CHAPITRE III - L'ESPACE MILITAIRE

L'enveloppe destinée à l'espace militaire pour les années 1997 à 2002 a été fixée à 20,7 milliards de F. par la nouvelle programmation. Cet effort représentera sur la période 4 % des dépenses d'équipement des armées et il n'inclut pas de contribution du ministère de la Défense au budget civil de recherche et de développement. Il s'agit donc, en valeur absolue, d'un maintien des dotations consacrées à l'espace militaire qui se trouve de ce fait relativement épargné par les contractions budgétaires.

La pérennité des moyens dévolus à l'espace militaire traduit l' importance accordée aux équipements spatiaux d'observation et de communication . Dans un nouveau contexte stratégique marqué par l'émergence de crises auxquelles notre pays peut être confronté, ces équipements spatiaux doivent permettre d'assurer la maîtrise du renseignement et de mettre en oeuvre des systèmes de télécommunications performants, conditions indispensables au développement de ce que le livre blanc sur la Défense de 1994 a appelé "les nouvelles capacités prioritaires" de nos forces armées , à savoir la prévention et la projection.

La révision à la baisse des crédits d'équipement des armées n'affectera pas l'espace militaire . Les crédits prévus par la loi de programmation militaire, en moyenne 3,5 milliards de F par an d'ici 2002, permettront à la France de poursuivre les programmes engagés depuis une quinzaine d'années tant en matière de communication que d'observation. Sans pour autant rivaliser avec les Etats-Unis ou la Russie, la France pourra disposer, grâce au maintien de son effort budgétaire, d'un ensemble cohérent d'équipements spatiaux militaires sans équivalent en Europe.

Il faut rappeler que la préservation des programmes spatiaux est un élément fondamental du renforcement de l'autonomie stratégique de la France.

Une première illustration vient d'en être fournie il y a quelques semaines lorsque sur la base des renseignements recueillis par le satellite d'observation HELIOS I, le gouvernement français a pu se livrer à sa propre appréciation de la situation dans le sud de l'Irak et a pu arrêter sa décision en conséquence. Il est évident qu'avant la mise en service de ce satellite en juillet 1995, la dépendance vis-à-vis des sources d'information extérieures n'autorisait pas la même liberté d'action.

Pour autant, les moyens financiers consacrés par la France à l'espace militaire paraissent modestes au regard du budget militaire spatial américain, près de 25 fois supérieur, et du coût des programmes. La réalisation des objectifs implique donc un renforcement de la coopération européenne qui s'impose pour des raisons financières et industrielles, l'industrie spatiale civile intégrant déjà largement la dimension européenne.

C'est dans un cadre européen que l'on tirera les meilleurs profits d'une articulation étroite entre programmes civils et programmes militaires. C'est également grâce à une coopération aux stades du développement, de la production et de l'exploitation des programmes que pourra s'édifier un ensemble de moyens cohérents offrant une alternative au système américain.

Il est donc particulièrement nécessaire que la coopération franco-allemande, notamment sur les programmes HELIOS II et HORUS, puisse se poursuivre dans de bonnes conditions, malgré les tensions provoquées par les contraintes budgétaires, faute de quoi l'équipement de nos armées en moyens spatiaux serait retardée et les perspectives d'édification d'une Europe de la défense disposant d'une réelle autonomie stratégique seraient amoindries.

I. LES PROGRAMMES SPATIAUX MILITAIRES

L'effort budgétaire consacré à l'espace militaire se concentre sur deux types de programmes, l'un relatif aux télécommunications et l'autre, plus récent, intéressant l'observation. Pour des raisons de coûts, les autres programmes, liés notamment à l'écoute électromagnétique et aux dispositifs d'alerte avancée, ne sont pour l'instant pas lancés.

A. LES TÉLÉCOMMUNICATIONS MILITAIRES SPATIALES

C'est dans le domaine des télécommunications qu'ont été réalisées les premières applications militaires de l'espace, en France avec le programme SYRACUSE comme au Royaume-Uni avec le programme SKYNET. Un réseau de télécommunications à base de satellites s'avère en effet indispensable à la conduite des opérations sur les théâtres extérieurs.

Les premiers programmes militaires se sont tout d'abord greffés sur les programmes civils avant de mieux prendre en compte les besoins spécifiques des armées en matière de couverture géographique et de protection contre le brouillage et les agressions.

1. Le programme SYRACUSE II

Le programme SYRACUSE I a permis l'installation de systèmes militaires sur les trois satellites TELECOM 1 lancés en 1984, 1985 et 1988.

Compte tenu de la durée de vie limitée des satellites, le programme SYRACUSE II , décidé en 1987, a permis de prendre le relais et d'assurer la continuité du service. Elaboré en liaison avec le programme civil TELECOM 2, ce programme vise aussi à étendre le réseau à de nouveaux types de stations et à accroître la protection d'un certain nombre de liaisons.

La mise en service opérationnelle a commencé avec le lancement d'un premier satellite en 1991, suivi d'un deuxième en 1992. La phase de transition avec le système SYRACUSE I s'est achevée en 1995. La durée de vie d'un satellite étant de 10 ans, les deux derniers lancements effectués le 12 décembre 1995 et le 8 août 1996 permettront de maintenir la continuité du service jusqu'en 2005.

S'agissant des stations au sol, le système SYRACUSE I n'en comportait que 23. Celles-ci sont modernisées et leur nombre est porté à plus de 100, les dernières stations étant livrées en 1997. Le coût pour la défense du programme SYRACUSE II et de ses compléments déjà lancés est évalué à plus de 12,5 milliards de F constants de 1996.

Pour 1997, les autorisations de programmes le concernant s'élèveront à 322 millions de F et les crédits de fonctionnement à 624 millions de F.

2. Le programme SYRACUSE III

Le programme SYRACUSE III doit succéder en 2005 au système SYRACUSE II. Il devra en outre accroître la capacité de résistance d'un nombre important de liaisons aux moyen de guerre électronique et étendre la zone de couverture, tout en améliorant la cohérence interarmées et l'interopérabilité avec nos alliés. Il s'appuiera sur un nombre de stations accru (400) et de types diversifiés. La composante spatiale devrait comprendre 4 ou 5 satellites.

Les études de faisabilité sont lancées depuis 1993 mais les choix concernant l'organisation du programme et surtout les aspects de coopération internationale n'ont pas encore été arrêtés.

Le coût prévisible de ce programme et la recherche d'une meilleure interopérabilité avec les alliés ont progressivement conduit à élargir à un nombre important de pays les différentes options de coopération internationale.

Une réalisation purement nationale, avec ou sans France Telecom, reste toujours à l'étude, mais on peut se demander si les contraintes financières la rendent encore envisageable.

Un temps envisagée, une coopération trilatérale franco-anglo-américaine (Inmilsat) semble aujourd'hui écartée car elle répond moins bien aux besoins américains.

Plusieurs options de coopération bilatérale ont également été étudiées, avec l'Allemagne (Geftsatcom) mais surtout avec le Royaume-Uni (Bimilsatcom). En effet, français et britanniques se trouvent confrontés au même moment à la nécessité de trouver un successeur à SYRACUSE II et à SKYNET 4.

La forte complémentarité des besoins français et britanniques conduit à retenir comme très probable la concrétisation de cette coopération mais l'intérêt manifesté par les allemands pourrait déboucher sur une coopération trilatérale entre la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne (projet TRIMILSATCOM), qui couvrirait le système le plus complet et constitue aujourd'hui l'hypothèse la plus probable.

Un projet plus vaste associant aux trois pays précités l'Italie, la Belgique, l'Espagne et les Pays-Bas, baptisé Eumilsetcom, a également été formulé.

Le coût total du programme SYRACUSE III est dificile à établir en l'absence du choix définitif sur la formule de coopération. Dans l'hypothèse où le projet Trimilsatcom serait retenu, le coût pour le ministère de la défense français est évalué à 15,4 milliards de F. 1996.

Quoi qu'il en soit, le montant prévu par la loi de programmation pour la période 1997-2002 s'élève à 3,976 milliards de F 1995. Le projet de budget pour 1997 prévoit 625 millions de F en autorisation de programme et 314 millions de F. en crédits de paiement.

B. LES PROGRAMMES D'OBSERVATION

Développés plus tardivement que les programmes de télécommunications, les programmes militaires d'observation satellitaire occupent désormais une place majeure dans le renforcement des capacités de renseignement . Par rapport aux moyens classiques d'observation, ils présentent l'avantage de couvrir de manière quasi-permanente l'ensemble de la planète sans restrictions liées à l'utilisation de l'espace aérien et sans risque d'incident.

Engagés dès le départ dans le cadre d'une coopération européenne, les projets militaires d'observation spatiale, qui s'appuient sur les acquis du programme civil SPOT, ont évolué vers une meilleure prise en compte des besoins spécifiquement militaires.

Le système d'observation optique HELIOS I, opérationnel depuis juillet 1995, permet déjà d'assurer les fonctions de base du renseignement spatial. Le système optique à infrarouge HELIOS II, en début de développement, permettra l'observation de nuit tout en améliorant la résolution des images. Enfin, le programme d'observation radar HORUS constitue le complément nécessaire du précédent puisqu'il permettra l'observation quelles que soient les conditions météorologiques et fournira des informations supplémentaires sur les structures et la nature des sites observés.

1. Le programme d'observation optique HELIOS I

Le programme d'observation optique HELIOS I a été lancé par la France en 1986 mais l'Italie en 1987, puis l'Espagne en 1988 se sont joints au programme à hauteur respectivement de 14,1 % et 7 % et disposent d'un droit d'utilisation potentielle des images à due concurrence. Le système inclut un module expérimental d'écoute électromagnétique (EURACOM) qui est exclusivement réalisé par la France.

Ce programme a été mené en liaison avec le programme civil SPOT 4, les deux satellites utilisant une plate-forme commune.

Il faut rappeler que les capacités du système optique HELIOS I sont limitées à l'observation de jour et par temps clair.

Le premier satellite, HELIOS IA, a été mis en orbite le 7 juillet 1995 et il est entré en phase opérationnelle le 11 octobre 1995.

Le second satellite, HELIOS IB, sera disponible d'ici la fin de l'année 1996 et pourrait si nécessaire être lancé dès 1997. Il est toutefois prévu de conserver HELIOS IB en réserve pour assurer le moment venu la relève d'HELIOS IA dont la durée de vie est de quatre à cinq ans.

Le coût total prévisionnel pour le ministère de la défense du programme HELIOS I s'élève à 9,4 milliards de francs 1996.

Les crédits de paiement consommés fin 1995 se montaient à 7,6 milliards de F. Le projet de budget pour 1997 prévoit de consacrer 701 millions de F, contre 835 millions de F en 1996, à HELIOS I;

L'ensemble des crédits prévus par la loi de programmation pour HELIOS I sur la période 1997-2002 s'élève à 2,8 milliards de F.

2. Le programme d'observation optique et infrarouge HELIOS II

Le système HELIOS II doit normalement permettre d'assurer la continuité du service dès 2001 , en remplacement du système HELIOS I.

Sa phase de définition a débuté en 1994 avec les objectifs suivants :

• permettre l'observation de nuit grâce à une capacité infrarouge

• améliorer les capacités de prise de vue et de transmission des images afin d'en augmenter le nombre et de réduire les délais d'acquisition de l'information,

• améliorer la résolution des images pour mieux détecter les objectifs d'intérêt militaire.

Le système comporterait trois satellites dont le premier devrait normalement pouvoir être lancé dès 2001.

Comme HELIOS I, HELIOS II doit être réalisé en coopération européenne. L'Italie et l'Espagne, déjà parties prenantes dans le cadre d'HELIOS I ont bien entendu été sollicitées. Le principe d'un élargissement à l'Allemagne de cette coopération a été décidé au sommet franco-allemand de Baden-Baden en décembre 1995 puis confirmé au sommet de Dijon en mai dernier.

Le lancement de la phase de développement d'HELIOS II reste suspendue à la clarification de la participation de chacun de nos partenaires à ce programme.

La participation allemande , que la France souhaiterait voir arrêtée à 10 % du coût du programme, a semblé un moment remise en cause par le ministre allemand de la défense à l'issue des arbitrages budgétaires effectués à Bonn. Les déclarations de ce dernier au cours de l'été laisseraient entendre que le retrait d'HELIOS II pourrait découler des restrictions affectant les programmes d'armement. Il apparaît d'autre part qu'une partie des responsables du ministère de la défense plaidaient pour l'achat de satellites américains qui seront rapidement disponibles sur le marché.

Devant le Sénat le 23 octobre dernier, le ministre de la défense, M. Charles MILLON, a fermement confirmé l'accord existant entre les chefs d'état des deux pays pour mener ce programme en coopération.

La confirmation de la participation allemande conditionne en partie les décisions des gouvernements italien et espagnol et la mise au point définitive de la clef du financement de ce programme.

Enfin, deux questions importantes restent elles aussi en suspens :

• la confirmation du dispositif industriel , étant entendu que compte tenu des lourds investissements déjà réalisés par la France dans le domaine des satellites d'observation, cette dernière pourrait légitimement espérer une participation industrielle supérieure à sa participation financière ;

le lien entre les financements et l'accès aux images , qui selon votre rapporteur doit impérativement être maintenu de manière rigoureuse.

Le ministre de la défense table actuellement sur une participation allemande de 10 % et une participation italienne et espagnole d'un total sensiblement équivalent. Dans l'hypothèse d'un taux de coopération de 20 %, le coût du programme HELIOS II pour le ministère de la défense , comprenant le lancement de trois satellites et l'adapation des installations au sol, est évalué à 11,7 milliards de F 1996.

Les crédits de paiement consommés à la fin 1995 s'élèveront à 1739 millions de F. 1049 millions de F sont inscrits dans le budget pour 1997 contre 843 millions de F en 1996, une enveloppe de 6,4 milliards de F 1995 ayant été prévue par la loi de programmation pour la période 1997-2002.

3. Le programme d'observation radar HORUS

Le programme d'observation radar HORUS a été conçu en complément du programme optique HELIOS pour obtenir des images par tous les temps, même en cas de couverture nuageuse, de jour comme de nuit, y compris sous des couverts (fumée, camouflage), avec des possibilités de surveillance de larges zones.

L'ensemble des avantages de l'observation radar est toutefois contrebalancé par une plus grande difficulté d'interprétation des images, si bien que la référence aux observations optiques demeure indispensable .

Il existe donc une très forte complémentarité entre observation optique visible ou infrarouge et observation radar , la fusion de ces trois types d'images enrichissant considérablement l'information et permettant le recueil des renseignements quelles que soient les conditions sur le terrain.

Seule la mise en oeuvre du programme d'observation radar HORUS peut donc permettre, associée au système HELIOS, de construire un système d'observation spatiale militaire complet et cohérent.

Le programme HORUS, qui comporterait le lancement de trois satellites à partir de 2005, doit faire l'objet d'une coopération européenne avec l'Allemagne et l'Italie.

Mais c'est cette fois l'Allemagne qui assurerait la maîtrise d'oeuvre et prendrait à sa charge la plus grosse part du financement, la France n'intervenant qu'à hauteur du tiers et l'Italie du cinquième.

La décision de principe de coopération franco-allemande a été prise lors du sommet de Baden-Baden le 7 décembre 1995, mais l'accord cadre de coopération n'est pas encore signé. Si la signature intervient lors du sommet de décembre prochain, les études de faisabilité pourraient démarrer en 1997, l'objectif restant de lancer le premier modèle de vol HORUS I A à l'horizon 2005.

Comme pour HELIOS II, le ministre français de la défense s'est déclaré devant le Sénat très confiant sur la solidité de l'accord franco-allemand sur HORUS, malgré les turbulences qui avaient affecté la préparation du budget militaire allemand.

Le coût du programme pour la France est évalué à 6,4 milliards de F 1996, sur l'hypothèse d'une participation d'environ un tiers.

Pour l'instant, seuls 162 millions de F avaient été consacrés au titre de ce programme, 83 millions de F étant inscrits au budget 1996 et 175 millions de F prévus pour 1997.

L'enveloppe prévue par la loi de programmation sur la période 1997-2002 s'élève quant à elle à 2,4 milliards de F 1995.

4. Les autres programmes

Si compte tenu des contraintes budgétaires la priorité a été donnée aux programmes optiques et radar, d'autres équipements pourraient à terme compléter les moyens du renseignement spatial militaire.

Le satellite d'écoute des émissions électroniques permettrait par exemple de détecter systématiquement les zones d'activité électromagnétique anormale et d'orienter ainsi très rapidement les moyens d'observation optique et radar vers ces régions.

Après l'abandon du programme ZENON, aucun programme opérationnel n'a été pour l'instant envisagé dans ce domaine où seuls les Etats-Unis et la Russie disposent de moyens confirmés.

Toutefois, le système expérimental EURACOM, exclusivement financé par la France, a été embarqué sur HELIOS. Un microsatellite expérimental "CERISE" a été lancé en 1995 et doit permettre de surveiller certaines gammes de fréquence et de recueillir des informations sur l'environnement radioélectrique. Un second microsatellite "CLEMENTINE" pourrait être lancé en 1997 afin de compléter les renseignements déjà obtenus et de favoriser la mise au point d'un futur système opérationnel.

Moins complexe et moins coûteux que le satellite optique ou radar, le satellite d'écoute permettrait d'améliorer très sensiblement l'efficacité de notre système de renseignement spatial, particulièrement pour la détection des crises dès les premiers indices. Même s'il semble aujourd'hui prématuré d'envisager un développement de ce type de matériel, il est néanmoins indispensable de poursuivre les études nécessaires à la mise au point des besoins et des spécifications.

Plus lointaine encore apparaît la perspective de réalisation d'un satellite de détection des lancements de missiles balistiques dans le cadre des systèmes dits "d'alerte avancée".

La possession d'un système d'alerte, même en l'absence de moyens d'interception antimissiles, apparaît cependant comme un élément de nature à renforcer la crédibilité de notre dissuasion.

La France souhaiterait que la réalisation d'un tel système s'effectue en coopération européenne, sur la base de moyens satellitaires. Le coût de ce type de système, qui devrait comprendre deux satellites opérationnels, l'un pour la détection des tirs et le second pour suivre la trajectoire, serait de l'ordre de 10 milliards de F et on comprend que compte tenu de la nécessité de poursuivre en priorité l'achèvement des capacités d'observation optique et radar, il ne puisse être envisagé à brève échéance. Il apparaît ici encore néanmoins nécessaire de poursuivre les réflexions et études en cours.

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