III. DEUX SUJETS DE PRÉOCCUPATION

A. INQUIÉTUDES PERSISTANTES SUR LA CAPACITÉ DE L'ÉTAT À ASSURER LA CONSERVATION DES TRÉSORS NATIONAUX EN FRANCE

Comme le soulignait l'an passé votre rapporteur, l'année 1996 était une année test pour la conservation du patrimoine national. C'est au cours de celle-ci que sont parvenus à échéance les premiers certificats refusés en application de la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1993 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation au sein de l'Union européenne, qui réglemente désormais l'exportation des biens culturels.

1. La jurisprudence Walter rend inopérant le recours au classement des trésors nationaux

Au dispositif douanier hérité du régime de Vichy, la loi du 31 décembre 1992 a substitué un mécanisme de protection fondé sur la délivrance d'un certificat de libre circulation des biens culturels.

Ce certificat, requis tant pour la circulation d'un bien culturel dans l'Union européenne que pour son exportation vers un pays tiers, atteste qu'il ne constitue pas un trésor national et se trouve dès lors légalement hors de France.

Votre rapporteur ne reviendra pas sur la description du nouveau dispositif légal, qui figure dans l'avis présenté au nom de la commission des affaires culturelles sur le projet de loi de finances pour 1996 16 ( * ) .

Tout au plus convient-il de rappeler ici que lorsque l'État a refusé l'octroi d'un certificat à un bien culturel présentant les caractéristiques d'un trésor national 17 ( * ) , il ne peut réitérer ce refus à l'expiration d'un délai de trois ans, sauf si le bien est classé (ou en instance de classement) archive ou monument historique et sauf s'il appartient à une collection publique. A défaut, l'octroi du certificat est de droit.

Dans l'esprit du législateur de 1992, le classement des objets mobiliers, dont l'effet second est d'interdire la sortie définitive du territoire national, devait compenser la faiblesse relative des crédits publics d'acquisition et permettre à l'État d'assurer, sans bourse délier, la conservation en France, et en des mains privées, d'éléments majeurs du patrimoine national.

La loi de 1913 sur les monuments historiques comme celle du 3 janvier 1979 relative aux archives offrent effectivement à l'État la possibilité de classer les biens mobiliers sans le consentement de leur propriétaire. Qui plus est, le deuxième alinéa de l'article 16 de la loi précitée du 31 décembre 1913 (prévoyant qu'une « indemnité représentative du préjudice subi du fait de l'application de cette servitude » peut être versée au propriétaire) était jusqu'alors restée lettre morte.

Une récente décision de justice, appelée à faire jurisprudence, devrait conduire l'administration à renoncer au classement pour assurer la conservation en France des trésors nationaux.

Le 20 février 1996, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par l'administration contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 6 juillet 1994 condamnant l'État à verser à M. Jacques Walter, ancien propriétaire du Jardin à Auvers de Van Gogh, classé sans son consentement en 1989, une indemnité de 145 millions de francs.

Écartant les moyens présentés par l'agence judiciaire du Trésor, la Cour a confirmé l'application faite par les juges du second degré de l'article 16 de la loi de 1913. Elle a par ailleurs affirmé que la Cour d'appel avait légalement procédé, dans l'exercice de son pouvoir souverain, à l'évaluation du préjudice subi par le propriétaire d'un tableau du fait de la mesure de classement d'office de cette oeuvre, en comparant le prix de vente du tableau en France avec ceux d'oeuvres comparables vendues à l'époque du classement sur le marché international de l'art.

En toute logique, cette décision devrait aboutir, dans les faits, à neutraliser l'alternative du classement dans la recherche d'une solution propre à assurer le maintien en France d'oeuvres maîtresses du patrimoine national.

Il est en effet peu vraisemblable que les propriétaires de biens culturels auxquels un certificat de libre circulation aura été refusé consentent de plein gré au classement desdits biens, dont l'effet secondaire est, comme cela a été rappelé plus haut, d'interdire la sortie définitive du territoire national.

Dans ces conditions, l'État, qui ne dispose pas de moyens suffisants pour faire entrer les trésors nationaux dans les collections publiques, ne devrait plus se risquer à classer d'office des oeuvres ou des objets d'art car il s'exposerait de ce fait à verser de lourdes indemnités aux propriétaires pour assurer la conservation en France d'oeuvres non accessibles au public.

* 16 Sénat, n° 78, Tome 1 (1995-1996).

* 17 outre les biens appartenant aux collections publiques et les biens classés, archives ou monuments historiques, sont considérés comme étant des « trésors nationaux », les biens présentant un « intérêt majeur » du point de vue de l'histoire, de l'art et de l'archéologie.

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