Avis n° 91 (1996-1997) de M. Paul MASSON , fait au nom de la commission des lois, déposé le 26 novembre 1996

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N° 91

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1996-1997

Annexe au procès-verbal de la séance du 21 novembre 1996.

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances pour 1997, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME II

INTÉRIEUR ET DÉCENTRALISATION :

POLICE ET SÉCURITÉ

Par M. Paul MASSON,

Sénateur.

Cette commission est composée de MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon, François Giacobbi, Charles Jolibois, Robert Pagès, vice-présidents ; Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, Paul Masson, secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Lucien Lanier, Guy Lèguevaques, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Bernard Piras, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (l0ème législ.) : 2993, 3030 à 3035 et TA. 590.

Sénat : 85 et 86 (annexe n° 28 ) (1996-1997).

Lois de finances

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie sous la présidence de M. Jacques Larché, Président, la commission des Lois a procédé, sur le rapport de M. Paul Masson, à l'examen pour avis des crédits de la police inscrits dans le projet de loi de finances pour 1997, dont la commission des Finances est saisie au fond.

La commission a constaté la diminution en 1995 des statistiques de la criminalité et de la délinquance, notant cependant un décalage manifeste entre ces statistiques et le sentiment d'insécurité ressenti par beaucoup de nos concitoyens, du fait notamment de l'ampleur de la délinquance de proximité.

Si des progrès appréciables sont enregistrés dans la lutte contre l'immigration irrégulière, la commission demeure très préoccupée par la drogue, par la montée de la délinquance des mineurs et par la persistance du terrorisme en Corse.

Au plan budgétaire, la commission relève que les crédits pour 1997 de la sécurité publique, pratiquement stables en francs courants par rapport à 1996, accusent une diminution en francs constants de l'ordre de 1,8 %. Il en résultera un étalement sur une ou deux années supplémentaires de l'exécution de la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995.

Toutefois, les capacités opérationnelles de la police ne devraient pas être trop affectées par cette « pause budgétaire » pour peu qu'elle soit seulement temporaire.

Par ailleurs, la réorganisation très profonde de la police, initiée par la loi d'orientation, se poursuit en étroite concertation avec les personnels dans des conditions globalement satisfaisantes.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission des Lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la police inscrits dans le projet de loi de finances pour 1997.

Mesdames, Messieurs,

La Police nationale connaît actuellement une profonde réorganisation initiée par la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995. En moins de deux ans, les corps et les carrières de la police ont été entièrement réformés.

Les policiers sont dans le même temps confrontés à de nouvelles méthodes et à de nouveaux rythmes de travail résultant aussi bien de décisions internes que de l'application de la Convention de Schengen.

La police a su faire face à tous ces changements sans qu'il en résulte de dysfonctionnement particulier. Elle a prouvé à cet égard que sa capacité d'adaptation n'a rien à envier à celle d'autres administrations aux effectifs pourtant beaucoup plus légers.

« Armée d'effectifs » pour certains, la police est en tout cas une des plus importantes administrations régaliennes de l'État, où tout se conçoit et s'organise à grande dimension.

Le « bleu » du budget du ministère de l'Intérieur pour 1997, modernisé par rapport aux années précédentes, s'est d'ailleurs enrichi cette année de quelques statistiques simples mais qui donnent à elles seules une idée assez concrète des effectifs et des moyens considérables affectés par l'État à la sécurité.

La Police nationale compte au total 136 800 fonctionnaires, dont environ 113 100 personnels actifs, implantés dans plus de 1500 hôtels de police, commissariats, casernements ou cantonnements. Elle utilise pour l'accomplissement de ses missions plus de 26 000 véhicules de toutes catégories et s'est équipée en quelques années de moyens informatiques puissants, dont plus de 12 000 micro-ordinateurs et terminaux connectés à des systèmes centraux.

La Police nationale a constaté, avec la Gendarmerie nationale, plus de 3,6 millions d'infractions en 1995 -c'est-à-dire autant de dossiers- et géré aux frontières l'entrée ou la sortie de plus de 84 millions d'étrangers.

Quant au projet de budget lui-même, il s'élève pour 1997 à près de 28 milliards de francs.

En francs courants, ce montant est quasiment identique à celui de l'année dernière. À l'heure où les budgets et les effectifs de l'État sont touchés par la réduction générale des dépenses publiques, cette stabilité traduit assez la priorité accordée par le Gouvernement à la lutte contre l'insécurité.

Pour autant, exprimés en francs constants, les crédits demandés pour 1997 sont en diminution d'environ 1,8 % par rapport à ceux de 1996. Force est donc de reconnaître que la police n'est pas totalement épargnée par les indispensables coupes budgétaires et que, comme la plupart des autres administrations de l'État, elle apporte elle aussi sa contribution à la maîtrise des dépenses publiques.

La conséquence la plus immédiate en est que l'exécution de la loi d'orientation et de programmation, initialement prévue pour s'échelonner sur cinq ans, devra être étalée sur au moins une année supplémentaire, avec les retards qui peuvent en résulter.

Cette « pause budgétaire » imposera aussi aux policiers de nouvelles exigences de rationalisation dans la gestion de leurs moyens. Ces efforts s'ajouteront à ceux qu'ils fournissent déjà pour s'adapter à la réorganisation statutaire, d'autant que celle-ci doit maintenant déboucher sur certains changements très concrets -la suppression du système de la cinquième brigade, notamment- remettant en cause bien des routines, voire certaines pesanteurs.

Il n'est pas contestable que plusieurs mesures indemnitaires figurant dans le budget pour 1997 et la poursuite à un rythme satisfaisant des actions en faveur du logement des policiers seront de nature à mieux faire accepter ces changements.

L'État devra aussi accentuer sa politique tendant à décharger les policiers de nombre de tâches -administratives, en particulier- qui les accaparent indûment et les retiennent à autre chose que le maintien et le renforcement de la sécurité.

Mais avant même d'examiner le projet de budget de la police pour 1997, votre rapporteur tient au nom de la commission des Lois du Sénat à rendre hommage aux quelques 137 000 hommes et femmes qui, dans ce contexte en pleine évolution et malgré des conditions d'exercice toujours délicates et souvent dangereuses, vouent chaque jour leur activité professionnelle au maintien et au renforcement de la sécurité.

I. LE NOMBRE DES INFRACTIONS A DIMINUÉ DE 6,5 % L'ANNÉE DERNIÈRE MAIS LE SENTIMENT D'INSÉCURITÉ PERSISTE

L'année dernière, votre rapporteur avait constaté une certaine tendance à l'infléchissement de la délinquance et de la criminalité, dont les statistiques continuaient de croître, certes, mais à un rythme beaucoup moins rapide que les années précédentes. Les données disponibles pour le premier semestre 1995 faisaient même entrevoir une baisse en valeur absolue.

Les chiffres définitifs pour 1995 et les premiers résultats pour 1996 indiquent que la criminalité globale est en diminution depuis deux ans.

Mais cette évolution, si appréciable soit-elle, n'est guère ressentie par nos concitoyens, chez qui persiste un sentiment d'insécurité au quotidien entretenu par la délinquance de proximité.

A. LA BAISSE SENSIBLE DES STATISTIQUES GLOBALES DE LA CRIMINALITÉ DEPUIS DEUX ANS


• En 1995, les services de police et de gendarmerie ont constaté 3 665 320 crimes ou délits, soit environ 254 000 de moins que l'année précédente.

Mesurée à partir des indicateurs usuels (le nombre des infractions constatées, la criminalité moyenne pour 1000 habitants, etc..) la criminalité globale en 1995 se caractérise donc par une diminution de 6,47 %.

Il est à souligner que ce pourcentage dépasse l'objectif de 5 % de diminution assigné en juin 1995 par le Premier ministre dans sa lettre de mission au ministre de l'Intérieur.

Quant à 1996, tout au moins pour les premières données disponibles, on assiste déjà à une diminution en valeur absolue de l'ordre de 4,6 %.


• En soi-même, le fait qu'il se soit commis plus de 3,6 millions de crimes et de délits en France en 1995 n'a rien de satisfaisant, tout au contraire.

Néanmoins on constate au plan statistique une évolution positive en nette rupture avec la tendance à la hausse ininterrompue depuis 1989. En l'état, la criminalité globale s'établit à un niveau inférieur à celui enregistré en 1991.

Il est vrai que le plan Vigipirate a certainement contribué à cette amélioration car la présence visible de nombreux policiers dans les rues, quoique axée sur la prévention des actes terroristes, a pu représenter un facteur dissuasif. Des analyses plus fines montrent cependant que la tendance est bien réelle, notamment la comparaison avec les données constatées en zones rurales, où Vigipirate n'avait que fort peu d'incidence perceptible.

Évolution décennale de la criminalité en France

Années

Nombre de crimes et délits

Évolution en %

Taux pour 1 000 habitants

1986

3.292.189

- 8,02

60

1987

3.170.970

-3,68

57

1988

3.132.634

-1,21

56

1989

3.266.442

+ 4,3

58

1990

3.492.712

+ 6,9

62

1991

3.744.112

+ 7,2

66

1992

3.830.996

+ 2,32

67

1993

3.831.894

+ 1,33

67

1994

3.919.008

+ 0,96

67

1995

3 665 320

-6,47

63

B. POUR AUTANT, IL EXISTE UN NET DECALAGE ENTRE LES DONNÉES STATISTIQUES ET LA PERCEPTION DU NIVEAU DE SÉCURITÉ

Lors de sa réunion du 21 novembre 1996, votre commission des Lois s'est longuement interrogée sur l'interprétation à donner à la baisse des statistiques de la criminalité en 1995.

MM. Pierre Fauchon, Daniel Hoeffel et Christian Bonnet, notamment, ont souligné le décalage entre d'un côté des chiffres objectivement favorables, de l'autre la montée concomitante d'un sentiment d'insécurité qui, comme l'a noté le Président Jacques Larché, s'observe non seulement en ville mais également dans les zones rurales.

M. Pierre Fauchon a également insisté sur la difficulté d'interpréter des statistiques qui, si précises soient-elles, ne reflètent qu'une partie du phénomène, ne serait-ce qu'en raison du nombre toujours plus élevé des non-dépôts de plainte.

En fait, la perception par chacun de l'insécurité qui le menace demeure très subjective.

Or, la diminution de la criminalité globale n'est pas clairement perçue par l'opinion publique car elle est exprimée en chiffres globaux qui ne rendent pas exactement compte d'une situation beaucoup plus contrastée.

À cet égard, toutes les infractions n'ont pas la même répercussion en termes de déficit de sécurité.

La baisse du nombre des homicides (- 4,98 % en 1995), par exemple, demeure pratiquement inaperçue, du fait de la rareté de cette infraction (1328 homicides en 1995, dont près d'une centaine dans des règlements de comptes entre malfaiteurs). Il en va de même, quoique dans de tout autres domaines, de la baisse des fraudes alimentaires et autres infractions aux règles d'hygiène (- 41,61 %), des délits à la législation sur les courses et les jeux (- 30,65 %), etc.. Ces pourcentages, si favorables soient-ils, ne sont pas ressentis comme de véritables avancées dans le niveau de sécurité.

En revanche, beaucoup d'infractions de proximité -les violences contre les personnes, les coups et blessures, les dégradations de biens privés, etc.- continuent d'augmenter, au point parfois d'être banalisées. Ce sont ces infractions qui touchent les gens dans leur quotidien et qui entretiennent le sentiment diffus d'insécurité.

La délinquance de voie publique -une des plus visibles- représente à elle seule 63 % du total de la criminalité. Ses conséquences en termes de préjudice pour les victimes sont considérables : près d'un milliard de francs pour les seuls vols à la roulette, par exemple.

Là encore, si des succès ont été enregistrés dans la lutte contre cette forme de délinquance, il n'en demeure pas moins que sa réduction doit rester au rang des priorités absolues, faute de quoi, les statistiques globales, aussi satisfaisantes soient-elles, risqueraient fort de masquer une certaine dégradation du niveau réel de sécurité au quotidien.

Il convient dans cette optique de porter une attention particulière à certaines infractions de voie publique et de proximité qui continuent d'augmenter.

Entrent notamment dans cette catégorie : différentes infractions de violences contre les personnes, en hausse globale de 9 %, dont +12,1 % pour les blessures volontaires et + 16 % pour les menaces et chantages ; les vols avec violences sans arme (+ 3,7 %), etc....

C. LA DÉLINQUANCE DES MINEURS CONNAÎT UN ACCROISSEMENT INQUIÉTANT


On ne peut qu'être très préoccupé par l'augmentation de la part des mineurs -parfois très jeunes- dans la criminalité globale.

Globalement, en 1995, 15,91 % des 793 000 personnes mises en cause -soit environ 126 000- étaient des mineurs.

La délinquance en milieu scolaire n'est qu'un des aspects de cette criminalité. Sans même évoquer certains drames qui ont marqué l'actualité récente, votre rapporteur relève par exemple que les vols avec violences sur la voie publique, en augmentation de 2,19 % en 1995, ont impliqué des mineurs dans plus de 41 % des mises en cause.

Ce taux n'est qu'un signe parmi beaucoup d'autres d'un phénomène d'autant plus alarmant qu'il a tendance à se radicaliser, ainsi que l'observent tous les services concernés (la Police, la Justice, l'Éducation nationale, la Protection judiciaire de la jeunesse, etc.).

Pour certaines infractions, la proportion des mineurs demeure sans doute très faible, voire insignifiante (2,38 % pour les infractions économiques et financières, par exemple). Pour d'autres, en revanche, elle est anormalement élevée, comme le révèlent les quelques taux ci-après :

Infractions

% imputable à des mineurs

Stupéfiants (toutes infractions confondues)

11,4 %

agressions sexuelles

17,7 %

vols (toutes catégories)

27,6 %

attentats à l'explosif contre des tiers publics

49 %

incendies volontaires

64,8 %

Les agressions en milieu scolaire avec arme ont augmenté de 40,98 % entre 1986 et 1995, le racket scolaire de 45,25 % entre 1990 et 1995, etc..


• Au total, la criminalité et la délinquance des mineurs constatées
dans les zones à police d'État en 1995 n'ont cessé de croître depuis dix
ans. Elles ont augmenté sur cette période de 57,24
%.

D. LA DROGUE : UN FLÉAU QUI PERSISTE ET DONT LES STATISTIQUES USUELLES NE DONNENT SANS DOUTE QU'UNE IDÉE APPROXIMATIVE

D'année en année, votre rapporteur constate ce qu'il qualifiait en 1995 de véritable « montée en puissance de la drogue ».


L'année 1995 n'a pas fait exception à cette tendance à la hausse,
avec 79 000 faits relevés, soit + 11,8 % par rapport à 1994.

Faits constatés

1994

1995

%

Trafic

2 155

1 757

- 18,47

Usage-revente

5 237

5 416

+ 3,42

Consommation

28 306

35 247

+ 24,52

TOTAL

35 698

42 420

+ 18,83

Le volume des saisies effectuées en 1995 a en revanche diminué par rapport à 1994, exception faite pour l'ecstasy. Il est vrai que 1994 avait été marquée par plusieurs saisies exceptionnelles qui faussent peut-être quelque peu l'interprétation des statistiques de 1995.

Substances

1994

1995

%

Cannabis

(toutes formes confondues)

58 tonnes

42,2 tonnes

-27,1 %

Héroïne

661 kg

498 kg

- 24,5 %

Cocaïne

4,7 tonnes

0,8 tonnes

-81,7 %

LSD.

74 000 doses

70 000 doses

-5,1 %

Crack

10 kg

8,6 kg

- 15,6%

Ecstasy

254 800 doses

273 700 doses

+ 7,4 %


D'après les premières indications disponibles pour 1996, il apparaît que le trafic des stupéfiants soit en nette recrudescence en comparaison des six premiers mois de l'année 1995, exception faite semble-t-il du cannabis.

Pour les autres drogues, les pourcentages d'accroissement des saisies durant le premier semestre 1996 sont assez éloquents pour dispenser de commentaires :

- héroïne, + 35,2 % ;

- cocaïne, + 145 % (avec il est vrai une saisie record de 890 kg aux Antilles en juin 1996) ;

- LSD, + 228 % ;

- ecstasy, + 25,8 % (cette substance marquant une progression continue depuis quelques années).

Le crack, naguère marginal, figure aujourd'hui dans la panoplie des stupéfiants courants dans certaines zones, notamment à Paris et en banlieue parisienne.

Les services spécialisés observent par ailleurs que la France devient progressivement un pays de transit, comme le démontrent les importantes saisies de drogues acheminées vers d'autres destinations finales (le LSD vers le Royaume-Uni, par exemple).


Les statistiques traditionnelles permettent-elles d'apprécier l'ampleur réelle du phénomène de la drogue ?

Alors que de l'avis de tous les policiers, le phénomène de la drogue a tendance à se répandre, votre rapporteur ne peut que s'interroger sur la baisse en volume des saisies opérées en 1995, de même que sur la signification exacte du pourcentage de diminution (- 18,47 %) du nombre des faits de trafic constatés en 1995.

Le phénomène de la drogue est extrêmement complexe à appréhender, et les indicateurs statistiques usuels paraissent n'en rendre compte que très partiellement.

On sait par exemple que 1'« action proactive » (c'est-à-dire la recherche et l'interpellation systématiques des usagers-revendeurs et des consommateurs simples) peut conduire à de gros écarts statistiques d'une année sur l'autre, sans refléter pour autant l'évolution réelle des trafics.

Votre rapporteur estime donc qu'il serait souhaitable de définir, en concertation avec toutes les parties intéressées, un ou plusieurs indicateurs synthétiques permettant au Parlement et à tous les pouvoirs publics de mieux apprécier l'ampleur exacte du phénomène de la drogue en France, ainsi que les succès rencontrés dans la prévention et la répression.


• Sur le plan législatif, il convient de rappeler que le Parlement a adopté trois lois qui renforcent l'arsenal juridique de la lutte contre les stupéfiants :

- la loi n° 96-359 du 29 avril 1996 relative au trafic des stupéfiants en haute-mer et aux nouvelles possibilités d'intervention dans ce domaine ;

- la loi n° 96-392 du 13 mai 1996 relative à la lutte contre le blanchiment et la coopération internationale en matière de saisie et de confiscation des produits du crime et en particulier du trafic de stupéfiants. Ce texte a institué deux nouvelles infractions, l'une tenant au fait de ne pouvoir justifier de son train de vie, l'autre au fait d'utiliser des mineurs pour faciliter les trafics ;

- la loi n° 96-542 du 19 juin 1996 relative au contrôle de la fabrication et du commerce de certains produits chimiques susceptibles d'être utilisés pour la fabrication illicite de stupéfiants ou substances psychotropes.


Sur le plan international, votre rapporteur a aussi maintes fois eu l'occasion d'attirer l'attention sur l'ampleur des trafics en provenance des Pays-Bas et, plus globalement, sur les difficultés que suscite la politique hollandaise de la drogue vis-à-vis de ses partenaires de l'espace Schengen.

Certes, l'année 1996 est marquée par l'entrée en vigueur de la coopération bilatérale entre la France et les Pays-Bas dans le cadre d'un protocole d'accord, avec renforcement des structures opérationnelles (en particulier l'échange d'officiers de liaison drogue et la création d'une cellule de coordination dans la région Nord-Pas-de-Calais, placée sous l'autorité du préfet du Nord, préfet de région et du Procureur général de Douai).

Pour autant, les sujets d'interrogation et les motifs d'inquiétude sont loin d'avoir disparu, d'autant que la question ne se pose plus seulement pour le cannabis -dont les Pays-Bas sont directement producteurs (le niederwiet, avec un taux de substance active parmi les plus élevés du monde)- mais aussi pour l'héroïne et pour les psychotropes de synthèse.

Dans une réponse à un questionnaire budgétaire, le ministère de l'Intérieur relève ainsi que sur 498 kg d'héroïne saisis en France en 1995, environ 58 % proviennent des Pays-Bas. Ce taux est en augmentation par rapport à 1994 où il atteignait déjà 49 %.


• Sans méconnaître les difficultés de la lutte contre la drogue, votre rapporteur tient rappeler qu'il s'agit d'une des cinq missions prioritaires assignées à la police nationale par la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité du 21 janvier 1995. Tant en ce qui concerne l'action interne que la coopération internationale, la lutte contre la drogue passe par une mobilisation permanente de tous les personnels et de tous les moyens.

E. LE TERRORISME : UN DÉFI PERMANENT À LA SÉCURITÉ ET À L'AUTORITÉ DE L'ÉTAT

La lutte contre le terrorisme est définie par la loi d'orientation comme une des missions prioritaires de la police. En application de ce texte, le Parlement a d'ailleurs complété cette année l'arsenal juridique de répression du terrorisme (loi n° 96-647 du 22 juillet 1996).

Durant l'été et l'automne 1995, la France a subi une vague d'attentats graves (9 actions entre le 11 juillet et le 17 octobre, imputables à des extrémistes islamiques) ayant causé la mort de 10 personnes et des blessures à 114 autres. Votre rapporteur renvoie sur ce point aux développements figurant dans son avis budgétaire de l'année dernière.

Le terrorisme interne a également été actif en 1995, avec notamment 535 actions violentes liées au séparatisme corse, dont 184 ont été formellement revendiquées par 8 organisations. Toujours en 1995, 15 assassinats ou tentatives ont également été commis dans le cadre des rivalités intestines au sein des mouvements séparatistes, en particulier celles opposant les tenants du FLNC « historique » et ceux du FLNC « canal habituel ».

Force est de reconnaître que depuis le début de l'année 1996, la tension en Corse est très loin d'être apaisée. On estime déjà le nombre des attentats à environ 350, dont plusieurs ont été commis non pas en Corse même mais sur le continent.

A nouveau, les pouvoirs publics se sont mobilisés contre cette situation inacceptable. L'Assemblée nationale a constitué en octobre 1996 une mission d'information commune sur la Corse et le Gouvernement a réaffirmé à plusieurs reprises sa ferme volonté à remédier par différentes mesures aux difficultés que connaît l'île (y compris des mesures économiques comme la création d'une zone franche).

Comme il l'avait déjà très clairement indiqué au Sénat dans sa déclaration de politique générale le 8 octobre 1996, le Premier ministre, M. Alain Juppé, a confirmé le 4 novembre 1996 devant l'Institut des hautes études de sécurité intérieure (IHESI) « l'absolue détermination du Gouvernement, de tout Gouvernement à lutter contre la violence en Corse ». Acte lui en est donné.

F. LA LÉGÈRE AMÉLIORATION DU TAUX D'ÉLUCIDATION OBSERVÉE EN 1994 NE S'EST PAS CONFIRMÉE EN 1995


En 1994, parallèlement au tassement de la criminalité globale, le taux d'élucidation s'était légèrement amélioré, atteignant 34,8 % contre 32,2% en 1993.

Cette évolution positive, que votre rapporteur souhaitait durable dans son précédent avis budgétaire, ne s'est malheureusement pas confirmée en 1995, puisque le taux global d'élucidation est retombé à 32 %, avec néanmoins de gros écarts selon le type d'infraction.

C'est ainsi que l'élucidation des viols a atteint 88 % en 1995, en hausse par rapport à 1994. Celle des cambriolages n'est que de 12 % (en baisse) et seulement 8 % des vols à la roulette constatés en 1995 ont été élucidés.


• Là encore, des données purement statistiques ne rendent qu'imparfaitement compte de l'efficacité réelle de l'action policière, d'autant qu'en matière d'élucidation, des facteurs externes altèrent la portée des pourcentages.

Ainsi, nombre de multidélinquants ne reconnaissent qu'une partie de leurs délits, ce qui fait classer comme « non élucidées » des affaires dont les auteurs ont pourtant été arrêtés. On estime que pour une personne mise en cause, l'élucidation réelle porte sur 1,8 affaire, ce qui donne d'ailleurs une idée de l'ampleur de la multidélinquance.

Inversement, un nombre considérable d'affaires ne sont pas signalées à la police ou à la gendarmerie. Elles échappent aux statistiques et resteront, par définition, non élucidées.


• Dans cette optique, le non-dépôt de plainte est sans doute celui qui fausse le plus la connaissance du phénomène criminel. Il affaiblit aussi le crédit que nos concitoyens portent à l'action policière.

Ainsi que votre rapporteur l'observait l'année dernière, le non-dépôt de plainte a tendance à se généraliser, car beaucoup de victimes ont le sentiment -hélas trop fondé- que leur démarche restera sans suite : l'affaire ne sera jamais élucidée ou, si elle l'est, fera l'objet d'un classement pur et simple.

Quant à la perspective de réparation du dommage par l'auteur de l'infraction, elle est généralement illusoire, au point qu'un dépôt de plainte n'est souvent plus considéré que comme une simple formalité administrative indispensable pour l'envoi de la déclaration du ministre à son assureur.


La réponse judiciaire à l'action policière est très loin d'être satisfaisante.

Force est de reconnaître que le traitement des dossiers d'infraction au stade des Parquets ne peut qu'accréditer cette conception : sur ce point, l'efficacité de la police bute sans aucun doute, en aval, sur l'insuffisance des réponses fournies par la Justice, faute de moyens.

Dans leur tout récent rapport au nom de la mission d'information de la commission des Lois, chargée d'évoluer les moyens de la justice - » Quels moyens pour quelle justice ? »- nos excellents collègues, MM. Charles Jolibois, Président et Pierre Fauchon, rapporteur, révèlent parfaitement l'ampleur du problème : face à la prolifération d'une délinquance de masse où les délits représentent l'essentiel (81,6 %), le classement sans suite des affaires dont l'auteur est pourtant connu est devenu un instrument de régulation contre l'encombrement des tribunaux.

C'est la technique dite « du robinet », aboutissant au classement sans suite d'une moyenne de 44,8 % des affaires pénales élucidées en 1995, ce taux atteignant même près de 80 % dans certains tribunaux visités par la mission d'information.

Cette situation est extrêmement préjudiciable à tous les points de vue. Elle discrédite l'action de l'État dans deux de ses fonctions régaliennes les plus fondamentales, la Police et la Justice, elle décourage les policiers et développe chez les délinquants un sentiment d'impunité incitant à la récidive.

Qu'elles soient juridiques ou financières, toutes les mesures prises pour accroître l'efficacité de la police risquent fort de demeurer vaines si la justice n'a pas les moyens de traiter efficacement les dossiers qui lui sont transmis.

Aussi, pour ce qui le concerne, votre rapporteur souscrit-t-il pleinement aux propositions formulées par la mission d'information en matière d'amélioration de la justice pénale, car la lutte contre l'insécurité est une chaîne ne tolérant pas de discontinuité.

II. LA LUTTE CONTRE L'IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE : UN BILAN EN VOIE D'AMÉLIORATION DEPUIS 1995

La loi d'orientation sur la sécurité range la lutte contre l'immigration irrégulière et contre l'emploi des clandestins au rang des missions prioritaires de la police nationale pour les années 1995 à 1999. Mais bien entendu, passé cette date, aucun des efforts entrepris ne devra être relâché.

Pour sa part, le ministre de l'Intérieur, M. Jean-Louis Debré, a très clairement résumé sa position dans un article récent du Figaro : « Je suis un fervent partisan du concept de l'immigration irrégulière zéro. Et c `est le sens de la politique que je mène au nom du Gouvernement ».

A s'en tenir aux indicateurs statistiques classiques (le nombre des non-admissions, le taux d'exécution des mesures d'éloignement, etc.), il semble que depuis 1995, la police puisse se prévaloir en ce domaine de résultats positifs.

A. MESURÉE À PARTIR DU NOMBRE DES NON-ADMISSIONS, LA PRESSION MIGRATOIRE SEMBLE ORIENTÉE À LA BAISSE

Le nombre des étrangers ayant pénétré en France en 1995, tous motifs confondus, est estimé à environ 84,31 millions.

On déduit des statistiques 1995-1996 une légère diminution de la pression migratoire irrégulière, bien que les chiffres en ce domaine doivent être interprétés avec beaucoup de circonspection.

La non-admission est définie comme le refus d'entrée sur le territoire national opposé sur un poste de contrôle à la frontière à un étranger ne remplissant pas les conditions requises pour y accéder : défaut de document de voyage, usurpation d'identité, falsification ou contrefaçon du titre, motif d'ordre public, défaut ou insuffisance de moyens d'existence, signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen (le SIS), etc.. L'étranger non-admis reçoit un acte de motivation dont il pourra exciper s'il porte la décision de non-admission devant les juridictions administratives.

Les contrôles opérés par les personnels de la DICCILEC ont conduit à prononcer 68 240 non-admissions -chiffre pratiquement stable par rapport à celui de 1994 (68 575)- dont, par ordre décroissant :

11 668 Yougoslaves

9 959 ressortissants africains hors États du Maghreb

7 101 Turcs

6 746 Marocains

3 149 Algériens.

La tendance pour le premier semestre 1996 est quant à elle nettement à la baisse, avec 23 083 non admissions contre 35 468 pour la même période 1995, soit une diminution de 34,9 %.

Ces chiffres ne rendent bien sûr pas compte du nombre des clandestins proprement dits, mais les spécialistes s'accordent à penser que celui-ci croît ou décroît dans des proportions à peu près similaires à celui des non-admissions.

La même tendance s'observe d'ailleurs pour l'immigration régulière, avec 73 223 titres de séjours d'une durée au moins égale à un an délivrés en 1995, contre 86 342 en 1994 (soit une diminution de 15,9 %).

B. L'AMELIORATION DU TAUX D'EXECUTION EFFECTIVE DES MESURES D'ÉLOIGNEMENT

Votre rapporteur a maintes fois déploré la nette insuffisance du taux d'exécution effective des mesures d'éloignement, dont le redressement figure d'ailleurs dans la loi d'orientation comme un des trois objectifs prioritaires de la police dans son action de maîtrise des flux migratoires et de lutte contre le travail clandestin.

Les statistiques disponibles pour 1995 et le premier semestre 1996 montrent une certaine amélioration dans ce domaine :

1994

1995

1er semestre 1996

Eloignements décidés par les préfets

22 947

18 987

10 480

Eloignements exécutés

12 020

11 417

6314

%

52,3 %

60,1 %

60,2 %

Cette amélioration, qui doit impérativement se poursuivre, a nécessité la mise en oeuvre de nouveaux moyens, tant juridiques que techniques, ainsi que le concours d'un nombre croissant de personnels.

L'arrêté interministériel du 14 octobre 1994 relatif à l'organisation de la direction centrale du contrôle de l'immigration et de la lutte contre l'emploi des clandestins (DICCILEC) a en particulier institué une meilleure coordination de l'action des différents services chargés de la mise en oeuvre des mesures d'éloignement.

En termes de personnels et de moyens, l'éloignement des étrangers représente une lourde charge pour la police. Pas moins de 1 710 fonctionnaires ont dû effectuer des escortes internationales durant les six premiers mois de l'année 1996, tandis qu'en 1995, douze affrètements spéciaux (dont quatre de concert avec certains autres États de l'espace Schengen) ont été organisés vers plusieurs pays d'Afrique et la Roumanie.

Au total, la DICCILEC a dû consacrer en 1995 à la garde et à l'escorte des étrangers sous le coup d'une mesure d'éloignement plus de 388 000 heures de fonctionnaires. Pour le seul premier semestre 1996, ce chiffre s'élève déjà à 266 000 heures de fonctionnaires.

III. LES PRINCIPALES OBSERVATIONS SUSCITÉES PAR L'EXAMEN DES CRÉDITS DE LA POLICE POUR 1997


• Au sein du budget total du ministère de l'Intérieur pour 1997, les crédits de la police s'élèvent à 27,957 milliards de francs, soit un montant en francs courants quasiment identique à celui de 1996 (28,030 milliards de francs).

Cette quasi-stagnation représente en francs constants une diminution nette, de l'ordre de 1,8 % par rapport à l'année dernière.

Le ministre de l'Intérieur a reconnu que son budget s'inscrivait « résolument en 1997 dans une perspective de réduction de la dépense publique et des effectifs de l'État ».

Pour autant, le ministre souligne que concernant la police nationale « la rationalisation de la gestion des moyens et les économies réalisées par rapport aux années antérieures permettent un maintien des capacités opérationnelles des services et la préservation des programmes de modernisation essentiels, rendus possibles par les premiers résultats positifs de deux ans d'application de la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité ».


• Votre rapporteur n'a pas jugé nécessaire, dans le cadre de l'avis de la commission des Lois, de retracer en détail toutes les affectations budgétaires décrites dans le « bleu » du ministère de l'Intérieur. La rationalisation de la discussion budgétaire et l'amélioration des modalités du travail parlementaire dans le cadre de la session unique l'ont au contraire incité à renvoyer sur cet aspect proprement financier aux excellents développements du rapporteur spécial de la commission des Finances, M. Guy Cabanel.

Certains points, en revanche, appellent un jugement plus qualitatif, au regard notamment des prévisions et des engagements de la loi d'orientation du 21 janvier 1995.

A. DEUX INTERROGATIONS À PROPOS DES DÉPENSES DE PERSONNEL : LES POLICIERS AUXILIAIRES ET LES EMPLOIS ADMINISTRA TIFS

On sait que les dépenses de personnel représentent plus de 80 % du budget total de la police, leur évolution résultant pour l'essentiel de données « mécaniques » comme le niveau des traitements de la fonction publique ou la mise en oeuvre de décisions antérieures (l'application des « Accords Durafour », par exemple). La marge de manoeuvre qu'autorise un tel budget est donc nécessairement réduite.


• Cette année, votre rapporteur a noté avec intérêt certaines mesures indemnitaires de nature à fidéliser les policiers affectés dans les quartiers difficiles.

Tel est le cas, par exemple, de l'extension aux policiers du SGAP de Versailles de la prime versée aux policiers du SGAP de Paris, mesure sur laquelle votre commission des Lois avait depuis plusieurs années attiré l'attention des ministres de l'Intérieur successifs.


S'agissant des effectifs, deux points importants méritent d'être soulignés :

- La suppression de 500 emplois de policiers auxiliaires.

Il est vrai que si le plafond légal du nombre des auxiliaires ne peut dépasser 10 % des effectifs (soit environ 12.000 auxiliaires), les recrutements dans cette catégorie sont toujours restés nettement inférieurs au nombre des emplois budgétaires. Pour le ministère de l'Intérieur, cette réduction de 500 emplois correspondrait donc plus à un ajustement à la réalité qu'à une réduction du nombre des policiers auxiliaires en service effectif.

Sur le plan strictement budgétaire, cette approche n'est pas sujette à caution.

En revanche, se pose la question beaucoup plus fondamentale de l'avenir du service national dans la police, à partir du moment où celui-ci ne reposera plus désormais que sur le volontariat.

Il pourrait tout d'abord en résulter une raréfaction des candidatures préjudiciable au fonctionnement des services et génératrice de surcoûts, les frais afférents à un emploi de policier auxiliaire étant sans commune mesure avec la charge salariale d'un titulaire. Cette évolution pourrait également avoir une incidence en aval, car à l'heure actuelle, près de 40 % des policiers recrutés dans les différents cadres ont effectué leur service national comme policiers auxiliaires. Un précieux « vivier » de recrutement risque donc de disparaître.

- La transformation de 219 emplois administratifs vacants en 200 emplois scientifiques et techniques.

En elle-même, cette mesure va tout à fait dans le sens du renforcement des moyens de la police scientifique et technique prévu par la loi d'orientation.

En revanche, on peut s'interroger sur la disparition de ces emplois administratifs alors que dans le même temps, aucune création d'emplois administratifs n'est prévue dans le budget pour 1997, contrairement aux prévisions de l'article 4 de la loi d'orientation (en principe, 1.250 emplois administratifs nouveaux auraient dû être inscrits pour l'exercice 1997).

Votre rapporteur ne peut qu'insister à nouveau sur la nécessité absolue de décharger les policiers des trop nombreuses tâches indues qui les accaparent -notamment des tâches purement administratives- de façon à leur permettre d'exercer leurs fonctions sur le terrain, là où leur présence concourt le plus directement au maintien ou au renforcement de la sécurité.

Le Gouvernement partage pleinement ce point de vue. Notre excellent collègue M. Alain Danilet, député du Gard, lui-même fonctionnaire de police, a d'ailleurs été nommé en février 1996 parlementaire en mission, en vue de dresser une liste des missions indues et non prioritaires de la police nationale, ainsi que de proposer les solutions et les modalités de transfert de ces tâches à d'autres administrations de l'État.

Pour le moment, la traduction de cet objectif essentiel n'apparaît pas clairement dans le projet de budget de la police pour 1997 qui, sur ce point, ne remplit pas les engagements de la loi d'orientation.

B. À CONDITION D'ÊTRE SEULEMENT TEMPORAIRE, LA RÉDUCTION DES DÉPENSES DE FONCTIONNEMENT EN 1997 NE DEVRAIT PAS ALTÉRER LES CAPACITÉS OPÉRATIONNELLES DE LA POLICE

Les dépenses de fonctionnement du projet de budget pour 1997 sont pratiquement toutes affectées, soit par une diminution en valeur absolue, soit par une baisse en francs constants. Toutefois, cette contraction budgétaire est à mettre en perspective avec les augmentations de l'année dernière, dans le prolongement immédiat de la loi d'orientation. La « pause budgétaire » en 1997 ne devrait donc pas restreindre trop brutalement les capacités opérationnelles de la police, à condition toutefois de ne pas se prolonger sur les exercices suivants.


• Dans cet ensemble assez terne, votre rapporteur a noté avec intérêt qu'un article 27 nouveau relatif aux frais de reconduite à la frontière avait été doté de 87 millions de francs de mesures nouvelles. Il tient à souligner que cette mesure répond tout à fait à une des orientations de la loi d'orientation, l'exécution effective des mesures d'éloignement étant un des instruments essentiels de la lutte contre l'immigration irrégulière.

Il y va de la crédibilité des dispositions législatives et réglementaires adoptées à cette fin, dans l'esprit de nos concitoyens et surtout chez les « candidats à l'immigration clandestine », car l'information y circule très vite. Un étranger sera beaucoup moins tenté de s'introduire ou de se maintenir clandestinement en France s'il sait qu'il sera reconduit rapidement dans son pays d'origine.


• Parmi les autres mesures les plus significatives, on relève :

- L'inscription d'une dotation spécifique de 14,3 millions de francs pour le fonctionnement du Système d'Information Schengen -SIS- (Système informatique central et interface aux systèmes nationaux).

- La stabilisation des moyens consacrés aux autres équipements informatiques de la police, notamment le Système de traitement de l'information criminelle -STIC- et le développement du Fichier automatisé des empreintes digitales -FAED-.

Au-delà de l'approche proprement budgétaire, votre rapporteur -qui ne sous-estime en rien la difficulté de concevoir puis de réaliser les grands systèmes informatiques dont une police moderne doit s'équiper- s'interroge néanmoins sur l'aptitude des structures administratives à gérer des projets de ce type.

Les hésitations et les retards constatés lors de la mise en place du SIS en fournissent un exemple révélateur : des erreurs de conception et de choix des logiciels ont en effet entraîné de graves perturbations, voire des blocages pendant plusieurs mois durant la période probatoire, le système n'ayant finalement été réceptionné qu'en mars 1996, soit près de deux ans après sa mise en service régulier.

Encore faut-il constater que l'ordinateur Siemens M X 500 installé en 1992 est aujourd'hui techniquement dépassé et qu'il ne permettra probablement pas de faire face au raccordement des systèmes nationaux des nouveaux États admis dans l'espace Schengen.

Cet exemple n'est malheureusement pas isolé. On note ainsi que lancé en 1984, c'est-à-dire il y a douze ans, le projet FAED n'est toujours pas opérationnel sur l'ensemble du territoire. Son coût s'est déjà révélé fort élevé, le ministre de l'Intérieur envisageant d'ailleurs de recourir à des solutions nouvelles moins onéreuses pour équiper les sites restants.

Le rapporteur pour avis de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, notre excellent collègue M. Gérard Léonard, dresse un constat analogue, s'interrogeant sur l'opportunité « de recourir plus largement à l'achat de progiciels « sur étagère », notamment à l'étranger, solution moins onéreuse que le développement local et qui permet de gagner du temps ».

Pour ce qui est des systèmes en cours de développement, votre rapporteur n'entend pas se prononcer sur telle ou telle solution. En revanche, sur un plan plus général, il lui semblerait utile qu'une réflexion interministérielle s'engage sur l'informatisation des grands ministères « traditionnels » -notamment le ministère de l'Intérieur- peu aptes à maîtriser des évolutions technologiques majeures conduisant à la restructuration de leurs méthodes. Lors des travaux de votre commission des Lois, M. Pierre Fauchon a pleinement partagé ce point de vue, constatant que l'informatisation des juridictions avait souffert de difficultés identiques, voire supérieures, à celle de la police.

Les observations de votre rapporteur s'appliquent pareillement à l'avancement du réseau de communications cryptées de la police -ACROPOL-examiné ci après.

C. S'AGISSANT DES DÉPENSES D'EQUIPEMENT, LE « RÉSEAU ACROPOL » ACCUSE DU RETARD PAR RAPPORT AUX PRÉVISIONS DE LA LOI D'ORIENTATION

Contrairement à la pratique antérieure contestable consistant à inscrire les crédits consacrés au projet ACROPOL en loi de finances rectificative, le budget de la police pour 1997 fait apparaître pour ce réseau en loi de finances initiale 210 millions de francs d'autorisations de programme et 208 millions de francs de crédits de paiement.

A plusieurs reprises, votre rapporteur a attiré l'attention sur l'enjeu du programme ACROPOL, nouveau réseau de communications cryptées destiné à assurer à 100 % la confidentialité des transmissions de la police. Il s'agit d'un impératif, à une époque où les moyens électroniques d'écoute, moins chers que jadis et sans cesse plus performants, placent les communications de la police en position de faiblesse.

Les policiers français souffrent en ce domaine d'un grave retard, tant vis-à-vis de leurs collèges de beaucoup d'États de l'Union européenne que vis-à-vis des personnels de la gendarmerie nationale, dotés du réseau RITA. C'est ainsi qu'à tout moment, et depuis n'importe quel poste fixe ou mobile, un gendarme peut échanger en toute sécurité une communication radiotéléphonique avec tous les échelons de sa hiérarchie alors que trop souvent, les policiers n'ont d'autre expédient que de téléphoner d'une cabine publique pour pouvoir correspondre sans trop de risque d'être écoutés.

Dans cette optique, un des engagements importants de la loi de programmation était d'accélérer la mise en oeuvre du programme ACROPOL lancé en 1993.

Un constat s'impose : les précédents budgets des transmissions n'ont pas permis de doter la police des outils dont elle a besoin pour effectuer ses missions de base à un bon niveau opérationnel. Le ministère de l'Intérieur reconnaît lui-même que les matériels en service « ne peuvent plus être considérés comme parfaitement fiables ». En termes plus crus, la police est équipée de moyens de transmission largement obsolètes et qui doivent absolument être remplacés.

Le projet ACROPOL a été lancé en 1993 et avait originellement été prévu pour s'échelonner sur dix ans. En fait, ce délai est beaucoup trop long et devrait impérativement être revu à la baisse, comme le souligne ajuste titre la loi de programmation. Il serait en particulier nécessaire d'équiper la région Ile-de-France d'ici fin 1997, pour permettre à la police de faire face aux missions spécifiques de sécurité qu'impliqueront les compétitions de la Coupe du monde de football.

Or, sur ce point, les engagements de la loi de programmation n'ont pas été tenus, tandis que des difficultés techniques paraissent entraver le bon déroulement de cette opération d'envergure.

Une réponse à un questionnaire budgétaire indique notamment que « les contraintes budgétaires fortes qui s'imposent actuellement n'ont pas permis de tenir l'objectif d'accélération du déploiement d'ACROPOL, notamment en ce qui concerne l'équipement de l'Ile-de-France avant les compétitions de la coupe du monde de football ». Ainsi, si le réseau en Seine-Saint-Denis (le département où sera implanté Grand Stade) doit en principe être opérationnel début 1998, sa mise en service dans autres départements d'Ile-de-France ne s'échelonnera au mieux qu'entre 1997 et 1999.

D'autres difficultés d'ordre technique sont d'ores-et-déjà répertoriées dans les régions frontalières, en raison du partage des bandes radioélectriques disponibles entre la France et les États concernés.

En définitive, au-delà des contraintes budgétaires et comme pour ce qui est de l'informatique proprement dite, on peut s'interroger sur les choix stratégiques et techniques effectués lors du lancement du projet ACROPOL.

Là aussi, face à une mutation technologique de très grande ampleur, une approche nouvelle prenant en compte toutes les implications aurait probablement facilité la réalisation du projet ACROPOL à moindre coût et dans des délais plus brefs.


S'agissant des dépenses d'équipement immobilier, le projet de budget pour 1997 accuse une très sensible diminution : 490 millions d'autorisations de programme et 387 millions en crédits de paiement, contre respectivement 812 millions et 552 millions l'année dernière.

Dans plusieurs domaines, ces faibles dotations vont imposer le recours à certaines formules de financement peu satisfaisantes, en particulier la location avec option d'achat.

En l'état, le rythme prévisionnel de livraison pour 1997 -soit environ 50.000 m (dont la rénovation du parc ancien, ainsi que le ministre l'a précisé lors de son audition)- ne paraît pas à la hauteur des prévisions de la loi d'orientation.


• En revanche, concernant le logement des policiers, votre rapporteur constate avec satisfaction que les sommes inscrites au projet de budget, quoiqu'en légère baisse, n'affecteront pas le rythme des livraisons prévu par la loi d'orientation. Elles permettront même de le dépasser, moyennant l'appel au mécanisme de la garantie de loyer auquel votre rapporteur a déjà consacré des développements l'année dernière.

En pratique, plus de 900 logements devraient être livrés en 1997, soit 100 de plus que dans les prévisions de la loi d'orientation.

Il s'agit d'un point très positif, car les mesures en faveur du logement représentent un élément essentiel dans la vie des policiers affectés dans les quartiers difficiles.

Votre rapporteur souligne également qu'elles sont de nature à mieux faire accepter par les personnels concernés les nouvelles contraintes résultant de l'abandon à terme du système de la cinquième brigade (cf. infra). A l'heure actuelle, trop de policiers affectés dans des grandes villes habitent à plus de 50, voire plus de 100 km de leur commissariat, avec toutes les pertes de disponibilité qui peuvent en résulter. La réforme des rythmes de travail devrait à terme amener les policiers à rapprocher leur habitation de leur lieu d'affectation. Permettre aux policiers de se loger dans les villes ou à toute proximité conditionne donc aussi, dans une certaine mesure, le succès de cette réforme.

IV. L'APPLICATION DE LA LOI D'ORIENTATION ET DE PROGRAMMATION RELATIVE À LA SÉCURITÉ : UNE PRIORITÉ ACCORDÉE À LA RÉFORME DE LA POLICE


• Votre rapporteur constate que, cette année, le Gouvernement a satisfait à l'obligation de présenter un rapport sur l'exécution de la loi d'orientation, ce qui n'avait pas été le cas en 1995.

L'exhaustivité et la précision de ce rapport méritent également d'être soulignées : il offre au Parlement un véritable instrument de contrôle alors que trop souvent, les rapports d'exécution des textes programmatiques se limitent à des tableaux et à des indications chiffrées dont il est difficile de tirer des conclusions.

Il résulte clairement de ce document et d'autres indications fournies par le ministre de l'Intérieur que l'accent prioritaire a été mis sur la réforme de la police nationale, d'autres aspects de la loi d'orientation n'ayant pas encore ou seulement très récemment été mis en application.

A. LES PRINCIPAUX TEXTES RÉGLEMENTAIRES SUR LA RÉORGANISATION DE LA POLICE SONT DÉSORMAIS ENTRÉS EN VIGUEUR

Votre rapporteur a déjà présenté les axes statutaires de la réorganisation de la police dans son avis sur les crédits pour 1996, aussi ne croit-il pas utile d'en rappeler le détail. Le ministre de l'Intérieur a énuméré dans sa communication au Conseil des ministres du 24 juillet 1996 les quatre grands principes ayant présidé à cette réorganisation :

- une police plus souple dans son organisation et dans ses conditions de travail, « afin de pouvoir opposer à la délinquance d'avantage de policiers là, et au moment où, elle se commet » ;

- une police gérée « au plus près du terrain » grâce notamment à une déconcentration accrue et au renforcement des pouvoirs des préfets en matière de coordination ;

- une police plus proche du citoyen « qui soit non seulement plus visible et plus présente sur la voie publique mais également plus accueillante et attentive aux plaignants » ;

- une police offrant aux personnels des métiers revalorisés et plus attractifs.


Au plan statutaire, la réforme de la police nationale prévue par la loi d'orientation est désormais entrée dans les faits.

Cette réforme a représenté un travail réglementaire considérable puisqu'au 25 octobre 1996, le ministre de l'Intérieur, en concertation avec les autres ministères intéressés, a déjà élaboré 159 textes d'application.

Ce travail a été mené en étroite concertation avec les personnels, soit dans le cadre syndical, soit au sein des comités techniques paritaires, soit au cours de multiples rencontres directes, séminaires, etc...


Plusieurs textes ont par ailleurs précisé l'organisation et les méthodes de travail de la police.

Parmi les plus importants de ces textes, il faut signaler le Règlement général d'emploi des personnels publié au Journal officiel du 4 septembre 1996. Ce règlement se substitue à un ensemble jusqu'à présent très disparate de textes particuliers concernant telle ou telle direction ou tel ou tel service. Il offre pour la première fois aux responsables publics et aux policiers eux-mêmes un dispositif cohérent et complet assez comparable au décret du 20 mai 1903, modifié, portant sur l'organisation et le service de la gendarmerie. On ne peut que saluer la publication de ce texte, qui vient combler une lacune plusieurs fois signalée par votre rapporteur.

De même note-t-on que le 22 décembre 1995, le ministre de l'Intérieur a adressé à tous les services une Instruction pour une action plus soutenue de la police auprès des usagers et des victimes d'infractions.

Outre différentes prescriptions générales, ce texte énumère plusieurs mesures très concrètes de nature à faciliter les relations entre la police et les usagers, par exemple le basculement des lignes téléphoniques des postes fermés la nuit sur les postes centraux. Cette consigne de bon sens permettra de remédier à une carence souvent déplorée.


Un bouleversement majeur en cours : la modernisation des rythmes de travail de la police par l'abandon du système de la cinquième brigade

S'agissant des rythmes de travail, une des évolutions les plus considérables -et probablement celle qui risque de se heurter le plus aux pesanteurs- est l'abandon prévu du système des cinq brigades dans les services de sécurité publique.

Lors de sa très intéressante audition par votre commission des Lois, M. Jean-Louis Debré, ministre de l'Intérieur, a insisté sur le caractère fondamental de cette réforme, qui sera menée en étroite concertation au plan départemental avec les instances représentatives des personnels.

Depuis 1984, perdure « à titre provisoire » un système dit « de la cinquième brigade » qui fait ajuste titre l'objet de vives critiques.

Ce système, qui concerne près d'un policier des services actifs sur deux, se fonde sur l'existence de cinq brigades qui se relaient pour assurer la continuité du service 24 heures sur 24 à raison, théoriquement, de trois jours de travail et de deux jours de repos. En réalité, la pratique est toute autre puisqu'au moins un cycle sur deux, les policiers travaillent deux jours et bénéficient de trois jours de repos.

Comme l'a souligné le ministre, le système de la cinquième brigade recèle quantité d'effets pervers.

Il est tout d'abord néfaste à la santé et à l'équilibre de la vie familiale des policiers. Pour la police elle-même :

- il conduit à des pertes considérables de productivité car à un instant donné, les effectifs disponibles sont au mieux le cinquième de l'effectif total. Encore faut-il en retrancher les policiers en congés autorisés, les absences imprévues, etc...

- le système est rigide et ne permet pas de moduler les effectifs en fonction des variations de la menace (la nuit, par exemple ; ou en cas d'événements imprévus, mêmes limités). La seule ressource pour mobiliser du personnel en plus grand nombre est d'imposer des heures supplémentaires ou des rappels en service, qui occasionnent à leur tour des récupérations dégarnissant d'autant les effectifs par la suite ;

- enfin, ce système éloigne les policiers de leur lieu d'affectation et les amène à délocaliser leurs autres activités. Ces deux dérives génèrent elles-mêmes des absences et des retards auxquels il est pratiquement impossible de remédier par de simples mesures individuelles.

C'est pourquoi le ministre a décidé de mettre prioritairement à l'étude un système nouveau fondé sur l'alternance de quatre jours de travail suivis de deux jours de repos selon un rythme alternatif sur trois semaines : le policier travaillerait une semaine le matin, une semaine l'après-midi et une semaine la nuit, la base théorique totale de travail hebdomadaire demeurant fixée à 39 heures.

Autour de ce schéma de base, le ministre a d'ailleurs indiqué qu'il n'était nullement opposé, après expérimentation, à une modulation tenant compte des impératifs locaux de sécurité, car les situations ne sont pas nécessairement comparables d'un département à l'autre.

D'après les réflexions en cours, la nouvelle répartition du temps de travail conduirait à un gain substantiel de productivité des services actifs.

Elle permettrait globalement d'accroître à un instant donné la disponibilité de plus de 10 000 fonctionnaires et, appréciée à l'échelon d'une petite circonscription urbaine d'environ 30 policiers, de dégager quatre fonctionnaires, soit l'équivalent d'une patrouille supplémentaire.

Votre rapporteur ne peut que souhaiter le bon aboutissement des négociations en cours à ce sujet, car ce dispositif innovant s'inscrit dans le droit fil des principes de souplesse et d'adaptabilité posés par la loi d'orientation. Il n'ignore pas, cependant, qu'une telle réforme remet en cause des situations acquises et qu'elle bouleverse une donnée, sans doute critiquable mais pourtant réelle, de la culture policière. Comme tel, l'abandon du système de la cinquième brigade se présente comme une entreprise délicate.

Des mesures compensatoires devront être prises pour surmonter les réticences. Il faut aussi redire l'importance de la politique du logement des policiers, car les personnels seront progressivement amenés à se rapprocher de leur poste d'affectation et se verront donc confrontés aux difficultés de se loger en ville ou en proche banlieue.

B. HORMI LES TEXTES CONCERNANT LA POLICE, PLUSIEURS MESURES RÉGLEMENTAIRES D'APPLICATION DE LA LOI D'ORIENTATION N'ONT PAS ÉTÉ PRISES DANS LES DÉLAIS ATTENDUS

Indépendamment de la réorganisation de la police elle-même, la loi d'orientation a défini un cadre général de la sécurité à l'horizon de l'an 2000 nécessitant l'adoption de nombreux textes subséquents.

Votre rapporteur avait regretté, en novembre 1995, que beaucoup de ces textes n'aient pas encore été publiés. Il faut admettre qu'un progrès est à constater cette année, puisque la plupart des textes d'application de la loi d'orientation ont paru dans l'intervalle.

Dans l'ensemble, leur délai de parution a néanmoins été fort long, surtout si l'on considère qu'au départ, le Parlement avait été conduit à légiférer à une cadence pour le moins rapide.


Tel est le cas, notamment, du décret sur la vidéosurveillance qui n'a été publié au Journal officiel que le 20 octobre 1996 (décret n° 96-927 du 17 octobre 1996). Sa parution s'est donc fait attendre 21 mois, délai pendant lequel des systèmes de vidéosurveillance ont pu continuer d'être implantés en dehors de tout cadre réglementaire.

On se souvient que l'article 10 de la loi d'orientation, relatif à la vidéosurveillance, est celui qui a donné lieu aux plus vives discussions lors de l'élaboration de ce texte.

Un décret en Conseil d'État devait fixer les modalités d'application du dispositif. Il était notamment indispensable de prévoir la composition des commissions départementales de contrôle des systèmes de vidéosurveillance, leurs règles de fonctionnement et la procédure de présentation et d'instruction des demandes d'installation des nouveaux dispositifs de vidéosurveillance ainsi que de mise en conformité des dispositifs existants.

Pour autant, le législateur avait déjà largement « défriché le terrain » en faisant preuve d'une très grande précision juridique en dépit de la technicité et du caractère novateur de cette matière. Il aurait donc été logique que la parution du décret d'application intervienne rapidement.

Un avant-projet avait été d'ailleurs été transmis à votre rapporteur dès mars 1995, à titre officieux et pour simple information. Or, à l'examen, on ne note guère de différence fondamentale entre cet avant-projet et le texte finalement adopté, qui aurait sans doute pu donner lieu à des arbitrages interministériels plus rapides.


Parmi les autres principaux décrets attendus l'année dernière et qui n'ont en fait été publiés qu'au cours du second semestre 1996, il faut signaler :

- le décret (n° 96-828 du 19 septembre 1996) relatif à la répartition des attributions et à l'organisation de la coopération entre la police nationale et la gendarmerie nationale ;

- le décret relatif à l'établissement et à la suppression du régime de la police d'État dans les communes (décret n° 96-827 du 19 septembre 1996, fixant les modalités d'application de l'article 2214-1 du code général des collectivités territoriales) ;

- le décret (n° 96-619 du 11 juillet 1996) confiant aux préfets de zone désignés par le ministre de l'Intérieur la mission de coordonner l'action des préfets des départements concernés en cas de crise menaçant gravement l'ordre public. Ce texte est destiné à la mise en oeuvre de l'article 16 de la loi d'orientation (renforcement de la sécurité dans les manifestations sur la voie publique) en cas de menaces à l'ordre public imposant de prendre des mesures préventives sur des points répartis sur plusieurs départements (les accès d'une autoroute utilisée par des manifestants pour se rendre sur le lieu de la manifestation, par exemple). Là encore, on peut s'étonner du délai de publication de ce décret d'application (17 mois) alors que la solution finalement retenue -l'intervention des préfets de zone- n'est autre que celle qui avait été évoquée dès l'origine avec votre rapporteur lors des travaux préparatoires sur la loi d'orientation.


Ce bilan somme toute moyen est encore affecté par la non-publication de plusieurs décrets pourtant présentés comme urgents lors de la discussion de la loi d'orientation, il y a maintenant plus de deux ans :

- Le décret sur l'implantation sur le réseau routier et autoroutier de dispositifs techniques devant faciliter le contrôle du respect du code de la route (article 14 de la loi d'orientation).

Force est de rappeler que lors de la discussion de la loi d'orientation, le contenu exact que recouvrait cet article n'a pas été explicité très précisément par le Gouvernement de l'époque, en dépit des questions formulées à ce sujet par votre rapporteur quant à la nature des équipements envisagés et à leur financement. Cette imprécision au départ n'est sans doute pas étrangère au retard constaté dans la publication du décret d'application.

- Les deux décrets sur la sécurité des immeubles

Les articles 11 et 12 de la loi d'orientation reconnaissent aux pouvoirs publics la faculté d'imposer certaines obligations de sécurité aux constructeurs et propriétaires ou usagers d'immeubles. Un premier décret devait déterminer les équipements concernés par l'obligation de procéder à des études de sécurité préalables à leur réalisation. Un second décret devait préciser les zones et les caractéristiques des immeubles assujettis à une obligation de gardiennage.

Ces deux textes ont déjà été examinés par le Conseil d'État le 16 octobre 1996, mais ne sont pas encore publiés et continuent de donner lieu à discussion ministérielle.

Le second, en particulier, semble avoir suscité de vives réticences de la part des bailleurs sociaux, en raison des coûts d'un gardiennage efficace. Cet argument financier mérite sans doute d'être pris en considération. Pour autant, la sécurité représente aujourd'hui une forme de solidarité où chaque acteur de la vie sociale doit concourir selon des modalités propres.

- Le décret sur le marquage des véhicules

Les vols de voitures représentent une part significative de la délinquance. Même si le nombre de ces vols a tendance à décroître en France depuis quelques années du fait de l'installation d'équipements antivols performants, il demeure très élevé quand on le compare à celui d'autres États de l'Union européenne.

Pour tenter d'y remédier, l'article 15 de la loi d'orientation a prévu qu'un système de marquage -en clair, un dispositif de détection électronique-pourrait être rendu obligatoire sur les véhicules neufs ou importés, dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'État.

Là encore, l'élaboration de ce décret se révèle délicate car il faut concilier l'intérêt public et les considérations de coût, d'ailleurs justifiées, opposées par les constructeurs et les importateurs. Il n'en demeure pas moins que depuis maintenant près de deux ans, l'article 15 de la loi d'orientation n'est toujours pas appliqué.

V. LA GESTION INTERNE DES PROBLÈMES DE SÉCURITÉ NE PEUT PLUS ÊTRE DISSOCIÉE DE SON CONTEXTE EUROPÉEN

Votre rapporteur a maintes fois souligné qu'à l'heure actuelle, une réponse efficace à l'insécurité passait nécessairement par le renforcement de la coopération policière internationale, au plan européen, notamment.

L'article 3 de la loi d'orientation inclut d'ailleurs explicitement dans les « orientations permanentes de la politique de sécurité... le renforcement de la coopération internationale en matière de sécurité, à partir des engagements internationaux et européens auxquels la France a souscrit ».

Reste à s'interroger sur la forme que peut revêtir cette coopération dans le cadre européen, ainsi que sur l'adaptation des structures de la police à cette démarche nouvelle.

A. L'INDISPENSABLE ARTICULATION ENTRE LE DISPOSITIF SCHENGEN ET LE 3ÈME PILIER DE L `UNION EUROPÉENNE

Sans retracer en détail des mécanismes qu'il a largement examinés par ailleurs -notamment en janvier 1996 dans son rapport au Premier ministre sur la convention d'application de l'Accord de Schengen- votre rapporteur ne croit pas inutile de rappeler qu'en ce domaine, deux politiques européennes de sécurité intérieure s'opposent : d'un côté, la gestion de ces problèmes dans le cadre de la Commission européenne et selon les mécanismes de décision communautaire, de l'autre une gestion en coopération interétatique qui s'opère à l'heure actuelle dans le cadre de la Convention de Schengen et des accords subséquents.


• Cette discussion, loin d'être purement théorique, pourrait au contraire constituer un des principaux enjeux de la Conférence intergouvernementale de révision du traité sur l'Union européenne, sans doute moins médiatique que la monnaie unique, mais tout aussi essentiel.

Les décisions, en ce domaine, sont d'autant plus fondamentales qu'elles touchent de très près au fonctionnement des États et qu'elles ont des répercussions très profondes dans les opinions publiques. La sécurité intérieure est intimement liée aux traditions nationales.

Les Parlements nationaux ne sauraient être tenus à l'écart de ce processus, car ils seront les premiers comptables des résultats obtenus.


• A l'heure actuelle, la gestion au plan européen des problèmes de sécurité intérieure est beaucoup trop éclatée pour pouvoir être cohérente.

Sans entrer dans le détail, une des difficultés principales réside dans le fait que plusieurs domaines couverts par la Convention de Schengen -qui s'applique entre sept États- recouvrent ou recoupent des domaines relevant quant à eux du troisième pilier de l'Union européenne, c'est-à-dire du traité de Maastricht qui s'applique à quinze pays.

C'est ainsi, par exemple, que la politique commune des visas mise en oeuvre dans le cadre de Schengen ne se superpose pas exactement à la politique communautaire des visas définie en application de l'article 100 C du Traité de Maastricht, au point que la liste des pays soumis à l'obligation de visa dans l'espace communautaire diffère de la liste fixée pour l'espace Schengen.

Les politiques de l'asile et de l'immigration sont pareillement partagées entre les deux traités.

A cet imbroglio juridique en amont s'ajoutent en aval les difficultés techniques résultant de la grande disparité des structures policières d'un État à l'autre.


Pour tenter d'unifier les politiques de sécurité intérieure au plan européen, certains préconisent la communautarisation au moins partielle du troisième pilier, ce qui reviendrait à déterminer cette politique, non plus par accord unanime des États, mais selon les règles de décision prévues par la législation communautaire.

Cette position, avancée par la Commission de Bruxelles, soutenue dans une certaine mesure par le Parlement européen et défendue par plusieurs États comme les Pays-Bas, aurait sans doute sur le plan théorique le mérite de remédier à certaines incohérences. Mais en pratique, elle déposséderait totalement les États d'une responsabilité qui leur incombe au premier chef car ils en sont directement responsables auprès de leurs opinions publiques.


• Aussi, à moins de s'en tenir au partage actuel qui est loin d'être satisfaisant, une solution de compromis consisterait à « transférer progressivement Schengen dans le troisième pilier », tout en évitant la communautarisation de celui-ci.

Ainsi, les acquis incontestables de Schengen seraient préservés et étendus aux quinze États de l'Union européenne, une fois que tous auraient mis leur propre législation en conformité aux exigences de la Convention. Le Comité exécutif de Schengen serait lui-même intégré au Conseil des Ministres « justice et affaires intérieures » et chargé de contrôler la mise en oeuvre du nouveau dispositif.

Il serait de même logique d'y intégrer EUROPOL, de façon à doter cette nouvelle structure d'une véritable substance.

B. LA POLICE NATIONALE, PARTIE PRENANTE À L'EUROPE DE LA SÉCURITÉ, DOIT DISPOSER DE CAPACITÉS SUFFISANTES DE COOPÉRATION POLICIÈRE INTERNATIONALE

Quelles que soient les options qui seront finalement prises, il semble d'ores et déjà indispensable de renforcer les capacités de la police à mieux intégrer la nouvelle donne européenne.

A titre personnel, votre rapporteur estime qu'une impulsion au plus haut niveau devrait être assurée par une unité de conception et d'exécution. Il a déjà émis plusieurs propositions concrètes à ce sujet, notamment la nomination d'un secrétaire d'État rattaché au ministre de l'Intérieur en charge des questions européennes et la création au sein du ministère de l'Intérieur d'une direction des Affaires européennes.

Pour s'en tenir à sa mission budgétaire, votre rapporteur pour avis s'est à plusieurs reprises interrogé sur les attributions exactes du service de coopération technique internationale de la police (SCTIP) dans le dispositif de coopération policière européenne.

Ce service, créé en 1961 et placé sous l'autorité du directeur général de la police nationale, avait initialement été conçu comme une structure légère, principalement axée sur la coopération policière avec les États africains francophones. Or, ses capacités n'avaient pas évolué au rythme de ses tâches et ne lui avaient pas permis de s'adapter à la dimension européenne de la coopération policière internationale.

Pour remédier à cette lacune, la loi d'orientation et de programmation a placé le SCTIP parmi les services dont il est « indispensable de procéder à la modernisation ».

Réorganisé par un arrêté du 1er septembre 1994, le SCTIP comporte désormais une sous-direction des affaires européennes et de la coopération institutionnelle.

Il s'est vu confier la préparation des arrangements administratifs et des accords de Gouvernement en matière de coopération policière bilatérale, ainsi que la préparation et le suivi de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (du 1er au 30 juin 1995) en matière de coopération policière.

Selon une note du ministère de l'Intérieur, la sous-direction des Affaires européennes et de la coopération institutionnelle du SCTIP assure désormais pour l'ensemble des directions et services de la police nationale les liaisons avec les services homologues des États-membres de l'Union européenne (à l'exclusion des liaisons opérationnelles). De même, cette sous-direction est « chef de file » des délégations françaises dans plusieurs groupes et sous-groupes de travail dans le cadre de Schengen.

Il conviendra, le moment venu, de vérifier si ces changements ont accru les capacités de la police pour lui permettre d'accompagner efficacement le développement de la coopération internationale en matière de sécurité intérieure.

En l'état, ils reflètent une meilleure prise de conscience et constituent un premier pas appréciable dans la rationalisation de l'action internationale du ministère de l'Intérieur.

CONCLUSION

Le budget de la police pour 1997 n'est pas épargné par le mouvement général de réduction des dépenses publiques.

Pour autant, la politique de sécurité du Gouvernement est globalement satisfaisante. Elle peut se prévaloir de résultats positifs : la lutte contre l'immigration irrégulière a gagné en efficacité et les chiffres de la délinquance ont diminué depuis 1995, même si le sentiment d'insécurité continue d'être entretenu par une délinquance de proximité qui, elle, augmente.

L'exécution de la loi d'orientation sera sans doute allongée d'une année ou deux mais s'agissant d'un texte de programmation pluriannuelle, ce retard n'a rien d'irrémédiable pour peu que des efforts suffisants soient consentis au cours des exercices suivants.

Pour le moment, la Police nationale est engagée dans une réforme profonde qui va dans le bon sens, car elle tend au décloisonnement et à une plus grande souplesse des structures policières.

Dans le même temps, des défis majeurs restent à relever pour préserver et renforcer la sécurité publique : la lutte contre la drogue, en particulier, la sécurité au quotidien, la prévention de la délinquance des mineurs, etc... Ces secteurs doivent mobiliser toutes les énergies.

D'autre part, l'efficacité de l'action policière doit être prolongée, en aval, par une adaptation et un meilleur rendement de l'appareil judiciaire. Lui aussi doit être doté de structures, d'effectifs et de moyens à la hauteur de ses missions.

Enfin, face à une criminalité qui se joue des frontières, la politique de sécurité impose de développer la coopération policière internationale, au plan européen notamment.

Car la sécurité publique ne se résume pas à la seule activité de la Police nationale : elle exige une approche d'ensemble, lucide et moderne.

En l'état, votre commission des Lois a approuvé la politique de sécurité du Gouvernement, telle qu'elle est traduite dans ce budget.

Aussi a-t-elle émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la police inscrits dans le projet de loi de finances pour 1997.

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