Avis n° 82 (1995-1996) de M. Paul MASSON , fait au nom de la commission des lois, déposé le 27 novembre 1995

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N° 82

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 1995.

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 1996, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME II

INTÉRIEUR, RÉFORME DE L'ÉTAT , DÉCENTRALISATION ET CITOYENNETÉ :

POLICE ET SÉCURITÉ

Par M. Paul MASSON,

Sénateur.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (10ème législ.) : 2222. 2270 à 2275 et T.A. 413

Sénat: 76 et 77 (annexe n°24) (1995-1996).

Lois de finances.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi. vice-présidents ; Robert Pagès, Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest. secrétaires ; Guy Allouche. Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Claude Cornac, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck. Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Lucien Lanier. Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Jean-Pierre Tizon, Alex Tùrk, Maurice Ulrich.

Mesdames, Messieurs,

Les policiers, tous corps confondus, font face depuis cinq mois à des contraintes exceptionnelles dans le cadre du plan Vigipirate.

Les résultats qu'ils ont déjà obtenus, tant dans la lutte contre le terrorisme proprement dite que dans la diminution de la délinquance de rue, dispensent de commentaires. Ils témoignent par eux mêmes de l'exceptionnel dévouement et de l'efficacité exemplaire des femmes et des hommes qui consacrent leur activité professionnelle au service de l'État et, surtout, à la sécurité des Français.

Aussi, avant même d'aborder l'examen du budget de la police pour 1996, votre rapporteur a-t-il tenu, cette année, à leur rendre un hommage particulier.

Dans son discours à Épinal, le 31 mars 1995, le Président de la République, M. Jacques Chirac, a rangé la sécurité parmi les facteurs essentiels à ne jamais perdre de vue pour préserver la cohésion sociale et l'unité du peuple français :

«L'essentiel, c'est de rétablir, là où il est compromis, l'ordre républicain, car ce sont toujours les faibles et les plus démunis qu'on laisse à la merci de la violence ».

Dans sa déclaration de politique générale du 23 mai 1995, le Premier ministre, M. Alain Juppé, a pareillement insisté sur l'importance de la sécurité et de l'ordre républicain dans la modernisation de l'État, qui consiste aussi à le rendre plus efficace dans ses fonctions régaliennes :

« L'une des aspirations les plus fortes et les plus légitimes de nos concitoyens est de vivre dans un monde tranquille. Ils ne veulent plus connaître la hantise de l'insécurité. C 'est pourquoi en ce domaine, aucun secteur ne devra être épargné ».

De fait, la sécurité n'est pas seulement une priorité du Gouvernement parmi d'autres. Elle est avant tout un droit fondamental de chacun et un devoir de l'État, ainsi que l'affirme l'article premier de la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité du 21 janvier 1995.

En toile de fond du présent budget, la loi d'orientation a guidé des choix importants, tant en ce qui concerne les dépenses de fonctionnement que les créations d'emplois ou les dépenses d'investissement.

Le budget de la police pour 1996 s'inscrit certes dans un contexte tendu qui préoccupe à bon droit l'opinion publique et les policiers.

Tout d'abord, le brutal retour du terrorisme en juillet Mais au-delà d'un problème circonstanciel, on constate en arrière-plan une sensible régression de la criminalité et de la délinquance et une légère amélioration du taux d'élucidation, qui sont autant d'indices d'une efficacité renforcée de l'action de la police.

En second lieu, des contraintes budgétaires extrêmement pesantes affectent le budget de l'État.

Pour autant, les crédits de la police enregistrent un accroissement global de 3,7 %, supérieure à celle des deux précédents exercices. Ce budget à d'autre part échappé aux « coupes » qui en ont minoré bien d'autres. Il faut y voir la traduction budgétaire de la priorité accordée à la sécurité par le Gouvernement.

En troisième lieu, la réorganisation très profonde des structures et des corps de la police, dans le prolongement de la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité du 21 janvier 1995.

S'il est impossible de dresser le bilan, même provisoire, d'une réforme appelée à s'échelonner sur plusieurs années, force est de reconnaître qu'en dépit de certaines réticences inévitables, les engagements de la loi d'orientation sont sur ce point globalement respectés. Ils l'ont même été dans des délais rapides, compte tenu du processus de concertation préalable avec les représentants des policiers et du nombre et de la technicité des textes réglementaires à publier.

Enfin, la mise en oeuvre de la clause de sauvegarde de l'article 2 de la Convention de Schengen a différé la suppression effective des contrôles aux frontières intérieures à l'issue de la période probatoire qui expirait le 30 juin 1995. Moins d'un mois plus tard, la succession des attentats terroristes a même contraint le Gouvernement à rétablir tous les contrôles des passeports dans les aéroports.

Pour autant, le dispositif de coopération policière européenne et certains instruments de renforcement de la sécurité intérieure des États-membres fonctionnent déjà et sont appelés à se développer.

L'année dernière, votre rapporteur, tout en approuvant le budget qui lui était présenté, notait qu'il faudrait vérifier si les intentions affichées ont été traduites dans les faits, notamment en ce qui concerne la mise en oeuvre de la loi d'orientation.

Tel a été le cas pour la réforme des structures et des corps.

Le constat est plus nuancé pour les créations d'emplois ou certains investissements comme le projet ACROPOL, qui n'ont pas encore atteint le « rythme de croisière » prévu par la loi d'orientation.

On peut enfin regretter que pour certaines dispositions importantes de la loi d'orientation, les décrets d'application soient encore en cours d'élaboration, d'autant que le Parlement -le Sénat, en particulier- a dû légiférer dans des délais très brefs sur une réforme présentée à l'époque comme de toute première urgence.

Ainsi, le décret d'application sur la vidéosurveillance n'a toujours pas été publié.

Sous ces réserves, le budget de la police pour 1996 reste globalement fidèle aux orientations et à la programmation de la loi du 21 janvier 1995.

Il traduit sans ambiguïté l'action résolue du Gouvernement en faveur du renforcement de la sécurité.

I. APRÈS LEUR NET INFLÉCHISSEMENT EN 1994, LA DÉLINQUANCE ET LA CRIMINALITÉ ONT COMMENCE A DE CROITRE DEPUIS LE DÉBUT DE L'ANNÉE 1995

L'année dernière, votre rapporteur constatait la tendance à l'infléchissement de la délinquance et de la criminalité. Elles continuaient de croître, certes, mais à un rythme beaucoup moins rapide que les années précédentes. Aussi, tout en se félicitant de cette inversion favorable des courbes, appelait-il au maintien de la vigilance.

A. L'ÉVOLUTION FAVORABLE DES DONNÉES STATISTIQUES EN 1994 ET 1995

Sur l'ensemble de l'année 1994, ce ralentissement s'est accentué de façon significative : avec 3,9 millions de crimes et délits, le taux annuel d'augmentation est tombé en dessous du seuil de 1 %, soit une croissance très nettement inférieure à celle des années précédentes.

Évolution décennale de la criminalité en France

Quant à 1995, tout au moins pour les premières données disponibles, on assiste à une diminution en valeur absolue -et non pas simplement en valeur relative- de l'ordre de 7,9 %. Ce pourcentage est même supérieur à l'objectif de 5 % de diminution assigné début juin par le Premier ministre dans sa lettre de mission au ministre de l'Intérieur.

Il est vrai que le déclenchement du plan Vigipirate a contribué à cette diminution, car la présence visible de nombreux policiers dans les rues, quoique axée sur la prévention des actes terroristes, est en elle-même un facteur très dissuasif pour la délinquance de proximité.

Cela est particulièrement vrai dans les villes, avec par exemple à Paris des taux de - 12 % en août 1995 et - 9 % en septembre 1995.

Pour autant, plusieurs indices laissent à penser que cette tendance n'est pas purement conjoncturelle.

D'une part, en effet, la baisse de la criminalité a été constatée dès les premiers mois de 1995, alors que le plan Vigipirate n'avait pas encore été mis en place. D'autre part, elle s'est également vérifiée dans les zones de gendarmerie, essentiellement rurales, où l'application du plan Vigipirate est moins manifeste.

Bien entendu, la commission en France de plus de 3,9 millions de crimes et délits en 1994 demeure un réel sujet d'inquiétude.

Par ailleurs, la perception par chacun de l'insécurité qui le menace demeure très subjective et ne doit rien à des statistiques d'ensemble, si satisfaisantes soient-elles.

Or dans la criminalité globale, les infractions de proximité -les cambriolages, les violences contre les personnes, les coups et blessures, les dégradations de biens privés, etc. - ne diminuent pas, tout au contraire. Ces infractions, plus que d'autres, touchent les gens dans leur quotidien et entretiennent un sentiment diffus d'insécurité.

Quoi qu'il en soit, la situation de la criminalité et de la délinquance en France en 1994 et 1995 s'est améliorée, en dépit de données qui, sur certains points, restent préoccupantes.

B. CERTAINES INFRACTIONS CONTINUENT CEPENDANT D'AUGMENTER

Parmi ces dernières, on relève notamment :

- les différentes infractions de violences contre les personnes, en hausse globale de 14,8 %, dont + 11,3 % pour les blessures volontaires et + 33,4 % pour les menaces et chantages ;

- les infractions dites « économiques et financières », en progression de 7,5 %, dont + 8,5 % pour les escroqueries, faux et contrefaçons, notamment les faux chèques et les chèques volés (+ 6,9 %) ;

les vols avec violence sans arme ( + 3,5 %) ;

- les destructions et dégradations de biens privés (+ 2,7 %) ;

- etc...

C. LA BRUTALE RÉAPPARITION DES ATTENTATS TERRORISTES

Le fait marquant de la criminalité cette année est la brutale réapparition du terrorisme.

Les événements sont si récents qu'ils n'appellent guère de longs rappels statistiques : outre l'assassinat du Cheikh Sahraoui le 11 juillet 1995 dans la salle de prière de la mosquée de la rue Myrha, on a déploré 8 attentats à Paris et en province entre le 25 juillet et le 17 octobre 1995, 7 personnes tuées dans l'attentat de la station Saint-michel de la ligne B du RER et plus de 170 blessés, certains grièvement, sans compter les dégâts matériels. Ce bilan aurait même été beaucoup plus lourd si tous les engins avaient explosé, en particulier celui découvert le 26 août 1995 sur la voie du TGV Lyon-Paris à la hauteur de Cailloux-sur-Fontaines (Rhône).

L'année dernière, votre rapporteur signalait dans son avis budgétaire que « des indices concordants démontrent la persistance de la menace terrorisme sur le territoire national, comme le prouve le démantèlement au début du mois d'un vaste réseau islamiste dont les membres sont soupçonnés d'apporter leur soutien à des actions terroristes ».

Les faits ont hélas démontré que ses craintes n'étaient pas infondées.

Votre rapporteur rappelle à cet égard que la lutte contre le terrorisme est incluse dans les missions prioritaires de la police par l'article 4 de la loi d'orientation, dont l'Annexe II indique :

«... les services français doivent moderniser leur potentiel de riposte. Pour prolonger les actions de redéploiement déjà conduites, il convient d'envisager un renforcement des capacités d'action... Deux axes sont privilégiés : - la lutte contre le terrorisme doit s'alimenter d'une surveillance accrue des communautés étrangères à risque, ...- la protection de notre protection économique encore trop vulnérable ».

De fait, cette orientation doit plus que jamais demeurer présente à l'esprit de tous.

Intervenant devant l'Assemblée nationale aussitôt après l'explosion d'une bombe ayant fait 26 victimes (dont 5 graves) dans une rame de la ligne C du RER entre les stations Saint-Michel et Gare-d'Orsay, le Premier ministre a « redit solennellement devant la représentation nationale » que le Gouvernement entendait « conduire la lutte contre le terrorisme avec détermination et sans merci ». Les progrès rapides des enquêtes en attestent.

S'agissant du terrorisme interne, votre rapporteur demeure préoccupé par la situation en Corse où 459 attentats ont été répertoriés en 1994, compte tenu de différents crimes et délits (dont 40 homicides) où il est souvent difficile de faire la part entre le terrorisme proprement dit et la criminalité de droit commun. Là encore, la vigilance reste de mise.

D. LA DROGUE RESTE UN SUJET MAJEUR DE PRÉOCCUPATION

Dans l'ensemble des données statistiques de la délinquance, les plus alarmantes sont de très loin celles qui concernent les infractions liées au trafic, à l'usage -revente et à la consommation des stupéfiants et psychotropes, en progression globale de 9 % en 1994.


• En dépit de l'action de tous les services impliqués à un titre ou à un autre dans la prévention et la lutte contre la drogue, la France -comme hélas beaucoup d'autres pays européens- connaît depuis une vingtaine d'années une véritable « montée en puissance de la drogue », pour reprendre les termes mêmes d'une réponse à un questionnaire budgétaire.

Plutôt que d'actualiser les traditionnels tableaux qu'il présente chaque année dans son avis budgétaire, votre rapporteur a jugé préférable d'illustrer par cinq chiffres révélateurs la progression du fléau depuis vingt ans.

Le crack, substance très ravageuse dérivée de la cocaïne, jadis inconnu en France, est apparu en région parisienne, avec 10 kg saisis en 1994.

De même, le LSD et l'extasy, dont la consommation restait marginale ces dernières années, semblent à nouveau faire l'objet d'un important trafic, avec plus de 328 000 doses saisies en 1994 (outre 21 grammes de lysergide, substance de base qui aurait permis de confectionner 400 000 autres doses). Le trafic et la consommation illicite d'amphétamines sont également en expansion.


• Parmi toutes les incidences catastrophiques de la drogue, les pouvoirs publics mentionnent avec une grande préoccupation :

- la très forte croissance de la délinquance de voie publique, en rapport avec la drogue dans 30 % à 50 % des cas ;

- « l'apparition de dérives mafieuses et le développement d'économies parallèles» dans de nombreux «quartiers difficiles» déjà atteints par d'autres facteurs de désagrégation du tissu social ;

- le blanchiment et l'injection dans les circuits financiers de masses importantes de capitaux illicites « susceptibles d'entraîner à terme une déstabilisation des systèmes économiques et financiers les plus fragiles, voire des institutions démocratiques de certains pays » ;

- l'aggravation des risques sanitaires, notamment chez les jeunes (Sida, hépatites B et C, décès par surdose, sans compter les accidents de voiture provoqués par la conduite automobile sous l'emprise de stupéfiants, qui ne font encore l'objet d'aucune répression spécifique).


• Dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité (article 4), la lutte contre la drog u e a été inscrite au rang des cinq missions prioritaires assignées à la police nationale pour les années 1995 à 1999.

Nul ne doute de l'engagement résolu des policiers dans l'exécution de cette mission. Elle implique néanmoins de dépasser le cadre national car tous les services de police considèrent que l'efficacité de la lutte contre la drogue passe par une coopération internationale active, au plan européen, en particulier.

En 1994, votre rapporteur observait à cet égard que la perspective de l'application effective de la Convention de Schengen permettrait de renforcer le dispositif de coopération policière, « en dépit des incertitudes que fait planer la législation de certains États européens, les Pays-Bas notamment ».

Sur ce dernier point, la situation ne s'est pas améliorée.

Contrairement aux engagements pris (article 71-2 de la Convention de Schengen, selon lequel les États signataires s'engagent à prévenir et à réprimer par des mesures administratives et pénales l'exportation illicite de stupéfiants, y compris le cannabis), les Néerlandais deviennent les premiers exportateurs de drogue en Europe et cultivent le cannabis sur leur propre territoire (50 % de leur propre consommation).

Le 19 septembre 1995, le Président de la République a d'ailleurs envisagé la perspective du maintien du contrôle aux frontières au-delà du 1er janvier 1996 :

« La situation telle que je l'observe, et notamment dans le domaine de la généralisation des stupéfiants et de la nécessaire lutte contre la drogue, me conduit à penser que, sauf modifications substantielles des habitudes et des comportements de nos partenaires de Schengen, la France devra probablement demander ... la prolongation du contrôle aux frontières ». Le Chef de l'État a souhaité que « les législations dans les différents pays de l'accord de Schengen soient rendues homogènes dans le domaine de la lutte contre les stupéfiants, et que certains pays ne soient pas des plates-formes internationales de redistribution de drogues de toute nature ».

Votre commission des Lois ne peut que s'associer pleinement à ce voeu.

E. LE REDRESSEMENT DU TAUX D'ÉLUCIDATION, SIGNE DE L'EFFICACITÉ RENFORCÉE DE LA POLICE

Parallèlement à la diminution de la délinquance et de la criminalité, le taux d'élucidation s'est amélioré en 1994. Toutes infractions confondues, il a atteint 34,87 % (contre 32,21 % en 1993).

Ce redressement marque un terme -qu'on souhaite durable- dans la lente érosion dénoncée depuis des années par votre rapporteur. Globalement, il n'y a pas encore lieu de se féliciter, car plus de 65 % des affaires demeurent non élucidées, mais au moins de noter avec intérêt cette inversion de tendance.

Pour autant, votre rapporteur a souvent souligné le caractère très relatif du taux d'élucidation comme critère d'évaluation de l'efficacité de l'action de la police.

En effet, nombre de multidélinquants n'avouent qu'une partie de leurs délits, ce qui fait classer comme « non élucidées » des affaires dont les auteurs ont pourtant été arrêtés. On estime ainsi que pour une personne mise en cause, l'élucidation réelle porte sur 1,8 affaire, ce qui donne une idée de l'ampleur de la multidélinquance.

Inversement, un nombre considérable d'affaires ne sont pas signalées à la police ou à la gendarmerie et demeurent, par définition, non élucidées.

Le phénomène du non dépôt de plainte tend à se généraliser et ne laisse d'être assez inquiétant car il reflète un certain manque de confiance dans l'action de la police : à quoi bon déclarer une infraction si l'on est persuadé que cela ne sert à rien ?

En fait, dans l'esprit de trop de nos concitoyens, la déclaration d'un vol, par exemple, n'est plus la première phase d'un processus pénal conduisant à l'arrestation des coupables et à la réparation du dommage, mais simplement une formalité administrative indispensable pour l'envoi de la déclaration de sinistre à son assureur.

A cet égard, il est dommageable que les victimes ayant effectivement porté plainte soient trop souvent laissées sans nouvelles de leur dossier, ce qui ne contribue pas à une bonne perception de l'action de la police.

Comme le relève l'inspecteu r général Jacques Gential dans un rapport récent au ministre de l'Intérieur, la « réponse policière » aux victimes est souvent insuffisante. En pratique, dans le cas des cambriolages, par exemple, la police n'a de contact ultérieur avec la victime que dans un cas sur dix, ce qui revient à dire que 90 % des personnes ayant déclaré un cambriolage ignoreront tout des suites de l'enquête et auront l'impression que leur dossier a aussitôt été classé sans suite. Ce rapport note que « pour les victimes, ce silence est interprété comme le signe de l'inaction de la police ».

Certains taux d'élucidation par catégorie d'infractions contribuent à renforcer ce sentiment.

Pour plusieurs infractions graves, le taux d'élucidation est en effet souvent élevé : 71 % pour les homicides, 85 % pour les viols, 75 % pour les coups et blessures volontaires, etc. Mais ces faits ne représentent qu'une faible part de la criminalité globale.

Pour les infractions « de masse » au contraire -les vols simples, les vols de véhicules, les cambriolages, les dégradations de biens privés, etc...-ces taux sont très faibles, toujours inférieurs à 20 %, voire à 10 % (7 % pour les vols à la roulotte, 9 % pour les vols de voiture, etc.).

La loi d'orientation du 22 janvier 1995 n'a prévu aucune disposition particulière en matière d'élucidation ; l'assignation d'objectifs quantifiés n'aurait d'ailleurs pas grand sens.

Votre rapporteur n'en demeure pas moins convaincu qu'il faut sensibiliser dès leur formation initiale les policiers sur l'information des victimes et l'élucidation des affaires, tant sur le plan des principes qu'en raison de leur incidence sur l'image de la police dans l'opinion publique.

II. LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE : UNE DES MISSIONS PRIORITAIRES DE LA POLICE ET UN IMPÉRATIF POUR TOUS LES POUVOIRS PUBLICS

La loi d'orientation définit explicitement la lutte contre l'immigration irrégulière et l'emploi des clandestins comme une mission prioritaire de la police pour les années 1995 à 1999, même si passé cette date, aucun des efforts entrepris ne devra être relâché. Pour autant, tous les pouvoirs publics doivent contribuer -chacun à sa mesure- à ce qui représente en fait une priorité nationale.

A. L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE ACCENTUE L'INSÉCURITÉ


• Comme votre rapporteur le constate hélas chaque année, la pression migratoire est restée vive en 1994-1995.

Le nombre des non-admissions prononcées aux frontières en donne une idée : 68 575 en 1994, soit + 12,38 % par rapport à 1993. Les statistiques du premier semestre 1995 confirment cette tendance

(+ 6,4 % par rapport au premier semestre 1994 Même en l'absence de statistiques fiables sur l'entrée des clandestins proprement dits, ces chiffres laissent imaginer le nombre des étrangers qui déjouent les contrôles et parviennent à se fixer clandestinement sur le territoire national.


L'immigration irrégulière perturbe d'autant plus l'équilibre social qu'elle génère une criminalité induite très élevée.

La proportion des étrangers mis en cause dans l'ensemble des crimes et des délits constatés atteint 19,5 % , soit un taux très supérieur à leur proportion dans l'ensemble de la population. Dans certains départements, ce taux dépasse même 30 %.

A Paris, en 1994, 42,75 % des délinquants étaient des étrangers (39,69 % dans les Pyrénées-Orientales ; 37,18 % en Seine-Saint-Denis; 34,44 % dans les Alpes-Maritimes, etc.).

La délinquance étrangère se porte en prédilection sur les infractions qui contribuent le plus au développement du sentiment d'insécurité.

Peu d'étrangers sont impliqués dans des actes de grand banditisme. En revanche, leur sont imputables : 42 % des vols à la tire, 31 % des infractions au rapport avec la drogue, 23 % des vols à l'étalage, 20 % des vols avec violence sans arme à feu, etc...

B. L'AMÉLIORATION SENSIBLE DU TAUX D'EXÉCUTION DES MESURES D'ÉLOIGNEMENT

Soucieux d'endiguer ce courant, le Gouvernement entend poursuivre avec détermination la lutte contre l'immigration irrégulière. Une de ses priorités est d'augmenter le taux d'exécution effective des mesures d'éloignement, conformément à un objectif inscrit dans la loi d'orientation et de programmation.


En 1994, le taux d'exécution effective des mesures d'éloignement prononcées (administratives et judiciaires) a atteint 25,18 %, en hausse de 39 % par rapport à celui de 1993. Le chiffre du premier semestre 1995 confirme cette amélioration (21,8 %).

Au total, 65 294 éloignements effectifs ont été réalisés entre le 1er janvier 1994 et le 30 juin 1995.


• L'éloignement effectif d'un étranger en situation irrégulière demeure néanmoins une opération onéreuse et techniquement délicate, à supposer même que tous les problèmes juridiques aient été résolus (l'identification de l'étranger, notamment, indispensable pour sa réadmission ou son renvoi dans son pays d'origine).

Une des principales difficultés est de trouver à temps une place disponible dans un vol régulier vers le pays de destination, car passé les brefs délais légaux du placement en zone d'attente ou en centre de rétention administrative, l'administration doit remettre l'intéressé en liberté sans aucune garantie de pouvoir le retrouver ultérieurement.

On comprend donc mieux les résistances opposées par beaucoup d'étrangers au moment de leur éloignement individuel (refus d'embarquement, scandale, violences, etc...) car en pareil cas, les commandants refusent le plus souvent d'admettre à bord le fauteur de troubles, ne serait-ce que pour éviter de ternir l'image de la compagnie auprès des autres passagers.

Pour faire échec à ces manoeuvres, le nouveau ministre de l'Intérieur n'a pas hésité à recourir à des reconduites groupées qui, à la pratique, se révèlent moins problématiques pour les policiers et finalement plus dignes envers les étrangers eux-mêmes. Ainsi, il a déjà organisé neuf vols, ou « retours contrôlés ».

Les reconduites groupées sont aussi un signal fort à l'adresse des clandestins, chez qui ce genre d'information circule vite et bien.


• Toujours dans l'optique de faciliter la mise en oeuvre de la législation sur l'éloignement, la loi d'orientation et de programmation a prévu d'« optimiser les moyens immobiliers des services chargés de maîtriser les flux migratoires ». En d'autres termes, il est urgent d'améliorer -tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif- les capacités d'accueil des zones d'attente et des centres de rétention.

Une série de visites effectuées à ce sujet par des membres de votre commission des Lois l'ont amenée à constater l'urgence de cette entreprise.

C. LES POLICIERS DOIVENT TROUVER UN APPUI SANS RESERVE AUPRÈS DES AUTRES ADMINISTRATIONS DE L'ÉTAT DANS LEUR LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION RÉGULIÈRE

La lutte contre l'immigration clandestine est l'affaire de tous, d'autant qu'elle se heurte à une résistance concertée de la part des intéressés, faisant appel à des filières et à des tactiques éprouvées, notamment le refus systématique de décliner son identité qui paralyse trop souvent l'éloignement.

A ce titre, il serait souhaitable que l'action de la police ne soit pas compromise, en aval, par les pesanteurs ou le moindre engagement d'autres services : en particulier les services sociaux, la justice et l'administration Pénitentiaire.

Votre rapporteur déplore en particulier la sous-utilisation manifeste de procédure de rétention judiciaire instituée par la loi du 30 décembre 1993 (article 27, alinéa 2, de l'ordonnance de 1945).

Cette procédure a été conçue pour faciliter l'identification des clandestins et, par voie de conséquence, leur éloignement effectif. Trois centres ont été créés à cette fin à Orléans (Loiret), à Aniane (Hérault) et à Ollioules (Var).

D'emblée, ces centres ont provoqué une mobilisation hostile des milieux associatifs. Quant aux magistrats, ils n'ont prononcé que 24 placements en rétention judiciaire depuis le 1er janvier 1994, si bien que les trois centres sont demeurés pratiquement vides depuis leur ouverture.

Faut-il imputer cet état de fait à une réticence des services de la justice ? Pudiquement, les services du ministère de l'Intérieur indiquent que « le recours limité à la détention judiciaire peut s'expliquer en grande partie par une relative méconnaissance des conditions concrètes de fonctionnement des centres par les magistrats »...

Quoi qu'il en soit, il serait dommageable que la volonté du législateur de 1993, confirmée par la loi d'orientation et de programmation, ne soit pas mieux prise en compte par tous car la police, si diligente soit-elle, ne peut à elle seule assumer l'ensemble de la lutte contre l'immigration irrégulière.

III. LE BUDGET DE LA POLICE POUR 1996, EN HAUSSE DE 3,7 %, CONCRÉTISE DES A PRÉSENT UNE PARTIE DES PRÉVISIONS DE LA LOI D'ORIENTATION

Au sein budget total du ministère de l'Intérieur pour 1996, en hausse de 1,84 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1996, les crédits de la police s'élèvent à 28,03 milliards de francs contre 27,03 milliards en 1995, soit une progression de 1 milliard de francs et + 3,70 % . Ce pourcentage est près du double de celui de l'ensemble du ministère.

La croissance du budget de la police pour 1996 est d'autres part supérieure à celle enregistrée en 1995 (+3,11 %) et en 1994 (+ 3,56 %).

Si on inclut en outre les crédits devant être inscrits dans le prochain collectif budgétaire au-delà des stricts moyens nécessaires pour couvrir les dépenses du plan VIGIPIRATE, l'enveloppe budgétaire dont disposeront effectivement les services augmentera de 4,07 % par rapport au précédent exercice.

Dans le contexte actuel des finances publiques, particulièrement serré, ces chiffres peuvent être considérés comme satisfaisants. Le budget du ministère de l'Intérieur fait d'ailleurs partie de rares qui n'ont été affectés par aucune des mesures d'économies nouvelles décidées par l'Assemblée nationale.


• Le budget de fonctionnement est en hausse de 3,7 %
et atteint 27,13 milliards de francs.

Dans cet ensemble, 23,05 milliards de francs couvrent la masse salariale qui représente structurellement le poste le plus élevé du budget de la police.


• Le budget d'investissement est en comparaison assez modeste, avec 1,12 milliard d'autorisations de programme (+ 12,04 %) et 893,2 millions de crédits de paiement, en dépit de sa croissance de 3,18 %.

Cette faiblesse structurelle n'est pas nouvelle et a déjà été relevée par votre rapporteur les années précédentes.

Conformément aux engagements de la loi d'orientation et de programmation du 21 janvier 1995, un effort tout particulier est consacré à l'immobilier, au parc lourd de véhicules de police (cars des CRS), ainsi qu'à la réservation de logements pour les fonctionnaires de police.

Votre rapporteur constate en revanche que les crédits affectés à la réalisation du programme ACROPOL (réseau national de communications cryptées de la police) sont très faibles. Compte tenu de l'importance de ce réseau pour l'organisation en France, dans de bonnes conditions de sécurité, de la Coupe de Monde de football en 1998, il a jugé utile d'apporter à ce sujet quelques indications complémentaires dans le présent avis.


Les dettes de la police envers plusieurs opérateurs publics sont en voie d'apurement

Ainsi que s'y était engagé le précédent ministre de l'Intérieur, M. Charles Pasqua, ministre d'État, un effort très significatif a été entrepris pour éteindre les dettes de la police accumulées entre 1989 et 1993 envers certains de ses gros fournisseurs, la SNCF et France Telecom, notamment. En deux ans, près de 500 millions de francs d'impayés ont ainsi été apurés.

Cette démarche, poursuivie cette année, répond aux recommandations formulées à plusieurs reprises par votre rapporteur ; elle ne peut qu'être approuvée. Il conviendra cependant que de telles dettes ne se reconstituent pas.

S'agissant du téléphone -outil indispensable de la police mais dont l'usage a donné lieu à certaines dérives- le ministre de l'Intérieur a indiqué que des mesures très énergiques avaient d'ores-et-déjà été prises pour améliorer les contrôles, rationaliser la répartition des lignes et éviter les gaspillages, voire certains abus.

- Les emplois augmentent de près de 2 000 unités :

- 1 000 policiers auxiliaires, auxquels s'ajoutent d'ailleurs hors imputation budgétaire le financement de 500 volontaires du service long (VSL) et, à compter d'octobre, un accroissement exceptionnel de 500 autres VSL dans le cadre du plan VIGIPIRATE ;

- 950 agents administratifs, techniques et scientifiques, dont 700 créations nettes d'emplois et 250 par « dégel ». Sur les 700 emplois nouveaux, 689 figurent au « bleu » de la police, 11 autres emplois scientifiques et techniques étant imputés sur d'autres postes budgétaires.

L'accent porté sur la création d'emplois administratifs et techniques répond à une nécessité d'évidence : les policiers des services actifs doivent être employés sur le terrain aux tâches de sécurité pour lesquelles ils ont été recrutés, et non dans des bureaux à des tâches purement administratives ou de service.

Aussi l'article 5 de la loi d'orientation a-t-il prévu la création de 5 000 de ces emplois entre 1995 et 1999, dont 500 en 1995. Le rythme prévisionnel des créations évoqué lors de la discussion du projet de loi prévoyait 1 250 emplois nouveaux en 1996 et 1997 et 1 000 emplois nouveaux pour chacun des deux exercices suivants.

Force est donc de constater qu'avec 700 créations nettes, le projet de budget pour 1996 accuse un déficit de 550 unités par rapport aux prévisions de la loi d'orientation.

Si, comme il est vraisemblable, les contraintes pesant sur les finances publiques devaient perdurer au-delà de 1996, on ne voit pas bien comment à ce rythme, l'engagement de créer 5 000 emplois administratifs, scientifiques et techniques supplémentaires en cinq ans pourrait être intégralement tenu.


• Un effort important est enfin consacré aux mesures indemnitaires.

Outre les sommes affectées à la nouvelle bonification indiciaire (NBI), on note l'inscription de 137 millions de francs destinés à la mise en oeuvre de différentes mesures décidées par les précédents Gouvernements, comme la poursuite de l'application des Accords Durafour, la revalorisation indemnitaire des agents administratifs, etc...

Dans cette enveloppe, 12,5 millions de francs sont consacrés au financement de la troisième tranche de rapprochement de la prime de service continu des fonctionnaires du SGAP de Versailles (Grande couronne) avec celle des fonctionnaires du SGAP de Paris, souhaité par votre commission des Lois.

Pour ce qui est de la réforme du régime des « allocations funéraires », expressément prévue par l'article 24 de la loi d'orientation, le ministre a indiqué qu'elle nécessitait au préalable la création d'une ligne budgétaire spécifique puisqu'auparavant, ce régime fonctionnait hors budget, dans des conditions d'ailleurs peu transparentes et souvent critiquées.

Pour 1995, le poste sera « abondé de façon symbolique » mais le ministre a assuré que ce problème pourrait être réglé définitivement en 1996.

IV. LA PREMIÈRE ANNÉE D'EXÉCUTION DE LA LOI D'ORIENTATION ET DE PROGRAMMATION : UN BILAN POSITIF, EN DÉPIT DE QUELQUES INCERTITUDES

Votre rapporteur observe que le rapport sur l'exécution de la loi d'orientation et de programmation, que le Gouvernement doit présenter au Parlement chaque année n'a pas encore été déposé.

En son absence, il a donc jugé opportun de formuler quelques observations sur la première année de mise en oeuvre de cette loi, étant entendu qu'il est encore trop tôt pour en évaluer précisément tous les effets.

A. L'AVANCEMENT RAPIDE DE LA RÉORGANISATION DES CORPS ET DES STATUTS DES PERSONNELS DE LA POLICE

Indépendamment des nouveaux moyens juridiques et financiers mis dès cette année à la disposition de la police pour lui permettre d'assurer plus efficacement ses missions, la loi d'orientation et de programmation a posé les bases d'une profonde rénovation des corps et des statuts des personnels.

1. La structure des nouveaux corps

L'article 19 et l'Annexe I paragraphe III de la loi d'orientation ont prévu une refonte des statuts axée sur la fusion des corps en tenue et des corps en civils. Ces corps étaient jusqu'à présent étroitement cloisonnés.

- le corps d'encadrement, réparti en trois grades de commandant, capitaine et lieutenant, et accueillant les anciens inspecteurs et officiers de paix ;

- le corps de maîtrise et d'application, composé des enquêteurs, des brigadiers-major et des brigadiers et gardiens.

Une référence expresse était prévue par la loi d'orientation en ce qui concernait d'une part les modalités d'intégration dans les nouveaux corps des fonctionnaires déjà en poste, d'autre part les mesures transitoires et les « passerelles » devant permettre de passer d'une filière à l'autre.

L'Annexe III de la loi d'orientation prévoyait enfin que les décrets nécessaires interviennent dans un délai de dix-huit mois.

2. Le processus réglementaire de mise en application des dispositions de la loi d'orientation

Ce cadre légal posé, restait à mettre en oeuvre une réforme qui, pour l'essentiel, relève juridiquement du pouvoir réglementaire mais qui suppose, en pratique, une étroite concertation avec les représentants des personnels concernés.

Dès le 20 octobre 1994, une «commission du suivi» et plusieurs groupes de travail constitués en son sein ont permis, au cours de très nombreuses réunions préparatoires (plus de cinquante) d'élaborer dans des délais rapides les principaux textes attendus.

C'est ainsi qu'une première série de quatre décrets du 6 mai 1995 (publiés au Journal officiel le 7 mai 1995) ont respectivement modifié les statuts particuliers des inspecteurs (décret n° 95-578), des commandants et officiers de paix (décret n° 95-579), des gradés et gardiens (décret n° 95-581) et des enquêteurs (décret n° 95-581).

Six décrets du 9 mai 1995 sont ensuite intervenus (Journal officiel du 10 mai 1995):


• Le premier décret fixe les nouvelles dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs de la police nationale (décret n° 95-564).

Ce texte de base, qui se substitue au décret du 24 janvier 1968 modifié, organise les fonctionnaires actifs de la police en trois corps et renvoie à des statuts particuliers les dispositions propres à chacun de ces corps.

Il définit par ailleurs les principes généraux du recrutement des policiers, de leur formation, du déroulement de leur carrière, de leurs obligations particulières de service -celle de résider à proximité de leur lieu d'affectation, notamment- de leurs règles disciplinaires, ainsi que les structures de concertation et de participation (commissions administratives paritaires, notamment).

ï Trois autres décrets (n° 95-655 à 95-657) définissent les statuts particuliers des trois nouveaux corps.

ï Deux derniers décrets (n° 95-658 et 95-659) précisent enfin les règles applicables au comité technique paritaire central et aux comités techniques paritaires départementaux de la police nationale.

D'autres dispositions réglementaires complètent cet ensemble, en particulier trois arrêtés des 9 août, 18 octobre et 20 octobre 1995, relatifs à la formation initiale du premier grade du corps de maîtrise et d'application, au recrutement des lieutenants de police et aux dispositions communes.

Sur le plan juridique, le « rendez-vous réglementaire » prévu par la loi d'orientation a donc été tenu.

L'ensemble de ce dispositif aboutira à la transformation de 111.184 emplois et, pour 1996, à un coût de 31 millions de francs.

3. L'objectif de la réforme : la modernisation et le décloisonnement des corps de la police

Il n'est pas douteux que cette réforme d'envergure pourra susciter ça ou là quelques difficultés -à tous les échelons de la hiérarchie, d'ailleurs- car elle remet en cause des structures et des cadres hérités du passé, généralement rigides, bien souvent atteints par certaines pesanteurs.

La concertation menée en amont sur avec les personnels pourra sans doute en faciliter la mise en oeuvre en aval.

Un des effets immédiats des nouvelles dispositions statutaires sera de hausser dès les prochains concours le niveau de recrutement des policiers. Il passe du niveau « bac + 3 » (licence) au niveau « bac + 4 » (maîtrise) pour les commissaires et du niveau « bac » au niveau « bac+2 » pour le corps d'encadrement.

Pour les inspecteurs, commandants et officiers, l'exigence de deux années de formation universitaire préalable au recrutement est très appréciable.

En effet, la majeure partie des dix-huit mois de formation initiale de ces personnels était consacrée à l'acquisition de connaissances purement juridiques -en droit pénal et procédure pénale, notamment- au détriment de l'apprentissage des techniques policières proprement dites. En recrutant des fonctionnaires ayant déjà une formation universitaire à dominante juridique -compte tenu de la nature des épreuves- les écoles de police pourront ainsi recentrer leur enseignement sur le métier de policier proprement dit.

En revanche, il n'a pas été prévu d'exiger le baccalauréat pour les candidats au corps de maîtrise et d'encadrement (brigadiers et gardiens), cette mesure étant jugée trop élitiste et de nature à empêcher le recrutement de jeunes policiers de valeur en dépit de l'absence de ce diplôme. Pour autant, le concours se situera au niveau des classes de première.

Quoi qu'il en soit, la création de ces trois nouveaux corps et la suppression du cloisonnement entre « la Tenue » et les policiers exerçant en civil vont induire de nouveaux comportements, voire une nouvelle culture policière.

L'objectif déclaré, en ce domaine, est de parvenir, selon les termes du directeur général de la police nationale, M. Claude Guéant, à une « meilleure professionnalisation et à une plus grande polyvalence » des nouveaux policiers.

B- LES MESURES EN VUE DU RENFORCEMENT DE LA SECURITE DANS LES VILLES

L'article 4 de la loi d'orientation assigne à la police nationale comme la première de ses missions prioritaires la lutte contre les violences urbaines et la petite délinquance, phénomènes particulièrement préoccupants dans les « quartiers difficiles ».

Le constat est unanime : on assiste progressivement dans certains quartiers à la création de zones de non droit où se conjuguent tous les facteurs de l'insécurité (concentration urbaine, immigration clandestine, drogue, délinquance juvénile multirécidiviste, chômage élevé, déficit de services publics, etc...). Votre rapporteur ne croit pas nécessaire d'allonger son propos sur un thème hélas trop connu, auquel il a d'ailleurs consacré à plusieurs reprises d'amples développements.

La lutte contre ces dérives s'avère d'emblée très difficile. Elle dépasse largement les seules missions de la police, impliquant le concours actif de tous les acteurs publics et privés de la sécurité, au premier chef desquels les collectivités locales, les services sociaux et culturels et le secteur associatif.

A cet égard, il n'est pas douteux que la reconnaissance légale du maire comme acteur de la sécurité publique et son association à la définition par le préfet du programme de prévention de la délinquance et de l'insécurité, inscrites à l'initiative du Sénat dans la loi d'orientation (article 7) comme un de ses principes forts, facilitera la mobilisation de tous les moyens disponibles.

Néanmoins, la police joue un rôle fondamental dans la politique de la ville car une présence plus effective des policiers -outre son caractère dissuasif indéniable- représente le signe visible de l'autorité de l'État dans les quartiers difficiles.

1. Un bon exemple de l'action policière urbaine « en temps réel »et sur le terrain : les brigades anti-criminalité

Le ministre de l'Intérieur a souligné l'efficacité des brigades anti-criminalité (BAC), dont il entend renforcer les moyens d'intervention. Actuellement, 289 BAC regroupent 3 129 policiers.

Les BAC centrent leur activité sur les interpellations en flagrant délit (83 000 en 1994). Ces interventions « en temps réel » imposent de lourdes contraintes aux personnels en tenue et en civil et se révèlent très dangereuses, car les policiers se heurtent souvent à des individus qui n'hésitent pas à riposter (armes blanches, armes à feu, percussion des véhicules de police par des « voitures bélier », etc...).

D'où l'effort d'équipement spécifique -mais onéreux- consenti au profit des BAC : gilets pare-balles, « flash ball » (fusil à balle en caoutchoucs), etc...

En revanche, force est de constater que les véhicules en dotation dans ces unités n'ont ni les performances ni la robustesse de ceux qu'utilisent généralement les bandes sévissant dans certains quartiers difficiles (souvent des véhicules volés ou achetés avec l'argent de la drogue). Une réflexion devrait être engagée à ce sujet.

2 La présence policière passe aussi par des mesures comme l'îlotage ou l'incitation à résider au plus près des lieux d'affectation. La loi d'orientation prévoit expressément de les développer.

Votre rapporteur a émis dans le passé quelques doutes sur l'îlotage, tactique qui peut être efficace mais à condition de ne pas sombrer peu à peu dans la routine.

Comme l'a observé récemment le ministre de l'Intérieur, M. Jean-Louis Debré, à quoi bon organiser des rondes d'îlotage à heure fixes, tous les jours jusqu'à 20 heures, par exemple, puisque très vite les délinquants adaptent leurs horaires en fonction de ceux de la police !

La logique de la délinquance a sans aucun doute deux gros atouts face à celle de l'administration : la souplesse et l'adaptation rapide...

C'est pourquoi votre rapporteur approuve pleinement les propos du ministre de l'Intérieur, pour qui l'îlotage ne doit pas être un « alibi pour la routine » et dont l'efficacité nécessite « une remise en question permanente des méthodes et des modalités » pour coller aux réalités du terrain.

Ces propos démontrent qu'une bonne mise en oeuvre de la loi d'orientation exige non seulement des moyens mais aussi la remise en cause de conceptions routinières dépassées.

Faciliter le logement des policiers au plus près de leur lieu d'affectation est un des objectifs de la loi d'orientation.

L'article 24 du décret du 9 mai 1995 fixant les nouvelles dispositions communes applicables aux policiers des services actifs dispose que « les fonctionnaires actifs des services de la police nationale sont tenus de résider sur leur lieu d'affectation ou à une distance telle que leur rappel inopiné soit possible en toutes circonstances et dans les délais les plus brefs ».

La réalité est toute différente. On sait, par exemple, que dans le ressort du SGAP de Versailles (Grande couronne), seulement 21 % des policiers résident dans leur commune d'affectation, 17% à des distances comprises entre 20 et 100 kilomètres et 9 % à plus de 100 kilomètres.

Dans les faits, l'affectation des policiers dans les zones urbaines est souvent ressentie comme une simple étape de carrière -en général, de début de carrière- en raison de la difficulté de ces postes et du coût les logements. La fidélisation des policiers est y est très faible, faute de facteurs incitatifs.

Aussi l'effort en faveur du logement des policiers, au même titre que les avantages indemnitaires, est tout à fait nécessaire pour parvenir à la stabilisation dans les zones fortement urbanisées d'un nombre suffisant de policiers expérimentés.

On constate aussi que la présence de policiers habitant au sein même des quartiers réputés difficiles y réduit statistiquement le nombre des incidents, tant dans leur immeuble qu'à proximité. Tout simplement, elle fait jouer la « peur du gendarme ».

En région francilienne, la loi d'orientation et de programmation a fixé des objectifs exprimés non pas en termes budgétaires mais en nombre de logements. Elle prévoit ainsi de loger 4 000 policiers, soit un doublement annuel par rapport à 1994.

Outre les acquisitions et les réservations traditionnelles auprès des bailleurs sociaux, le ministère de l'Intérieur expérimente avec succès de nouvelles formes d'intervention, notamment le cautionnement par la Fondation Jean Lépine des loyers des policiers en contrepartie d'un abaissement du prix de la location. Assurés du paiement, les bailleurs privés sont enclins à consentir un loyer plus faible que celui du marché, d'autant que les policiers sont en général des locataires plus appréciés que d'autres.

C- LE RYTHME PEUT ETRE TROP LENT DU REALISATION DU RESEAU DE COMMUNICATIONS CRYPTEES « ACROPOL »

A plusieurs reprises, votre rapporteur a attiré l'attention sur l'importance du programme ACROPOL, nouveau réseau de communications cryptées destiné à assurer à 100 % la confidentialité des transmissions de la police. Il s'agit d'un impératif, à une époque où les moyens électroniques d'écoute, moins chers que jadis et sans cesse plus performants, placent les communications de la police en position de faiblesse.

Les policiers français sont encore relativement sous-équipés en moyens de transmissions par rapport à leurs collègues de plusieurs États de l'Union européenne (avec 0,3 poste par policier, contre par exemple 0,51 en Espagne, 0,57 en RFA et 0,66 en Grande-Bretagne).

Dans cette optique, un des engagements importants de la loi de programmation est d'accélérer la mise en oeuvre du programme ACROPOL lancé en 1993 et d'augmenter le parc radio de la police nationale.

Les précédents budgets des transmissions n'ont en effet pas permis de doter la police des outils dont elle a besoin pour effectuer ses missions de base à un bon niveau opérationnel, comme le reconnaît le ministère de l'Intérieur pour qui les matériels en service « ne peuvent plus être considérés comme parfaitement fiables ». Autrement dit, ces matériels sont en large part obsolètes et doivent être remplacés.

La police a besoin de terminaux modernes, susceptibles de s'intégrer dans un réseau radio-cellulaire numérique crypté à couverture nationale, désigné ACROPOL.

Le défi technique est difficile à relever, tant en ce qui concerne l'affectation des fréquences nécessaires qu'en ce qui concerne l'architecture interne du réseau. Les différents services de police souhaitent en effet pouvoir communiquer entre eux sans être décryptés par des écoutes extérieures, tout en conservant la possibilité d'acheminer leurs communications internes sans être captés par les autres services de police.

L'expérimentation, lancée en 1993 dans trois départements pilotes (Isère, Loire et Rhône) a permis la définition d'un produit -matériels et logiciels- réalisé par la société Matra communication. Une deuxième tranche, lancée en 1994, couvre la région Nord-Picardie.

Originellement prévu pour s'échelonner sur dix ans, l'achèvement du projet ACROPOL doit impérativement être réalisé sur une période plus brève, comme le souligne à juste titre la loi de programmation. Il importe en particulier d'équiper la région Île-de-France d'ici fin 1997, pour permettre à la police de faire face aux missions spécifiques de sécurité qu'impliqueront les compétitions de la Coupe du monde de football.

Sur ce point, les engagements de la loi de programmation ne paraissent pas avoir reçu de traduction budgétaire suffisante, à s'en tenir tout au moins aux dotations de la loi de finances initiale : 30 millions de francs en autorisations de programme et 37,7 millions de francs en crédits de paiement. De surcroît, une fraction des sommes portées au chapitre 57-60 est affectée au maintien en service ou à la rénovation des équipements anciens de transmissions, et non au développement d'ACROPOL.

Il est vrai que les crédits de 1995, d'un montant comparable, ont été abondés dans le collectif pour 1994, soit une enveloppe globale de 350 millions de francs sur l'exercice. Le nouveau ministre de l'Intérieur a indiqué qu'il serait procédé de la même manière cette année, ajoutant cependant, lors de son audition par la commission des Finances du Sénat, qu'à titre personnel, il aurait préféré que les crédits nécessaires soient inscrits dans le projet de loi de finances pour 1996.

S'agissant de dépenses programmées et appelées à se prolonger sur plusieurs années, on peut rester perplexe sur les motifs qui justifient le recours systématique à la loi de finances rectificative. Les conditions financières de réalisation du réseau y perdent de leur lisibilité.

Quoi qu'il en soit, le coût total sur cinq ans de l'achèvement du programme ACROPOL est évalué à 2,07 milliards de francs, soit cinq tranches annuelles de 414 millions de francs. Au rythme actuel, l'achèvement d'ACROPOL dans les délais prévus pourrait se révéler problématique.

Aussi, en dépit des difficultés budgétaires actuelles, votre commission des Lois recommande qu'une mobilisation plus active des moyens soit consacrée au projet ACROPOL d'ici 1997 et, en tout état de cause, avant la fin de l'exécution de la loi de programmation.

D. LA POLICE DISPOSE-T-ELLE DES STRUCTURES LUI PERMETTANT PLEINEMENT DE FAIRE FACE A LA MONTÉE EN PUISSANCE DE LA COOPÉRATION POLICIÈRE EUROPÉENNE ?

Lors de la discussion au Sénat du projet de loi d'orientation, votre rapporteur avait insisté sur l'importance de la coopération policière internationale, au plan européen, notamment.

L'article 3 de cette loi inclut explicitement dans les « orientations permanentes de la politique de sécurité ...le renforcement de la coopération internationale en matière de sécurité, à partir des engagements internationaux et européens auxquels la France a souscrit». Reste à s'interroger sur les moyens pour concrétiser cet objectif.


Le service de coopération technique internationale de la police (SCTIP)

Votre rapporteur a évoqué à plusieurs reprises les attributions du service de coopération technique internationale de la police dans le dispositif de coopération policière européenne.

Il notait l'année dernière qu'un arrêté du 11 septembre 1994 avait réorganisé ce service. Sa nouvelle direction des affaires européennes et de la coopération institutionnelle doit axer plus particulièrement son activité sur la liaison avec les services homologues des autres États européens.

Il se trouve précisément que la loi d'orientation et de programmation (Annexe II) place le SCTIP parmi les services dont il est « indispensable de procéder à la modernisation », centrant toutefois les efforts de cette unité sur les seules représentations à l'étranger : « les services du SCTIP implantés au sein des locaux diplomatiques devront prendre également en compte la mise en place d'officiers de liaison de différents services tels que l'Unité de coordination de lutte antiterroriste, la Police de l'air et des frontières, la Direction de la surveillance du territoire », ajoutant que « le ministère des Affaires étrangères a commencé à inventorier le coût des implantations du SCTIP dans divers pays ». On peut souhaiter que cet inventaire soit rapidement achevé.

Sans méconnaître les résultats obtenus par les officiers de liaison en poste dans nos représentations diplomatiques -en matière d'échange d'informations sur le trafic de drogue notamment- votre rapporteur se demande si le SCTIP est suffisamment armé pour faire face au développement considérable de la coopération policière dans le cadre européen, qu'elle relève des accords de Schengen ou du troisième pilier de l'Union européenne.

En fait, le SCTIP a été conçu à l'origine comme uns structure légère, axée sur la coopération policière avec les États africains, et ses capacités opérationnelles n'ont pas augmenté au rythme de ses tâches.


• Plus globalement, cette observation conduit à s'interroger sur les moyens dont dispose le ministère de l'Intérieur pour accompagner le processus d'internationalisation de la lutte contre l'insécurité.

A titre d'anecdote, votre rapporteur a rencontré les plus grandes difficultés pour faire traduire de l'allemand en français un accord de sécurité conclu entre des Länder de RFA et le Luxembourg. Dépourvus de personnel spécialisé, les services du ministère de l'Intérieur ont renoncé au bout d'une quinzaine de jours à traduire eux-mêmes ce document et n'ont eu d'autre ressource que de s'adresser aux services du Quai d'Orsay. Autant qu'il est possible d'en juger, les services du SCTIP n'ont même pas été sollicités à cet effet.

Cet exemple, qu'on voudrait isolé, incite à penser que les moyens affectés à la coopération policière internationale ne sont pas encore à la hauteur des besoins et qu'ils devraient être accrus et surtout modernisés.

Par définition, une loi d'orientation trace un cadre général dont la mise en place concrète requiert de nombreux textes réglementaires, voire législatifs.

1
• Votre rapporteur a noté avec intérêt le dépôt le 21 juin 1995 sur le Bureau du Sénat, d'un projet de loi « sur les activités privées de surveillance, de gardiennage, de transports de fond et relatif à l'activité des agences de recherches privées », ainsi qu'il était prévu par l'Annexe I de la loi d'orientation.

Ce projet de loi n'a pas encore été inscrit à l'ordre du jour des assemblées mais la session unique de neuf mois permet d'espérer qu'il le soit dans des délais pas trop éloignés.


• Pour ce qui est des polices municipales, le précédent Gouvernement avait présenté dès le 15 mars 1995 à l'Assemblée nationale un projet de loi relatif aux polices municipales. Ce texte demeure en instance.

Sans préjuger de la suite qui sera réservée à ces deux projets de loi, les prévisions législatives de la loi d'orientation ont donc été respectées.

2. La loi d'orientation attend encore plusieurs décrets d'application

En ce qui concerne « l'arsenal réglementaire » nécessaire à la pleine application de la loi d'orientation, on peut à nouveau saluer le très important effort entrepris en matière de rénovation des corps et des statuts.

En revanche, plusieurs articles importants de la loi d'orientation n'ont pas encore reçu leurs décrets d'application, situation à laquelle votre commission des Lois, très attachée à l'application des lois, ne peut qu'être attentive.

Sans énumérer l'intégralité des textes réglementaires qui doivent encore être publiés, votre rapporteur croit utile d'attirer l'attention du Gouvernement sur la non parution après pratiquement une année de plusieurs décrets conditionnant la mise en oeuvre de mesures pourtant présentées, à l'époque, comme particulièrement urgentes. Eu égard aux délais très serrés qui avaient été imposés aux assemblées -au Sénat, notamment- pour l'examen en première lecture du projet de loi d'orientation et de programmation, il serait regrettable que la rénovation du cadre juridique nécessaire au renforcement de la sécurité, rapide en amont, se trouve ralenti en aval.

Parmi les textes réglementaires qui font encore défaut, on relève notamment :


• Les décrets relatifs à l'établissement et à la suppression du régime de la police d'État et à la répartition des compétences entre la police et la gendarmerie.

Axe essentiel d'une politique efficace de sécurité, la répartition des compétences entre la police et la gendarmerie repose encore sur des critères géographiques surannés, que la loi d'orientation (article 8) a entrepris d'actualiser. Désormais, le critère de répartition doit s'apprécier de façon pragmatique, « en fonction des besoins de sécurité » de la commune appréciée.

Un décret en Conseil d'État doit définir les modalités d'application de ce principe nouveau, en particulier les critères concrets d'appréciation des besoins de sécurité de chaque commune.

Ce texte n'est pas encore publié, même si sa parution est annoncée comme imminente.

Votre rapporteur rappelle à ce sujet que dans sa déclaration de politique générale du 23 mai 1995, M. Alain Juppé, Premier ministre, a insisté sur « la complémentarité des deux composantes de la force publique -la police et la gendarmerie- la concertation de leur action, l'enrichissement de leurs savoir-faire respectifs ».

Il n'y a pas de doute que le décret en question est un des pivots de cette complémentarité, au même titre qu'un second décret annoncé par l'Annexe I de la loi d'orientation sur les principes de répartition des compétences et la coopération des deux services. Là encore, votre rapporteur ne peut que souhaiter la parution rapide de ce second texte.

L'article 10 de la loi d'orientation, relatif à la vidéosurveillance, est sans aucun doute celui qui a donné lieu aux plus vives discussions lors de l'élaboration de ce texte.

Un décret en Conseil d'État devait fixer les modalités d'application du dispositif, d'ailleurs déjà très précis en lui-même. Il est notamment indispensable de préciser la composition des commissions départementales de contrôle des systèmes de vidéosurveillance, leurs règles de fonctionnement et la procédure de présentation et d'instruction des demandes d'installation des nouveaux dispositifs de vidéosurveillance ainsi que de mise en conformité des dispositifs existants.

Un avant-projet a été transmis à votre rapporteur en mars 1995, à titre officieux et pour simple information. A ce jour, le texte définitif n'a pas encore vu le jour.

Votre rapporteur le déplore, s'agissant d'un domaine où le législateur a, quant à lui, fait preuve à la fois de rapidité et d'une grande précision juridique en dépit la technicité et du caractère très novateur de cette matière.

Les articles 11 et 12 de la loi d'orientation reconnaissent aux pouvoirs publics la faculté d'imposer certaines obligations de sécurité aux constructeurs et propriétaires ou usagers d'immeubles.

- Un premier décret devait déterminer les équipements concernés par l'obligation de procéder à des études de sécurité préalables à leur réalisation.

- Un second décret devait préciser les zones et les caractéristiques des immeubles assujettis à une obligation de gardiennage.

Le second, en particulier, semble susciter de vives réticences de la part des bailleurs sociaux, en raison des coûts d'un gardiennage efficace. L'argument financier mérite sans doute d'être pris en considération. Pour autant, la sécurité représente aujourd'hui une forme de solidarité où chaque acteur de la vie sociale doit concourir selon des modalités propres.

Les vols de voitures représentent une part significative de la délinquance, d'autant qu'ils facilitent la commission d'autres infractions.

Même si le nombre de ces vols a diminué en 1994 (303 000 contre 314 000 l'année précédente), il demeure très élevé quand on le compare à celui d'autres États de l'Union européenne, l'Allemagne fédérale par exemple (142 000 vols pour un parc automobile total 50 % supérieur à celui de la France).

L'année dernière, 79 000 voitures volées n'ont pas été retrouvées, ce qui donne une idée de l'ampleur des trafics.

Pour tenter d'y remédier, l'article 15 de la loi d'orientation a prévu qu'un système de marquage -en clair, un dispositif de détection électronique-pourrait être rendu obligatoire sur les véhicules neufs ou importés, dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'État.

Là encore, l'élaboration de ce décret se révèle délicate car il faut concilier l'intérêt public et les considérations de coût, d'ailleurs justifiées, opposées par les constructeurs et les importateurs.

Quoi qu'il en soit, il n'en demeure pas moins que l'article 15 de la loi d'orientation demeure en l'état inappliqué.


Le décret sur le renforcement de la sécurité dans les manifestations sur la voie publique

L'article 16 de la loi d'orientation dispose que dans certaines circonstances faisant craindre des troubles graves à l'ordre public, le représentant de l'État dans le département et, à Paris, le préfet de police, peut interdire le port et le transport, sans motif légitime, d'objets pouvant constituer une arme au sens du code pénal, dans une aire limitée et proportionnée aux circonstances de l'espèce.

Cette disposition a été adoptée en vue d'éviter que se reproduisent les graves violences dont avaient été victimes les forces de l'ordre au cours de précédentes manifestations sur la voie publique. En effet, lors de manifestations, les policiers sont tenus d'intervenir « dans le respect du droit et des personnes, en conformité avec leurs traditions » (comme le rappelle l'Annexe I de la loi d'orientation). Face à des individus armés auxquels elles ne peuvent riposter par les moyens adéquats, les policiers et les gendarmes sont exposés à des risques très graves.

Un décret en Conseil d'État doit fixer les modalités d'application dudit article.

Là encore, il est souhaitable que ce texte soit publié dans des délais rapprochés, à la fois pour la sécurité des policiers et pour garantir l'exercice paisible du droit de manifester.

CONCLUSION

La délinquance a diminué depuis 1994, le taux d'élucidation s'améliore et l'exécution de la loi d'orientation n'accuse pas de lacune majeure.

Mais les défis à relever pour préserver et renforcer la sécurité publique demeurent immenses.

Trois secteurs, en particulier, doivent mobiliser toutes les énergies : la sécurité au quotidien, la lutte contre la drogue et celle contre l'immigration clandestine. Ces trois domaines sont d'ailleurs étroitement imbriqués, comme en atteste la situation dans certaines banlieues et les quartiers difficiles.

Tout autant que des crédits, la sécurité publique exige une approche lucide et moderne des problèmes, de la part des policiers comme des responsables politiques. Les récents propos du ministre de l'Intérieur sur l'obligation de repenser la tactique de l'îlotage en sont un excellent exemple.

Face à une criminalité qui se joue des frontières, la politique de sécurité impose également de développer la coopération policière internationale, européenne notamment.

Dans le cadre d'un avis budgétaire annuel, il est certes difficile d'examiner en détail tous les aspects de la politique de sécurité du Gouvernement. La perspective d'un renforcement du contrôle parlementaire dans le cadre de la session unique a d'ailleurs conduit votre commission des Lois à envisager des formes plus modernes de contrôle, moins épisodiques et plus en prise sur les problèmes du moment.

En l'état, elle a considéré que la politique de sécurité, telle qu'elle est traduite dans le projet de loi de finances pour 1996, allait dans le bon sens et respectait globalement les engagements de la loi d'orientation et de programmation du 21 janvier 1945.

Aussi votre commission des Lois a-t-elle donné un avis favorable à l'adoption des crédits affectés à la sécurité publique du budget du ministère de l'Intérieur.

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