2. Problèmes spécifiques de l'éthique de l'information

a) Un cadre juridique très souple

Globalement satisfaisant en ce qui concerne le pluralisme, sous réserve de l'évolution de la règle des trois-tiers rendue obsolète par l'évolution de notre système politique, le dispositif législatif qui régit le traitement de l'information audiovisuelle est insuffisamment efficace en ce qui concerne l'éthique de l'information.

Certes, le CSA s'est estimé « pleinement compétent pour veiller au respect par les chaînes de l'honnêteté de l'information et, le cas échéant, pour sanctionner les manquements dont elles se rendraient coupables à cet égard » (3e rapport annuel p. 221), il n'en reste pas moins que ni l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986, qui énonce les missions générales de l'institution, ni les articles 13 à 16 de la même loi, qui précisent son champ de compétence privilégié en matière de contrôle des programmes, ne font référence à l'honnêteté de l'information.

Il s'agit donc d'une compétence résiduelle pour laquelle le CSA ne peut prétendre à une marge de manoeuvre aussi importante que celle dont il dispose par exemple en matière de protection de l'enfance et de l'adolescence.

En dépit de la pétition de principe mentionnée ci-dessus, le CSA n'a d'ailleurs pas adopté une démarche véritablement « dirigiste » en la matière. Il s'est jusqu'à présent contenté d'adresser des observations aux chaînes, d'émettre des recommandations, de mettre en place, à l'occasion d'événements comme la guerre du Golf ou les attentats de l'été 1995, un dispositif de concertation avec les responsables des chaînes.

De leur côté, ceux-ci ne paraissent pas disposés à reconnaître une véritable compétence au CSA dans ce domaine puisque TF1 a refusé de participer à une réflexion collective organisée sous son égide en janvier 1991 et que la même chaîne a montré un manque manifeste de coopération dans la rectification de la présentation erronée d'un massacre perpétré sur le marché de Sarajevo en février 1994, comme le relève le rapport d'activité pour 1994. Cependant les dirigeants des chaînes semblent s'être soumis de bonne grâce à l'exercice de réflexion organisé par le CSA à la suite des attentats de l'été 1995, dont il est vrai que le traitement médiatique avait suscité la désapprobation du président de la République.

b) Des problèmes persistants

La faiblesse des moyens dont le CSA dispose pour favoriser l'éthique de l'information joue sans doute un rôle dans la multiplication de dérapages dont le citoyen et le consommateur de programmes audiovisuels seraient en droit d'attendre la correction.

Il faut distinguer d'une part les pratiques qui mettent en cause la notion- même d'honnêteté de l'information, et d'autre part les facilités auxquelles conduit l'attrait de l'information-spectacle.

En ce qui concerne l'honnêteté de l'information, les rapports annuels du CSA relèvent des manquements réguliers qui mettent en cause l'exactitude de l'information (présentation d'hypothèses hasardeuses, interprétations fantaisistes, informations insuffisamment vérifiées) et l'utilisation des images (images truquées, images tronquées, utilisation non signalée d'images d'archives, utilisation d'images ne correspondant pas au fait traité).

Ces manquements sont particulièrement accentués durant les périodes de crise, comme le traitement des attentats de l'été 1995 l'a abondamment illustré, donnant lieu à plusieurs mises au point du président du CSA. En période ordinaire se produisent aussi des dérapages choquants : fausse information sur le traitement du Sida, truquage d'un reportage sur les banlieues à l'émission « la Preuve par l'Image » à la mi-septembre 1995...

Relève aussi de l'éthique de l'information le phénomène du « pilori médiatique » qui mobilise en vue de véritables lynchages moraux les procédés les plus divers, dont l'émission « Envoyé spécial » n° 288 sur les « Croisés de l'Ordre moral » a donné une anthologie démonstrative : juxtaposition suggestive de séquences dépourvues de tout véritable lien, appel à un adversaire retourné pour confirmer l'interprétation suggérée, droit de conclure donné systématiquement aux représentants de l'accusation à l'issue de dialogues factices, choix de ne pas donner la parole, sur les commandos, à un représentant autorisé de l'Eglise, emploi d'un vocabulaire partisan, l'objectif poursuivi étant manifestement de présenter le souverain pontife comme le chef d'un complot mondial contre le droit d'avorter impliquant un ancien SS, plusieurs soutiens de Klaus Barbie, une secte brésilienne, l'assassin d'un médecin américain pratiquant des avortements, les associations familiales catholiques et plusieurs membres du Sénat et de l'Assemblée nationale 4 ( * ) .

L'information-spectacle donne lieu à des pratiques tout aussi discutables sur le plan déontologique : présentation complaisante d'images insoutenables ou portant atteinte à la dignité des personnes, dramatisation de l'information avec la diffusion lancinante, au cours des attentats de l'été 1995, de séquences sanglantes à l'occasion de « flashs » n'apportant aucun élément d'information nouveau, pratique intensive des micro-trottoirs, tentations diverses de mettre l'information en scène en recourant aux procédés relevés ci-dessus (cf. le reportage de « la Preuve par l'Image » en septembre 1995).

c) Quelques pistes possibles

Une solution pourrait consister à confier la surveillance de la déontologie à des instances professionnelles, n'était la répugnance des professionnels de l'information à prendre cette tâche collectivement en charge. Du reste, l'exemple britannique montre le laxisme des systèmes de régulation à base professionnelle.

Force est donc de se tourner vers le CSA et d'envisager les moyens d'accentuer son rôle en matière de régulation du traitement de l'information sans donner prise au soupçon de viser une mise sous tutelle de l'information audiovisuelle.

Il ne paraît pas opportun de lui confier le soin de fixer un corps de règles déontologiques.

Sans doute serait-il en revanche utile de confier au CSA en la matière une mission d'animation qui lui permettrait de développer les initiatives qu'il a prises jusqu'à présent, et d'assurer le respect de règles définies sous son impulsion et acceptées par la profession.

Il pourrait être envisagé de lui confier expressément la mission d'assurer le respect de l'honnêteté de l'information soit en modifiant en ce sens le dernier alinéa de l'article premier, soit en ajoutant l'honnêteté de l'information à la liste des objectifs, énumérés à l'article 13, dont le CSA assure le respect.

Ainsi deviendrait-il véritablement compétent pour veiller au respect par les chaînes de l'honnêteté de l'information et pour sanctionner le cas échéant les manquements qu'il constaterait.

Une réflexion pourrait être engagée sur ces problèmes à l'occasion de l'examen du projet de loi sur la communication audiovisuelle déposé au Sénat.

* 4 cf aussi l'analyse de cette émission présentée dans le 7ème rapport d'activité (1995) du CSA, p. 91.

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