2. Les enseignements artistiques, socle de la démocratie culturelle

Chacun s'accorde aujourd'hui à reconnaître l'importance des enseignements artistiques.

Classée, aux côtés de la lecture, de l'écriture ou du calcul, parmi les enseignements primordiaux par la commission Fauroux 8 ( * ) , l'éducation artistique et culturelle constitue, aux yeux des membres de la commission chargée de réfléchir à la « refondation » de la politique culturelle 9 ( * ) , une « cause nationale » et « l'un des enjeux majeurs de la politique culturelle ».

Pour la première, « c'est à l' École qu'incombe le devoir de donner à tous les éléments d'une première éducation artistique, essentiellement dans les domaines de la musique et des arts plastiques. Cette initiation précoce peut s'élargir à d'autres arts, tels que la danse, l'expression dramatique et le théâtre, la photographie et le cinéma, notamment à la faveur du développement d'activités périscolaires. Il importe que tous puissent y avoir accès. »

Autour de Jacques Rigaud, les seconds formulent des propositions concrètes visant à doter progressivement la France, au cours des vingt prochaines années, d'un « système cohérent et efficace d'éducation culturelle du citoyen ».

Au-delà de la priorité accordée à « l'introduction dans tous les cursus scolaires, de la maternelle à l'université, d'enseignements d'histoire des arts et de pratique artistique », ils invitent à affirmer « un droit permanent du citoyen » à l'éducation artistique et culturelle. A cette fin, ils recommandent d'ouvrir les établissements spécialisés d'enseignement artistique aux simples amateurs, remettant en cause la sélection « draconienne, voire discriminatoire » opérée par ces établissements.

S'accordant sur le principe qu'il n'existe ni « art majeur ni art mineur », ils prônent une diversification des disciplines artistiques enseignées à l'école (musique, arts plastiques, mais aussi cinéma, expression dramatique, histoire de l'art, archéologie, architecture, chant choral, ...) et un élargissement du champ de ces enseignements à la culture scientifique et technique.

Consciente que les propositions qu'elle formule « auront un coût considérable pour la collectivité », la commission Rigaud souligne que leur mise en oeuvre sera subordonnée à l'existence d'une « réelle volonté politique ».

Parmi ces propositions, on peut citer l'application complète de la loi n° 88-20 du 6 janvier 1988 relative aux enseignements artistiques et l'adoption d'une loi de programmation budgétaire (ou « plan national de l'éducation artistique et culturelle ») tendant à hiérarchiser les priorités et à inscrire l'effort de l'État dans la durée. L'accent est également mis sur la formation des professeurs des écoles, dont la « sensibilisation approfondie » à l'éducation artistique et culturelle constitue « l'une des clés de la transmission d'une culture générale artistique aux enfants », et sur le renforcement des liens établis entre les établissements scolaires et les institutions culturelles. L'élaboration d'une « charte interministérielle des activités artistiques amateur » déterminant le soutien des pouvoirs publics à ces pratiques et organisant les relations entre les professionnels et les amateurs est enfin suggérée.

Votre rapporteur ne peut que souscrire à ces propositions et se féliciter que le Président de la République ait décidé de placer les enseignements artistiques parmi les trois priorités culturelles de son septennat.

L'évolution des crédits affectés aux enseignements et à l'éducation artistiques dans le projet de loi de finances pour 1997, ne semble toutefois pas traduire cette priorité. Certes, l'effort consenti tant par le ministère de l'éducation nationale que par celui de la culture est globalement préservé. Les crédits de fonctionnement et d'intervention consacrés aux enseignements artistiques par le ministère de l'éducation nationale progressent même, en francs courants, de 0,25 % pour s'établir à 5,313 milliards de francs et ceux du ministère de la culture, de 1,21 % pour atteindre 1,235 milliard de francs.

Cette progression reste néanmoins insuffisante pour combler le retard de la France en ce domaine et promouvoir une véritable démocratisation de la culture.

Pour tenter de porter une appréciation sur la situation des enseignements artistiques en France, il convient de distinguer entre la pratique de ces enseignements à l'école d'une part et l'offre d'enseignements artistiques spécialisés d'autre part.

a) Les enseignements et les pratiques artistiques en milieu scolaire


L'application de la loi du 6 janvier 1988

La loi précitée du 6 janvier 1988 rend obligatoire dans l'enseignement primaire et le premier cycle du secondaire, c'est-à-dire pendant toute la période de scolarité couverte par l'obligation scolaire, l'enseignement d'au moins deux disciplines artistiques, la musique et les arts plastiques.

A l'école primaire, le respect de l'obligation posée par la loi est difficile à contrôler. Si les programmes posent le principe de l'enseignement de la musique et des arts plastiques à raison d'une heure hebdomadaire, cet enseignement est assuré non pas par des professeurs spécialisés comme dans le secondaire mais par les instituteurs et les professeurs des écoles.

Dans un rapport publié en mai 1995 10 ( * ) , l'inspection générale de l'éducation nationale estime qu'« il reste une proportion importante d'instituteurs qui n'assurent aucun de ces enseignements » . Cette situation s'explique tant par le « sentiment d'incompétence » que peut ressentir l'instituteur dans l'enseignement de ces disciplines que par la pression exercée sur eux en faveur des apprentissages fondamentaux.

Lorsque ces disciplines sont enseignées, elles le sont de façon très inégale, chaque instituteur faisant prévaloir « sa propre vérité » sur l'art et son enseignement.

Et le rapporteur de conclure à la nécessité de faire porter prioritairement les efforts sur la formation des professeurs des écoles en matière artistique, « seul investissement à long terme pour la recherche de réponses, économiques et adaptées, s'adressant à la totalité des élèves » .

Le temps de formation aux disciplines artistiques dispensées par les Instituts universitaires de formations des maîtres (IUFM) varie actuellement entre quinze heures et quarante heures au total, ce qui paraît nettement insuffisant pour garantir la qualité de l'enseignement dispensé par les professeurs des écoles à leurs élèves et s'établit en tout état de cause en retrait de la formation dispensée en ces matières par les anciennes écoles normales.

Dans le premier cycle du secondaire, les retards constatés dans l'application de la loi de 1988 sont évalués sous forme de « déficit horaire ».

Au cours de la dernière décennie, la priorité a été accordée, avec un certain succès, à la résorption des heures de cours non assurées.

Le tableau ci-après retrace cette évolution :

Dans le rapport précité de l'inspection générale de l'éducation nationale, M. Gilbert Pelissier estime que le déficit est parvenu, pour les arts plastiques, à un seuil en-deçà duquel il sera très difficile de descendre compte tenu de la complexité de l'organisation des enseignements artistiques et de la gestion du personnel.

Partant de ce constat, il observe que la question posée par l'enseignement artistique dans le secondaire s'est déplacée : elle ne se pose plus tant en termes quantitatifs d'heures obligatoires non assurées 11 ( * ) qu'en termes qualitatifs. L'accent doit être mis sur la recherche de la qualité de l'enseignement dispensé, afin d'offrir à tous les élèves les mêmes chances d'accéder à la culture. A cette fin, la priorité doit être désormais accordée à la formation des personnels enseignants, qui reste très insuffisante.


les activités et pratiques culturelles

Dans le prolongement des enseignements artistiques obligatoires (ou optionnels au lycée), les activités culturelles cofinancées par le ministère de la culture et le ministère de l'éducation nationale ont pris une importance croissante au cours de ces dernières années, passant du statut d'activités complémentaires ou périphériques à celui de composantes à part entière du projet global d'éducation.

* Les classes culturelles et les ateliers de pratique artistique connaissent un succès croissant.

Les premières impliquent le déplacement d'une classe pendant une semaine et son axées sur la découverte d'une activité de création ou du patrimoine.

Les ateliers de pratique artistique se déroulent à l'école. Ils sont animés par des artistes ou des professionnels des arts et se déroulent sur trois ou quatre mois, à raison de deux à trois heures hebdomadaires.

Durant l'année scolaire 1994-1995, 600 classes culturelles et 1100 ateliers de pratique artistique ont permis à 42.500 enfants du primaire de découvrir un domaine artistique ou patrimonial. La même année, 64.275 élèves du secondaire ont fréquenté un atelier de pratique artistique.

* Le ministère de la culture apporte par ailleurs son soutien aux enseignements artistiques dispensés dans les classes A3 des lycées, en prenant à sa charge la rémunération des artistes professionnels qui collaborent avec les enseignants. Au cours de l'année scolaire 1994-1995, 114 lycées ont dispensé un enseignement spécialisé dans le théâtre, et 97 lycées un enseignement spécialisé dans le cinéma.

En outre, et dans le cadre de la réforme pédagogique des lycées, un nouvel enseignement de spécialité « histoire des arts » est proposé aux élèves depuis 1993. 73 lycées offraient cette spécialisation au cours de l'année scolaire 1994-1995.

La contribution du ministère de la culture à la sensibilisation artistique des écoliers et des collégiens emprunte encore des formes variées.

* Lancée à la rentrée de 1992, la formule des « jumelages » entre établissements scolaires et institutions culturelles rencontre un réel succès.

On dénombrait en 1995 plus d'une centaine de jumelages, dont plus de 58 % intéressaient des institutions de diffusion du spectacle vivant et près de 30 % des musées.

* De façon plus ponctuelle, l'opération « collège au cinéma » , engagée en 1989, s'est fixée pour objectif de redonner aux jeunes le goût du cinéma en les aidant à se forger une culture cinématographique. A cette fin, le ministère de la culture diffuse à des tarifs préférentiels et à la demande des collèges, une série de 25 films de qualité dans les départements et les zones géographiques mal équipés en salles de cinéma. Au total, 58 départements ont bénéficié de cette action en 1995.

* Enfin, dans le cadre du protocole d'accord interministériel signé le 17 novembre 1993 entre les ministères de la culture, de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, et de la jeunesse et des sports, des parcours culturels ont été mis en place dans treize sites pilotes d'expérimentation artistique au cours de l'année scolaire 1994-1995. Au total, 20.750 élèves du premier degré et 12.411 élèves du deuxième degré ont bénéficié de cette expérience.

Les premières appréciations portées sur ces sites d'expérimentation artistique sont globalement positives. Ils auraient joué un rôle de catalyseur, incitant les représentants de l'État, les collectivités territoriales et les institutions culturelles à unir leurs efforts et à définir une politique cohérente d'offre culturelle à l'échelon local, favorisant l'émergence d'un nouveau concept, le « bassin culturel de vie de l'enfant ».

CONTRIBUTION DU MINISTÈRE DE LA CULTURE À L'ÉDUCATION CULTURELLE EN MILIEU SCOLAIRE

(ANNÉE SCOLAIRE 1994-1995)

Enfin, le ministère de la culture participe, avec les ministères de l'éducation nationale et de la jeunesse et des sports, aux expérimentations conduites en faveur de l'aménagement du rythme de vie des enfants dans vingt-deux villes pilotes. Il a affecté 5,4 millions de francs à cette opération.

En 1997, les crédits consacrés par le ministère de la culture aux actions artistiques et culturelles destinées aux publics d'âge scolaire diminueront de 1,80 % pour s'établir à 163,5 millions de francs.

b) Les enseignements artistiques spécialisés


Un soutien insuffisant au réseau des écoles municipales d'art

Le ministère de la culture verse des subventions aux collectivités territoriales pour le fonctionnement des écoles de musique et de danse et des écoles d'art plastique agréées par l'État.

En 1997, les crédits correspondants progresseront de 0,7 % pour atteindre 544,47 millions de francs.

Cette évolution reste cependant notablement insuffisante pour permettre à l'État de soutenir efficacement les efforts accomplis par les collectivités territoriales : la contribution du ministère de la culture plafonne à moins de 10 % du budget de fonctionnement des 134 conservatoires nationaux de région et écoles nationales de musique, auquel participent les communes à hauteur de 75 %, les départements pour près de 5 % et les régions pour seulement 0,8 %.

Dans ce contexte, votre rapporteur ne peut que se féliciter de l'annonce, faite par M. Douste-Blazy, d'un projet de loi destiné à clarifier les compétences respectives de l'État et des collectivités territoriales en matière d'enseignement artistiques spécialisés.

Pour encourager le développement des écoles d'art et favoriser leur répartition harmonieuse sur le territoire national, la commission Rigaud esquisse une autre piste de réflexion. Elle suggère de transformer le statut des écoles municipales de musique en établissements publics locaux associant les différents partenaires concernés.


Les établissements publics délivrant un enseignement supérieur artistique

Le ministère de la culture participe par ailleurs au financement des établissements publics délivrant une formation supérieure et qui sont placés sous sa tutelle.

Dans le domaine des arts plastiques, l'enseignement supérieur est dispensé par trois établissements publics parisiens (l'école nationale des Beaux-arts, l'école nationale supérieure des arts décoratifs et l'école nationale supérieure de création industrielle), ainsi que par huit écoles nationales d'art en région rattachées au centre national des arts plastiques.

L'enseignement supérieur de la musique et de la danse est assuré par deux conservatoires nationaux, implantés respectivement à Paris et à Lyon, ainsi que par l'école de danse rattachée à l'Opéra national de Paris, et celui du théâtre par le conservatoire national supérieur d'art dramatique et l'école rattachée au théâtre national de Strasbourg.

La rationalisation du statut de ces écoles, visant à accroître leur autonomie et à favoriser le rapprochement d'établissement aux missions voisines, sera poursuivie.

En 1996, l'Institut français de restauration des oeuvres d'art (IFROA), antérieurement rattaché au centre national des arts plastiques, est devenu un département de l'école nationale du patrimoine. Il a emménagé dans d'anciens locaux industriels à Saint-Denis, en région parisienne.

Au cours de l'année 1997, l'école du Louvre, jusqu'ici rattachée à la Réunion des musées nationaux, sera érigée en établissement public autonome. Le projet de loi de finances pour 1997 prévoit de transférer à cette fin les crédits de rémunération de 18 agents contractuels de la Réunion des musées nationaux qui seront intégrés dans la fonction publique de l'État.

Un amendement présenté par le gouvernement au projet de loi relatif à l'emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d'ordre statutaire, adopté par le Sénat au cours de sa séance du 29 octobre dernier, tend par ailleurs à ériger l'Institut de formation et d'enseignement pour les métiers de l'image et du son (FEMIS) en établissement public à vocation industrielle et commerciale.

Ces établissements verront leur subvention de fonctionnement reconduite en 1997, à l'exception toutefois de l'École nationale supérieure des Beaux-arts dont la dotation progressera de 700.000 francs à 22,59 millions de francs et, de l'École nationale du patrimoine dont la subvention diminuera de 3 millions de francs en raison de la baisse des effectifs d'élèves scolarisés.

La diminution du nombre de postes ouverts au concours de l'École nationale du patrimoine en novembre 1996 ne semble pas refléter, bien au contraire, une diminution des besoins recensés dans les institutions patrimoniales (archives, bibliothèques, musées) dans lesquelles les futurs conservateurs du patrimoine seront appelés à exercer leurs compétences, mais résulter uniquement des contraintes budgétaires. Cette évolution est d'autant plus regrettable qu'elle conduit de facto à priver de débouchés une quinzaine d'élèves de l'École nationale des chartes, pour lesquels l'École nationale du patrimoine constitue, avec l'École nationale supérieure des sciences de l'information et des bibliothèques dépendant du ministère de l'éducation nationale, l'une des deux écoles d'application leur permettant d'accéder, depuis 1991, aux fonctions de conservateur. L'on rappellera que les élèves de l'École nationale des Chartes, qui font l'objet d'une sélection rigoureuse, ont le statut de fonctionnaires-stagiaires et sont à ce titre rémunérés par l'État durant les trois années de leur scolarité, en contrepartie de quoi ils se sont engagés à servir l'État pendant dix ans. Si les élèves de l'École nationale des chartes n'ont pas pour autant de droit acquis à être recrutés dans les corps de fonctionnaires de l'État, il faut bien reconnaître que l'absence de gestion prévisionnelle des besoins et l'inadéquation totale entre les effectifs sortant de l'École des chartes (39) et le nombre de postes ouverts aux concours de l'École nationale du patrimoine -spécialité archives- (5) et de l'École nationale supérieure des sciences de l'information (19) pose un réel problème.

Dans le prolongement de la réflexion engagée l'an passé sur le statut des écoles nationales d'art en région, un décret instituant une « réunion des écoles nationales supérieures d'art » est en préparation. Le regroupement des sept écoles d'art rattachées au centre national d'arts plastiques (Aubusson, Bourges, Cergy-Pontoise, Dijon, Limoges, Nancy, et Nice) et de l'école nationale de la photographie d'Arles au sein d'un établissement unique devrait favoriser une gestion plus rationnelle des écoles, assurer une plus grande complémentarité des enseignements et faciliter la mobilité des étudiants, tout en permettant à ces écoles d'acquérir une notoriété internationale.

* 8 Pour l'école, rapport de la commission présidée par M. Roger Fauroux, remis au ministre de l'éducation nationale en juin 1996

* 9 Commission présidée par M. Jacques Rigaud, rapport remis au ministre de la culture en octobre 1996.

* 10 Rapport de M. Gilbert Pelissier sur la situation des enseignements artistiques obligatoires à l'école élémentaire et au collège.

* 11 même s'il convient de rester vigilant pour accroître le respect de l'obligation légale en musique et améliorer le sort des académies déficitaires.

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