EXAMEN DES ARTICLES
TITRE
PREMIER
DISPOSITIONS RENFORÇANT LA PROTECTION
DE LA
PRÉSOMPTION D'INNOCENCE
CHAPITRE IV
DISPOSITIONS RELATIVES À LA COMMUNICATION
Article 22
(Art. 226-30-1 nouveau du code
pénal)
Interdiction de publier l'image d'une personne portant
des menottes
et de réaliser ou diffuser un sondage sur la
culpabilité
d'une personne mise en cause
I.
Commentaire du texte du projet de loi
Le dispositif de l'article 22 du projet de loi est inspiré par deux des
neuf propositions présentées, en ce qui concerne le respect de la
présomption d'innocence par la presse, dans le rapport de la commission
de réflexion sur la justice, présidée par M. Pierre
Truche : "
l'article 803 du code de procédure
pénale, qui fixe limitativement les cas d'usage des menottes et
entraves, doit être strictement appliqué. Lorsqu'il est recouru
à cette contrainte, les services doivent veiller strictement à ne
pas exposer la personne concernée aux regards. La publication, par
quelque moyen que ce soit, de l'image d'une telle situation contraire à
la dignité doit être prohibée à peine de sanction
pénale. "
" La commission préconise l'interdiction des sondages sur la
culpabilité ou sur les sanctions. "
Il convient d'analyser la traduction législative de chacune de ces
propositions avant d'évoquer les modalités et les
conséquences de leur insertion dans le code pénal.
•
L'interdiction de publier l'image d'une personne portant des
menottes ou entraves
Les éléments constitutifs de ce nouveau délit, puni d'une
amende de 100 000 francs, sont :
-
la diffusion d'une image
L'existence d'une publicité est nécessaire à la
constitution du délit. Le projet de loi utilise la notion de diffusion,
peu présente dans la loi de 1881 ou dans les textes du code pénal
définissant des délits commis par la presse. La loi de 1881 exige
en effet dans la plupart des cas une publication, "
par le livre, la
presse, la radiodiffusion, le cinématographe ou de quelque
manière
que ce soit
" (cf. art. 39 bis à
39 ter), ou se contente d'exiger une publication sans autre
précision (cf. art. 29 et 38).
Notons aussi que l'article 39 de la même loi interdit simplement de
" rendre compte "
des procès en diffamation. En
matière de provocation aux crimes et délits (art. 23 et 24), de
même qu'en matière d'offense au Président de la
République (art. 26) et en matière de diffamation et d'injures
publiques (art. 30, 31, 32, 33), la loi de 1881 présente une liste
détaillée des modes de publicité nécessaires
à la constitution du délit. L'élément commun
à l'ensemble de ces textes est le caractère volontaire de la
publicité, ce qui exclut de l'incrimination les cas où une ou
plusieurs personnes prendraient fortuitement connaissance d'une information non
destinée à la publication.
La notion de diffusion apparaît dans l'article 39 quinquies de la loi du
29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui interdit
" la
publication et la diffusion "
d'informations comportant des moyens
d'identifier la victime d'un viol ou d'un attentat à la pudeur, ainsi
que dans l'article 27 qui sanctionne
" la publication, la
diffusion "
ou la reproduction de fausses nouvelles et de
pièces fabriquées.
Dans ce dernier cas, le terme " diffusion " a été
ajouté au texte existant par l'ordonnance du 6 mai 1944 afin de
permettre l'engagement de poursuites contre les agences d'information qui
diffuseraient volontairement de fausses nouvelles.
Il est très improbable que les rédacteurs du projet de loi aient
entendu limiter aux agences d'information l'application du nouvel article
226-3-1 du code pénal. Peut-être leur choix est-il explicable par
le fait que le monde des médias est désormais largement sous
l'emprise de la communication audiovisuelle, dont le régime juridique
fait abondamment appel à la notion de diffusion. Il y aurait alors
imprégnation du droit pénal ou du droit de la presse par le droit
de la communication audiovisuelle.
Quoi qu'il en soit, la notion de diffusion retenue dans l'article 22 du projet
de loi est manifestement équivalente à celle de publication dans
le chapitre IV de la loi de 1881.
La publicité exigée par l'article 22 du projet de loi a lieu
" de quelque manière que ce soit et quel qu'en soit le
support "
. On a vu ci-dessus que la formule
" de quelque
manière que ce soit "
est utilisée dans plusieurs
articles de la loi de 1881. Elle fait entrer l'ensemble des
procédés de communication, y compris internet (hors les cas
où les informations transmises par le " web " ont le
caractère d'une correspondance privée), dans le champ
d'application du nouvel article 226-30-1 du code pénal.
La formule
" quel qu'en soit le support "
apparaît quant
à elle redondante dans la mesure où elle n'étend ni ne
restreint le champ d'application dessiné par celle qui le
précède dans ce texte, la notion de support évoquant non
pas la forme ou la nature du message, mais son mode de diffusion.
On peut rappeler à cet égard que l'article 23 de la loi de 1881
fait référence aux
" supports de l'écrit, de la
parole ou de l'image "
. Seuls les supports de l'image, quels qu'ils
soient, y compris les supports numériques, sont visés ici.
-
la représentation d'une personne identifiée ou
identifiable
Seule l'image entre dans le champ d'application du nouvel article 226-30-1
du code pénal. La presse pourra donc informer ses lecteurs par tout
autre moyen, la parole ou l'écrit, que telle personne mise en cause
à l'occasion d'une procédure pénale a été
soumise au port de menottes ou d'entraves. Si en outre la personne n'est ni
identifiée, ni identifiable (par les commentaires ou les renseignements
accompagnant l'image diffusée), le nouvel article 226-30-1 ne sera pas
applicable.
-
une mise en cause à l'occasion d'une procédure
pénale, avant l'intervention d'une condamnation
Le projet de loi accorde le bénéfice des dispositions du nouvel
article 226-30-1 aux personnes mises en cause et non encore
condamnées. Ainsi, dès la première condamnation, non
définitive, la diffusion d'images de personnes entravées ou
menottées deviendra licite.
L'article 22 s'inscrit ainsi dans la perspective d'une protection de la
présomption d'innocence comprise de façon étroite, qui
disparaît dès le prononcé d'une première
condamnation. On notera par ailleurs que l'expression
" n'ayant pas
encore
fait l'objet d'un jugement de condamnation "
semble
trahir chez les rédacteurs du projet de loi une certaine absence
d'illusion sur la destinée du présumé innocent !
-
la mise en évidence du port de menottes ou d'entraves
Le projet de loi interdit la diffusion d'images d'une personne,
" faisant apparaître que cette personne porte des menottes ou
entraves "
. La diffusion d'images de personnes portant des menottes ou
entraves n'est donc pas directement interdite, à condition que celles-ci
n' " apparaissent " pas.
Il n'est pas impossible d'exclure que des organes de presse se retranchent
derrière cette formule compliquée pour contourner l'intention du
législateur, en utilisant par exemple des procédés
techniques, tels que le " floutage " des menottes, permettant
d'avancer l'idée que l'image diffusée ne fait pas
" apparaître " le port de menottes ou d'entraves, qu'il est
simplement possible de deviner.
Tels sont les principaux éléments constitutifs du nouveau
délit.
On notera qu'il correspond à une préoccupation ancienne du
législateur et du pouvoir réglementaire, puisque la loi du
4 janvier 1993 a inséré dans le code de procédure
pénale un article 803 disposant que nul n'est soumis au port de
menottes ou d'entraves que s'il est considéré comme dangereux
pour autrui ou lui-même, ou susceptible de tenter de s'enfuir ;
comme le montre aussi la circulaire du 1
er
mars 1993 qui invite
à prendre toutes mesures utiles pour empêcher qu'une personne
escortée ou entravée ne fasse l'objet de photographies ou
d'enregistrement cinématographique ou audiovisuel. Il est
intéressant de relever que ces deux textes ne font aucune distinction
entre les personnes mises en cause et les personnes condamnées.
L'inefficacité de ces dispositions a été récemment
mis en évidence par la diffusion d'images d'un guide de haute montagne
menotté et "
tenu en laisse par des escorteurs
hilares
", pour reprendre l'expression utilisée par le garde
des Sceaux devant l'Assemblée nationale, lors de la discussion du projet
de loi (JO AN 1999, n° 27, p. 2935). Tous les témoignages des
praticiens de l'institution judiciaire montrent par ailleurs que le port des
menottes n'a cessé de progresser depuis de nombreuses années sans
que des raisons objectives expliquent cette évolution des pratiques
contraire à l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen.
A défaut d'obtenir des services de police et de gendarmerie une
application scrupuleuse de la circulaire de 1993, et de traiter ainsi à
la racine le mal que le garde des Sceaux déplorait à juste titre,
le gouvernement cherche à en effacer les symptômes. On peut y voir
un aveu d'impuissance doublé d'une hypocrisie, car ce n'est pas la
presse qui commet en la matière l'atteinte initiale à la
présomption d'innocence et à la dignité de la personne.
Il apparaît cependant que le passage à des pratiques plus
circonspectes en matière de port de menottes ou d'entraves étant
manifestement aléatoire, l'article 22 du projet de loi propose à
juste titre un dispositif susceptible d'atténuer certaines
conséquences particulièrement perverses des pratiques en cause.
•
L'interdiction de réaliser ou de diffuser un sondage
sur la culpabilité
Les éléments constitutifs de ce délit, puni comme le
précédent d'une amende de 100 000 francs, sont :
-
la réalisation ou la diffusion de sondage d'opinion
Comme précédemment et sans plus de justification, la notion de
diffusion a été préférée à celle de
publication par les rédacteurs du projet de loi. Le fait
générateur du délit peut être en outre la
réalisation d'un sondage, même en l'absence de toute publication.
Rappelons à cet égard que la loi de 1881 ne sanctionne que la
publication de certaines informations, et non leur production, et, en ce qui
concerne les sondages, que la loi n° 77-808 du 19 juillet 1977
ne réglemente que la publication et la diffusion de certains sondages
d'opinion, et non leur réalisation, qui reste libre.
Il semble opportun de compléter le texte du projet de loi en interdisant
de rendre compte des sondages d'opinion, cette solution étant conforme
à la logique du régime juridique de la presse (cf. art. 39 de la
loi de 1881 qui interdit de rendre compte des procès en diffamation dans
les cas où la preuve de la vérité des faits diffamatoires
n'est pas autorisée).
Quant à la notion de sondage, il n'apparaît pas qu'elle couvre
l'ensemble des pratiques susceptibles de porter atteinte à la
présomption d'innocence. Les consultations du public
réalisées sans le souci, au moins affiché, de rigueur
scientifique qui caractérise les sondages d'opinion, sont tout aussi
préjudiciables au respect de cette présomption, et doivent entrer
dans le champ d'application du projet de loi.
-
l'objet du sondage interdit
Dans la logique de la protection de la présomption d'innocence, le
projet de loi interdit les sondages portant sur la culpabilité d'une
personne mise en cause à l'occasion d'une procédure
pénale, ou sur la peine susceptible d'être prononcée. La
prononciation d'une condamnation met un terme à cette interdiction.
Tels sont les principaux éléments constitutifs de ce nouveau
délit.
L'infraction instituée par l'article 22 du projet de loi en
matière de sondages résulte sans doute, au delà de la
proposition du rapport Truche rappelée ci-dessus, du souvenir de graves
ingérences de la presse dans le déroulement de plusieurs
procédures judiciaires : un hebdomadaire n'est-il pas allé
jusqu'à mettre en place un serveur télématique demandant
à ses lecteurs de se prononcer sur la culpabilité d'un homme,
Richard Roman, qui avait bénéficié d'un non-lieu ? Il
y a actuellement en la matière un vide juridique que le projet de loi
tente de combler. L'article 434-24 du code pénal, qui réprime les
commentaires constituant des pressions sur la marche de la justice, ne permet
pas de sanctionner ce type d'initiative, dans la mesure où un
commentaire est nécessaire pour que le délit soit
constitué. Or il est clair qu'un sondage bien fait se suffit à
lui-même.
•
L'insertion dans le code pénal
Sous réserve de l'interdiction de réaliser des sondages
d'opinion, les infractions définies par l'article 22 du projet de loi
sont manifestement assimilables aux délits de presse de la loi de 1881.
Dans tous les cas, le principal élément constitutif du
délit est un fait de publication. Il aurait dès lors
été imaginable d'insérer ces dispositions dans le chapitre
IV de la loi de 1881, qui traite " des crimes et délits commis par
la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication ".
Le gouvernement a cependant choisi d'insérer les nouvelles infractions
dans une section 7 nouvelle, intitulée " de l'atteinte à la
réputation d'une personne mise en cause dans la procédure
judiciaire ", du chapitre VI, consacré aux atteintes à la
personnalité, du titre II du livre II du code pénal.
On observera que la nouvelle section 7 sera située après une
section 6 consacrée aux atteintes à la personne résultant
d'une étude ou d'une identification génétique de ses
caractéristiques. L'insertion après la section 2 traitant de
l'atteinte à la représentation de la personne aurait pu
être plus justifiée.
Mais ce sont surtout des critiques de fond, qu'appelle l'insertion dans le code
pénal des infractions instituées par l'article 22 du projet de
loi.
Il convient d'examiner cette question à partir de la distinction
traditionnelle entre les délits de presse à proprement parler,
définis par la loi de 1881, qui bénéficient d'un
régime juridique protecteur de la presse, et les délits
ordinaires commis par le moyen de la presse, définis par le code
pénal, soumis au droit pénal commun. Voyons successivement ces
deux points avant d'examiner la solution retenue par le projet de loi :
Les délits de presse de la loi de 1881
La loi du 29 juillet 1881 a organisé de façon très
restrictive la répression pénale des abus de la liberté de
publier.
Cela se manifeste dans quelques règles de fond, telles que celle qui
autorise à établir la vérité des faits
diffamatoires imputés à une personne dans un certain nombre de
cas, consacrant ainsi un droit de porter atteinte à la réputation
d'autrui, et telles que l'assimilation des délits de presse aux
infractions politiques, qui fait échapper les condamnés à
la contrainte par corps pour le paiement des amendes prononcées et des
frais de justice, et qui fait échapper les prévenus à des
condamnations assorties du sursis avec mise à l'épreuve.
L'organisation délibérément restrictive de la
répression pénale des délits de presse se manifeste
surtout dans les règles de procédure instituées par la loi
de 1881.
Il convient de citer notamment à cet égard la courte prescription
de trois mois, qui éteint aussi bien l'action publique que l'action
civile en matière de crimes, délits et contraventions de
presse ; l'obligation pour le parquet et la partie civile de citer les
textes qui fondent l'introduction d'une action et l'interdiction faite aux
juridictions de modifier une qualification erronée ; l'interdiction
de placer en détention provisoire les inculpés ayant une
résidence en France ; l'exclusion de la procédure de
comparution immédiate ; la limitation à quatre exemplaires
des saisies que le juge d'instruction peut ordonner.
Le parcours d'obstacles érigé par le législateur de 1881
afin de protéger les responsables des délits de presse contre des
poursuites trop fréquentes a comme contrepartie le système de
présomption de responsabilité en cascade institué par
l'article 42 de cette loi, qui prévoit la responsabilité
principale des directeurs de la publication ou éditeurs, et la
responsabilité subsidiaire des auteurs, imprimeurs, vendeurs,
distributeurs et afficheurs, de même que la mise en cause des auteurs
comme complices.
Ce régime dérogatoire intéresse aussi bien l'action
publique que l'action civile accessoire à l'action publique. Il est
d'autant plus protecteur de la liberté de l'information que la loi de
1881 pose le principe que seul le ministère public peut engager les
poursuites, ce qui empêche, sauf dans les cas expressément
énoncés dans le dernier alinéa de l'article 48, l'action
de la partie lésée par voie de plainte avec constitution de
partie civile ou par voie de citation directe. La partie lésée ne
peut provoquer des poursuites par ces moyens de procédure que dans les
cas d'injure, de diffamation, d'offense envers les chefs d'Etat
étrangers, de refus d'exercer le droit de réponse.
En dehors de ces cas, et dans l'hypothèse où le ministère
public aurait refusé d'engager des poursuites pénales, la partie
lésée peut toujours obtenir réparation sur le fondement de
l'article 3 du code de procédure pénale. Celui-ci dispose en
effet qu'une partie lésée par une infraction pénale peut
à son choix poursuivre la réparation de son préjudice soit
devant les tribunaux civils soit devant les tribunaux répressifs. La
partie lésée peut agir par la voie de l'action civile principale
devant les tribunaux d'instance ou de grande instance (sauf si le
préjudice allégué résulte d'imputations
diffamatoires à l'encontre des cours et tribunaux, armées, corps
constitués, administrations et fonctionnaires publics,
énumérés par les articles 30 et 31 de la loi de 1881, pour
lesquelles l'incompétence des tribunaux civils est absolue).
Jusqu'à récemment, cette action civile exercée
séparément de l'action publique comportait un certain nombre
d'avantages pour les parties lésées dans la mesure où elle
permettrait d'éviter certains aspects du formalisme propre à la
procédure pénale applicable aux délits de presse et les
pièges procéduraux qui en découlent.
En particulier, les actes introductifs d'instance devant le juge civil devaient
répondre aux seules exigences du droit commun de la procédure
civile. Le principal obstacle que le juge civil pouvait opposer aux parties
lésées était alors la prescription de 3 mois prévue
par l'article 65 de la loi de 1881.
Une jurisprudence de la Cour de cassation du 19 février 1997 applique
désormais à l'instance civile les formalités de
rédaction des citations exigées par l'article 53 de la loi de
1881. La voie de l'action civile principale perd donc progressivement les
avantages qu'elle offrait aux parties lésées. C'est ainsi que le
régime juridique des délits de presse acquiert une
cohérence de plus en plus forte fondée sur une protection
renforcée de la liberté de l'information.
Les délits commis par la presse sanctionnés par le droit
pénal commun
Le législateur a parfois encadré l'exercice de la liberté
de l'information en insérant dans le code pénal des infractions
dont la poursuite et la répression sont alors soumis au droit
pénal commun et affranchies des conditions dérogatoires
instituées par la loi de 1881. On peut citer l'outrage aux bonnes moeurs
commises notamment par la voie de la presse et du livre (art. 227-24 du
code pénal), l'atteinte à l'autorité de la justice
(art. 434-16 et 434-25 du code pénal), les atteintes à la
vie privée sanctionnées par les articles 226-1 à 226-7 du
code pénal.
Le dispositif du projet de loi
L'article 22 du projet de loi tempère certaines conséquences de
l'insertion dans le code pénal des deux délits qu'il
définit, en prévoyant expressément, lorsque ces
délits sont commis par la voie de la presse écrite ou
audiovisuelle, que
" les dispositions particulières des lois qui
régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la
prescription et la détermination des personnes responsables "
.
Les conséquences qui découlent de la combinaison de ces
différentes dispositions sont les suivantes :
- les parties lésées pourront déclencher les poursuites
pénales en déposant une plainte avec constitution de partie
civile ou par voie de citation directe devant le juge pénal ;
- les actes introductifs d'instance n'auront pas à satisfaire aux
conditions de forme définies par les articles 50 et 53 de la loi de
1881 ;
- la prescription de trois mois instituée par l'article 65 de la loi de
1881 s'appliquera aux seuls délits commis par la presse écrite et
la presse audiovisuelle, mais pas à ceux résultant de la
publication de livres ni à ceux commis par des services
télématiques, si ceux-ci ne sont pas assimilables à des
publications de presse au sens de l'article 1
er
de la loi du
1
er
août 1986, qui donne cette qualification aux services mis
à la disposition du public et " paraissant à intervalles
réguliers ".
Notons à cet égard l'imprécision de la notion de presse
audiovisuelle utilisée par le projet de loi, encore que l'expression
figure à plusieurs reprises dans le code pénal (cf. articles
223-15, 226-8, 227-24, 227-28, 431-4, 434-25).
Cette notion couvre sans doute les journaux télévisés.
S'applique-t-elle aux magazines d'information diffusés à
intervalles réguliers ? Comment distinguer ces magazines des
autres ? Les délits commis éventuellement dans d'autres
émissions, de variété par exemple, abordant à
l'occasion le terrain de l'information tombent-ils dans le champ d'application
de l'article 22 du projet de loi ?
- le régime de responsabilité en cascade institué par les
articles 42 et 43 de la loi de 1881 sera applicable seulement quand les
délits concernés seront commis par la voie de presse
écrite.
En ce qui concerne la presse audiovisuelle, un régime de
responsabilité inspiré de celui des articles 42 et 43 de la loi
de 1881 a été institué par l'article 93-3 de la loi du 29
juillet 1982 pour les délits de presse énumérés au
chapitre IV de la loi de 1881. C'est ce texte qui s'appliquera. En revanche,
les délits commis par le livre seront soumis au régime de droit
commun de la responsabilité civile ou pénale.
L'impression générale qui résulte de la
récapitulation qui précède est que l'intégration
dans le code pénal des délits institués par l'article 22
du projet de loi devrait faciliter l'engagement de poursuites en cas de
violation de ces dispositions. Les principaux éléments du
régime dérogatoire du droit pénal de la presse sont
préservés, mais l'abandon du cadre emblématique de la loi
de 1881 traduit une méfiance à l'égard de la presse et
implique l'abandon de l'idéal de libéralisme politique qui a
conduit le législateur de 1881 à accorder un statut
privilégié à la liberté d'expression. On peut
craindre que cet abandon, que confirme d'autres dispositions du projet de loi,
comme on le verra par la suite, ne conduise à terme la jurisprudence
à considérer obsolète, en dehors d'un nombre limité
de cas, le système dérogatoire mis en place en 1881.
En revanche, l'intérêt de l'inscription dans le code pénal
est assez symbolique pour les parties lésées : ils pourront
certes engager plus facilement une action pénale, mais la voie de
l'action civile leur permet dans tous les cas d'obtenir réparation dans
des conditions qui restent dans une certaine mesure plus favorables que celles
qu'offre le recours à la juridiction pénale.
II. Position de l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a adopté à cet article trois
amendements afin de :
- corriger une erreur de rédaction du premier alinéa ;
- modifier l'intitulé de la nouvelle section 7 du chapitre VI du titre
II du livre II du code pénal en mentionnant
" l'atteinte
à la dignité "
à côté de l'atteinte
à la réputation d'une personne mise en cause dans une
procédure judiciaire.
III. Position de la commission
Votre commission a adopté un
amendement
proposant une nouvelle
rédaction de cet article et qui répond à des
préoccupations de forme et de fond.
1°)
Quant à la forme
, cet amendement a pour objet :
•
d'inscrire les dispositions proposées dans la loi de
1881
: la définition de délits dont un
élément constitutif essentiel est la publication d'une
information a en effet mieux sa place dans cette loi, qui définit la
liberté de publication et réprime l'abus de cette liberté,
que dans le code pénal ; en outre, les nouveaux délits
prévus par cet article ont tout naturellement vocation à
être répertoriés parmi les "
crimes et
délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de
publication
" réprimés par le chapitre IV de la loi de
1881.
• de préciser leur rédaction et de l'harmoniser avec celle
de la loi de 1881 en se référant à la notion de
publication plutôt que de diffusion.
• d'alléger le texte :
- ainsi, comme on l'a dit, la référence au " support ",
qui évoque un moyen de diffusion, paraît redondante ;
- de même, il n'est sans doute pas indispensable de préciser que
la publication prohibée est celle de l'image d'une " personne mise
en cause à l'occasion d'une poursuite pénale ", d'autant que
cette notion n'a aucune signification précise ;
- enfin, ce sont des raisons de fond autant que de forme qui exigent que l'on
supprime la référence malheureuse faite par le texte à une
personne qui n'a pas "
encore
" été
condamnée : il serait en effet fâcheux que la loi donne
l'exemple de l'ignorance de la présomption d'innocence...
2°)
Quant au fond
, votre commission a jugé nécessaire
de préciser et de compléter la définition des
délits institués par cet article :
• En premier lieu, il est apparu à votre commission que le fait
de montrer une image révélant qu'une personne a été
placée en détention provisoire peut porter une atteinte aussi
grave à la présomption de son innocence et à sa
dignité que le fait de la montrer portant des menottes.
En outre, la recherche et la publication de telles images -dont on a eu tout
récemment un exemple aussi éclatant qu'inadmissible- participent
à l'évidence davantage des pires excès de la presse
" à sensation " que du souci de l'information des citoyens.
Votre commission vous propose donc d'étendre la sanction
prévue à la publication de l'image d'une personne n'ayant pas
fait l'objet d'une condamnation et qui fait apparaître que cette personne
est placée en détention.
• En ce qui concerne les dispositions de l'article relatives aux
sondages, votre commission a estimé, pour les raisons déjà
exposées, qu'il fallait interdire, aussi bien que la diffusion -ou,
selon la terminologie qu'a préférée votre commission, la
publication,
le commentaire
d'un sondage prohibé.
Il faut également éviter que les sondages interdits ne soient
remplacés par d'autres formes de consultation du public qui, pour
n'avoir pas la même ambition scientifique, peuvent avoir des effets aussi
désastreux sur la présomption d'innocence et la réputation
des personnes visées. Il convient donc de prohiber la publication de
toute forme de consultation de membres du public, que ces consultations
prennent la forme des " micros-trottoir " dont la presse
télévisée a fâcheusement tendance à abuser,
ou d'invitations à exprimer une opinion par courrier des lecteurs, par
téléphone, par minitel ou sur un site Internet.
Enfin, l'expérience a prouvé, dans le cas de l'application de la
loi sur les sondages électoraux, que l'interdiction de publier ou de
commenter certains sondages laissait la possibilité à la presse
écrite ou audiovisuelle de publier les références des
journaux ou des sites Internet étrangers où étaient
publiés ces sondages. C'est pourquoi votre commission vous propose
d'interdire également
la publication de données permettant
d'accéder aux résultats de sondages
ou de consultations
portant sur la culpabilité d'une personne présumée
innocente ou sur la peine qui pourrait lui être appliquée.
Article 22 bis
(Art. 803 du code de procédure
pénale)
Photographie ou enregistrement
audiovisuel
des personnes menottées ou entravées
I.
Position de l'Assemblée nationale
Cet article additionnel inséré par l'Assemblée nationale
reprend des dispositions qui figuraient à l'article 25 du texte initial
du projet de loi. Il ajoute à l'article 803 du code de procédure
pénale - qui précise comme on l'a vu précédemment
les conditions dans lesquelles peut être imposé le port de
menottes ou d'entraves - un alinéa imposant aux services chargés
de l'escorte de personnes menottées ou entravées de prendre
" toutes mesures utiles "
pour éviter que ces personnes
soient photographiées ou filmées.
L'article 22 bis du projet de loi donne en fait valeur législative
à une circulaire du 1
er
mars 1993 dont les dispositions sont
identiques.
Une telle promotion dans la hiérarchie des normes peut n'être pas
sans conséquences. En effet, quand la circulaire n'est opposable qu'aux
services de police ou de gendarmerie et les incite à la
discrétion quand celle-ci est matériellement possible, on ne peut
exclure que la loi soit interprétée comme permettant des
initiatives beaucoup plus restrictives pour la liberté de la presse,
telles que la saisie de pellicules photographiques, ou l'établissement
de cordons de police restreignant la liberté de circuler.
La seule limite expressément imposée par l'article 22 bis
nouveau pour le choix des mesures à prendre est le respect des exigences
de sécurité.
On notera par ailleurs que l'article 22 bis nouveau ne met que les
personnes non condamnées à l'abri de la diffusion de leur image
avec menottes.
II. Position de la commission
Comme on l'a déjà souligné, les dispositions de cet
article additionnel pourraient n'avoir pas pour effet d'inciter les forces de
l'ordre à un usage plus circonspect des menottes mais bien de justifier
des atteintes à la liberté de la presse.
C'est pourquoi, en s'inspirant également de la circulaire de 1993, votre
commission a adopté
un amendement
proposant une nouvelle
rédaction de cet article qui lui paraît plus cohérente avec
celle de l'article 22 et qui insiste sur l'obligation d'éviter, sauf
nécessité avérée, d'imposer le port de menottes aux
personnes présumées innocentes ainsi qu'aux mineurs, que ces
derniers aient ou non fait l'objet d'une condamnation.
Article 23
(Art. 13 de la loi du 29 juillet 1881
et
art. 6 de la loi du 29 juillet 1982)
Exercice du droit de
réponse
I.
Commentaire du texte du projet de loi
Dans sa rédaction initiale, l'article 23 du projet de loi modifiait le
régime juridique du droit de réponse dans la presse écrite
et dans les services de communication audiovisuelle.
•
La presse écrite
Sans entrer dans le détail d'un régime juridique qu'une abondante
jurisprudence a rendu assez complexe, et que le projet de loi n'affecte pas, il
convient de rappeler que le droit de réponse organisé par
l'article 13 de la loi de 1881 ouvre à une personne " nommée
ou désignée " dans un journal ou un périodique la
possibilité de faire insérer une réponse. Le projet de loi
ajoute à l'article 13 un alinéa créant une modalité
particulière d'exercice du droit de réponse, sans modifier
l'économie du dispositif existant.
Le I de l'article 23 du projet de loi prévoyait en effet d'autoriser le
ministère public à exercer le droit de réponse à la
demande d'une personne nommée ou désignée à
l'occasion d'une enquête ou d'une information dont elle fait l'objet.
Les conditions générales d'exercice de cette prérogative
ne diffèrent pas de celles qu'institue le texte actuel de l'article
13 :
- le fait générateur est la nomination ou la désignation
d'une personne. Il faut entendre par
désignation
toute
information permettant de reconnaître l'intéressé ;
- les autres conditions d'exercice de ce droit de réponse, telles que la
nature de la mise en cause, la publication dans un journal ou un
périodique, les termes de la réponse, sont celles que
prévoit le texte actuel de l'article 13.
Les conditions spécifiques d'exercice du droit de réponse
prévu par le I de l'article 23 du projet de loi sont :
- la circonstance ayant provoqué la nomination ou la désignation
d'une personne : il s'agit d'une enquête ou d'une information dont
la personne fait l'objet. Les personnes entendues à titre de
témoin au cours d'une instruction n'entrent pas donc dans le champ
d'application de la nouvelle disposition ;
- la personne titulaire du droit de réponse : il s'agit du
ministère public, sur la demande de la personne intéressée.
Cette modalité originale de protection de la présomption
d'innocence appelle plusieurs observations :
- la discrimination entre les personnes qui font l'objet d'une enquête ou
d'une information et les personnes auditionnées à titre de
témoin s'explique mal compte tenu du faible écart qui existe
parfois entre ce type d'audition et la mise en examen pure et simple ;
- le droit de réponse est considéré traditionnellement et
à juste raison comme un droit personnel : seule la personne
nommée ou désignée, ou ses représentants
légaux s'il s'agit d'un incapable ou d'une personne morale, sont admis
à l'exercer. Il ne convient pas de sortir de cette logique conforme
à l'idée de citoyenneté en créant la
possibilité infantilisante de se décharger sur un tiers du soin
de défendre son honneur et sa considération. Le choix du
ministère public est d'ailleurs à cet égard un peu
incongru ;
- il existe d'ores et déjà, en dehors du régime juridique
du droit de réponse, un système de réparation judiciaire
des atteintes à la présomption d'innocence commises par les
publications. Ainsi, l'article 9-1 du code civil permet-il au juge d'ordonner,
même en référé, l'insertion, dans la publication
concernée, d'un communiqué destiné à faire cesser
aux frais de la personne responsable l'atteinte à la présomption
d'innocence d'une personne placée en garde à vue, mise en examen,
ou faisant l'objet d'une citation à comparaître en justice, d'un
réquisitoire du procureur de la République ou d'une plainte avec
constitution de partie civile.
•
La communication audiovisuelle
Le II de l'article 23 du projet de loi modifie sur deux points l'article 6
de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982, qui régit l'exercice
du droit de réponse audiovisuel.
Contrairement au droit de réponse dans la presse écrite,
conçu par le législateur de 1881 comme un droit absolu
destiné à établir au profit des personnes
" nommées ou désignées "
un contrepoids
aux excès possibles de la liberté de la presse, le droit de
réponse audiovisuel a été défini de façon
restrictive. La " réponse audiovisuelle ", reçue par
une multitude de téléspectateurs assez largement captifs du
déroulement du programme télévisé, ne doit pas
avoir une portée disproportionnée par rapport aux faits qui la
justifient, et ne doit pas encombrer les programmes de
télévision. C'est pourquoi ;
- la définition des circonstances justifiant l'exercice du droit de
réponse audiovisuel est restrictive par rapport au droit de la presse.
La loi exige des imputations susceptibles de porter atteinte à l'honneur
et à la considération, ce qui évoque la définition
de la diffamation et tend à écarter les hypothèses de mise
en cause d'une personne sous la forme de propos injurieux ou
d'appréciations critiques ;
- la demande doit être présentée dans les huit jours
suivant la diffusion du message contenant l'imputation qui la fonde, ce
délai étant ramené à 24 heures quand le demandeur
est candidat à une élection politique pendant une campagne
électorale (et porté à 15 jours par le décret
d'application du 6 avril 1987 quand le demandeur réside à
l'étranger ou Outre-mer ou quand le message contesté n'a
été mis à la disposition du public que dans les
départements et territoires d'Outre-mer) ;
- le décret d'application, en date du 6 avril 1987, exige que la demande
soit présentée au directeur de la publication par lettre
recommandée avec accusé de réception, qu'elle indique les
références du message (c'est-à-dire le nom de
l'émission, la date et l'heure), les circonstances dans lesquelles le
message a été mis à la disposition du public (par exemple
l'identité de la personne qui a tenu le propos contesté), les
imputations sur lesquelles la réponse est souhaitée, celle-ci ne
pouvant être supérieure à 30 lignes
dactylographiées et durer plus de deux minutes. Ces exigences peuvent
poser problème au demandeur qui ne dispose pas d'un enregistrement de
l'émission considérée. C'est pourquoi le décret du
6 avril 1987 a prévu que le diffuseur enregistre et conserve ses
émissions au moins 15 jours après la date de diffusion ;
- en cas de refus de diffuser une réponse, le demandeur peut saisir le
président du tribunal de Grande instance statuant en matière de
référé.
Il est rare que le candidat à l'exercice du droit de réponse
audiovisuel parvienne à satisfaire à l'ensemble de ces exigences.
Le projet de loi modifie assez marginalement ce dispositif :
- il prévoit de porter de huit jours à trois mois le délai
de demande d'exercice du droit de réponse ouvert au profit d'une
personne bénéficiaire d'une décision de non-lieu, de
relaxe ou d'acquittement définitive et victime d'imputations
susceptibles de porter atteinte à son honneur ou à sa
réputation à l'occasion de l'exercice de poursuites
pénales ;
- il institue d'autre part une possibilité de transfert au
ministère public de l'exercice du droit de réponse en faveur des
personnes
" présentées comme faisant l'objet de
poursuites pénales "
. Cette modalité d'exercice du droit
de réponse audiovisuel appelle les mêmes observations que la
disposition équivalente prévue en matière de presse
écrite.
II. Position de l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a adopté une nouvelle rédaction de
l'article 23 qui :
- supprime la possibilité d'un transfert de l'exercice du droit de
réponse au ministère public aussi bien pour la presse
écrite qu'en matière de communication audiovisuelle ;
- en matière de communication audiovisuelle, porte à un mois le
délai dans lequel la demande d'exercice du droit de réponse doit
être demandé après la diffusion du message contenant
l'imputation contestée.
III. Position de la commission
Pour les raisons ci-dessus exposées, votre commission approuve la
suppression par l'Assemblée nationale du paragraphe de cet article
prévoyant l'exercice du droit de réponse par le ministère
public.
Elle partage également le souci manifesté par l'Assemblée
nationale d'allonger le délai ouvert par l'article 6 de la loi de 1982
aux personnes souhaitant exercer un droit de réponse. Cependant, le
délai prévu -un mois au lieu de 8 jours- paraît encore
insuffisant compte tenu des formalités exigées, et en particulier
de la nécessité de se procurer l'enregistrement du
" message " incriminé.
Il reste par ailleurs hors de proportion avec le délai d'un an dont
disposent les personnes souhaitant user du droit de répondre à un
article paru dans la presse écrite. Un délai aussi long pouvait
paraître nécessaire à l'époque -1919- où le
texte a été adopté : il ne paraît plus
aujourd'hui être de mise. Dans les faits, du reste, l'exercice du droit
de réponse est demandé beaucoup plus rapidement.
Votre commission vous propose donc d'harmoniser les conditions d'exercice du
droit de réponse en portant uniformément à trois mois,
dans tous les cas, le délai ouvert aux personnes souhaitant exercer ce
droit.
Tel est l'objet de
l'amendement
que votre commission a adopté
à cet article et qui tend également à rectifier une erreur
matérielle : l'article 6 de la loi du 29 juillet 1982 ne comporte
pas de paragraphe I.
Article 24
(Art. 64 de la loi du 29 juillet
1881)
Arrêt de l'exécution provisoire d'une
décision
limitant la diffusion de l'information
I.
Commentaire du texte du projet de loi
L'objectif de la disposition insérée par l'article 24 à
l'article 64 de la loi de 1881 est d'incliner le fonctionnement de la
procédure de référé, organisée par les
articles 808 et 809 du nouveau code de procédure civile, dans un sens
favorable à la liberté de l'information.
Il convient de rappeler que si la loi de 1881 n'interdit pas le recours
à la procédure de référé en matière
de presse, elle ne le prévoit pas non plus, et l'abondante utilisation
qui en est faite pose problème à certains égards :
- cette procédure permet de limiter la liberté de l'information
avant la réalisation effective des abus allégués, ce qui
contredit l'économie du système répressif institué
par la loi de 1881 ;
- en dehors des deux hypothèses où le fonctionnement de cette
procédure est expressément prévu par la loi dans des
matières intéressant la liberté de l'information (art. 9
du code civil sur l'atteinte à l'intimité de la vie privée
et art. 9-1 du code civil sur l'atteinte à la présomption
d'innocence), le référé est opéré sur le
fondement de l'article 809 du nouveau code de procédure civile, qui est
réglementaire. L'application, par la jurisprudence, de cette
procédure dans un domaine que le législateur de 1881 a voulu
soustraire au droit commun et soumettre à un formalisme
particulièrement protecteur des droits de la défense, aboutit
à ce qu'un texte réglementaire axé sur le
relâchement des formes contraignantes de la procédure
juridictionnelle accorde au juge civil des pouvoirs de limiter la
liberté de l'information -la saisie de publications par exemple- que ne
possède pas le juge pénal, juge de droit commun des infractions
de presse en vertu de la loi de 1881 (art. 45) ;
- l'article 809 du nouveau code de procédure civile, qui tend à
prévenir un dommage imminent ou à faire cesser un trouble
manifestement illicite, permet de limiter la liberté de l'information
pour des motifs qui ne constituent pas des délits de presse au sens de
la loi de 1881 : choc affectif, intrusion dans le respect des croyances et
des sentiments religieux, trouble grave dans le souvenir fidèle. Un
texte réglementaire permet ainsi d'ajouter aux limitations de la
liberté de l'information définies par la loi qui pose le principe
de cette liberté.
Pour autant, l'ordonnance de référé n'est pas
considérée comme revêtue de l'autorité de la chose
jugée, et ses effets, certes parfois difficiles à corriger, sont
provisoires. Les atteintes qu'elle porte éventuellement à la
liberté de l'information ne peuvent donc être
considérées comme radicalement incompatibles avec le
système de la loi de 1881. Il faut lui reconnaître en revanche la
vertu de rétablir rapidement, efficacement et provisoirement un
équilibre sur le point d'être rompu entre les médias et le
public, tout en laissant au juge du fond la responsabilité de dire
ultérieurement le droit.
Il est donc souhaitable de ne pas porter atteinte aux pouvoirs du juge des
référés à l'égard de la liberté de
l'information tout en précisant l'équilibre opportun entre les
intérêts légitimes protégés par la
procédure de référé, et la liberté de
l'information.
C'est l'objectif que le projet de loi cherche à réaliser en
créant en matière de diffusion de l'information une
procédure d'appel des décisions du juge des
référés.
Il faut rappeler à cet égard que l'article 524 du nouveau code de
procédure civile pose le principe du caractère
immédiatement exécutoire d'une ordonnance de
référé, et ne permet d'en arrêter l'exécution
provisoire par voie d'appel que si cette exécution est interdite par la
loi ou si elle risque d'entraîner des conséquences manifestement
excessives. La première hypothèse n'est pas prévue par les
textes en matière de liberté de la presse et de la communication,
dans la seconde hypothèse, le premier président de la cour
d'appel saisi de l'appel, peut seulement autoriser la substitution à la
garantie primitive d'une garantie équivalente, ce qui ne fait
guère obstacle aux conséquences manifestement excessives d'une
limitation de la diffusion de l'information.
C'est pourquoi le projet de loi accorde au premier président de la cour
d'appel le pouvoir d'arrêter en référé
l'exécution provisoire de l'ordonnance de référé
limitant la diffusion de l'information qui
risque d'entraîner des
conséquences manifestement excessives.
Cette prérogative concernera l'information écrite, parlée
ou en image quel que soit son mode de publication. Ce risque de
conséquences manifestement excessives susceptible de justifier
l'arrêt de l'exécution provisoire d'une ordonnance de
référé peut s'entendre, aux termes de la jurisprudence
existante, d'une mesure de nature à ruiner la trésorerie d'une
entreprise, d'une mesure interdisant la poursuite d'une activité...
II. Position de l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a adopté l'article 24 avec un amendement de
précision.
III. Position de la commission
Votre commission a adopté cet article sans modification.
Article 25
(Art. 11, 177-1, 199, 212-1 et 803
du
code
de procédure pénale)
Publicité de l'instruction
pénale,
insertion forcée à la suite d'une
décision de non-lieu,
photographie ou enregistrement
audiovisuel
de personnes menottées ou entravées
I.
Commentaire du texte du projet de loi
Dans ses dispositions les plus saillantes, l'article 25 du projet de loi
s'inspire assez largement des propositions du rapport de la commission de
réflexion sur la justice, présidée par M. Pierre Truche.
A l'issue des développements qu'il consacre à la publicité
des investigations, et après avoir rappelé la
nécessité d'un maintien intégral du secret prévu
par l'article 11 du code pénal durant la phase de l'enquête, le
rapport propose d'élargir les " fenêtres de
publicité " qui existent dans la phase de l'instruction, selon les
modalités suivantes :
"
Une juridiction collégiale, selon les cas du premier ou du
second degré, indépendante du juge d'instruction, doit être
saisie en matière :
- de mise en détention et de renouvellement de la mesure ;
- de contestation sur la régularité de la procédure ;
- de contestation sur la durée de la procédure ;
- de contestation sur le refus d'accomplir certains actes.
Cette juridiction doit statuer publiquement sauf à refuser la
publicité, qui est de principe, pour des motifs tirés des seules
nécessités de l'enquête, de l'intérêt des
tiers, des nécessités de l'ordre public et de la protection des
bonnes moeurs.
"
Par ailleurs, le rapport de la commission Truche
" souhaite que se
développe une politique de communication des juridictions "
et
précise :
" un membre du parquet serait, en règle
générale, le plus indiqué pour intervenir s'agissant des
affaires en cours ".
Ce document ajoute une nouvelle pierre à l'édifice de plus en
plus imposant consacré à la comparaison des avantages et
inconvénients spécifiques de la procédure inquisitoire et
de la procédure accusatoire en matière pénale.
Sans entrer dans ce débat, qui n'entre pas dans les compétences
de votre commission des affaires culturelles, il est utile de noter ici
que :
- la protection de la présomption d'innocence est dans une large mesure
consubstantielle à la procédure inquisitoire. D'une part,
celle-ci est avant tout une procédure d'
enquête
principalement fondée sur l'obligation, imposée à la
personne chargée d'instruire le dossier, d'apporter la preuve de
l'infraction avant la phase de jugement. La procédure inquisitoire
implique d'autre part une discrétion, qui a pris la forme du principe du
secret de l'instruction. Ce secret ne constitue pas nécessairement une
facilité permettant d'extorquer discrètement des aveux à
la personne soupçonnée, mais apporte aussi à celle-ci une
certaine garantie contre la divulgation prématurée d'informations
attentatoires à ses droits et intérêts ;
- la logique de la procédure inquisitoire est difficilement compatible
avec le principe constitutionnel de liberté d'expression et de la
communication, qui peut apparaître lui-même, pour les personnes
mises en cause dans une procédure pénale, comme une garantie
contre les déviations éventuelles d'une instruction qui ne serait
pas loyalement menée à charge et à décharge ;
- l'introduction progressive d'éléments de la procédure
accusatoire dans le droit pénal français tend à concilier
ces principes en concurrence, et les progrès proposés en ce sens
par le projet de loi apparaissent susceptibles de renforcer à la fois la
protection de la présomption d'innocence et la liberté de
l'information, pour autant que le débat législatif ouvre de
façon significative les " fenêtres d'instruction " mises
en place au cours de l'instruction pénale ;
- il importe de privilégier à cet égard l'intervention de
juridictions statuant publiquement afin de garantir le caractère
contradictoire de l'information disponible, le principal effet pervers de la
procédure inquisitoire étant, en ce qui concerne aussi bien la
protection de la présomption d'innocence face aux médias que la
liberté de l'information, le caractère unilatéral et
souvent orienté des informations divulguées.
En fonction de ces considérations générales, l'article 25
du projet de loi appelle les observations suivantes.
•
Les communiqués du Parquet
Le projet de loi prévoit d'autoriser le procureur de la
République à rendre publics des éléments objectifs
tirés de la procédure, ne comportant aucune appréciation
sur le bien fondé des charges, d'office ou à la demande de la
juridiction d'instruction ou des parties.
Une circulaire du 22 avril 1985 permet d'ores et déjà au
procureur de la République de publier des communiqués
écrits destinés à rétablir l'exactitude
d'informations manifestement incomplètes et erronées.
Le projet de loi tend à confirmer et à élargir cette
possibilité à laquelle la pratique a donné une extension
remarquable, puisque l'on voit assez couramment aux informations
télévisées des procureurs tenir des conférences de
presse de façon formelle ou informelle afin de divulguer des
informations sur les affaires en cours.
Or cette pratique n'est pas sans inconvénient dans la mesure où
elle :
- déroge au principe du secret de l'instruction sans garantir de
façon évidente celui de la présomption d'innocence
(manié sans précaution, l'instrument des communiqués peut
aboutir à bafouer cette présomption ; utilisé pour
démentir des informations inexactes, il permettra de cerner
a contrario
les charges retenues par les magistrats
instructeurs) ;
- tend à faire circuler une information unilatérale, alors que le
principe du contradictoire est la caractéristique majeure de la
procédure judiciaire ;
- n'est pas insusceptible de multiplier les occasions de diffamation par voie
de presse tout en faisant obstacle à la sanction de ce délit, la
bonne foi des organes de presse étant nécessairement
impliquée par l'origine judiciaire des informations
publiées ;
- semble largement destinée à permettre à l'institution
judiciaire de répondre aux critiques formulées par la presse sur
la conduite des instructions pénales, bien qu'il n'entre pas à
l'évidence dans les missions de la justice d'améliorer sa
communication ou de participer à des polémiques
médiatiques.
Encadrée par la loi et maniée avec la prudence scrupuleuse que
l'on est en droit d'attendre des magistrats du parquet, la pratique des
communiqués du parquet peut cependant concourir à l'information
du public dans le respect de la présomption d'innocence.
L'article 25 du projet de loi introduit à cet effet dans l'article 11 du
code de procédure pénale, qui établit le principe du
secret de l'enquête et de l'instruction, un alinéa permettant au
procureur de la République d'y déroger assez largement :
- ce magistrat aurait la possibilité d'agir d'office, se transformant
proprio motu
en défenseur de la présomption d'innocence
avant de se muer éventuellement en accusateur ;
- il aurait la possibilité de divulguer des
" éléments objectifs tirés de la
procédure "
. Cette formulation n'apparaît guère
restrictive si l'on considère le caractère aléatoire de la
notion d'objectivité, spécialement dans une procédure
pénale où tout est sujet à interprétation et
à contestation ;
- il serait limité dans sa marge de manoeuvre par l'obligation de ne
porter aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues
contre la personne mise en cause. On peut cependant observer que le simple
énoncé des " éléments objectifs " ou
considérés comme tels peut assez facilement valoir
appréciation du bien-fondé des charges retenues ;
- il ne serait tenu par aucune définition législative des
objectifs de son intervention, celle-ci pouvant dès lors être
indifféremment inspirée par le souci de rectifier des
informations inexactes, d'informer les médias, de défendre
l'action de l'institution judiciaire...
•
La publicité de la décision de placement en
détention provisoire
Le II de l'article 25 du projet de loi autorise la personne majeure ou son
avocat à demander que le débat contradictoire
précédant la mise en détention provisoire ait lieu en
audience publique.
Le fait que cette mesure de publicité soit possible à la demande
de l'intéressé ou de son avocat apparaît comme une
sérieuse protection de la présomption d'innocence.
•
L'action en insertion forcée à la suite d'une
décision de non-lieu
Les III et VI de l'article 25 complètent les articles 177-1 et 212-1 du
code de procédure pénale.
Le § 1° du III permet au juge d'instruction et le § 1° du
VI permet à la chambre d'accusation, d'ordonner à la demande
d'une personne bénéficiaire d'une décision de non-lieu de
demander au juge d'instruction ou à la chambre d'accusation d'ordonner
la publication intégrale ou partielle de cette décision de
non-lieu ou l'insertion d'un communiqué reprenant les motifs ou le
dispositif de celle-ci. Les juridictions d'instruction choisissent les journaux
ou les services de communication audiovisuelle concernés par la
publication. Les frais d'insertion sont à la charge de l'Etat (article
C. 177-1 du code de procédure pénale).
Le projet de loi prévoit que la publication pourra aussi être
demandée par le ministère public ou décidée
d'office par les juridictions d'instruction, à condition d'obtenir
l'accord du bénéficiaire (§ 1° des III et VI).
Le § 2° du III précise que le refus du juge d'instruction de
faire droit à la demande de la personne concernée doit être
motivé, la décision prenant la forme d'une ordonnance susceptible
d'appel devant la chambre d'accusation. La décision de la chambre
d'accusation peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation dans les conditions
de droit commun (§ 2° du VI).
•
La publicité des débats devant la chambre
d'accusation
Le IV de l'article 25 étend les possibilités de dérogation
à la règle, posée par l'article 199 du code de
procédure pénale, de l'absence de publicité des
débats devant la chambre d'accusation. La possibilité de
publicité s'étendra désormais à tous les
débats, la demande devant en être présentée par la
personne majeure mise en examen.
Le V de l'article 25 supprime d'autre part de façon difficilement
explicable le deuxième alinéa de l'article 199-1 du code de
procédure pénale, relatif à la publicité des
débats en cas d'appel d'une ordonnance de non-lieu.
•
La photographie ou l'enregistrement audiovisuel d'une personne
menottée ou entravée
Le VII de l'article 25 inscrit dans le code de procédure pénale
la disposition qui a fait l'objet d'un commentaire à l'article 22 bis
ci-dessus.
II. Position de l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a :
- précisé l'objectif assigné aux communiqués du
procureur de la République. Cet objectif doit se limiter à
"
éviter la propagation d'informations parcellaires ou
inexactes
" ou à "
mettre fin à un trouble
à l'ordre public
" ;
- adopté cinq amendements renforçant dans une certaine mesure le
régime juridique de la publicité de l'instruction pénale
et rétablissant la publicité des débats en cas d'appel
d'une ordonnance de non-lieu ;
- adopté un amendement de coordination avec l'article 22 bis.
III. Position de la commission
Votre commission a adopté au paragraphe I de cet article un
amendement
restreignant l'objet des communiqués du procureur de
la République
" rendant publics des éléments
objectifs tirés de la procédure "
à la
rectification d'informations inexactes et rappelant que l'usage de ces
communiqués doit être centré sur le souci d'assurer le
respect de la présomption d'innocence.
TITRE
II
DISPOSITIONS RENFORÇANT LES DROITS DES VICTIMES
CHAPITRE PREMIER
DISPOSITIONS RÉPRIMANT L'ATTEINTE À LA
DIGNITÉ
D'UNE VICTIME D'UNE INFRACTION PÉNALE
Article 26
(Art. 226-30-2 et 226-30-3 nouveaux du code
pénal)
Reproduction des circonstances d'un crime ou d'un
délit
portant atteinte à la dignité de la victime
I.
Commentaire du texte du projet de loi
Dans la rédaction initiale du projet de loi, l'article 26 modifie et
transpose dans le code pénal les dispositions de l'article 38 de la loi
de 1881, qui répriment la publication de la reproduction des
circonstances d'un crime ou d'un délit.
• La question de l'insertion dans le code pénal de texte
instituant des délits constitués par des faits de publication
d'informations a été examinée dans le commentaire de
l'article 22. Les implications de la transformation d'un délit de presse
de la loi de 1881 en un " délit commis par la presse "
sanctionné par le droit pénal commun appellent les mêmes
analyses.
On notera que la transposition dans le code pénal du délit
d'atteinte à la dignité de la victime d'un crime est
effectuée selon un schéma semblable à celui retenu
à l'article 22 pour la publication d'images de personnes
menottées ou entravées : renvoi, pour les délits
commis par la voie de la presse écrite et audiovisuelle, aux
dispositions de la loi de 1881 et de la législation de la communication
audiovisuelle régissant la prescription et la détermination des
personnes responsables. On renverra sur ces points aux analyses
présentées à l'article 22.
• La modification du dispositif figurant actuellement aux alinéas
3 et 4 de l'article 38 de la loi apparaît comme la conséquence
d'un arrêt de la cour d'appel en date du 18 septembre 1997 confirmant un
jugement du tribunal correctionnel de Paris qui a refusé d'appliquer ces
dispositions au motif que leur portée trop générale
était incompatible avec l'article 10 de la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
relatif à la liberté d'expression.
Le pourvoi formé contre cet arrêt n'a pas encore été
examiné par la cour de cassation. Le gouvernement n'en a pas moins
implicitement reconnu la validité de l'analyse effectuée par la
cour d'appel de Paris, en insérant dans le projet de loi une disposition
qui précise le champ d'application de l'actuel paragraphe 3 de l'article
38 de la loi de 1881.
Alors que le texte actuel réprime "
la publication par tous les
moyens, de photographies, gravures, dessins, portraits ayant pour objet la
reproduction de tout ou partie des circonstances des crimes et
délits
... ", le texte proposé par l'article 26 du projet
de loi pour un nouvel article 226-3-2 du code pénal réprime la
diffusion de "
la reproduction des circonstances d'un crime ou d'un
délit lorsque cette reproduction porte atteinte à la
dignité de la victime
".
La substitution de cette disposition au 3
e
alinéa de
l'article 38, abrogé, impose un examen au fond du dispositif
proposé. L'argument de la " succession d'articles " ne suffit
pas à justifier ce qui apparaît juridiquement comme un texte
nouveau. Or le texte proposé par le gouvernement pose
problème :
- le projet de loi opère une discrimination entre les victimes de crimes
ou de délits et celles d'accidents ou de catastrophes naturelles. Le
texte proposé par l'article 26 du projet de loi est centré sur
l'idée de prévenir les atteintes à la dignité. Or
il semble difficile de soutenir que la dignité des victimes de crimes ou
délits mérite une attention plus soutenue et une protection
juridique plus forte que les victimes de catastrophes naturelles. Ces victimes
sont dans une situation identique à l'égard des médias, et
peuvent se prévaloir d'un même intérêt à la
protection de leur image. Les photos ou enregistrements audiovisuels ont dans
tous les cas un caractère identiquement choquant et traumatisant. Le
projet de loi introduit ainsi entre des catégories de victimes qu'il
crée de façon tout à fait artificielle une
inégalité devant la protection pénale de la vie
privée qui ne laisse pas de surprendre ;
- le texte proposé par le projet de loi est en outre radicalement
critiquable en raison des contraintes excessives qu'il impose à la
liberté de l'information. Il interdit en effet potentiellement la
publication de photos ou de reportages audiovisuels concernant des
événements historiques ou politiques majeurs. Est-il
justifié, au regard des nécessités les plus
légitimes de l'information du public, que soit poursuivie la diffusion
d'images de l'assassinat d'une personnalité publique (dans le journal Le
Monde, était citée récemment à titre d'exemple la
photographie de Robert Kennedy, gisant dans son sang, les yeux encore ouverts,
quelques secondes après son assassinat), des victimes d'un attentat
terroriste, des victimes du système concentrationnaire, au motif que ces
représentations portent atteinte à la dignité des
victimes, ce qui sera presque toujours le cas ? Faute d'effectuer la
nécessaire distinction entre ce qui est du domaine de la vie
privée et ce qui est de l'ordre du témoignage historique et du
fait de civilisation, le texte destiné à remplacer le
troisième alinéa de l'article 38 de la loi de 1881 est-il plus
conforme que le texte actuel à l'article 10 de la convention
européenne ? Il est permis d'en douter fortement.
II. Position de l'Assemblée nationale
Après avoir adopté une nouvelle rédaction de l'article 26
laissant subsister l'article 38 de la loi de 1881 dans sa rédaction
actuelle et ajoutant la notion de protection de la dignité de la
personne à l'article 9 du code civil, relatif à la protection de
la vie privée, l'Assemblée nationale a, au cours d'une seconde
délibération du projet de loi :
- rétabli le texte initial du projet de loi ;
- décidé de le compléter pour inscrire également
dans la nouvelle section VIII du code pénal intitulée " De
l'atteinte à la dignité de la victime d'un crime ou d'un
délit ", le dispositif de l'article 39 quinquies de la loi de 1881.
L'article 39 quinquies punit d'une amende de 6.000 F à
20.000 F et/ou d'un emprisonnement de deux mois à deux ans la
publication d'information sur un viol ou un attentat à la pudeur
mentionnant le nom de la victime ou permettant son identification, sauf accord
écrit de celle-ci. Le texte adopté par l'Assemblée
nationale pour un nouvel article 226-60-3 du code pénal, par
parallélisme avec les autres dispositions équivalentes figurant
dans le projet de loi, fixe l'amende à 100 000 F, abandonne la
peine d'emprisonnement et prévoit que les dispositions de la loi de 1881
et des lois sur la communication audiovisuelle régissant la prescription
et la détermination des personnes responsables seront applicables aux
délits commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle.
III. Position de la commission
•
En ce qui concerne
les dispositions de l'article
réprimant
la publication des circonstances d'un crime ou d'un
délit
, votre commission ne considère pas que la nouvelle
rédaction que le projet de loi propose de donner aux 3
e
et
4
e
alinéas de l'article 38 soit susceptible de
remédier aux risques de contrariété entre ce texte et la
convention européenne des droits de l'homme.
Au surplus, elle considère que le texte proposé établit
une discrimination injustifiable entre différentes catégories de
victimes. Chacun et en particulier chaque victime, a un droit égal au
respect de sa dignité, et l'on voit mal pourquoi la publication d'une
image ou d'informations préjudiciables au respect de la dignité
d'une personne constituerait un délit si cette personne est, par
exemple, la victime d'un attentat, et non si elle est la victime d'une
catastrophe naturelle, d'un accident ou d'un fait de guerre.
On doit relever également que le texte proposé a en quelque sorte
pour effet de faire dépendre du fait d'autrui -l'auteur du crime ou du
délit- la responsabilité pénale de la personne publiant la
reproduction des " circonstances " de ce crime ou de ce délit
préjudiciables à la dignité d'une personne. Cela
paraît tout à fait choquant au niveau des principes et pourrait de
surcroît conduire à des situations absurdes : ainsi, la
publication de la photographie de la victime d'un incendie, par exemple, ne
serait pas justiciable de poursuites pénales, mais pourrait le devenir
s'il s'avérait par la suite que l'incendie est d'origine criminelle...
En outre, on doit observer que cette disposition paraît largement
inutile. Alors que les dispositions actuelles de l'article 38 de la loi de 1881
n'ont été que très exceptionnellement invoquées,
l'application des dispositions du code civil relative à la protection de
la vie privée et du droit à l'image, ou des dispositions de
l'article 809, alinéa 1
er
du code de procédure civile,
permet en effet de protéger efficacement les victimes de crimes ou de
délits et leurs ayants-droit contre la publication de photographies ou
d'informations préjudiciables à leur dignité. Certains ont
même pu s'inquiéter du développement de cette jurisprudence
qui, on l'a dit, pourrait aussi faire obstacle à la diffusion
d'informations sur des événements dont la portée
dépasse le malheur privé des victimes et de leurs proches.
La Cour de cassation - on l'a rappelé - est actuellement saisie d'un
pourvoi contre un arrêt jugeant que le texte actuel de la loi de 1881 est
incompatible avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme.
En attendant l'issue de ce pourvoi, votre commission vous propose de
conserver en l'état l'article 38 de la loi de 1881
, et de
supprimer les dispositions proposées pour l'article 226-30-2
(nouveau)
du code pénal.
• En ce qui concerne les dispositions de l'article 226-30-3
(nouveau) du code pénal relatives à la
communication de
l'identité d'une victime d'agression ou d'atteinte sexuelles
, elles
correspondent à un transfert, dans ce code, des dispositions de
l'article 39 quinquies de la loi de 1881, qui ont été
insérées en 1980 dans cette dernière.
Votre commission vous propose
de laisser ces dispositions dans la loi de
1881
, tout en retenant la peine prévue par l'Assemblée
nationale et en modifiant la rédaction du texte, afin qu'il soit bien
clair que le délit est constitué par la publication, sous quelque
forme (image, parole, écrit...) et de quelque manière (presse
écrite ou audiovisuelle, diffusion sur un site électronique...)
que ce soit, d'informations relatives à l'identité ou permettant
l'identification des victimes. Le texte proposé pourrait en effet
laisser croire que n'est pas réprimée la publication de
" renseignements " permettant l'identification d'une victime sans
donner son identité.
Tel est l'objet de
l'amendement
adopté par votre commission
à cet article.
Article 27
(Art. 227-24-1 nouveau du code
pénal)
Interdiction de publier des renseignements sur
l'identité
d'un mineur victime d'une infraction
I.
Commentaire du texte du projet de loi
L'article 27 du projet de loi complète la panoplie des mesures qui
protègent actuellement les mineurs contre la divulgation par la presse
d'informations relatives à certains de leurs faits et
méfaits :
- l'article 39 bis de la loi de 1881 réprime la publication
d'informations concernant l'identité d'un mineur ayant quitté
parents, tuteur ou personne chargée de sa garde, ou d'un mineur
exposé ou délaissé, sauf si la publication a lieu à
la demande des personnes ayant la garde du mineur, ou à la demande ou
avec l'autorisation du ministre de l'intérieur, préfet du
département, procureur de la république, juge d'instruction, juge
des enfants ;
- l'article 39 ter de la loi de 1881 interdit la publication de tout texte
concernant le suicide des mineurs, sauf à la demande ou avec
l'autorisation du procureur de la république ;
- l'article 14 de l'ordonnance du 2 février 1945 interdit la publication
de tout texte ou illustration concernant l'identité des mineurs
délinquants.
Aucune disposition législative ne protégeait jusqu'à
présent contre une publicité susceptible de démultiplier
les traumatismes subis, les mineurs victimes d'infraction.
C'est pour combler cette lacune que l'article 27 du projet de loi introduit
dans le code pénal, selon des modalités et avec des exceptions
identiques à celles qu'institue l'article 22 du projet de loi, aux
analyses duquel on se reportera sur ce point, un article définissant une
infraction nouvelle, punie d'une amende de 100 000 F, dont les
éléments constitutifs sont :
- un fait de diffusion ;
On rappellera à cet égard sans reprendre les analyses
présentées à l'article 22 sur l'interprétation de
la notion de diffusion, que la loi de 1881 utilise très
généralement celle de publication. De même, la formule
" quel qu'en soit le support " apparaît redondante avec
" de quelque manière que ce soit " ;
- la divulgation de renseignements concernant l'identité.
On peut s'interroger sur le choix de la notion de renseignement, dans la mesure
où celle d'information correspond mieux à la terminologie
utilisée de la communication. On observera par ailleurs
l'ambiguïté de cet emploi, en l'absence de toute précision
sur les formes des renseignements prohibés : une image est-elle un
renseignement ?
On peut craindre que la limitation de l'interdiction de publication aux seuls
renseignements " concernant l'identité " ne soit insuffisante
pour protéger le mineur victime d'une infraction. Il semblerait utile
d'interdire en outre la divulgation d'informations permettant l'identification
du mineur concerné.
On observera enfin que le délit n'est pas constitué quand
l'information est diffusée à la demande du procureur de la
République, du juge d'instruction ou du juge des enfants, afin de
faciliter certaines enquêtes.
II. Position de l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a adopté cet article avec un amendement de
précision interdisant expressément la diffusion de l'image d'un
mineur victime d'une infraction.
III. Position de la commission
Votre commission a adopté un
amendement
proposant une nouvelle
rédaction de cet article et ayant pour objet :
- de regrouper en un seul article les dispositions relatives à la
publication d'informations concernant des mineurs proposées par
l'article 27 et celles reprises à l'article 27 bis (nouveau) ;
- d'insérer ou de maintenir l'ensemble de ces dispositions dans la loi
de 1881 ;
- d'harmoniser la rédaction de cet article avec celle proposée,
à l'article 26, pour l'article 39 quinquies de cette loi.
Article 27 bis (nouveau)
(Art. 81-1 (nouveau) du code
de
procédure pénale)
Dossier de personnalité de la
victime
I.
Position de l'Assemblée nationale
Cet article additionnel prévoit, afin de protéger les droits de
la victime, que le juge d'instruction peut procéder à tout acte
lui permettant d'évaluer le préjudice subi par la victime ou de
recueillir des renseignements sur sa personnalité.
II. Position de la commission
Votre commission s'en remet sur cet article, qui ne concerne pas les rapports
entre justice et communication, aux conclusions de la commission des lois
saisie au fond.
Article 27 ter nouveau
(Art. 227-24-2 nouveau du code
pénal)
Diffusion de renseignements concernant
l'identité
d'un mineur fugueur ou d'un mineur qui s'est
suicidé
I.
Position de l'Assemblée nationale
Cet article a été inséré dans le projet de loi par
un amendement adopté à l'initiative du rapporteur de la
commission des lois de l'Assemblée nationale.
Il abroge les articles 39 bis et 39 ter de la loi de 1881, et transpose dans le
code pénal leur dispositif, qui interdit la diffusion de renseignements
concernant l'identité d'un mineur fugueur, d'un mineur
délaissé ou d'un mineur s'étant suicidé.
Sa rédaction, alignée sur celle des articles 26 et 27, appelle
les mêmes commentaires :
- il est préférable de viser la
publication
plutôt
que la
diffusion
;
- l'expression
" quel qu'en soit le support "
est
redondante ;
- la notion de
" renseignements concernant l'identité "
n'est guère satisfaisante, car elle autoriserait la divulgation de
renseignements permettant l'identification du mineur, sans pour autant donner
son identité.
Ajoutons que la notion
d'exposition
d'un mineur ne figure plus dans les
articles 227-1 et 227-2 du code pénal, et ne devrait donc pas figurer
dans ce texte, et que la mention du préfet du département parmi
la liste les autorités susceptibles d'autoriser la publication de
renseignements est devenue obsolète depuis que la protection de
l'enfance en danger a été confiée au président du
conseil général.
Notons enfin que l'abrogation des articles 39 bis et 39 ter de la loi de 1881
va au bout de la logique qui consiste à opérer une sorte de
pillage de la loi de 1881 afin de masquer l'absence d'idées nouvelles
dans le projet de loi.
II. Position de la commission
En conséquence de l'amendement adopté à l'article 27 votre
commission a adopté un amendement de suppression de cet article.
*
* *
Sous réserve de l'adoption des amendements proposés, la commission des affaires culturelles a donné un avis favorable à l'adoption des dispositions du chapitre IV du titre Ier et du chapitre Ier du titre II du projet de loi.
*
* *