II. LE PROJET DE LOI : CONCILIER L'OUVERTURE DU MARCHÉ ET LE MAINTIEN D'UN ENCADREMENT DES VENTES VOLONTAIRES AUX ENCHÈRES PUBLIQUES

Le projet de loi qui nous est soumis tente de concilier deux objectifs contradictoires : d'une part, réaliser l'ouverture du marché des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, et, d'autre part, garantir la sécurité et la transparence des opérations en conservant un encadrement de ces ventes.

En effet, bien que la réforme libéralise les ventes publiques, notamment en supprimant le monopole dont bénéficiaient les commissaires-priseurs, le projet de loi ne remet pas en cause le principe affirmé par le premier alinéa de l'article premier de la loi du 25 juin 1841 selon lequel " nul ne peut faire des enchères publiques un procédé habituel de l'exercice de son commerce ".

Ce choix a été opéré dès les travaux de la commission présidée par M. Jean Léonnet. En refusant de conférer à la vente volontaire de meubles aux enchères publiques le caractère d'acte de commerce, le projet de loi maintient la spécificité du système français.

Votre commission a approuvé l'économie générale du projet de loi qui constitue une étape nécessaire de la modernisation du marché de l'art.

Néanmoins, elle a souhaité, dans le souci de conférer à ses acteurs les moyens nécessaires pour affronter leurs concurrents, remédier aux ambiguïtés résultant de la difficile conciliation opérée par le projet de loi entre l'impératif de libéralisation du marché et celui du maintien d'un encadrement juridique rigoureux de ce procédé de vente.

S'attachant à dégager les principales modifications introduites par le projet de loi, votre rapporteur analysera successivement les dispositions présidant  à la nouvelle organisation professionnelle des ventes volontaires de meubles aux enchères puis celles qui visent à moderniser les techniques de ventes publiques.

A. LA NOUVELLE ORGANISATION DES VENTES VOLONTAIRES DE MEUBLES AUX ENCHÈRES PUBLIQUES

1. La suppression du monopole des commissaires-priseurs

L'article 2 du projet de loi modifie profondément les modalités d'exercice de l'activité de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Jusqu'ici, le monopole en était réservé par la loi du 27 ventôse an IX aux commissaires-priseurs qui pouvaient également procéder à des ventes judiciaires, dont la réglementation n'est pas modifiée par le projet de loi.

En effet, les commissaires-priseurs qui souhaitent continuer à procéder à des ventes judiciaires prennent le titre de commissaire-priseur judiciaire. Ces derniers pourront néanmoins exercer une activité de ventes volontaires au sein de sociétés de ventes, à la différence des huissiers et des notaires qui ne réaliseront de telles ventes que dans le cadre de leurs offices. L'indemnisation ne portera donc que sur le seul secteur des ventes volontaires.

L'activité des ventes judiciaires dans l'activité totale des commissaires-priseurs est très variable, la moyenne nationale qui s'établit entre 20 % et 30 % selon les chiffres communiqués par les compagnies n'étant guère représentative. En effet, la part des ventes judiciaires est plus importante pour les offices de province que pour les offices parisiens spécialisés dans les ventes volontaires pour lesquels elles ne représentent qu'une part marginale de l'activité.

L'article 2 du projet de loi précise que les ventes seront réalisées par des sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques. Votre commission considère que le projet de loi procède sur ce point à une évolution nécessaire tant au regard des exigences imposées par le traité de Rome en matière de libre établissement qu'au regard des impératifs économiques évoqués plus haut.

Ces sociétés auront une forme commerciale mais un objet civil, les ventes volontaires aux enchères publiques demeurant régies par le droit civil. Néanmoins, le projet de loi ne pose aucune règle concernant le montant des fonds propres de ces sociétés ou encore leur forme sociale. Il pourra donc s'agir aussi bien d'une société cotée en bourse que d'une société unipersonnelle.

Afin de permettre aux commissaires-priseurs de s'adapter à la nouvelle réglementation, le projet de loi prévoit que les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques pourront être faites concurremment par eux et par les sociétés de ventes, pendant une période transitoire de deux ans à compter de l'entrée en vigueur de la loi.

Cependant, votre commission observe que cette disposition transitoire ne règle pas entièrement les difficultés auxquelles seront inévitablement confrontés les commissaires-priseurs pour s'adapter à la réforme.

En effet, maintenus jusqu'ici dans l'incertitude sur son issue et placés dans l'impossibilité de s'y conformer par avance, une fois la loi et les décrets d'application publiés, ces derniers devront, avant de solliciter auprès du conseil des ventes leur agrément, modifier profondément leurs structures d'exercice et, éventuellement, faire appel à des capitaux extérieurs, phase qui dans la plupart des cas sera relativement longue et générera des dépenses importantes, alors que leurs concurrents européens, en particulier, les filiales des sociétés anglo-saxonnes, bénéficieront d'une capacité d'adaptation plus grande dans la mesure où elles n'auront pas, en quelque sorte, à " solder le passé ".

Cette difficulté sera accentuée par le fait que l'indemnisation sera versée, aux termes de l'article 41, dans un délai de douze mois suivant le dépôt de la demande. Votre commission ne peut qu'attirer l'attention du gouvernement sur la nécessité de publier dans les délais les plus brefs, une fois la loi adoptée, les décrets d'application.

2. Le maintien d'une réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques

Si l'article 2 confie l'organisation et la réalisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques à des sociétés de ventes, il précise également que l'activité de ces dernières demeure " réglementée ".

Il importe, à ce titre, de souligner que l'objet même de ces sociétés, défini à l'article 3, ne diffère guère de la définition donnée par l'article premier de l'ordonnance du 1 er novembre 1945 de la profession de commissaire-priseur. En effet, le projet de loi limite leur objet à l'estimation des biens mobiliers et à la réalisation des ventes volontaires aux enchères publiques dans les conditions fixées par la loi.

Par ailleurs, ces sociétés devront pour exercer cette activité, être agréées par le conseil des ventes volontaires des meubles aux enchères. Afin d'obtenir l'agrément, les sociétés doivent, aux termes de l'article 4, présenter des garanties suffisantes, notamment en ce qui concerne leur organisation, leurs moyens techniques et financiers, l'honorabilité et l'expérience de leurs dirigeants.

Soumises à la même obligation d'assurance que les commissaires-priseurs dans l'actuelle réglementation, ces sociétés de ventes devront, en outre, quelles que soient leur dimension économique ou leur forme, désigner un commissaire aux comptes (article 5).

Jusqu'ici, le tarif des commissaires-priseurs était déterminé par le décret n° 85-382 du 29 mars 1985 qui avait été modifié en 1993 afin de substituer pour les ventes volontaires au tarif dégressif un tarif linéaire de 9 % sur l'acheteur. Ce tarif était sensiblement inférieur à celui pratiqué à l'étranger. Les nouvelles sociétés de ventes seront libres de fixer leurs commissions à l'achat ou à la vente et de les moduler en fonction de préoccupations commerciales, notamment celle de réduire les frais pesant sur le vendeur comme le font leurs concurrents.

Le projet de loi consacre, en outre, le caractère spécifique de l'acte d'adjudication , en ne remettant pas en cause le rôle des commissaires-priseurs en matière de réalisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.

Sur ce point, la discussion était permise. Le choix du gouvernement a été dicté par le souci légitime d'assurer la sécurité des ventes, en garantissant les compétences de ceux qui y procéderont. Le projet de loi s'inspire de la législation allemande qui impose au versteigerer , homologue du commissaire-priseur français, d'être agréé par l'administration et de justifier de connaissances précises dans les domaines où il opérera.

L'article 7 pose, en effet, l'obligation pour les sociétés de ventes de compter parmi leurs dirigeants, leurs associés ou leurs salariés, au moins une personne remplissant les conditions requises pour exercer l'activité de commissaire-priseur ou titulaire d'un titre, d'un diplôme ou d'une habilitation reconnue comme équivalente, cette personne étant seule habilitée à procéder aux adjudications. De même, dans le cadre de la libre prestation de services, cette condition s'imposera au ressortissant d'un Etat membre de la Communauté européenne exerçant à titre occasionnel l'activité de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.

Ces dispositions ne peuvent être considérées comme le moyen de conserver dans les faits le monopole des commissaires-priseurs puisqu'il n'y aura plus de numerus clausus . Par ailleurs, elles ne sont pas contraires au droit communautaire dans la mesure où des équivalences de diplômes ou d'expérience professionnelle sont admises depuis le décret de 1992 avec les professionnels des Etats membres de la Communauté européenne.

Le projet de loi comporte des prescriptions qui, pour certaines, relevaient jusqu'ici de la liberté contractuelle des sociétés et qu'il aurait été envisageable, au nom du libéralisme, de ne pas faire figurer dans la loi. Il en est ainsi des articles 6 et 10.

Alors même que le projet de loi supprime la compétence territoriale qui était reconnue aux commissaires-priseurs par l'article 3 de l'ordonnance du 26 juin 1816 7( * ) , l'article 6 prévoit implicitement que les ventes devront se tenir dans un " lieu habituel ". Votre rapporteur considère que cette précision consacre la pratique habituelle suivie par les commissaires-priseurs, notamment en province, d'organiser les ventes et les expositions qui les précèdent dans des hôtels de vente, dont la disparition ne pourrait avoir que des conséquences dommageables sur l'animation culturelle locale.

Dans le souci d'assurer une meilleure information des consommateurs, l'article 10 précise que chaque vente donne lieu à une publicité " appropriée " ; les mentions devant y figurer obligatoirement seront précisées par décret, limitant ainsi la faculté donnée au vendeur et à son mandataire d'en déterminer les modalités. Il est permis de s'interroger sur la justification d'une telle disposition. Sans remettre en cause le principe de bon sens selon lequel une vente publique est une vente qui fait l'objet d'une publicité, votre commission vous proposera une rédaction moins formaliste de cette obligation.

3. Le régime de la libre prestation de services

Afin de se conformer aux dispositions de l'article 59 du traité de Rome, le chapitre II du projet de loi organise les modalités selon lesquelles un ressortissant d'un Etat membre de la Communauté européenne qui exerce cette activité dans son Etat d'origine à titre permanent peut exercer à titre occasionnel l'activité de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques sur le territoire national.

Le projet de loi prévoit un régime de déclaration auprès du conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, assortie de conditions.

On rappellera que la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes a admis qu'à défaut d'harmonisation des législations, ce qui est le cas pour les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, l'accès à certaines professions puisse être soumis, dans certains cas, à l'exigence de conditions.

En l'espèce, le projet de loi subordonne la liberté de prestation de services à une déclaration préalable à l'organisation de la première vente et au respect des conditions précisées à l'article 23. Outre l'obligation de disposer d'une personne habilitée à diriger les ventes évoquée plus haut, les ressortissants européens doivent apporter la preuve d'un établissement dans leur pays d'origine mais également des garanties de moralité professionnelle et personnelle.

Ce dispositif a l'avantage de mettre la réglementation des ventes publiques en conformité avec les dispositions du traité tout en maintenant la possibilité d'exercer un contrôle sur la qualification des prestataires de services, condition nécessaire à la sécurité des transactions .

4. Vers un statut des experts ?

La volonté du gouvernement de maintenir un encadrement relativement contraignant des ventes publiques est inspirée par le souci d'en assurer la fiabilité. Les dispositions du projet de loi relatives aux experts participent de la même préoccupation.

L'Observatoire des mouvements internationaux d'oeuvres d'art avait, dès 1992, souligné la nécessité d'organiser l'exercice de la profession d'expert.

L'analyse qui fondait cette proposition demeure pertinente aujourd'hui. En effet, en France, à l'exception des experts agréés par les tribunaux ou par la commission de conciliation et d'expertise douanière, aucune condition n'est mise à l'exercice de la profession d'expert. Une telle situation, si elle ne pose pas de difficultés pour les acteurs initiés aux subtilités du marché de l'art, n'est pas de nature à apporter aux consommateurs des garanties sur les compétences des professionnels auxquels recourent aujourd'hui les commissaires-priseurs et auxquels demain recourront vraisemblablement de plus en plus les sociétés de ventes.

Le projet de loi ne répond que partiellement à la nécessité, soulignée au demeurant par les experts eux-mêmes, de conférer à cette profession un statut législatif.

En effet, si le chapitre V consacré aux experts agréés comporte des dispositions intéressantes destinées à remédier aux errements constatés jusqu'à présent et sanctionnés par les tribunaux avec une sévérité croissante, il est apparu à votre commission nécessaire de les préciser.

Optant pour un système comparable à celui prévu par les experts judiciaires par la loi du 29 juin 1971, le projet de loi prévoit une procédure d'agrément, assortie d'obligations (contrôle disciplinaire, responsabilité solidaire avec le commissaire-priseur, obligation d'assurance, règles déontologiques).

Le projet de loi ne limite pas aux seules ventes volontaires le champ d'activité de ces experts agréés dans la mesure où les sociétés de ventes mais également les huissiers de justice, les notaires et les commissaires-priseurs judiciaires pourront y avoir recours. Néanmoins la rédaction retenue par le gouvernement, qui n'est pas dénuée d'ambiguïté, ne pose pas l'obligation de recourir à ces experts agréés à l'exclusion de tous autres. Ainsi, coexisteront donc deux catégories d'experts , l'une regroupant les experts agréés par le conseil des ventes et la seconde, les experts n'ayant pas sollicité ou obtenu l'agrément, catégories soumises à des obligations professionnelles et à des régimes de responsabilité différents.

En effet, l'activité des experts agréés dont le titre sera protégé est inscrite par le projet de loi dans un cadre contraignant de nature à assurer la sécurité et la transparence des transactions. Ils sont tenus de contracter une assurance garantissant leur responsabilité professionnelle et sont solidairement responsables avec l'organisateur de la vente (article 30). Avec le souci légitime de veiller à la déontologie de cette profession, l'article 34 précise qu'un expert agréé ne peut estimer, ni mettre en vente un bien lui appartenant ni se porter acquéreur directement ou indirectement d'un bien au cours d'une vente aux enchères publiques à laquelle il apporte son concours.

Votre rapporteur s'est longuement interrogé sur la pertinence du dispositif retenu par le projet de loi. En effet, quel est l'intérêt d'élaborer un statut de l'expert s'il n'est pas fait obligation de recourir à des experts présentant les qualités requises pour être agréés ?

Votre rapporteur n'a pas souhaité modifier le projet de loi pour retenir la solution d'un statut uniforme des experts auxquels les sociétés de ventes, les huissiers, les notaires et les commissaires-priseurs judiciaires auraient l'obligation de recourir.

Plusieurs raisons expliquent cette position.

Il s'agit en premier lieu d'une considération d'opportunité. Il importe d'éviter que dans certains cas où les objets mis en vente exigent une expertise très spécialisée, l'obligation de recourir à un expert agréé ne prive en fait l'organisateur de la vente de la possibilité de se faire assister d'un expert. En effet, la faculté de recourir à des experts non agréés peut s'avérer nécessaire pour les ventes exigeant le recours à des professionnels spécialistes de disciplines très spécifiques et peu communes, à des non-professionnels ou encore à des marchands peu désireux de solliciter auprès du conseil des ventes un agrément.

Par ailleurs, le " monopole " qui serait en fait reconnu aux experts agréés ne correspond guère à la philosophie d'ensemble du projet de loi qui tend à libéraliser le marché des ventes aux enchères. Il repose sur l'idée d'un exercice libéral de la profession qui s'accorde mal à ce que sera le fonctionnement des futures sociétés de ventes. En effet, il est fort probable que comme les maisons anglo-saxonnes, celles-ci recourent à des experts salariés, pour lesquels le système d'agrément ne paraît pas adapté. Enfin, un tel statut ne paraît pas conforme aux principes du droit européen, et en particulier au principe de libre prestation de services !

Cependant, considérant que l'existence d'un statut de l'expert constituait une condition déterminante de la fiabilité du marché de l'art français, votre commission vous proposera de renforcer et préciser le dispositif proposé par le projet de loi :

- en prévoyant que les critères d'octroi de l'agrément seront déterminés, à l'instar de ce qui est prévu pour les experts judiciaires par un décret, afin d'encadrer en ce domaine le pouvoir d'appréciation du conseil des ventes ;

- en limitant la responsabilité solidaire des experts aux actes relevant de leur activité ; il est apparu abusif de prévoir une responsabilité solidaire des experts et de l'organisateur de la vente, y compris pour des modalités de la vente qui ne relèvent pas de la compétence des experts : organisation de la vente, délivrance du bien par exemple ;

- et en renforçant la représentation des experts agréés au sein du conseil des ventes compétent pour délivrer les agréments. L'article 18 prévoit la présence d'un seul expert parmi les cinq représentants des professionnels. Votre commission a porté le nombre d'experts agréés siégeant au sein du conseil à deux. Le rôle croissant que seront appelés à jouer les experts dans les ventes publiques notamment du fait de la limitation du rôle du commissaire-priseur à l'acte d'adjudication comme les compétences du conseil en matière d'agrément des experts justifient à l'évidence cet accroissement de leur représentation.

5. Le conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.

Le projet de loi confie la régulation du secteur des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques à une nouvelle institution : le conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.

L'ouverture du marché à des sociétés de ventes exigeait la création d'une nouvelle autorité de contrôle, se substituant à la fois au garde des sceaux jusqu'ici compétent " pour toute création, tout transfert ou suppression d'un office de commissaire-priseur " (article 1 er -1 de l'ordonnance du 26 juin 1816 qui établit, en exécution de la loi du 28 avril 1816, des commisseurs-priseurs) et aux chambres de discipline des compagnies de commissaires-priseurs.

• Le conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques que le projet de loi dote de la personnalité morale se voit reconnaître deux attributions principales .

En premier lieu, il régule l'accès à la profession . Il est chargé d'agréer les sociétés de ventes lors de leur création ainsi que les experts (articles 4 et 28). Par ailleurs, il reçoit les déclarations des ressortissants communautaires exerçant leur activité à titre occasionnel en France dans le cadre de la libre prestation de services (article 21).

En second lieu, le projet de loi lui reconnaît un pouvoir disciplinaire à l'égard des différents acteurs du marché : sociétés de ventes, experts agréés, personnes habilitées à diriger les ventes et ressortissants communautaires exerçant à titre occasionnel en France (article 19).

Sa composition laisse une place assez large aux représentants de l'Etat.

Sur les onze membres qui le composent, il comprend : un président nommé par décret sur proposition du ministre de la justice, cinq personnalités qualifiées désignées respectivement par les ministres chargés de la justice, de l'économie et des finances, de la culture, de l'intérieur et du commerce et, enfin, seulement cinq représentants des professionnels.

Par ailleurs, un magistrat du parquet sera désigné pour exercer les fonctions de commissaire du gouvernement auprès du conseil.

D'après les informations recueillies par votre rapporteur, il est vraisemblable que les " personnes qualifiées " désignées par les différents ministres seront des fonctionnaires dont la vocation sera de les représenter, rôle qui incombe plutôt au commissaire du gouvernement.

Ce déséquilibre entre représentants de l'Etat et représentants des professionnels n'est guère conforme à la libéralisation de l'activité de ventes volontaires aux enchères publiques opérée par le projet de loi. Par ailleurs, elle n'est pas de nature à garantir l'indépendance de ce nouvel organe de régulation.

Afin de répondre au souci de renforcer l'indépendance de ce nouvel organe de régulation, votre commission vous proposera un amendement modifiant sa composition.

La désignation des personnalités qualifiées serait confiée au seul garde des Sceaux. Cette procédure qui répond, par ailleurs, à un souci d'efficacité et qui n'interdit pas au garde des Sceaux de consulter les autres ministres intéressés, sera certainement de nature à assurer une diversification des personnalités ainsi désignées. Votre rapporteur considère comme souhaitable que soient nommées de réelles " personnalités qualifiées " indépendantes à la fois du gouvernement et des professionnels.

Par ailleurs, la représentation des professionnels serait renforcée. Votre commission a souhaité porter à six leur nombre, en adjoignant un second expert agréé au collège des professionnels et préciser qu'ils seront élus.

Enfin, pour permettre au conseil de prétendre à une réelle indépendance, la désignation de son président ne serait plus confiée au garde des Sceaux mais au conseil lui-même à qui il reviendrait de l'élire parmi ses membres.

B. LES TECHNIQUES DE VENTES VOLONTAIRES DE MEUBLES AUX ENCHÈRES PUBLIQUES

1. Les techniques de vente

Afin de permettre aux acteurs du marché français de rivaliser efficacement avec leurs concurrents internationaux, le projet de loi autorise de nouvelles modalités de vente qui, pour certaines d'entre elles, étaient fréquemment pratiquées à l'étranger mais jusqu'ici prohibées en France.

Ce souci est apparu légitime à votre commission consciente de la nécessité d'aligner les pratiques commerciales des futures sociétés de ventes sur celles auxquelles ont recours les sociétés étrangères les plus prestigieuses pour leur permettre d'attirer la clientèle française et étrangère.

Cependant, le projet de loi encadre rigoureusement ces nouvelles possibilités .

Les sociétés de ventes ne sont pas des commerçants . Sur ce point, comme nous l'avons souligné plus haut, le projet de loi définit l'objet des sociétés de vente en des termes comparables à ceux de l'ordonnance de 1945. L'article 3 précise que les sociétés de ventes agissent comme " mandataires du vendeur " et ne " sont pas habilitées à acheter ou à vendre directement pour leur propre compte des biens meubles proposés à la vente publique ". L'interdiction de servir d'intermédiaire pour des ventes amiables, posée par l'article premier de l'ordonnance de 1945, si elle n'est pas énoncée par le projet de loi, découle de la définition même qu'il donne de l'objet des sociétés de ventes volontaires.

La transposition des techniques de vente des sociétés anglo-saxonnes aux sociétés de ventes françaises n'est donc dans ce cadre guère aisée et aboutit à des dispositifs que votre commission a jugé inutilement complexes.

Par ailleurs, il est loisible de s'interroger sur la validité de la démarche adoptée par le gouvernement qui consiste à tenter de suivre les méthodes anglo-saxonnes alors même que celles-ci évoluent très rapidement.

Ainsi, on soulignera que Christie's, certes contrôlée désormais par le groupe Pinault, a annoncé la création à New York d'un département consacré aux ventes privées qui consacre, une nouvelle fois, la tendance des sociétés anglo-saxonnes à se comporter comme des marchands privés, soit après des enchères infructueuses, ce qui sera désormais possible en France, soit lorsque leurs clients réclament une plus grande discrétion, ce qui demeurera prohibé par la loi en France.

La " vente après la vente "

L'article 8 du projet de loi ouvre aux sociétés de ventes la possibilité de réaliser ce qui est communément désigné comme des " ventes après la vente ". Dans un délai de huit jours à compter de la vente, le vendeur pourra, par l'intermédiaire de la société, vendre de gré à gré les biens déclarés non adjugés à l'issue des enchères. Afin d'éviter que cette vente puisse être assimilée à une nouvelle vente publique, le projet de loi précise qu'elle ne peut être précédée d'aucune exposition ni publicité et ne sera conclue qu'à un prix égal ou supérieur à celui de la dernière enchère. Votre commission a considéré que cette exception au principe selon lequel les sociétés de ventes ne peuvent servir d'intermédiaires à des ventes amiables était légitime sinon nécessaire pour assurer la compétitivité des sociétés de ventes françaises. Elle a simplement souhaité étendre cette possibilité aux cas fréquents dans la pratique de retraits de la vente du fait de l'absence d'enchères.

Le prix minimal d'adjudication

Le possibilité offerte aux sociétés de ventes de garantir un prix minimal d'adjudication au vendeur poursuit le même objectif. Le mécanisme en est simple : à défaut d'adjudication du bien, celui qui en garantit le prix en devient adjudicataire au prix convenu.

Néanmoins, le souci du gouvernement d'ouvrir cette possibilité sans créer une exception au principe d'interdiction de l'achat pour la revente aboutit à un dispositif complexe dont on voit mal comment il pourrait trouver à s'appliquer dans la pratique.

En effet, aux termes de l'article 11, cette garantie ne pourra être accordée que si la société de ventes a passé avec un organisme d'assurance ou un établissement de crédit un contrat aux termes duquel celui-ci devient adjudicataire du bien si le montant du prix garanti n'est pas atteint lors de la vente aux enchères. Le projet de loi précise que la société de ventes ne devra détenir aucune participation dans l'établissement ou l'organisme concerné.

Un tel dispositif n'est pas de nature à accorder un véritable avantage commercial aux sociétés de ventes françaises.

Il est peu probable que des banques ou des compagnies d'assurance puissent être intéressés par de tels contrats. En effet, les objets ainsi acquis devront être par la suite vendus, ce qui ne correspond pas à la vocation de ces établissements, ou bien conservés, alors qu'ils constituent à l'évidence un actif peu liquide dont la valeur est sujette aux aléas du marché.

Ce dispositif a été considéré par certains comme nécessaire afin d'éviter que les sociétés de ventes ne prennent des risques inconsidérés en consentant seules de telles facilités. Cet argument ne peut être retenu car il dénie par avance aux sociétés de ventes une responsabilité comparable à celle reconnue habituellement aux sociétés commerciales. Votre commission vous proposera de le simplifier.

Les avances sur le prix d'adjudication

L'article 12 du projet de loi prévoit que les sociétés de ventes pourront accorder des avances sur le prix d'adjudication , pratique à laquelle -il importe de le souligner- les maisons de ventes anglo-saxonnes n'ont recours qu'avec parcimonie. Le projet de loi encadre cette faculté, qui n'est autre qu'un argument commercial, dans un régime que votre commission considère comme trop rigide et donc comme inadapté à la réactivité qu'exige le marché de l'art de ses acteurs. Le projet de loi limite le montant de ces avances à 40 % de l'estimation et impose à la société de ventes de garantir cette avance auprès d'un organisme d'assurance ou un établissement de crédit dans laquelle la société de ventes ne devra pas détenir de participation.

Cette dernière précision qui figure également à l'article 11 souligne le caractère pénalisant de ces dispositifs. En effet, cette rédaction n'empêchera pas les filiales françaises de Sotheby's et de Christie's de réaliser ce type d'opérations avec les banques de leur groupe, filiales comme elles de la société holding, mais pourra interdire à des sociétés françaises de contracter avec des banques ou des compagnies d'assurance françaises auxquelles elles sont liées. L'excès de précautions dont s'entourent ces dispositifs revient en l'espèce à supprimer l'atout commercial qu'ils sont censés représenter. Votre commission a souhaité, à l'instar de ce qu'elle a proposé à l'article 12, en simplifier l'économie, dans le souci de donner aux sociétés françaises un moyen réel de rivaliser avec leurs concurrents.

• Si elle a souhaité mieux prendre en compte les données réelles de la concurrence, votre commission n'a pas pour autant remis en cause la nécessité d'assurer la transparence des transactions. Cet objectif apparaît particulièrement légitime dans le domaine du marché de l'art sur lequel coexistent des opérateurs initiés aux règles spécifiques qui le régissent - professionnels et collectionneurs - et un public moins averti. A ce titre, elle a souhaité, au troisième alinéa de l'article 8 relatif à la " vente après la vente " que le dernier enchérisseur soit informé de la possibilité d'un achat à l'amiable, afin d'éviter qu'il ne soit " dépossédé de son enchère " si un tiers achète le bien à un montant égal à celle-ci. Par ailleurs, elle considère comme opportun de préciser dans la loi que si le bien a été estimé, le prix de réserve ne peut être supérieur à l'estimation la plus basse portée à la connaissance du public. De même, il semble pertinent de prévoir que le prix d'adjudication garanti ne puisse être supérieur à l'estimation.

• Enfin, dans le souci de tenir compte de l'évolution des modalités de vente, votre commission tient enfin à prendre en compte le développement des ventes aux enchères par Internet .

Alors qu'au cours des dernières années les moyens utilisés pour porter les enchères ont pu évoluer sans pour autant modifier les conditions de conclusion de la vente, le développement d'Internet est aujourd'hui susceptible d'introduire une mutation sans précédent. Il est désormais possible de réaliser des ventes publiques entièrement électroniques. Jusqu'à présent, ces ventes pouvaient être considérées, dans la majorité des cas, comme des ventes privées dans la mesure où leurs organisateurs subordonnaient la participation aux enchères à la souscription d'un abonnement. Aujourd'hui, on assiste à un développement de services d'enchères en ligne dont l'accès n'est soumis à aucune condition. La question se pose donc de savoir quelle réglementation sera applicable à de telles ventes lorsqu'elles seront organisées par des prestataires de services établis en France. Faut-il considérer que du fait des difficultés de contrôle et de possibilités de contournement de la législation, il faut renoncer à vouloir légiférer pour de telles ventes ? Votre commission ne le pense pas.

La proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certains aspects du commerce électronique dans le marché intérieur transmise au Parlement dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution (n° E-1210) précise dans son article 9 que " les Etats membres veillent à ce que leur législation rende possibles les contrats par voie électronique ". A cette fin, les " Etats (...) s'assurent (...) que le régime juridique applicable au processus contractuel n'empêche pas l'utilisation effective des contrats par voie électronique ". Par ailleurs, elle tend très légitimement à dissiper l'incertitude liée à la détermination du pays compétent pour contrôler ces nouveaux types de services, en optant pour le contrôle par le pays d'établissement du prestataire, au sens où l'entend la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.

Si la proposition de directive traite de la question du droit applicable pour contrôler l'activité du prestataire de services, il importe de souligner qu'elle n'a pas pour objet d'établir des règles spécifiques de droit international privé relatives aux conflits de lois susceptibles de se substituer à la convention de la Haye du 15 juin 1955 et à la convention de Rome du 19 juin 1980.

Votre commission a considéré qu'il n'y avait guère d'hésitations à soumettre aux dispositions prévues par le projet de loi les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques organisées par des prestataires établis en France.

Certes, cela ne permet pas en tout état de cause de remédier à l'insécurité juridique engendrée par le développement des ventes aux enchères par Internet organisées par des sociétés établies hors de France.

Cependant, prévoir expressément que les ventes volontaires aux enchères publiques par Internet organisées par des prestataires de services établis en France obéissent à la même législation que les ventes réalisées selon des procédés traditionnels présente plusieurs avantages.

Un telle disposition protège les sociétés de ventes d'une concurrence déloyale de la part des services en ligne si ces derniers échappaient en France à toute réglementation contraignante.

Par ailleurs, elle ouvre explicitement la possibilité aux sociétés de ventes de recourir à ce procédé. L'article 6 du projet de loi imposant aux sociétés de ventes de tenir leurs ventes dans un " lieu " introduisait sur ce point une incertitude que votre commission a souhaité dissiper. Compte tenu des initiatives prises par les sociétés de ventes étrangères, il importe de ne pas prendre de retard. La maison d'enchères américaine Sotheby's, qui a déjà réalisé une vente de livres et de manuscrits en juillet 1998 sur Internet, a annoncé son intention de lancer dès l'été prochain un réseau de ventes aux enchères par Internet auquel seront associés des négociants d'art.

2. Les délais de prescription

La prescription des actions engagées à l'occasion des ventes volontaires est dans le droit actuel trentenaire. Il en est de même pour les ventes judiciaires.

Présentée par certains comme une garantie offerte par le droit français de nature à accroître la fiabilité de notre marché, ce délai est souvent considéré comme excessif à une époque où les situations personnelles et patrimoniales des individus, comme le contexte économique et social, évoluent plus rapidement qu'autrefois.

L'article 27 prévoit une exception à ce principe, en précisant que " les actions en responsabilité civile engagées à l'occasion des prisées et des ventes volontaires et judiciaires de meubles aux enchères publiques se prescrivent par dix ans ".

Cette disposition aura pour effet d'uniformiser les délais de prescription de l'ensemble des actions en responsabilité civile. On rappellera que les actions en responsabilité extra - contractuelle, c'est-à-dire celles mettant en cause la responsabilité du commissaire-priseur ou de l'expert à l'égard de l'acheteur, se prescrivent depuis la modification de l'article 2270-1 du code civil par la loi du 5 juillet 1985 par dix ans à compter de la manifestation du dommage.

Le projet de loi s'inscrit dans la tendance de la législation qui va désormais dans le sens d'un raccourcissement des délais de prescription. A la suite d'interventions législatives successives, le domaine de la prescription trentenaire s'est, en effet, singulièrement rétréci.

Ainsi, diverses dispositions législatives prévoient pour des types donnés d'opérations juridiques une prescription décennale. Sont ainsi prescrites les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants mais aussi entre ceux-ci et les non commerçants (article 189 bis du code du commerce) ainsi que les actions en responsabilité contractuelle contre les locataires d'ouvrages, architectes, entrepreneurs, promoteurs... pour ce qu'il est convenu d'appeler le gros oeuvre. Certaines prescriptions sont plus courtes, qu'il s'agisse de prescriptions quinquennales, triennales ou biennales.

Votre commission a considéré que, sur ce point, le projet de loi allait dans le bon sens, la solution retenue présentant néanmoins des inconvénients auxquels il importait de remédier.

En effet, l'article 27 n'abrège le délai de prescription que pour les actions en responsabilité civile. Or, le contentieux des ventes de meubles aux enchères publiques génère, en matière civile, des actions en responsabilité civile mais également des actions en annulation de vente pour vice de consentement et des actions mixtes où l'annulation de la vente est poursuivie tandis que la responsabilité civile professionnelle des commissaires-priseurs et des experts est concurremment recherchée.

Or ces actions ne sont pas soumises aux mêmes règles de prescription.

Les délais comme leurs modalités de computation diffèrent. Ainsi, les actions en annulation de la vente se prescrivent par trente ans pour les cas de nullité absolue ou dans les cas -beaucoup plus fréquents dans la pratique- d'actions engagées sur le fondement de l'erreur par cinq ans à compter de la découverte de l'erreur.

Ainsi, dans l'hypothèse de la découverte de l'erreur peu de temps après la vente, pourrait-on imaginer des actions en responsabilité civile alors même que la vente ne peut plus être annulée sur le fondement de l'erreur. De même, dans le cas de découverte de l'erreur à la fin du délai de dix ans prévu pour les actions en responsabilité civile ou postérieurement à son expiration, subsisterait la possibilité d'une action en annulation de vente introduite par l'acquéreur ou le vendeur qui ne disposeraient cependant plus d'aucun recours contre les professionnels. La diversité des règles applicables en matière de prescription, d'une grande complexité pour le consommateur non averti, n'est donc guère de nature à améliorer la sécurité des situations juridiques.

Au regard de ces considérations, votre commission a souhaité que la prescription décennale concerne l'ensemble des actions engagées à l'occasion d'une vente volontaire ou judiciaire de meubles aux enchères publiques.

Cette solution qui se rapproche de celle retenue pour les commerçants répond au souci de clarifier et de simplifier les règles applicables ; elle est, par ailleurs, adaptée à l'évolution du contentieux lié au marché de l'art ; en matière de ventes volontaires, l'essentiel des actions est désormais introduit moins de dix ans après les transactions.

Par ailleurs, la prescription, même réduite à une durée de dix ans à compter du jour de l'adjudication, demeure une garantie substantielle offerte aux acheteurs et aux vendeurs par le marché français. Il importe en effet de rappeler que les maisons de ventes internationales ont une conception très restrictive de leurs responsabilités comme en témoignent leurs conditions générales de ventes.

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