des pathologies et des prescriptions.

Les négociations conventionnelles, qui devaient aboutir à la mise en place d'un secteur optionnel, n'avaient pas pu aboutir dans le délai de neuf mois prévu par la convention.

Quand aux médecins ils devraient dépasser de 75 % leur objectif prévisionnel d'évolution des dépenses en 1995.

M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a ensuite indiqué que, selon les comptes de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), les dépenses du régime général au titre des remboursements de médicaments devraient, elles aussi, progresser de 8,5 % en 1995 contre moins d' 1 % en 1994.

Il a ensuite commenté les réformes annoncées de l'organisation de l'assurance maladie, qu'il a jugées très positives, qu'il s agisse de l'universalisation, du rôle nouveau confié au Parlement ou des mesures de responsabilisation des médecins, des patients et des caisses.

Il a estimé qu'il ne fallait pas y voir l'institution d'une maîtrise comptable des dépenses médicales. En effet même dans le dispositif conventionnel actuel où l'objectif d'évolution des dépenses est « prévisionnel », on peut bien penser que les médecins auraient été en situation difficile pour négocier de nouvelles revalorisations tarifaires après le fort dépassement de l'objectif constaté en 1995.

M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a cependant émis une réserve sur la possibilité de déconditionnement des médicaments par les pharmaciens qu'a annoncée M. Alain Juppé, qui comporte plus d'inconvénients que d'avantages.

M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a enfin évoqué la politique sanitaire du Gouvernement. Il a estimé que les efforts pour lutter contre les grands fléaux étaient inégaux.

Il a indiqué que la politique de lutte contre la toxicomanie serait dotée, en 1996, de 870 millions de francs, dont 230 millions de francs de crédits interministériels : ils seront en progression de 36 millions de francs par rapport à l'année 1995 et permettront de poursuivre la mise en oeuvre du plan triennal de lutte contre la drogue décidé le 21 septembre 1993.

Il a observé que, si l'on prenait pour référence les crédits ouverts sur la totalité de l'année 1995 -soit ceux ouverts en loi de finances initiale plus 100 millions de francs résultant de la loi de finances rectificative-, la lutte contre le Sida serait dotée en 1996 de 56 millions de francs supplémentaires par rapport à l'année 1995.

Il s'est toutefois demandé si le programme de mobilisation nationale annoncé le 23 mai 1995 remettait en question le plan quinquennal annoncé au mois de février 1995.

Il a observé que les associations de lutte contre le Sida rencontraient des difficultés financières importantes. Les subventions qui leur sont versées sont en effet accordées avec un retard important par rapport au moment où commence réellement l'action faisant l'objet d'un financement public.

Enfin, M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a estimé que les crédits de la lutte contre l'alcoolisme et le tabagisme étaient très insuffisants et qu'ils ne permettraient pas d'assurer, dans des conditions satisfaisantes, le volet sanitaire de la politique de lutte contre les dépendances tabagique et alcoolique.

Sous le bénéfice de ces observations, il a proposé à la commission d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la santé publique et aux services communs par le projet de loi de finances pour 1996.

M. Charles Descours s'est d'abord interrogé sur la possibilité pour les administrations sociales d'assumer à moyens constants les nouvelles missions qu'impliquera la mise en place des réformes annoncées par le Premier ministre.

Il a relevé le coût pour l'hôpital public des protocoles Durieux et Durafour évoqué par le rapporteur pour avis. Il s'est interrogé sur la possibilité de moins recourir à des praticiens à temps plein dans les hôpitaux généraux.

Il a déclaré partager les interrogations du rapporteur pour avis sur les relations qui existeront, demain, entre les Agences régionales et les comités régionaux de l'organisation sanitaire, les caisses et les directions régionales des affaires sanitaires et sociales. Il a regretté le bas niveau des crédits de la lutte contre le tabagisme et la faible augmentation des prix du tabac depuis deux ans.

M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a indiqué à M. Charles Descours qu'il lui reviendrait aussi, dans son rapport sur la sécurité sociale, de dénoncer l'insuffisance, regrettable à ses yeux, des administrations sanitaires.

Il a proposé que les assistants et chefs de cliniques passent systématiquement deux ans au début de leur carrière dans des hôpitaux généraux.

Il a fait siens les propos de M. Charles Descours sur la politique de lutte contre le tabagisme.

M. Jean Madelain a également regretté l'insuffisance des crédits de la lutte contre l'alcoolisme. Il a redouté que la priorité accordée aux politiques de lutte contre le Sida et la toxicomanie pénalise les moyens de la lutte contre l'alcoolisme.

Evoquant les nécessaires restructurations hospitalières, il a cité un article écrit par un ancien directeur des hôpitaux qui estimait que l'Etat devait se désengager de la gestion hospitalière.

M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a déclaré partager le sentiment de son collègue sur ces deux sujets.

Mme Marie-Madeleine Dieulangard a d'abord regretté que le nouveau ministre du travail et des affaires sociales, ou son secrétaire d'Etat à la santé, n'aient pu être auditionnés sur les crédits de la santé. Elle a déclaré partager entièrement les propos du rapporteur pour avis sur le caractère flou des annonces de régionalisation de la politique hospitalière.

Elle a cependant observé que, si celles-ci étaient dénoncées avec constance depuis des années, rien ne semblait avoir été fait pour les réduire.

Elle a regretté que l'on « dénonce » les médecins dans le débat sur la dérive des dépenses d'assurance maladie. Elle a estimé que la question des restructurations hospitalières devait être examinée en tenant compte, non seulement de la plus grande facilité des déplacements aujourd'hui qu'hier, mais aussi des coûts sociaux des fermetures d'hôpitaux.

Evoquant la présidence des conseils d'administration des hôpitaux, elle a estimé que l'on reprochait probablement aux élus d'accorder trop d'importance aux aspects humains des problèmes de l'hôpital.

M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a reconnu que la prévention n'était pas suffisamment valorisée dans notre système de santé.

Reprenant un exemple cité par Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis, il a observé que les différences de coût entre les prothèses de hanche pouvaient provenir du matériel utilisé. Il s'est cependant interrogé sur l'opportunité médicale d'utiliser systématiquement les plus chères.

M. Jean-Louis Lorrain a estimé que l'examen des crédits de la santé devrait anticiper les conséquences des réformes annoncées par le Premier ministre. Il a estimé que celles-ci devraient impliquer l'organisation d'une nouvelle négociation conventionnelle. Il a souligné la nécessité de responsabiliser les professionnels de santé sans les « agresser ».

M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a déclaré partager le souci d'anticipation de son collègue, mais a observé que le « bleu budgétaire » n'avait pas été modifié par les seules annonces de réforme du Premier ministre. Il a indiqué qu'avant de lancer une nouvelle négociation conventionnelle, il convenait d'attendre la promulgation des ordonnances pour lesquelles un projet de loi d'habilitation serait prochainement soumis à l examen du Parlement.

M. Lucien Neuwirth a rappelé l'important travail accompli par le Sénat pour améliorer la prise en charge de la douleur. Il a demandé si des crédits étaient prévus en 1996 pour doter les structures hospitalières des moyens d'assumer la nouvelle mission qui leur était reconnue par la loi.

Il a regretté l'absence de réaction des pouvoirs publics, en France, à l'information selon laquelle des fabricants américains de cigarettes utiliseraient de l'ammoniaque afin de relever le goût de la nicotine contenue dans leurs produits. Il a annoncé son intention d'intervenir à ce sujet dans le cadre de la discussion budgétaire.

M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a indiqué qu'il évoquait la lutte contre la douleur dans son rapport écrit et qu'il ne manquerait pas de demander une individualisation budgétaire des crédits qui devaient y être destinés.

M. André Vezinhet a d'abord défendu le rôle joué par les maires à la présidence des conseils d'administration des hôpitaux. Il a estimé que ceux-ci jouissaient d'une autorité morale qui pouvait empêcher certaines dérives. Il a dénoncé les retards pris par la France dans le traitement des toxicomanes par substitution.

Il a aussi dénoncé l'insuffisance de la marge régionale pour soutenir les budgets de programme des hôpitaux, ainsi que celle des crédits destinés à l'ouverture de sections de cure médicale. Il a souhaité une harmonisation des procédures de financement des établissements de santé publics et privés et la définition de critères clairs, tels que le degré d'utilisation du plateau technique, pour déterminer le champ des restructurations hospitalières.

M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a déclaré partager les voeux de son collègue sur ces derniers points. Il a estimé que la présidence des conseils d'administration des hôpitaux par les maires comportait beaucoup d'avantages. Il a toutefois observé que certains maires ne souhaitaient plus être présidents de ces conseils.

Il a rappelé que le nombre de centres spécialisés de traitement par la méthadone était passé de 3 en 1992 à 182 aujourd'hui, et que celle-ci pouvait désormais être prescrite en ville.

M. José Balarello a souligné l'importance des anciens « hôpitaux locaux » que l'on voulait aujourd'hui souvent supprimer. Il s'est interrogé sur les possibilités d'utiliser des moyens de téléconférence entre les praticiens des hôpitaux et les maisons de retraite, et s'est demandé si les hôpitaux locaux ne pouvaient pas accueillir certains adultes handicapés.

M. Louis Boyer, rapporteur pour avis, a rappelé les possibilités de reconversion des hôpitaux offertes par la loi du 18 janvier 1994. Il a déclaré qu'il y avait là, très certainement, une piste à explorer.

La commission a, sur la proposition de son rapporteur, décidé d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la santé et aux services communs par le projet de loi de finances pour 1996.

Mesdames, Messieurs,

Le budget de la santé est, pour 1996, à la croisée des chemins.

En premier lieu, la présentation des crédits reflète une organisation ministérielle qui n'est plus d'actualité.

Le fascicule budgétaire correspondant s'intitule en effet « santé et services communs  » et rassemble les crédits de la santé et ceux des administrations des départements ministériels créés dans le premier Gouvernement de M. Alain Juppé pour exercer les anciennes attributions du ministère des affaires sociales.

En second lieu, la politique de santé et l'assurance maladie seront profondément affectées, en 1996, par les réformes qui ont été annoncées par le Premier ministre le 15 novembre dernier.

C'est pourquoi le présent rapport examinera, à partir de l'analyse des principales carences de notre système de santé et d'assurance maladie, les conditions dans lesquelles les réformes proposées peuvent y porter remède.

A cet égard, votre commission apprécie tant l'ampleur que le contenu des réformes proposées, qui contribueront à définir un système de soins et de protection sociale plus généreux pour les personnes démunies, plus efficace plus responsable et de meilleure qualité tout en étant plus économe.

Elle juge courageuse cette initiative gouvernementale qui, s'affranchissant des demandes contradictoires des groupes de pression, va dans le sens de la satisfaction de l'intérêt général.

Elle estime que le plan de réforme contribuera à une refondation de la sécurité sociale qui était indispensable pour garantir son avenir et l'adapter aux nouveaux besoins de la population, et notamment à ceux des plus faibles.

Probablement pour la dernière fois, le Parlement est appelé à se prononcer sur un seul budget qui, avec un peu plus de 8 milliards de francs, représente moins de 2 % des dépenses socialisées de santé.

En effet, si le projet de réforme constitutionnelle annoncé par le Premier ministre est adopté, votre commission sera appelée, l'an prochain, à apprécier les orientations de la politique de protection sociale et à participer à la définition des objectifs d'évolution des dépenses d'assurance maladie compatibles avec le niveau attendu des recettes.

Ainsi sera reconnue une compétence qui revient logiquement au Parlement dans un secteur par lequel transitent des masses financières d'un montant bien supérieur à celui du budget de l'Etat.

De fait, et même si les observations de votre commission ne peuvent, cette année encore, déboucher sur des dispositions normatives, le présent rapport proposera des orientations souhaitables, non seulement pour l'évolution des crédits ministériels, mais aussi pour notre système de santé et d'assurance maladie.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page