CHAPITRE II : LES QUESTIONS NUCLÉAIRES

La loi de programmation militaire pour les années 1997-2002 prévoit de consacrer 105,8 milliards de francs 1995 à la dissuasion nucléaire durant la période, ce qui correspond à une moyenne annuelle légèrement supérieure à 17,5 milliards et à la poursuite de la réduction de la part des crédits d'équipement militaire consacrée au nucléaire (20,5 % du titre V pour l'ensemble de la durée de programmation, et moins de 20 % en fin de période).

Cette évolution doit être restituée dans son contexte, celui de la définition d'une nouvelle posture nucléaire, avec un format revu à la baisse (A). Elle s'inscrit aussi dans la perspective du traité d'interdiction générale des essais (CTBT) (B) qui rend indispensable la poursuite et l'aboutissement des programmes de simulation (C). Mais elle doit aussi permettre le déroulement des programmes nécessaires au maintien de deux composantes nucléaires sûres et fiables (D). C'est dans ce cadre que doivent être appréciés les crédits consacrés au nucléaire par le projet de loi de finances pour 1997 (E).

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A. LA DEFINITION D'UNE NOUVELLE POSTURE NUCLEAIRE REVUE A LA BAISSE

1. L'adaptation de nos forces de dissuasion au nouveau contexte international

Il va d'abord de soi que la dissuasion nucléaire , malgré les mutations profondes du contexte géostratégique, reste l'élément central de notre stratégie . Les évolutions internationales ont beau avoir effacé la menace majeure et quasi exclusive qui pesait au temps de la guerre froide, la dissuasion nucléaire demeure une assurance irremplaçable contre les périls extrêmes et une réponse adéquate - d'ailleurs admise dans son principe par la Cour Internationale de Justice en juillet dernier - aux menaces qui subsistent ou sont susceptibles d'apparaître.

Du point de vue militaire, le monde restera, dans l'avenir prévisible, un monde nucléaire dans lequel la dissuasion conserve sa pertinence et demeure la garantie ultime de notre sécurité . Elle ne saurait donc être passée par pertes et profits et la France doit conserver les moyens nécessaires pour disposer, à tout moment, d'un arsenal nucléaire sûr et crédible, dans le respect du principe de suffisance .

Sur le plan politique également, la possession de l'arme nucléaire demeure - qu'on le veuille ou non - un des attributs essentiels du statut international de la France au même titre que son poids économique et industriel ou l'héritage historique et culturel qu'elle représente. Notre pays ne saurait donc envisager de renoncer à cet atout majeur.

Cela étant, il est tout aussi clair que les nouvelles données internationales permettaient de repenser - en les réduisant - les éléments de notre posture nucléaire . Il était donc nécessaire que la réforme d'ensemble, cohérente et globale, de notre appareil de défense qui a été engagée prenne, dans un cadre budgétaire extrêmement contraignant, ces facteurs en compte. Au moment où les menaces contre nos intérêts vitaux se sont estompées et où, à l'inverse, nos forces conventionnelles sont lourdement sollicitées dans le cadre d'opérations extérieures, il convenait de tirer les conséquences du constat fait, dès 1994, par le Livre Blanc sur la défense : "le rôle de la dissuasion nucléaire est devenu, fût-ce temporairement, moins central". Deux points méritent ici d'être fortement soulignés :

- D'abord, la volonté de la France d'être - après la dernière campagne d'essais qui lui a donné les garanties scientifiques nécessaires au maintien de la crédibilité de sa dissuasion pour l'avenir prévisible - un "élément moteur" en matière de lutte contre la prolifération qui constitue un danger majeur dans le nouveau contexte international.

C'est pourquoi la France ne s'appuie que sur un arsenal de stricte suffisance, aussi limité que possible pour rendre la dissuasion efficace, et réduit - nous y reviendrons - le format de ses forces nucléaires. C'est pourquoi aussi la France s'est voulue doublement exemplaire dans la négociation du CTBT en plaidant la première pour un traité d'interdiction des essais fondé sur "l'option zéro" et en décidant de fermer immédiatement ses centres d'essais du Pacifique.

- Il faut ensuite rapprocher de cette démarche l'idée proposée par la France d'une "dissuasion européenne concertée" . Il convient, certes, de ne pas se tromper sur la nature et le contenu de cette proposition ni se leurrer sur ses perspectives de concrétisation rapide. Il ne s'agit ni de "dissuasion octroyée", c'est-à-dire élargie unilatéralement aux autres pays européens, ni de "dissuasion mutualisée", c'est-à-dire d'imposer à nos partenaires un nouveau contrat imposant un partage des risques et des responsabilités. Il est tout aussi clair qu'une dissuasion européenne n'est pas envisageable à court terme, que bon nombre d'Etats européens ne souhaitent pas s'engager dans un dialogue sur le nucléaire, et qu'une mise en oeuvre de la proposition française dépendra de l'émergence d'une véritable identité européenne de défense impliquant à terme une éventuelle défense commune.

Cela dit, si une telle évolution n'aboutira pas dans le court terme, il reste qu'une future défense européenne ne se construira pas sans que, au terme d'une démarche progressive, les forces de dissuasion françaises et britanniques n'y jouent un rôle. Il s'agit, selon les termes du Président de la République, "de tirer toutes les conséquences d'une communauté de destin et de l'imbrication de nos intérêts vitaux ", au moment où le monde de l'après-guerre froide conduit à s'interroger sur une éventuelle redéfinition de nos "intérêts vitaux". Dans cet esprit, la dissuasion concertée pourrait passer par la mise en place d'une structure de concertation associant les pays européens qui le souhaiteraient . Sans déboucher immédiatement sur la reconnaissance d'intérêts vitaux communs, la mise en place d'un forum européen sur les questions de politique nucléaire pourrait également être envisagée.

Il faut enfin, dans cette perspective, se féliciter de ce que la concertation franco-britannique en la matière a déjà permis de mettre en évidence une forte convergence de vues entre les deux pays - au sein de la commission mixte sur les questions de politique et de doctrine nucléaire mise en place en 1992. Le Président de la République et le Premier ministre britannique ont ainsi pu souligner, le 30 octobre 1995, qu'ils n'imaginaient pas "de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l'un des deux pays pourraient être menacés sans que les intérêts vitaux de l'autre le soient aussi". Ce dialogue doit pouvoir s'étendre dans l'avenir aux pays européens qui le souhaitent, sans exclure un dialogue avec les Etats-Unis et au sein d'une Alliance atlantique rénovée.

2. La réduction du format de nos forces nucléaires

C'est dans ce contexte que doivent être appréciées les importantes décisions prises par la France tendant à réduire le format de nos forces nucléaires, à commencer par l'abandon de la composante terrestre.

a) L'abandon de la composante terrestre

Votre rapporteur ne reviendra pas ici longuement sur les motivations et sur la signification stratégique de cette décision importante, déjà analysée à plusieurs reprises par notre commission (cf rapport n° 427 (1995-1996) du Président de Villepin sur la loi de programmation militaire - pages 95-97 - et mon précédent avis budgétaire n° 80 (1995.1996), tome IV, pages 44-47).

Après l'avoir envisagé dès l'an dernier, le Président de la République a décidé, en février dernier, "le retrait du service de la composante sol-sol du plateau d'Albion dont les missions ne se justifient plus dans le contexte actuel et dont la modernisation aurait été, en tout état de cause, très coûteuse".

C'est dès le 16 septembre dernier qu'a été mis un terme à la prise d'alerte de la composante balistique terrestre (18 missiles S3D mégatonniques). Dès cette date a commencé le démantèlement des installations . Au rythme d'environ un missile par mois, la dénucléarisation du site d'Albion devrait être terminée à la mi-1998 et le démontage de l'essentiel des installations opérationnelles et techniques achevé fin 1998. Le retrait de tous les équipements S3D des sites industriels devrait ainsi être terminé fin 1999.

Sur le plan financier, le coût du démantèlement s'élèvera à 500 millions de francs 1995 (déséquipement des sites industriels). Quant aux économies réalisées après démantèlement , elles seront de l'ordre de 400 millions de francs par an (coût du maintien en condition opérationnelle du plateau d'Albion), sans même parler du coût très élevé qu'aurait représenté le remplacement des missiles actuels frappés d'obsolescence dans quelques années.

Demeure enfin la question de la nouvelle affectation du site du plateau d'Albion . Chacun sait que le ler GMS (groupement de missiles stratégiques), occupant plus de 2000 personnes, représente jusqu'à aujourd'hui une activité majeure du pays d'Apt. Chacun sait aussi que les pouvoirs publics souhaitent maintenir sur place un nombre d'emplois comparable mais que ce problème particulier s'inscrit désormais dans le cadre de l'ensemble des restructurations militaires à venir. Chacun sait enfin la controverse suscitée localement par l'hypothèse de l'installation d'une école franco-allemande de pilotage d'hélicoptères. Votre rapporteur souhaite que le gouvernement puisse, à l'occasion de l'examen du budget, faire le point de cette question de la reconversion du site devant le Sénat. Il estime aussi nécessaire que la solution retenue puisse être préparée le plus tôt possible, en liaison étroite avec les élus locaux.

b) Le retrait des missiles Hadès

Une autre décision très importante réside dans le démantèlement des missiles Hadès d' ultime avertissement , déjà désactivés et "en veille technique" depuis 1992.

Notre commission a déjà eu l'occasion de souligner que cette décision, passant par pertes et profits un programme dont le bilan financier dépasse les 10 milliards de francs, n'allait pas de soi. Les systèmes Hadès auraient pu jouer un rôle très utile dans la perspective d'une dissuasion européenne ou constituer un argument de poids dans d'éventuelles futures négociations sur les armements nucléaires auxquelles la France serait conduite à participer. Quant à l'inquiétude suscitée en Allemagne par ce système d'armes, elle pouvait sans doute être apaisée dès lors que le lanceur du missile Hadès pouvait être déplacé d'environ 1000 km en 24 heures.

Cette décision, qui est l'aboutissement logique de la démarche qui avait déjà conduit à réduire à 30 le nombre de ces missiles avant de les placer "sous cocon", est néanmoins justifiée par une double préoccupation politique :

- tenir compte de l'évolution de la situation géostratégique en Europe en éliminant un système conçu au temps de la guerre froide pour participer à la manoeuvre dissuasive,

- et participer à la réduction substantielle de nos armes nucléaires dans le respect constant des principes de suffisance et de crédibilité.

Le retrait du système d'arme Hadès devrait être achevé dès 1997 , le démantèlement des têtes nucléaires étant effectué à Valduc et celui des vecteurs au Centre d'Achèvement et d'Essais des Propulseurs et Engins (CAEPE). Le coût du démantèlement des Hadès est évalué à environ 85 millions (hors têtes nucléaires). Les économies réalisées du fait de l'abandon du système seront de l'ordre de 250 millions par an.

c) La fermeture des usines de Pierrelatte et de Marcoule

Egalement annoncée par le Président de la République en février dernier, la décision d'arrêter la production d'uranium très enrichi à Pierrelatte et de plutonium de qualité militaire à Marcoule est justifiée par le fait que la France dispose, pour ces deux matières, des stocks nécessaires pour atteindre le niveau de suffisance qu'elle s'est fixée pour sa dissuasion, compte tenu de notre capacité à recycler les matières des armes démantelées.

S'agissant de Pierrelatte , la production de matières fissiles a été arrêtée mi-1996. Les opérations d'arrêt définitif s'achèveront mi-1997, date à laquelle commencera le démantèlement de l'usine proprement dit qui durera au moins jusqu'en 2002. Le coût de l'ensemble de ces opérations est important puisqu'il est aujourd'hui estimé à 1 milliard de francs .

Quant à l'usine de retraitement de Marcoule , propriété de la COGEMA, elle arrêtera définitivement ses activités fin 1997. La phase d'arrêt débutera ensuite mais, pour des raisons techniques, le démantèlement proprement dit ne devrait pas intervenir avant plusieurs années. Les premières estimations du coût de l'opération font état d'un montant de plusieurs milliards de francs répartis sur quinze à vingt ans. Pour tenir compte des différents utilisateurs de l'usine (CEA, EDF, COGEMA), un groupement d'intérêt économique du nom de CODEM vient d'être créé pour garantir une transparence et une maîtrise complète des coûts.

d) Le démantèlement des sites de Mururoa et Fangataufa

Plus importante encore, la décision de démanteler les sites d'expérimentations nucléaires de Mururoa et Fangataufa a été prise par le Chef de l'Etat à l'issue de la dernière campagne d'essais dans la perspective de la conclusion du CTBT dans la négociation duquel la France a joué un rôle moteur. Dans la même logique politique , Paris a décidé d'adhérer au traité de Rarotonga de dénucléarisation du Pacifique Sud.

L'exécution de cette décision, immédiatement appliquée , appelle plusieurs observations :

- sur le plan du calendrier , les opérations lourdes de démantèlement des installations sont en cours et devraient s'achever en 1998 ; à cette date, un dispositif réduit sera maintenu sur place pour fournir à Mururoa, à partir de Hao, les éléments nécessaires à la poursuite des travaux de réaménagement du site et de surveillance de l'environnement ;

- parallèlement la DIRCEN (Direction des Centres d'Expérimentations Nucléaires) sera dissoute , en tant que telle, à l'été 1998, ses missions et charges résiduelles étant prises en charge en 1999 par un autre service du ministère de la défense ; ainsi s'explique l'évolution prévisionnelle des crédits de la DIRCEN durant la période de programmation :

Année

Titre

1997

1998

1999

2000

2001

2002

Titre V

524,4

146,5

47,5

0

0

0

Titre VI

83,6

50,2

0

0

0

0

Titre III

544,06

673,31

424

0

0

0

- il faut enfin rappeler que la programmation prévoit les crédits nécessaires pour assurer le financement de la compensation économique au territoire de Polynésie française ; si l'on peut s'étonner que cette charge soit à la charge du ministère de la Défense , le maintien de ces flux financiers a été évalué, en 1994, à 990 millions de francs.

Sur le fond des choses, enfin, le président de notre commission s'est à juste titre inquiété, à l'occasion de l'examen de la loi de programmation militaire, de l'exécution immédiate d'une décision qui sera à l'évidence définitive et qui prive la France de toute capacité matérielle d'expérimentation (à l'inverse des Etats-Unis, de la Russie et de la Chine) quelle que soit l'attitude, à l'avenir, des autres puissances nucléaires. C'est dire en tout cas l'extrême importance que revêtent désormais, pour notre pays, d'une part la conclusion d'un CTBT universel et vérifiable , d'autre part l'aboutissement des travaux très ambitieux de modélisation et de simulation sur lesquels reposeront, à long terme, l'avenir et la crédibilité de notre force de dissuasion. C'est sur ces deux points que votre rapporteur a jugé ici nécessaire de revenir.

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B. LA NÉCESSITE D'UN TRAITE D'INTERDICTION COMPLETE DES ESSAIS (CTBT)

Négocié pendant plus de deux ans et demi, de janvier 1994 jusqu'à l'été dernier inclus, à Genève, dans le cadre de la Conférence du désarmement, le traité d'interdiction complète des essais (CTBT) devait être conclu dès cette année, conformément à la déclaration politique qui a accompagné, en mai 1995, la prorogation du TNP (traité de non prolifération nucléaire) pour une durée illimitée.

Le texte, bloqué par l'Inde à Genève, a néanmoins été approuvé massivement par l'Assemblée générale des Nations Unies (158 voix pour, 3 contre, 5 abstentions). Ouvert à la signature le 24 septembre dernier à New-York, il a aussitôt été signé par plus de 70 Etats, dont les cinq puissances nucléaires déclarées et Israël.

Le CTBT revêt une portée politique importante dans le cadre de la lutte contre la prolifération nucléaire et, plus généralement, dans la perspective de rapports internationaux fondés davantage sur la confiance et la sécurité collective.

La négociation , extrêmement technique, a été particulièrement difficile , faisant l'objet de plusieurs projets successifs et d'innombrables amendements. Des divergences substantielles ont subsisté jusqu'au bout sur des points importants touchant notamment aux questions institutionnelles relatives aux attributions et aux mécanismes de fonctionnement de l'organisation internationale du traité, à certains problèmes techniques relatifs au système international de vérification, et au régime d'inspections sur site qui lui sera attaché.

Mais les vraies difficultés ont naturellement été d'ordre politique . C'est ainsi que l'Inde a empêché, le 28 juin puis le 23 août dernier, de parvenir au consensus recherché, en refusant de signer un traité qui interdirait aux "pays du seuil" (Inde, Pakistan, Israël) de procéder à des essais tout en perpétuant le monopole des cinq puissances nucléaires reconnues. Il allait cependant de soi qu'un tel argument était irrecevable pour les grandes puissances. Si le préambule du traité comporte des références au désarmement nucléaire, le CTBT ne devait pas être un traité d'interdiction des armes nucléaires , ni un prélude à une telle interdiction, au demeurant irréaliste. Il devait également permettre aux puissances nucléaires de mener les activités nécessaires au maintien de la fiabilité, de la sûreté et de la sécurité de leurs moyens nucléaires.

Au bout du compte, même si le traité ne répond pas à tous les objectifs poursuivis par la France, un compromis satisfaisant a pu être établi et le CTBT a été ouvert, le 10 septembre dernier, à la signature des Etats à l'occasion de la présente Assemblée générale des Nations Unies. C'est en fonction des dispositions retenues sur trois points essentiels (portée, vérification et mise en oeuvre du traité) que la France a été en mesure de signer l'accord conclu, conformément à l'annonce faite par le Président de la République dès le 13 juin 1995. Mais la question principale est désormais la mise en oeuvre effective du CTBT, qui paraît aujourd'hui durablement bloquée par l'opposition indienne.

1. La portée du traité : un accord équitable fondé sur "l'option zéro"

La portée du traité - c'est-à-dire la définition de l'interdiction - repose d'abord sans ambiguïté sur "l'option zéro" à laquelle la France s'était ralliée (la première parmi les puissances nucléaires) dès le 10 août 1995. L'interdiction porte sur toute explosion expérimentale d'arme nucléaire ou toute autre explosion nucléaire .

Cet aspect était essentiel pour notre pays dès lors que la France est la seule des puissances nucléaires à avoir d'ores et déjà commencé le démantèlement - évidemment définitif - de son centre d'expérimentations nucléaires.

Deux points essentiels doivent être soulignés :

- d'une part, l'extension de l'interdiction aux essais de faible puissance , alors que les pays nucléaires avaient, dans un premier temps, souhaité conserver la possibilité de tels "mini-essais" ; encore faut-il souligner que l'efficacité concrète du traité dépendra dès lors largement de la possibilité technique de déceler d'éventuels essais de très faible puissance ;

- d'autre part, la légitimité des programmes de simulation ; le CTBT n'étant pas un traité d'élimination des armes nucléaires, il était impératif qu'il concilie l'interdiction complète des essais avec la possibilité pour les puissances nucléaires de poursuivre les activités indispensables au maintien de la fiabilité, de la sûreté et de la sécurité de leurs forces nucléaires ; les programmes de simulation ne sont donc en rien contradictoires, et c'était essentiel, avec le CTBT.

2. Un régime de vérification essentiel

Le deuxième volet essentiel du traité, décisif pour son efficacité pratique lorsqu'il sera mis en oeuvre, concerne le régime de vérification de l'interdiction des essais. Il repose sur deux éléments :

- d'abord un système international de surveillance (IMS) ; il est fondé sur un maillage de stations de surveillance basé sur l'exploitation de quatre techniques de détection - sismique, hydroacoustique, infrasonique et radio-nucléide - conçues pour identifier et localiser, avec toute l'efficacité nécessaire et à un coût acceptable, tout événement suspect susceptible d'être un essai nucléaire clandestin ; des moyens techniques de surveillance devront être mis par les Etats à la disposition de l'organisation internationale du traité sur une base contractuelle ; une partie significative du dispositif devra être également constituée par les moyens techniques nationaux détenus par un petit nombre de pays à haut niveau technologique ; l'organisation internationale chargée de suivre l'application du CTBT comprendra en particulier un conseil exécutif qui jouera un rôle politique et technique important, notamment lorsqu'un Etat partie demandera qu'une inspection sur place soit conduite pour identifier une violation éventuelle du traité ;

- ensuite un régime d'inspections du place , qui devra permettre de constater si un essai nucléaire a ou non eu lieu, dès lors qu'un événement suspect aura été préalablement détecté et localisé ; cette question était particulièrement difficile à résoudre et supposait un compromis entre la souveraineté des Etats et l'efficacité du dispositif ; les solutions techniques retenues visent à la fois à garantir les Etats contre les inspections abusives et intrusives et à assurer le déclenchement d'une inspection en temps utile et sans possibilité d'obstruction de la part de tout Etat proliférant.

Il restera à démontrer l'efficacité de ce dispositif de vérification, quels que soient les pays et les zones géographiques concernées (notamment les régions désertiques).

3. L'enjeu décisif des conditions d'entrée en vigueur du traité

Le dernier problème majeur à résoudre concerne la question décisive des modalités d'entrée en vigueur du traité, révélatrice des enjeux politiques sous-jacents.

Le texte retenu prévoit que l'entrée en vigueur du CTBT s'effectuera après sa ratification par les 44 Etats ayant participé aux négociations à la Conférence du désarmement et possédant des capacités nucléaires de recherche ou industrielles, ce qui permet d'inclure sans les nommer les cinq puissances nucléaires et les trois Etats du seuil (Inde, Pakistan, Israël). Le traité prévoit néanmoins que si cette condition n'était pas atteinte au bout de trois ans, une Conférence des Etats ayant déjà ratifié se réunisse pour statuer sur une éventuelle entrée en vigueur sans attendre que la condition inscrite dans le traité soit totalement remplie.

Le Royaume-Uni, suivi par la Russie et la Chine, considère que l'inclusion des Etats du seuil doit être une condition sine qua non de l'entrée en vigueur. Les Etats-Unis, l'Allemagne et les non-alignés sont partisans d'une solution moins rigide, évitant que l'entrée en vigueur du traité puisse être l'objet d'un droit de veto (de l'Inde notamment). La position de la France, proche de celle de ces Etats, et conforme à l'objectif de non-prolifération du traité reconnu de tout temps par la communauté internationale, est que l'entrée en vigueur devrait être permise par la ratification par les Etats possédant des capacités nucléaires de recherche ou industrielles. Parmi ces Etats, figurent naturellement, outre les Cinq, les trois Etats du seuil. Mais l' Inde s'oppose à cette clause l'obligeant à signer le CTBT pour qu'il entre en vigueur. Elle a annoncé qu'elle ne signerait pas le traité en l'état .

4. Un traité positif pour la France malgré la lourde incertitude pesant sur sa mise en oeuvre effective

La France avait, dans la négociation du CTBT, le double souci d'apporter sa contribution à la lutte contre la prolifération nucléaire tout en préservant la capacité d'assurer la crédibilité de sa dissuasion. La conclusion du traité est à cet égard d'autant plus importante pour la France qu'elle a d'ores et déjà définitivement arrêté ses essais, signé le traité de Rarotonga (dénucléarisation du Pacifique) et commencé à démanteler son centre d'essais .

Les objectifs essentiels de notre pays au regard des dispositions du CTBT étaient dès lors au nombre de quatre :

- qu'il assure un équilibre satisfaisant entre non-prolifération et désarmement nucléaire,

- que sa portée soit strictement limitée aux explosions nucléaires tout en s'inscrivant clairement dans le cadre de "l'option zéro",

- que la vérification de l'interdiction des essais soit efficace et de nature à dissuader les pays potentiellement contrevenants,

- et qu'il recueille le soutien international le plus large possible , à commencer par les cinq puissances nucléaires et les Etats du seuil.

Si ces objectifs ne sont pas intégralement satisfaits -en particulier sur le dernier point-, le traité conclu ne s'écarte pas sensiblement des positions de notre pays, dont les intérêts majeurs sont préservés .

Dans ces conditions, il valait mieux pour la France un traité dont la mise en oeuvre reste incertaine que pas de traité du tout. L'absence de traité aurait constitué un échec important du processus de désarmement, susceptible de relancer la prolifération. Elle aurait aussi placé notre pays dans une très regrettable position d'infériorité par rapport aux autres puissances nucléaires compte tenu de l'arrêt définitif de nos essais.

Il reste que la France devra, aux yeux de votre rapporteur, oeuvrer activement pour l'application effective du traité. C'est dans cet esprit que le ministre des Affaires étrangères a souhaité que la communauté internationale apporte des « garanties de sécurité » à l'Inde pour la convaincre de signer le CTBT, même s'il y a peu de chances que ces efforts soient rapidement couronnés de succès.

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C. L'ABOUTISSEMENT INDISPENSABLE DES PROGRAMMES DE SIMULATION ET DE MODELISATION

L'arrêt des essais français et la perspective de l'entrée en vigueur du CTBT soulignent l'importance majeure de la simulation pour maintenir à long terme notre capacité de dissuasion et la sûreté et la fiabilité de nos armes nucléaires.

1. Les objectifs de la simulation dans le renouvellement de l'armement nucléaire

Assurer la pérennité à long terme de notre capacité de dissuasion exige d'être capable de prévoir le renouvellement de nos forces nucléaires actuelles , qui ne peuvent être maintenues en service plus d'une vingtaine d'années, pour prévenir tout risque relatif au vieillissement des armes. La simulation devient, dans ce contexte, un moyen indispensable au maintien de la crédibilité de la force de dissuasion.

Il est toutefois important de rappeler ici qu' il ne s'agit pas véritablement de simuler des essais nucléaires mais plutôt de substituer aux essais en vraie grandeur un ensemble de moyens permettant de s'en dispenser. Le rôle de la simulation n'est pas de permettre la mise au point d'un concept nouveau d'arme nucléaire , pour lequel elle n'offrirait pas les garanties nécessaires.

Il s'agit de permettre , le moment venu, le renouvellement de nos armes qui ne pourra s'effectuer à l'identique en raison de modifications inévitables : évolution des technologies, adaptation à de nouveaux vecteurs, effet de petites variations sur des systèmes très pointus... Il faut, pour cela, compléter les résultats obtenus lors des essais en vraie grandeur - et notamment lors de la dernière campagne de tirs - à partir d'expérimentations partielles sur des aspects ponctuels pour permettre les adaptations nécessaires en toute sécurité.

Trois conditions principales sont requises pour y parvenir :

- il faut d'abord limiter les modifications par rapport aux concepts déjà testés en grandeur réelle, de façon à ne pas être conduits à de fortes extrapolations ;

- il faut ensuite privilégier l'utilisation de concepts dits "robustes" pour éviter que des adaptations mineures ne viennent perturber fortement les processus complexes et les franchissements de seuil qui commandent le fonctionnement d'une arme nucléaire ; un "concept robuste", s'il est moins performant techniquement, prévoit des marges suffisantes pour être moins sensible aux petites perturbations ;

- il faut enfin développer les programmes de simulation qui doivent reposer sur des modèles physiques aussi précis que possible, ce qui suppose des progrès dans des domaines aussi variés que les lois de comportement des matériaux, l'hydrodynamique, la physique des plasmas et, surtout, la physique nucléaire et thermonucléaire. Tel est précisément l'objet des développements attendus du programme PALEN qui requiert des moyens exceptionnels.

2. Des moyens exceptionnels pour un pari indispensable

Les programmes de simulation englobent tout à la fois la simulation numérique classique, la reprise des concepts déjà expérimentés dans le passé, et des études expérimentales d'amélioration de la modélisation physique exigeant des équipements de grande ampleur.

Sur le premier point - la simulation numérique classique - , les ordinateurs les plus puissants aujourd'hui disponibles sont encore, dans certains cas, insuffisants. Un gain de performances d'un facteur de cent à mille est attendu de la nouvelle génération d'ordinateurs pour acquérir les moyens nécessaires.

Il sera en deuxième lieu indispensable de confronter les calculs aux concepts testés en grandeur réelle au cours des campagnes d'essais passées - notamment la dernière. La bibliothèque des résultats des essais réels jouera à cet égard un rôle essentiel, même si elle est limitée par le nombre relativement restreint d'expérimentations effectuées par la France.

Enfin et surtout, deux installations de grande ampleur devront contribuer au développement de la simulation et à la validation des résultats obtenus :

- Airix est d'abord une très puissante machine de radiographie par rayons X qui doit permettre d'obtenir des images détaillées des mouvements de matière lors de " tirs froids " - c'est-à-dire avec des explosifs chimiques mais sans énergie nucléaire ; cet équipement est en cours de construction sur le champ de tirs de Moronvilliers en Champagne ;

- le laser mégajoule (LMJ) -dont votre rapporteur a présenté l'an dernier les principales caractéristiques de gigantisme et de précision- porte ensuite sur le domaine du fonctionnement à chaud des réactions thermonucléaires en utilisant des lasers de forte énergie ; le LMJ, utilisant 240 faisceaux lasers convergeant sur une même cible, doit délivrer une énergie deux cents fois plus importante que l'actuel laser Phébus.

Le laser mégajoule, qui sera implanté en Aquitaine sur le site du Barp, constitue ainsi l'élément le plus important du dispositif expérimental. Compte tenu de l'ampleur du développement technique, il est prévu de le développer progressivement, en plusieurs étapes . La première est la mise en place d'un banc prototype, la ligne d'intégration laser ou LIL , qui permettra de tester les composants de la future machine Mégajoule et de prendre la relève du laser Phébus. La LIL doit être achevée en 2000. Le laser Mégajoule dans sa totalité devrait entrer en service en 2010-2012. Le coût total de l'investissement est estimé à environ 6,5 milliards de francs.

La réussite nécessaire de ce programme exceptionnel de simulation dans le domaine nucléaire suppose en outre trois conditions supplémentaires :

- d'abord un financement adapté : les dépenses prévues pour le programme de simulation sur la période de six ans couverte par la programmation militaire s'élèvent à 6.551 millions de francs 1995, sur un coût total estimé à 16 milliards sur une quinzaine d'années ; il faudra bien sûr veiller au respect de ces prévisions dans les lois de finances successives ; en 1997, 1 664 millions seront consacrés à ce programme de simulation ; mais il faut aussi souligner que, là comme ailleurs, l'effort devra impérativement être poursuivi durant les deux lois de programmation suivantes pour permettre d'atteindre les objectifs fixés et d'être au rendez-vous indispensable des années 2012-2013 pour garantir la sûreté et la fiabilité des armes appelées à assurer alors le renouvellement de notre composante sous-marine ;

- ensuite le maintien d'un potentiel humain de très haut niveau : un programme aussi ambitieux ne peut être mené à bien que par des équipes d'un potentiel scientifique et technique exceptionnel ; or, la Direction des Applications Militaires (DAM) du CEA va devoir affronter le renouvellement d'une génération d'ingénieurs ayant la pleine maîtrise du fonctionnement des engins ; l'enjeu du programme PALEN et de son financement satisfaisant est aussi d'assurer leur indispensable remplacement par des scientifiques et des techniciens au plus haut niveau, mobilisés par un pari exceptionnel et dotés des moyens nécessaires à sa réussite ;

- enfin le déroulement satisfaisant du programme de simulation pourra être également facilité par un renforcement de la coopération franco-américaine en la matière : le laser mégajoules constituera ainsi une réalisation unique au monde ; le seul outil comparable doit être réalisé aux Etats-Unis par le "National Ignition Facility" (NIF) ; c'est la raison pour laquelle le CEA a conclu, en juin 1994, un accord décennal avec le département américain de l'énergie pour la construction en parallèle des deux super-lasers ; cet accord évitera la duplication de certaines études, tout en laissant chaque partenaire maître de la conception de son laser, du choix des fournisseurs, et surtout de l'élaboration des expériences. Dans le même esprit a été conclu en juin dernier un memorandum franco-américain de coopération technique sur la sûreté, la sécurité et la fiabilité des armes nucléaires, qui s'inscrit dans la suite d'un accord bilatéral signé dès 1961 et qui consiste notamment en un échange de données - qui doit être particulièrement profitable à la France - dans le domaine de la simulation.

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D. LA PÉRENNITÉ ASSURÉE DE DEUX COMPOSANTES NUCLÉAIRES SÛRES ET FIABLES

Du fait du renoncement à la composante balistique sol-sol implantée sur le plateau d'Albion, notre dissuasion reposera à l'avenir sur deux composantes complémentaires, la composante balistique sous-marine et la composante aéroportée. Il était dès lors impératif de déterminer les conditions du renouvellement et de la modernisation , le moment venu, de ces deux composantes . C'est l'un des objets des décisions prises dans le cadre de la loi de programmation militaire qui précise ainsi l'avenir de nos forces de dissuasion en levant les incertitudes et en tranchant les options en présence.

1. La composante balistique sous-marine

La crédibilité et l'efficacité de la FOST (Force Océanique Stratégique) sont assurées, à l'horizon des 15 ou 20 prochaines années, par les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération (SNLE-NG) qui sont dotés des missiles M45 , dont la tête nucléaire TN75 a été définitivement validée à l'occasion de la dernière campagne d'essais nucléaires.

a) Une force océanique stratégique constituée de 4 SNLE

La force océanique stratégique sera rapidement ramenée à un format de quatre bâtiments , permettant d'assurer le maintien "si nécessaire" en permanence à la mer de deux sous-marins .

La question du 4e SNLE-NG a ainsi été tranchée favorablement, ce qui était à la fois indispensable, aux yeux de votre rapporteur, pour garantir l'efficacité de notre composante sous-marine (quatre bâtiments sont en effet nécessaires pour en avoir trois dans le cycle opérationnel) et nécessaire pour limiter dans des proportions plus supportables la diminution du plan de charge de la DCN Cherbourg. Le quatrième bâtiment devrait ainsi être commandé en l'an 2000 pour une admission au service actif en 2008.

Les SNLE actuels seront progressivement retirés du cycle opérationnel au fur et à mesure de l'admission au service actif des SNLE-NG du type du "Triomphant" entré en service en septembre 1996. Les tableaux suivants indiquent les dates de retrait des SNLE actuels du type du "Redoutable", déjà retiré du service, et d'entrée en service des SNLE-NG :

SNLE type "LE REDOUTABLE M4"

Retrait du cycle opérationnel

LE TERRIBLE

mai 1996

LE FOUDROYANT

mars 1997

L'INDOMPTABLE

avril 1999

LE TONNANT

décembre 2002

L'INFLEXIBLE

juillet 2007

SNLE-NG type "LE TRIOMPHANT"

Admission au service actif

LE TRIOMPHANT

septembre 1996

LE TEMERAIRE

avril 1999

LE VIGILANT

décembre 2002

4E SNLE-NG

2008

Sous réserve que le décalage du programme des SNLE-NG (report d'un an de l'entrée en service du "Vigilant" et report de la commande du 4e bâtiment) ne provoque encore une augmentation du devis, le coût de ce programme exceptionnel - à la fois techniquement et financièrement - est estimé, rappelons-le, à plus de 88 milliards de francs. Environ 16 milliards de francs 1995 y seront consacrés durant la période de programmation, dont 3,8 milliards en 1997 (3,5 milliards 1995) ainsi que l'indique l'échéancier prévisionnel ci-dessous des crédits budgétaires prévus entre 1997 et 2002 :

MF PIB 95

1997

1998

1999

2000

2001

2002

TOTAL

CP

3563

3124

2721

2324

2396

1925

16 054

b) Les missiles balistiques M45 et M51

Les sous-marins de la FOST seront progressivement dotés de missiles balistiques M45 à partir de cette année, chaque sous-marin étant équipé de 16 missiles à 6 têtes nucléaires (soit 96 charges nucléaires). Après la mise en service des premiers M45 en 1996 pour équiper le "Triomphant", deux lots supplémentaires de M45 seront livrés d'ici 2002, durant la période de programmation.

Ces missiles M45 et les sous-marins de la FOST garantissent la crédibilité de la FOST jusqu'en 2010-2015. Pour cette échéance, la programmation et la planification à l'horizon 2015 prévoient le remplacement des missiles M45 par le développement d'un missile M51 , dérivé du programme M5, dont le coût sera de l'ordre de 30 milliards de francs (hors production en série et mise au point de la charge nucléaire). Plus de 10,5 milliards (dont près d'un milliard en 1997) seront consacrés à ce programme durant les six prochaines années, couvertes par la programmation.

Ce programme appelle trois observations principales de votre rapporteur :

- du point de vue des caractéristiques du futur missile , le M51, d'une masse totale de 55 tonnes (35 tonnes pour le M45), aura une portée d'environ 6.000 km avec chargement complet (4.000 km pour le M45) permettant d'élargir les zones de patrouille des sous-marins et pouvant ainsi mettre en oeuvre une dissuasion "tous azimuts" ; il bénéficiera en particulier d'un durcissement vis-à-vis des agressions nucléaires ;

- le volume supérieur réservé à la charge utile permettra de recourir à une tête nucléaire plus lourde et plus volumineuse du fait de l'interdiction des essais ; la mise en place des M51 est prévue en deux étapes : dans un premier temps, la partie "vecteur" sera renouvelée grâce au développement et à la fabrication du missile M51 en vue d'une mise en service à partir de 2010 ; dans un deuxième temps, la partie "tête nucléaire" sera renouvelée grâce à la mise en service à partir de 2015 d'une tête nucléaire nouvelle ( la TNN ) qui devra bénéficier des investissements effectués en matière de simulation, qu'il s'agisse des progrès de la modélisation ou de la montée en puissance progressive du laser mégajoule ;

- enfin, tout en sauvegardant l'architecture générale du programme M5, le missile M51 permet, au prix d'une simplification de la logique de développement et d'une réduction des exigences de performances, une réduction de coût de 22,5 % par rapport au programme M5 .

2. La composante aéroportée

Composante de complémentarité indispensable en raison de l'abandon des missiles sol-sol du plateau d'Albion, la composante aéroportée sera constituée, après le retrait de la mission nucléaire aux Mirage IV P en 1996, de trois escadrons de Mirage 2000N armés du missile ASMP et associés aux escadrons de ravitailleurs C135. Les Super-Etendard de l'aéronautique navale peuvent également, rappelons-le, être armés de l'ASMP.

Pour assurer, en fin de vie opérationnelle, vers 2008 , le remplacement de l'ASMP, la loi de programmation et la planification ont confirmé le choix d'un nouveau missile supersonique, " l'ASMP amélioré " qui représente, selon les termes du Chef de l'Etat, "le meilleur compromis possible entre les besoins opérationnels, les contraintes industrielles et les impératifs de maîtrise des dépenses publiques".

"L'ASMP amélioré" -dont le développement sera lancé en 1997- a été conçu dans l'optique du renouvellement de la filière statoréacteur , technologie éprouvée par la France, garante de pénétration à très grande vitesse selon des trajectoires variées (haute ou très basse altitude) avec un souci d'optimisation du rapport coût/efficacité.

Il s'agit d'un missile qui associera un vecteur dérivé de l'ASMP - mais modernisé et amélioré, en particulier en allonge (portée de l'ordre de 500 km) et capacité de pénétration - et une charge nucléaire nouvelle . "L'ASMP amélioré" sera adapté sous Mirage 2000N à sa mise en service opérationnel en 2008 et emporté ultérieurement par le Rafale. La tête nucléaire (TNA) de l'"ASMP amélioré", qui devra être disponible en 2008, s'appuiera essentiellement sur les outils de simulation actuels dans la mesure où elle ne s'écartera pas sensiblement des engins expérimentés lors de la dernière campagne d'essais.

Sur le plan financier, le coût du développent du programme ASMP amélioré est estimé à 4,3 milliards de francs - soit deux fois moins que le programme ASLP initialement envisagé. Le cumul des crédits inscrits à ce titre dans la loi de programmation est, pour les six prochaines années, de près de 2 milliards.

Observation complémentaire : le nouveau réacteur d'essais RES

Au-delà de ces programmes majeurs, votre rapporteur tient en outre à souligner ici les décisions prises concernant le nouveau réacteur d'essais pour la propulsion nucléaire dont notre commission a depuis plusieurs années souligné le caractère indispensable (cf. notamment l'analyse détaillée de M. Jacques Golliet dans son avis budgétaire n° 82, tome IV, sur le projet de loi de finances pour 1995, pages 41 à 46).

Ce nouveau réacteur d'essais RES est appelé à remplacer au Centre d'études nucléaires de Cadarache l'actuel réacteur d'essais (RNG) qui arrivera en fin de vie au début du siècle prochain. Un nouveau réacteur d'essais était impératif compte tenu des quatre missions essentielles qui lui sont confiées :

- la qualification des combustibles nucléaires pour les chaufferies embarquées,

- l'aide à la maintenance du parc des chaufferies nucléaires,

- le développement des nouveaux composants pour les chaufferies futures dont, en premier lieu, la chaufferie du SNA-NG (sous-marin d'attaque de nouvelle génération),

- et la formation des personnels chargés de la conduite ou de la maintenance.

Aucune impasse ne pouvait donc être effectuée dans ce domaine, s'agissant de la préservation d'une compétence majeure conditionnant, au bout du compte, la capacité de la France de mettre à la mer des bâtiments à propulsion nucléaire.

Le futur RES aura une puissance comparable à celle du RNG actuel. Sa réalisation permettra le maintien de la compétence "propulsion navale nucléaire" du CEA et des industriels associés (Technicatome et DCN Indret). En effet, ce projet assurera la continuité pendant les années qui sépareront les deux programmes de bâtiment à propulsion nucléaire, le porte-avions "Charles de Gaulle" et le sous-marin nucléaire d'attaque de nouvelle génération (SNA-NG).

Son coût global (réacteur et installations associées) sera de l'ordre de 3.800 millions de francs, dont 1.784 milliards sont prévus durant la période de programmation 1997-2002.

Le RES doit être mis en service en 2005 , date plus lointaine que ce qui était envisagé initialement (2002) mais qui est cohérente avec la qualification des principaux composants de la chaufferie du SNA-NG dont l'admission au service actif du premier exemplaire est prévue vers 2010. Par ailleurs, la mise en service du RES permettra la continuité des prestations actuellement fournies par le RNG, arrivant en fin de vie à cette échéance.

*

* *

E. LA POURSUITE DE LA DIMINUTION DES CREDITS CONSACRES AU NUCLEAIRE

1. L'évolution globale des crédits

Ces décisions importantes et attendues doivent garantir à long terme l'indispensable maintien de nos forces nucléaires au niveau de suffisance requis , conforme à la doctrine de dissuasion constante de la France. Elles doivent permettre à la fois le déroulement satisfaisant des programmes en cours indispensables - notamment les SNLE de nouvelle génération et le programme PALEN de simulation - et la préparation du renouvellement en fin de vie des composantes aéroportée et sous-marine.

Dans le même temps, les décisions prises permettent des économies substantielles , notamment dans la perspective du renouvellement des composantes actuelles (programmes M51 et ASMP amélioré). Des économies supplémentaires résulteront aussi à terme des mesures de réduction du nombre d'armes ou de fermetures de sites décidées par la France, en particulier l'abandon de la composante terrestre.

C'est dans ce contexte que la loi de programmation a prévu de consacrer une enveloppe financière totale de 105,8 milliards de francs 1995 à la dissuasion, soit une moyenne annuelle de 17.550 millions sur la période 1997-2002.

Rapportée aux 516 milliards de crédits d'équipement prévus sur la période, la part consacrée aux forces nucléaires représentera ainsi 20,5 % du titre V . Elle s'établira même en fin de période à un niveau inférieur à 20 % du titre V au sein d'un budget d'équipement lui-même en diminution, au terme de l'évolution précisée dans le tableau ci-dessous :

MF 95

1997

1998

1999

2000

2001

2002

Crédits nucléaires

18361

18103

17789

17447

17142

16943

% nucléaire/TV-VI

21,35 %

21,05 %

20,68 %

20,68 %

19,93 %

19,70 %

Ces données appellent les observations suivantes de votre rapporteur :

- les crédits consacrés au nucléaire s'élèveront pour 1997 à 19.150 millions de francs, soit 18 361 millions 1995 compte tenu du transfert de 200 millions au B.C.R.D. (budget civil de recherche et développement) ; ils représenteront moins de 21, 5 % du total des crédits d'équipement militaire, et marqueront une diminution de 5,4 % d'un an sur l'autre ;

- ces perspectives pour les six prochaines années doivent être replacées dans le cadre de la diminution constante de la part des crédits consacrée au nucléaire illustrée par le tableau ci-dessous :

MF 95

1980

1981

1982

1983

1984

1985

1986

1987

Crédits nucléaires

25714

26594

25890

29282

30747

31253

32063

34256

% nucléaire/TV-VI

31,1 %

30,0 %

27,6 %

31,6 %

32,7 %

32,6 %

33,4 %

32,4 %

MF 95

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

1995

1996

Crédits nucléaires

36542

36503

36016

33756

31769

27424

22181

20745

19062

% nucléaires/TV-VI

32,6 %

30,0 %

31,4 %

30,1 %

29,0 %

25,7 %

22,8 %

21,8 %

21,9 %

La réduction des crédits a ainsi été particulièrement considérable au cours des dernières années, passant de plus de 36 milliards par an et de plus de 30 % du titre V dans les années 1988-1990 à moins de vingt milliards par an et moins de 22 % du titre V aujourd'hui ;

- la nouvelle programmation poursuit et accentue cette évolution et représente une économie moyenne de l'ordre de trois milliards par an par rapport aux prévisions de la programmation 1995-2000.

Cette nouvelle réduction est permise par les décisions prises et par un effort d'économies vigoureux . Les flux financiers désormais prévus doivent permettre, au prix d'efforts de gestion et de productivité très importants, le bon déroulement des programmes indispensables. Mais il s'agit là, comme l'a souligné le Président de Villepin dans son rapport sur la loi de programmation, d'une "enveloppe financière calculée au plus juste ".

C'est pourquoi votre rapporteur estime qu' elle doit être strictement garantie , tant dans les lois de finances successives que dans leur exécution pratique. En se réjouissant qu'il en soit ainsi dans le projet de budget pour 1997, il souligne en particulier la nécessité d'assurer les financements requis par l'évolution des programmes de simulation , qui feront demain -il faut le redire - partie intégrante de la panoplie nucléaire et constitueront un élément essentiel de la crédibilité de nos forces de dissuasion.

2. Les crédits de la Direction des Applications Militaires (DAM) du CEA

C'est dans ce cadre qu'il convient de veiller avec la plus grande attention aux crédits de la Direction des Applications Militaires (DAM) du CEA.

L'arrêt des essais nucléaires et le développement de la simulation se traduisent par une importante réorientation des activités de la DAM. Mais, dans le même temps, les décisions prises - réduction des crédits militaires, arrêt des essais et réduction des forces nucléaires - imposent à la DAM une substantielle réduction de son format .

Du point de vue des masses financières, les ressources du CEA provenant du ministère de la défense seront de 41,48 milliards de francs 1995 sur la période 1997-2002 couverte par la programmation. Sur cette somme, les moyens financiers alloués à la DAM seront, sur la même durée de six ans, de 37,65 milliards , ainsi répartis :

- environ 30 milliards pour les armes , dont 6,6 milliards pour le programme de simulation,

- et 7,3 milliards pour les matières et la propulsion , dont 1,8 milliard pour le programme RES.

En 1997, les crédits alloués au CEA s'élèveront à 6 904 millions de francs , soit une diminution de 6,4 % par rapport à 1996. Près du quart de ces crédits (23,8 %) seront consacrés aux programmes de simulation.

L'adaptation de la DAM à son plan de charge se traduira par la mise en oeuvre d'un plan aboutissant notamment :

- à une forte réduction des effectifs, appelés à passer de 5300 personnes en 1996 à 4500 à l'horizon 2000 ; cette diminution doit s'effectuer par simple jeu des départs naturels en raison de la pyramide des âges de la DAM (6 % de départs à la retraite par an) ; mais il est essentiel pour la DAM, afin de préserver son potentiel scientifique et technique unique en matière nucléaire, de poursuivre le recrutement de scientifiques de haut niveau notamment pour la simulation ;

- et à une restructuration des installations ; cette réduction du format se traduira notamment par la fermeture de deux centres (Limeil et Vaujours) et par le regroupement des activités nucléaires à Valduc et des activités de simulation au CESTA en Aquitaine.

Pour accompagner cette restructuration, une enveloppe de 762 millions de francs a été - rappelons-le - prévue par la loi de programmation dans le cadre du fonds d'adaptation industrielle de 4,8 milliards dont l'essentiel est consacré à la réorganisation de la DCN (Direction des Constructions Navales). Cette somme est ainsi répartie :

- 294 millions pour le coût en infrastructures,

- et 468 millions pour le coût des mesures sociales d'incitation à l'importante mobilité géographique (1450 personnes seront concernées d'ici l'an 2000) qui résultera des restructurations.

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