2. L'armée de terre particulièrement concernée par la réforme du service national

Tous les aspects de la réforme du service national affectent particulièrement l'armée de terre, qu'il s'agisse de la gestion de la ressource appelée pendant la période de transition, de l'appel de préparation à la défense, dont l'organisation pèse au premier chef sur les forces terrestres, ou du volontariat.

a) La conduite de la transition altérée par les nouveaux reports d'incorporation

De manière générale, la loi n° 97-1019 portant réforme du service national a assoupli les conditions d'attribution de reports d'incorporation :

- en cessant de subordonner à l'obtention d'un brevet de préparation militaire ou de préparation militaire supérieure le report de l'article L. 5 bis (attribué aux étudiants jusqu'à 25 ou 26 ans ) ;

- en créant une nouvelle catégorie de reports d'incorporation , destinée aux jeunes gens titulaires d'un contrat de travail.

En ce qui concerne les titulaires d'un CDI (disposition applicable depuis mars 1998), la durée de ces reports est de deux années, le report étant renouvelable. Un report attribué en 1998 peut donc permettre à l'intéressé d'échapper de facto à toute incorporation , l'extinction totale du service national obligatoire étant prévue pour 2002.

S'agissant des CDD (disposition applicable à partir de décembre 1998), le report expire avec le contrat de travail : il ne vise donc qu'à permettre au bénéficiaire de mener à bien ses obligations professionnelles. En revanche, l'application de la disposition relative aux CDD n'est possible que pour les jeunes gens incorporables à partir du ler décembre 1998.

A ce jour, l'application de la loi n° 97-1019 s'est traduite par :

- une augmentation importante , dès 1997, de la proportion des reports accordés, pour études ou formation professionnelle, au titre de l'article L. 5 bis, jusqu'à 25 ans (+ 26 % par rapport à l'année précédente) et 26 ans (+ 10,5 % par rapport à l'année précédente) : il paraît désormais établi que les jeunes gens incorporables prolongent au maximum les reports d'incorporation auxquels ils peuvent prétendre 10( * ) ;

- 8 033 demandes de reports au titre d'un CDI, au cours du premier semestre de 1998, 322 reports ayant été à ce jour refusés par les commissions régionales de dispense, le nombre de reports officiellement accordés étant de 4 869, compte tenu des demandes en instance lors de l'élaboration de ces statistiques.

L'incidence de la loi portant réforme du service national sur le nombre de reports d'incorporation ne pourra être réellement appréciée qu'à la lumière des données relatives à l'ensemble de l'année 1998.

Il convient néanmoins de rappeler l'importance des reports "de droit commun", pour étude ou pour formation professionnelle, par rapport aux reports attribués au titre d'un CDI, qui demeurent à ce jour en nombre plus limité. Les reports pour étude ont concerné, en 1997, 783 644 jeunes gens entre 19 et 22 ans , et 201 316 jeunes gens dans la tranche d'âge 23-26 ans , soit, compte tenu des 3 203 reports attribués pour études médicales, un total de 988 163 sursitaires en 1997 . Ces différents reports se sont trouvés à l'origine d'un déficit en appelés, qui a atteint, pour la seule armée de terre, jusqu'à 10 000 conscrits en août 1998 (soit un déficit de 12 %), ce qui a conduit celle-ci à demander à bénéficier d'une surincorporation pendant les derniers mois de 1998.

En effet, le schéma de la transition des forces terrestres vers l'armée professionnalisée avait été fondé sur l'hypothèse d'un effectif régulièrement décroissant d'appelés , permettant de conduire les réformes et la contraction du format de manière équilibrée.

Il n'est pas exclu que ce déficit en appelés altère le fonctionnement des unités de l'armée de terre , en provoquant la mise en sommeil des unités élémentaires de certains régiments 11( * ) .

Cette gestion très délicate des effectifs militaires, semble néanmoins plus directement liée à la libéralisation des conditions d'obtention de report pour études qu'aux possibilités désormais accordées par la loi aux jeunes gens titulaires d'un emploi.

b) L'armée de terre et l'appel de préparation à la défense
(1) L'APD, un élément contestable du nouveau service national

Organisé pour la première fois le samedi 3 octobre 1998, l'appel de préparation à la défense constitue, avec le recensement, le second volet obligatoire du nouveau service national, complété, sur une base volontaire , par des préparations militaires et, le cas échéant, par un volontariat dans les armées ou la gendarmerie, ainsi que par un engagement dans les forces de réserve.

L'appel de préparation à la défense vise à compléter l'enseignement désormais sensé être dispensé dans les collèges et les lycées sur l'organisation de la défense nationale et de la défense européenne, en application de la loi n° 97-1019 portant réforme du service national. L'APD se déroule sur une courte journée (de 8 h 30 à 17 h). Il doit contribuer à la refondation de l'esprit de défense et du lien armées-nation dans le contexte issu de la professionnalisation.

Votre rapporteur rappellera brièvement ici les réserves formulées à l'occasion de l'examen du projet de loi portant réforme du service national. Ces réserves tiennent, d'une part, principalement à l' absence de réelle ambition de l'APD par rapport au projet de rendez-vous citoyen. Le programme de l'appel de préparation à la défense (reproduit en annexe au présent rapport) est très éclairant sur ce point, et permet de douter de la possibilité, en trois heures et demie (car telle sera, de facto , la durée de l'APD) de conférences-débats, auxquelles s'ajoute un film de vingt minutes , de sensibiliser véritablement la jeunesse d'aujourd'hui à un sujet aussi grave et complexe que la défense.

Les réserves de votre rapporteur tiennent aussi à un volet social notoirement insuffisant . En effet, la seule contribution de l'APD à la lutte contre l'exclusion consistera en un test destiné à détecter l'illettrisme, alors que le rendez-vous citoyen visait aussi un bilan de santé complet.

Il est probable que le taux élevé de satisfaction enregistré à l'issue de la journée du 3 octobre (86,5 % des jeunes gens se sont déclarés très satisfaits ou satisfaits) tient plus à la brièveté de cette obligation par rapport au service national obligatoire de douze, puis dix mois, qu'à la nature même de l'APD.

Enfin, il peut paraître irréaliste de prétendre susciter des vocations militaires (que cette vocation s'exprime par un engagement dans les forces professionnelles ou dans les réserves, ou par un volontariat) dès l'âge de seize ans, âge auquel les jeunes sont tenus de participer à l'APD, soit deux ans avant l'âge minimum requis pour s'engager ou pour souscrire un volontariat.

(2) Une contribution encore disproportionnée de l'armée de terre à l'appel de préparation à la défense

Quelque 800 000 jeunes gens et jeunes filles (celles-ci seront soumises à l'obligation de se rendre à l'appel de préparation à la défense à partir de 2000) rempliront chaque année la nouvelle obligation que constitue l'APD. Il s'agit d'un effectif considérable, qui impose, compte tenu du nombre des quelque 35 sessions qui se tiendront chaque année, une organisation rigoureuse.

Celle-ci relèvera de la Direction du service national , érigée dès 1999 en direction autonome du Ministère de la défense, alors qu'elle est encore actuellement rattachée à l'armée de terre.

La Direction du service national consacrera 144 millions de francs, soit 76 % de son budget de fonctionnement, qui s'élèvera à 189 millions de francs en 1999, à l'organisation de l'APD.

La répartition de ce budget entre les différents contributeurs souligne l' importance de la part dévolue à l'armée de terre. Celle-ci financera, en effet, 52 % du budget de fonctionnement de la Direction du service national , soit une proportion nettement plus considérable que l'armée de l'air (14,8 %), la Marine (13,2 %), la gendarmerie (12 %) et que la DGA (7,4 %).

Les effectifs de la Direction du service national appellent une remarque similaire. En effet, sur 6 885 personnels affectés à cette direction en 1998, 4 091 (soit 59,4 %) sont des personnels militaires de l'armée de terre. La proportion s'élève à 91 %, soit un total de 6 282, si l'on intègre les personnels civils mis à disposition par l'armée de terre. Celle-ci a affecté, en 1998, 434 officiers et 1 808 sous-officiers à la DSN .

Une répartition plus harmonieuse entre les trois armées et la gendarmerie est néanmoins fort opportunément prévue d'ici 2002, date à laquelle les effectifs de la Direction du service national devraient être réduits à 3 910 agents civils et militaires.

La disproportion constatée aux dépens de l'armée de terre restera néanmoins forte en 1999 , en dépit de la déflation des effectifs de la DSN. En effet, sur les 6 065 personnels de la Direction du service national prévus en 1999, 3 542, soit 58,4 %, seront des personnels militaires de l'armée de terre, la part de celle-ci s'élevant à 94 % si l'on inclut les personnels civils mis à disposition par l'armée de terre.

ÉVOLUTION DES EFFECTIFS DE LA DIRECTION DU SERVICE NATIONAL PAR ARMÉE ET CATÉGORIE DE PERSONNEL (1998-1999)

 
 

MILITAIRES

CIVILS

TOTAL

Année

Armée

Officiers

Sous-officiers

Appelés

E.V.

TOTAL

 
 
 
 

supérieurs

subalternes

supérieurs

subalternes

 
 
 
 
 
 

TERRE

136

298

953

855

1807

42

4091

2191

6282

 

AIR

2

10

31

11

274

 

328

0

328

1998

MER

 

2

6

3

49

 

60

0

60

 

GEND

 
 

9

 

16

 

25

0

25

 

SANTE

36

28

2

 

124

 

190

0

190

 

TOTAL

174

338

1001

869

2270

42

4694

2191

6885

 

TERRE

111

241

846

756

1537

51

3542

2180

5722

 

AIR

2

6

17

9

143

 

177

0

177

1999

MER

1

2

4

2

31

 

40

0

40

 

GEND

1

1

5

1

13

 

21

0

21

 

SANTE

20

17

1

 

67

 

105

0

105

 

TOTAL

135

267

873

768

1791

51

3885

2180

6065

Cette disproportion aux dépens de l'armée de terre pouvait s'expliquer, sous le régime du service national obligatoire, par le fait que l'armée de terre était la première armée "consommatrice" d'appelés : il paraissait dès lors logique qu'elle participe au premier chef à la gestion de cette ressource.

La suspension de la conscription met fin à cette logique . En effet, l'APD a, entre autres vocations, celle d' encourager les engagements dans les armées et la gendarmerie et, notamment, d'encourager la souscription de volontariats militaires. Cette journée d'obligation est donc susceptible de bénéficier aux trois armées et à la gendarmerie, et non à l'armée de terre au premier chef . Plus encore, si l'on considère que les effectifs de volontaires dans l'armée de terre seront limités à 5 500 postes en 2002 , soit nettement moins que les 16 233 volontaires de la gendarmerie , il paraît encore plus contestable de faire reposer le coût et la gestion du système sur cette armée dont les ressources, par ailleurs très sollicitées pendant la difficile période de transition, doivent être consacrées à des objectifs opérationnels.

c) Le volontariat : une assimilation contestable aux emplois-jeunes

Le futur volontariat dans les armées induira pour le budget de la défense un coût sensiblement plus élevé que les volontariats définis par le projet de loi présenté par le précédent gouvernement.

En effet, au lieu des 2 000 francs d'indemnité mensuelle initialement prévus dans une logique de service à la collectivité impliquant une rémunération de niveau modeste, la loi n° 97-1019 du 28 octobre 1997, assimilant les volontaires à des militaires professionnels, a établi une solde d'un niveau comparable à celui du SMIC , complétée par des avantages en nature (alimentation, transport, logement). Dans le même esprit, la loi portant réforme du service national a autorisé l'attribution de grades aux volontaires, ce qui n'est pas sans conséquences sur le niveau des rémunérations et sur la dotation budgétaire qui leur est consacrée. Ainsi le montant de la solde de base variera-t-il entre 4 363 francs par mois pour un soldat et 5 164 francs par mois pour un aspirant.

Rappelons que, selon cette loi, les volontaires peuvent souscrire un contrat de douze mois renouvelable dans la limite de soixante mois, soit cinq ans. Les emplois qui leur seront proposés seront très diversifiés, et relèveront, selon les cas, d'emplois d'exécution ou d'emplois de cadres.

Les 1 361 postes de volontaires qui seront créés en 1999 dans l'armée de terre ( parmi lesquels 26 volontaires seront mis à disposition du Premier ministre, soit un effectif réel de 1 335 postes) pourraient être répartis entre 100 aspirants, 295 sous-officiers et 966 militaires du rang. Votre rapporteur estime qu'une plus forte proportion de militaires du rang parmi les volontaires aurait permis l'ouverture d'un plus grand nombre de postes en 1999.

Tel qu'il est conçu, le dispositif du volontariat suscite les deux critiques suivantes :

- D'une part, on perçoit mal l'intérêt présenté par le volontariat, si les volontaires sont assimilés, sur les plans du statut et de la solde, aux militaires professionnels (et, plus particulièrement, aux militaires du rang engagés), ayant vocation à rester plus longtemps sous les drapeaux. Votre rapporteur regrette, pour sa part, que l'esprit de quasi bénévolat qui caractérisait le premier projet de loi n'ait pas été retenu. En faisant du volontariat dans les armées le volet militaire des emplois-jeunes , selon une analogie choquante et inadéquate , le Gouvernement a fait du volontariat un service rendu par la collectivité -en l'occurrence les armées- aux jeunes , alors que la logique du volontariat, héritier, même lointain, du service national, aurait dû demeurer celle d'un service rendu par les jeunes à la collectivité, susceptible de s'accommoder d'une indemnité plus modeste que la rémunération finalement retenue.

- D'autre part, l'assimilation des futurs volontaires aux militaires professionnels induira des coûts non négligeables en matière de reconversion . En effet, la loi du 28 octobre 1997 a étendu aux volontaires le bénéfice du dispositif de reconversion prévu pour les militaires à partir de quatre années de service sous les drapeaux et, plus particulièrement, le bénéfice du congé de reconversion de six mois .

Ainsi les volontaires ayant souscrit un contrat pour une cinquième année seront-ils habilités à effectuer un stage de reconversion de six mois, sous statut militaire, pesant sur le titre III des armées. Cette faculté revient aussi, de surcroît, à faire peser sur les effectifs soldés par les armées des personnels qui ne feront pas partie, pendant leur stage de reconversion, des effectifs opérationnels.

Votre rapporteur demeure convaincu qu'il aurait été préférable de limiter la durée du service susceptible d'être effectué par des volontaires, afin de réserver le bénéfice du dispositif de reconversion aux militaires véritablement professionnels .

*

* *

Ce bilan de la professionnalisation à mi-parcours de la programmation fait donc apparaître certaines vulnérabilités , qui tiennent à une trop lente montée en puissance des effectifs civils , et aux hypothèses contestables sur lesquelles a été fondée la réforme du service national . Si, par ailleurs, l'évolution du corps des officiers et des sous-officiers peut susciter un certain optimisme, en revanche l'armée de terre reste à ce jour confrontée à deux défis majeurs , qui tiennent, l'un, à la nécessité de réussir le recrutement d'un effectif important de militaires du rang engagés , une fois disparu le vivier du service national obligatoire, et l'autre, au pari que constitue la féminisation d'une armée désormais conçue pour la projection.

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