C L'AMENAGEMENT CULTUREL DU TERRITOIRE

1. L'émancipation culturelle des collectivités territoriales

En quinze ans, de 1978 à 1993 12 ( * ) , les dépenses culturelles des communes de plus de dix mille habitants 13 ( * ) , des départements et des régions ont été multipliées par 2,5 en francs constants, passant de 12,75 milliards de francs à 32,4 milliards de francs. Le tableau ci-après retrace cette évolution.

Si l'on intègre les dépenses culturelles de la ville de Paris (1,9 milliard de francs) et celles des petites communes (évaluées à 4,5 milliards de francs), le financement de la culture par les collectivités territoriales atteint 36,9 milliards de francs en 1993 et représente un peu plus de la moitié (50,3 %) des financements publics affectés à ce secteur.

Les communes assurent à elles seules 40,9 % des dépenses culturelles publiques, la part des départements représentant 7,4 % de celles-ci et celles des régions 2 % seulement.

L'histogramme suivant présente la répartition fonctionnelle des interventions culturelles des collectivités territoriales.

PRINCIPAUX AXES D'INTERVENTION CULTURELLE DES COLLECTIVITÉS
TERRITORIALES EN 1993

Jacques Rigaud 14 ( * ) date des années soixante-dix la prise de conscience qui a conduit à la « métamorphose du paysage culturel » observée un quart de siècle plus tard : « Avant 1970, rarissimes étaient les élus qui, comme Chaban-Delmas à Bordeaux, Defferre à Marseille ou Pflimlin à Strasbourg, s'intéressaient à la culture.

Aujourd'hui, il n'est guère de maire qui n'ait compris qu'elle était pour sa ville un élément de rayonnement et d'attraction aussi puissant et souvent moins coûteux et risqué que le sport, et aussi important que les infrastructures de transport et autres équipements directement utilitaires. Lyon, Bordeaux, Grenoble, puis Montpellier et maintenant Lille et Toulouse ont en grande partie bâti sur la culture leur réputation de villes modernes et séduisantes. Les départements et les régions suivent la même voie depuis que la décentralisation a accru leurs prérogatives. Les régions ont quadruplé et les départements quintuplé depuis quinze ans leur effort financier pour la culture. Les communes, actives depuis longtemps dans ce domaine, l'ont doublé ; les dépenses culturelles représentent en moyenne 10 % du budget des villes de plus de dix mille habitants et ce pourcentage moyen monte à 14 % pour les villes de plus de cent cinquante mille habitants. Le total des budgets des collectivités territoriales dépasse, et de loin, le budget du ministère de la culture et même l'ensemble des dépenses culturelles de l'État. »

Cette transformation du paysage culturel s'accompagne d'une émancipation progressive des collectivités territoriales. La « décentralisation culturelle » imposée d'en haut dans les années soixante a fait place à l'initiative culturelle des collectivités territoriales. Aux premiers centres dramatiques permanents ouverts en province par la volonté de Jeanne Laurent 15 ( * ) , a succédé un foisonnement d'actions décidées par les élus locaux.

Il n'est plus de communes d'une certaine importance qui reste aujourd'hui à l'écart de cette évolution. Comme le souligne encore Jacques Rigaud, « des formes les plus classiques aux plus nouvelles, les villes françaises jouent, chacune à leur façon, la carte de la culture. « Paris et le désert français » est, dans ce domaine, une formule dépassée, même si elle a été ravivée par le mythe des grands travaux » .

L'on ne peut que se féliciter du dynamisme qui anime désormais les collectivités territoriales en matière culturelle et trouve sa traduction dans la rénovation des musées de province, l'investissement dans l'art contemporain, la réhabilitation architecturale et la réutilisation des monuments anciens, la définition d'une politique musicale lyrique ou chorégraphique ambitieuse...

Cette évolution générale est d'autant plus remarquable que les lois de décentralisation n'ont pas opéré, dans ce domaine particulier, d'importants transferts de compétences aux collectivités locales. Si l'on excepte en effet la responsabilité exercée par les départements sur les archives et les bibliothèques départementales de prêt, l'intervention conjointe et les financements croisés demeurent la règle en matière culturelle.

La multiplication des initiatives locales, si heureuse soit-elle, provoque toutefois l'apparition de déséquilibres géographiques et pose le problème de la péréquation des charges liées au fonctionnement des équipements culturels. C'est la raison pour laquelle il importe, aujourd'hui plus que jamais, d'inscrire la politique culturelle dans une perspective d'aménagement du territoire.

2. L'État, garant de l'aménagement culturel du territoire

L'émancipation culturelle des collectivités territoriales a fait évoluer le rôle joué par l'État en faveur de l'aménagement culturel du territoire. Longtemps cantonnée à la correction du déséquilibre Paris-province, son intervention vise désormais plus généralement à réduire les inégalités géographiques d'accès à la culture. Dans le même temps, l'État incitatif a fait place à l'État correcteur.

a) La poursuite du rééquilibrage géographique des interventions culturelles de l'État

La multiplication des chantiers portant sur la construction de grandes institutions culturelles implantées dans la capitale a fait naître, au cours des années quatre-vingts, une revendication légitime de redéploiement de l'effort culturel de l'État en faveur de la province.

Depuis 1989, le ministère de la culture s'est doté d'un instrument de mesure fiable lui permettant de quantifier la répartition des dotations budgétaires entre la capitale, la région Île-de-France et la province. Mis au point par un groupe de travail présidé par M. Seibel, alors inspecteur général de l'INSEE, cet instrument permet aujourd'hui d'analyser les transformations enregistrées en ce domaine depuis 1986.

L'examen du tableau ci-après, retraçant l'évolution du budget de la culture en dépenses ordinaires et crédits de paiement, fait apparaître une amélioration constante du sort réservé à la province (elle bénéficiera en 1997 de 45 % des crédits inscrits au budget de la culture, contre 39 % de ceux-ci en 1990 et 35 % des mêmes en 1987). Pour la première fois en 1997, la part des crédits affectés à la capitale devrait connaître un fléchissement sensible, reflétant l'achèvement de la plupart des grands chantiers parisiens. Hors grands travaux, on note toutefois une relative stabilité de la part des dépenses bénéficiant à Paris, qui oscille depuis 1988 entre 41 et 47 % du total, et devrait vraisemblablement croître au cours des prochaines années en raison de la montée en puissance des coûts de fonctionnement des institutions achevées.

RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE DES CRÉDITS DU BUDGET DE LA CULTURE

(EN DÉPENSES ORDINAIRES ET CRÉDITS DE PAIEMENT)

1987-1997

L'analyse du tableau suivant, qui retrace la même évolution par titres budgétaires, est plus instructive encore.

Elle fait en effet très clairement apparaître la déformation progressive de la structure des crédits d'intervention (titre IV) et des subventions d'investissement (titre VI) au bénéfice de la province.

Celle-ci, qui bénéficiait en 1987 de 54 % des crédits d'intervention du ministère concentrera en 1997 plus des trois-quarts de ceux-ci. Dans le même temps, la part de ces crédits qui revient à la capitale a été pratiquement divisée par deux, passant de 35 % du total à 17 % de celui-ci en 1997.

De la même façon, les subventions d'investissement affectées à la province ont connu une forte croissance au cours de la dernière décennie (passant de 20 à 44 % du total), tandis que régressaient dans les mêmes proportions les crédits du titre VI investis à Paris (76 % en 1987 ; 50 % en 1997).

ÉVOLUTION DE LA STRUCTURE DU BUDGET DE LA CULTURE PAR TITRE (EN DÉPENSES ORDINAIRES ET CRÉDITS DE PAIEMENT) (1987-1997)

Cette évolution est le fruit d'une politique volontariste conduite depuis 1990, tendant à remédier à la concentration excessive de l'effort culturel dans la capitale en affectant prioritairement en province les mesures nouvelles dont bénéficie le budget de la culture et les crédits dont le redéploiement est autorisé par l'achèvement des grands chantiers parisiens.

En dépit de l'effort accompli par l'État en faveur des grands projets culturels en région, l'année 1997 se caractérisera par une nette dégradation de la part des crédits d'investissement du titre V affectée à la province. Alors que la province a bénéficié de 66 % des crédits d'équipement correspondants en 1996, cette proportion chutera à 56 % l'an prochain. Cette évolution négative est la conséquence du rééchelonnement de l'exécution de la loi de programme sur le patrimoine monumental : comme le soulignait l'an passé votre rapporteur, la politique de restauration des monuments historiques constitue un puissant facteur de décentralisation des crédits de la culture, le patrimoine étant harmonieusement dispersé sur l'ensemble du territoire national.

b) Une politique ambitieuse d'implantation d'équipements culturels en province

Conformément aux décisions arrêtées par le comité interministériel d'aménagement du territoire qui s'est tenu à Troyes le 20 septembre 1994, la politique de rééquilibrage des dépenses d'équipement culturel en faveur de la province se poursuivra en 1997.


Les grands projets en région

Doté de 800 millions de francs en cinq ans, le programme des grands projets régionaux (1995-2000) symbolise la volonté politique de veiller à une répartition plus équilibrée de l'action culturelle sur l'ensemble du territoire. Il vise à favoriser la constitution d'un réseau de « pôles d'excellence » susceptibles d'avoir une action « structurante » sur le tissu culturel local.

En 1997, 264,65 millions de francs d'autorisations de programme seront ouvertes dans le projet de loi de finances pour permettre la poursuite des opérations engagées en 1995. Les travaux de construction du centre d'archives contemporaines à Reims débuteront (144 millions de francs d'autorisations de programme), tandis que seront poursuivis les travaux de construction de l'auditorium de Dijon (20 millions de francs), d'aménagement d'un centre de réserves de costumes de scène à Moulins (13 millions de francs) et la création d'un centre d'art contemporain à Toulouse (25 millions de francs). Le projet de création d'un réseau multimédia autour d'Art 3000 et de Sophia-Antipolis bénéficiera de 2,65 millions de francs.

Parmi les autres projets sélectionnés, mais dont la réalisation sera engagée ultérieurement, on peut citer : la création d'un musée vivant de l'imprimerie et de l'écrit à Lamotte-Beuvron et d'un centre national du patrimoine photographique à Châlons-sur-Saône, la rénovation de la villa Arson à Nice et la restructuration du centre d'art (le Cargo) de Grenoble.


Favoriser le maillage culturel du territoire

Au traditionnel déséquilibre Paris-province s'ajoute aujourd'hui le contraste entre les zones urbaines d'une part, et le milieu rural, les banlieues et les périphéries des villes d'autre part, qui accusent un retard important en matière d'équipements culturels.

C'est à ce nouveau déséquilibre que tente de remédier le plan de création d'équipements culturels de proximité engagé depuis trois ans.

La construction ou la rénovation de lieux de diffusion (centres d'art, lieux de diffusion musicale et chorégraphique, aménagement de salles municipales) bénéficiera de plus de 60 millions de francs d'autorisations de programme.

40 millions de francs seront encore consacrés au développement de lieux pluridisciplinaires et de proximité visant à favoriser l'accès à la culture des populations jusqu'à présent tenues à l'écart de l'offre culturelle. La création d'un « zénith mobile », susceptible d'être monté en trois jours sera expérimentée en 1997 pour accroître la diffusion de la culture en zone rurale.

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Votre rapporteur ne peut que se féliciter des nouvelles orientations arrêtées en faveur d'une répartition plus harmonieuse de l'offre culturelle sur le territoire national.

* 12 Dernières statistiques disponibles.

* 13 Hors ville de Paris

* 14 L'exception culturelle - culture et pouvoirs sous la Ve République (Grasset, 1995).

* 15 Sous-directrice du théâtre à la direction générale des arts et lettres à la fin de la IVe République.

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