B. LA TAXE GÉNÉRALE SUR LES ACTIVITÉS POLLUANTES : DU DOUBLE DIVIDENDE À L'IMPÔT DE RENDEMENT (ARTICLE 4)

Par ses articles 2 et 4, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 propose :

- l'extension de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) à de nouvelles assiettes essentiellement liées aux pollutions de l'eau,

- et l'utilisation du produit de cette taxe au financement des allégements de charges prévus dans le cadre de la politique de réduction du temps de travail.

L'entrée en vigueur de ce dispositif est fixée au 1er janvier 2000.

Rappelons que la TGAP a été instituée par l'article 45 de la loi de finances pour 1999 41( * ) et qu'elle regroupe actuellement cinq taxes anciennement affectées à l'Agence pour l'environnement et la maîtrise de l'énergie (Ademe) pour un produit en 1999 d'environ 1,8 milliard de francs.

1. La montée en puissance de la TGAP en 2000

La montée en puissance de la TGAP était prévue dès l'an dernier. Taxe " universelle ", la TGAP telle que voulue par le Gouvernement a en effet vocation à absorber au fur et à mesure la plupart des taxes, existantes ou futures, à assiette polluante.

L'augmentation du produit de la TGAP serait toutefois particulièrement forte dès 2000 et 2001 42( * ) , en raison des besoins massifs de financement de la politique de réduction du temps de travail décidée par le Gouvernement.

L'augmentation prévue de 78 % du produit de la TGAP entre 1999 et 2000 s'explique par :

1. l'évolution spontanée des assiettes existantes (+ 200 millions de francs) ;

2. le relèvement des taux de deux compartiments existants, les huiles usagées et la pollution atmosphérique (+ 100 millions de francs) ;

3. la création de nouveaux compartiments, essentiellement relatifs aux pollutions des eaux (+ 1,1 milliard de francs).

La montée en puissance financière de la TGAP (1999-2001)

(en millions de francs)

Evaluations initiales pour 1999

1.935

Evaluations révisées pour 1999

1.800

Evaluations pour 2000 (évolution / 1999)

3.200 (+ 78 %)

- dont effet de l'évolution spontanée

200

- dont aménagement des droits

1.200

Evaluations pour 2001 (évolution / 2000)

12.500 (+ 290 %)

Présentation des modifications de la TGAP proposées pour 2000

Compartiment de la TGAP concerné

Modifications 2000

Produit 1999

Produit 2000

COMPARTIMENTS EXISTANTS

Déchets

sans modification

1.422

1.500

Nuisances sonores

sans modification

66

100

Pollution atmosphérique

augmentation des taux

198

300

Huiles usagées

augmentation des taux

129

200

COMPARTIMENTS NOUVEAUX

Lessives et adoucissants

nouvelle taxe

-

500

Produits phytosanitaires

nouvelle taxe

-

300

Granulats

nouvelle taxe

-

200

Installations classées

incorporation de taxes existantes dans la TGAP et augmentation des taux

-

100

TOTAL

-

1.815

3.200

Source : Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et Ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

a) La modification de l'existant

Il est tout d'abord prévu d'augmenter le rendement de la TGAP dans son périmètre actuel par l'augmentation des taux de la taxe sur les huiles usagées et de la taxe sur la pollution atmosphérique. L'objectif de cette modification est clairement budgétaire : il s'agit d'améliorer le rendement des taxes composant la TGAP. Ainsi, le produit de ces deux taxes connaîtrait une augmentation de plus 50 %.

Evolution des taux de la taxe sur les huiles usagées
et de la taxe sur les substances émises dans l'atmosphère

(en francs par tonne)


Assiette

Taux 1999

Taux 2000

Augmentation

Huiles de base

200

250

+ 25 %

Substances émises dans l'atmosphère

- oxydes de soufre et autres composés soufrés

180

250

+ 40 %

- acide chlorhydrique

180

250

+ 40 %

- oxydes d'azote et autres composés oxygénés de l'azote à l'exception du protoxyde d'azote


250


300


+ 20 %

- protoxyde d'azote (nouvelle rubrique)

250

375

+ 50 %

- hydrocarbures non méthaniques, solvants et autres composés organiques volatils


250


250


-

b) L'élargissement à de nouvelles assiettes polluantes

L'élargissement de la TGAP au domaine de l'eau avait été décidé par le Gouvernement dès l'an dernier. Toutefois, l'opposition des agences à l'intégration de leurs redevances dans ce nouvel instrument fiscal a eu raison des projets initiaux de Mme la ministre de l'environnement.

Il est donc prévu pour 2000, s'agissant de la TGAP 43( * ) , d'instaurer quatre nouveaux compartiments de cet impôt, n'ayant pas tous intégralement trait aux pollutions de l'eau :

- les lessives (+ 500 millions de francs),

- les produits phytosanitaires (+ 300 millions de francs),

- les granulats (+ 200 millions de francs),

- les installations classées (+ 100 millions de francs).

Pour les trois premiers compartiments, il s'agit d'accises au sens du droit communautaire, c'est à dire de taxes qui s'appliquent à un produit commercialisé sur le marché national : les exportations en sont donc exonérées tandis que les importations y sont soumises.

(1) Les lessives et les adoucissants

Les phosphates sont présents dans les préparations pour lessives en raison de leur rôle dans le lavage et le nettoyage. Malheureusement, leur présence excessive dans l'eau favorise l'apparition d'algues et de bactéries qui nécessite son épuration pour la rendre propre à la consommation .

C'est pourquoi le Gouvernement a décidé de créer une taxe sur les lessives et autres produits de lavage, d'adoucissement et d'assouplissement, progressive en fonction du taux de phosphates incorporés.

Un amendement voté en première lecture à l'Assemblée nationale a réduit la progressivité de ce barème, à rendement à peu près constant.

Taux et assiettes du nouveau compartiment " lessives "

(en francs par tonne et %)

Teneur en phosphate

Taux initialement prévus

Taux votés à l'Assemblée nationale

Pourcentage du marché

- inférieure à 5 % du poids

440

470

60 %

- entre 5 et 30 % du poids

570

520

20 %

- supérieur à 30 % du poids

700

570

20 %

Source : Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

S'appliquant à un marché d'environ 10 milliards de francs (1,1 million de tonnes de produits vendus), le produit attendu de cette taxe est de 500 millions de francs en 2000.

L'assiette de cette nouvelle taxe est particulièrement large puisqu'il ne s'agit pas de taxer les seules lessives contenant des phosphates mais bien toutes les lessives ainsi que divers autres produits auxiliaires, qu'ils contiennent ou non des phosphates.

Quant aux taux retenus, ils ne sont ni très élevés ni très progressifs (et encore moins depuis le vote d'un amendement modifiant le barème à l'Assemblée nationale). Cette taxe, qui se reportera vraisemblablement en quasi-totalité sur le consommateur final et donc pèsera sur les ménages modestes, n'aura qu'un faible caractère dissuasif puisqu'elle majorera le prix de la lessive au kilogramme de 47 à 57 centimes, soit une augmentation du prix d'environ 5 %.

En outre, on notera l'absence de taux à 0 % pour les produits n'incorporant aucun phosphate qui représentent 60 % de l'ensemble des lessives : cette situation est justifiée selon le Gouvernement par les doutes qui subsistent sur l'innocuité des produits de substitution aux phosphates.

Taxe à large assiette et à taux réduit, la future taxe sur les lessives sera à l'évidence une taxe de rendement. On peut légitimement s'interroger sur les véritables motivations du Gouvernement : s'agit-il de dissuader l'achat des lessives sans phosphates et de réduire l'incorporation des phosphates dans les lessives, de limiter la consommation des lessives dans leur ensemble ou tout simplement de " fournir " 500 millions de francs à la politique de réduction du temps de travail ?

Enfin, il faut rappeler que les " lessiviers " ont réduit l'incorporation des phosphates dans les lessives dans le cadre d'un accord contractuel avec le Ministère de l'environnement conclu dans les années 1980. Cet accord semble avoir été concluant si l'on en croit le rapport relatif à la fiscalité de l'eau 44( * ) , de notre collègue député Yves Tavernier qui note : " les industriels de la lessive se sont engagés dans une démarche contractuelle avec les pouvoirs publics, laquelle a permis une forte diminution de l'incorporation de phosphates aux lessives : le taux moyen de phosphates y est passé en dix ans de 24 à 10 % et la consommation annuelle de phosphates par cette industrie de 142.000 tonnes en 1985 à 64.000 en 1998. " L'instauration de la nouvelle taxe ne risque-t-elle pas d'annihiler cet effort ?

(2) Les phytosanitaires

La France, deuxième exportateur mondial de produits agricoles, est le troisième consommateur de produits phytosanitaires (pesticides, fongicides et herbicides). Or, la mauvaise ou l'excessive utilisation de ceux-ci fait peser de nombreux risques sur la santé, notamment par le biais de la contamination des eaux.

Afin d'inciter à des reports de consommation sur des produits moins polluants, un barème de taxation au premier gramme, différencié en fonction des caractéristiques écotoxicologiques et toxicologiques des molécules est mis en place. Seraient ainsi taxées 300 molécules sur un total de 900 admises sur le marché.

Barème différencié de taxation des substances classées dangereuses qui entrent dans la composition des produits phytosanitaires et des produits assimilés

Catégorie

Taxation (F/kg)

Volume (tonnes)

Produit (MF)

Catégorie 1

0

48.000

-

Catégorie 2

2,5

13.000

32.5

Catégorie 3

4

15.000

60.0

Catégorie 4

5,5

9.000

49.5

Catégorie 5

7

11.000

77

Catégorie 6

9

6.000

54

Catégorie 7

11

1.500

16.5

TOTAL

-

103.500

289.5

Le produit attendu est de 300 millions de francs pour 2000.

Etant donnés les mécanismes de formation des prix agricoles, il est peu probable que le surcoût de la taxation sera reporté sur le consommateur final : c'est donc sur l'agriculteur que pèsera l'essentiel de cette nouvelle taxation.

Un rapport remis à Mme le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement en mars dernier, 45( * ) préconise l'instauration d'une taxe élevée sur les intrants agricoles (engrais et produits phytosanitaires) prélevée au niveau des producteurs et ensuite redistribuée de façon forfaitaire. Monsieur Yves Tavernier, dans son rapport précité, indique qu'une taxe sur les produits phytosanitaires n'aura un effet sur les comportements des agriculteurs qu'à partir de taux de l'ordre de 15 à 20 %.

Au regard de ces préconisations, la taxation retenue est légère. Elle représente un peu moins de 2 % du marché annuel français des produits phytosanitaires 46( * ) . Néanmoins, se traduisant par l'augmentation des coûts de production d'un secteur relativement faible, il faut être particulièrement prudent à l'heure de la réforme de la politique agricole commune (PAC), de la modulation des aides, de l'éco-conditionnalité, etc. Et surtout ne pas démobiliser le monde agricole dans ses efforts d'amélioration de ses pratiques environnementales.

La question des distorsions de concurrence avec les autres pays agricoles de l'Union européenne ne peut être éludée, seuls trois pays ayant instauré une telle taxe : la Belgique, le Danemark et la Suède. Il semble en outre que certaines productions végétales seront particulièrement touchées comme par exemple la pomme de terre.

Il faut rappeler qu'une large part de la pollution due aux produits phytosanitaires provient de la non-reprise d'emballages vides, d'une mauvaise utilisation des pulvérisateurs ou de sur-protections non justifiées. Des actions de formation, de conseil, de collecte des emballages vides, etc. sont donc primordiales. L'encouragement à ces pratiques raisonnées permettrait de diminuer d'environ 15 % la consommation de produits phytosanitaires.

Il faut également rappeler que le monde agricole ne sera que très peu bénéficiaire des allégements de charges financés par cette taxe. L'instauration d'une telle taxe aurait donc dû se faire dans le cadre des redevances des agences de l'eau ou au moins s'accompagner d'un programme de développement des bonnes pratiques agricoles en matière d'utilisation des produits phytosanitaires.

(3) Les granulats

L'exploitation de carrières est à l'origine de dommages à l'environnement très variés : dommages aux paysages, bruit, poussière, nuisances secondaires liées au transport des pondéreux, etc. Parmi les carrières, celle dites " alluvionnaires " qui extraient des granulats dans le lit majeur des rivières, sont la cause de dommages particuliers liés à la perturbation des écosystèmes fluviaux.

Les carrières alluvionnaires ont été visées de longue date par des projets de redevances des agences de l'eau. Toutefois, afin de ne pas créer de distorsions de concurrence, le Gouvernement a décidé de soumettre toutes les carrières à sa nouvelle taxe.

Celle-ci est assise sur le poids des granulats minéraux naturels. Il s'agit du sable et des cailloux ayant un diamètre maximum de 12,5 centimètres produits par les carrières. Le taux retenu, unique au nom de l'égalité de concurrence, est de 60 centimes par tonne extraite. Une exonération est prévue pour les granulats de recyclage ainsi que pour les granulats d'une pureté particulière.

Le produit attendu est de 200 millions de francs pour 2000.

Le Gouvernement souhaite, par la création de cette taxe, inciter les constructeurs à utiliser moins de granulats. Il est peu probable que la TGAP sur les carrières réorientera les processus de production les plus polluants vers des processus moins polluants. Le report sur des matériaux moins polluants (granulats de recyclage par exemple) est hautement improbable en raison des différentiels de coût qui subsistent et le report d'activité entre carrières alluvionnaires plus polluantes et carrières de roches massives n'est pas assuré en raison du taux unique.

En outre, l'affectation du produit de cette taxe au fonds de financement des 35 heures ne permet pas de dégager des crédits supplémentaires pour la réparation des dommages environnementaux. L'instauration de ce compartiment de TGAP vise donc à pénaliser une activité économique au motif qu'elle cause des dommages environnementaux sans l'inciter aucunement à réduire ces dommages.

(4) Les installations classées

L'article 17 de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement soumet certaines installations au paiement de deux taxes en raison des inconvénients ou dangers qu'elles peuvent représenter notamment pour l'environnement. Les entreprises inscrites au répertoire des métiers en sont exonérées.

Une taxe unique est perçue sur les établissements industriels et commerciaux et les établissements publics à caractère industriel et commercial lors de la délivrance d'une autorisation pour installation classée.

Une redevance annuelle est perçue sur ces établissements lorsqu'en raison de la nature ou du volume de leur activité, ils font courir des risques particuliers à l'environnement et requièrent donc des contrôles approfondis et périodiques. Cette redevance se calcule à partir d'un taux de base auquel est appliqué un coefficient multiplicateur compris entre 1 et 10 selon les activités de l'installation concernée. Actuellement, 6500 établissements, les plus dangereux, acquittent cette redevance.

Les taux de ces deux taxes n'ont pas été réévalués depuis 1993. Il est donc prévu, selon les recommandations du rapport de Mme Nicole Bricq 47( * ) , de revaloriser les taux concernés. En outre ces taxes existantes sont intégrées au sein de la TGAP.

Revalorisation des taux prévus pour les installations classées

(en francs et %)

Type de taxation

Taux 1999

Taux 2000

Evolution

Taxe unique perçue lors de l'autorisation

- artisan n'employant pas plus de 2 salariés

2.400

2.900

+ 21 %

- autres entreprises inscrites au répertoire des métiers

5.780

7.000

+ 21 %

- autres entreprises

12.000

14.600

+ 22 %

Redevance annuelle

1.800

2.200

+ 22 %

La taxation des pollutions par les nitrates est reportée à 2001

La pollution du sol et de l'air par les nitrates a de nombreuses répercutions sur la santé publique. Les engrais agricoles, qui polluent 63 % du territoire français, en sont les principaux responsables. En effet, l'apport excessif d'éléments fertilisants (effluents d'élevage ou engrais) par rapport à la capacité d'épuration naturelle des sols et des cultures, entraîne des pollutions des eaux.

- Le projet du Gouvernement

La taxation des excédents de nitrates peut prendre la forme, soit d'une taxation des engrais au premier gramme, soit d'une taxation des seuls excédents d'azote. Cette seconde solution requiert un contrôle lourd (à partir d'un bilan entrée-sortie pour chaque exploitation) mais est plus équitable car seul l'azote non absorbé est polluant.

Cette solution a été retenue par le Gouvernement qui prévoit d'instaurer une nouvelle redevance pour les agences de l'eau, jugées plus à même de gérer et de contrôler ce dispositif complexe que les services des impôts. Cette nouvelle redevance pourrait rapporter environ 500 millions de francs par an et serait incluse dans le projet de loi sur les agences de l'eau dont la présentation au Parlement est prévue pour 2001.

- Les appréciations de votre commission

Il faut être prudent dans l'instauration d'une telle taxation car elle se répercute sur les coûts de production des agriculteurs ainsi que sur le secteur des engrais soumis à une forte concurrence étrangère (taux de pénétration du marché français supérieur à 40 % et pratiques supposées de dumping ; en outre, cette industrie subira de plein fouet la taxation des consommations intermédiaires d'énergie prévues en 2001 car le gaz entre pour 40 % dans le prix des engrais).

Comme la taxation des produits phytosanitaires, celle des engrais agricoles est délicate. Elle pose des questions de distorsions de concurrence en Europe ainsi que de risques de diminution des rendements et donc du revenu agricole.

2. L'extension annoncée de la TGAP en 2001

Afin de disposer d'environ 7,9 milliards de francs de recettes nouvelles pour financier les 35 heures, le Gouvernement devrait étendre de façon considérable la TGAP dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 sous la forme d'une éco-taxe.

a) Le projet du Gouvernement

L'objectif de cette taxation est de renforcer la lutte contre l'effet de serre, conformément au protocole de Kyoto, et de promouvoir une meilleure maîtrise de l'énergie. Il s'agirait de créer, comme nouveau compartiment de la TGAP, une " accise " qui s'appliquerait aux consommations intermédiaires d'énergie des entreprises. Seraient donc exclues du champ de la nouvelle taxation les consommations d'énergie des ménages et les carburants routiers usuels. 3000 entreprises seraient concernées, soit environ 3 % des sociétés de plus de 20 salariés. Des exonérations, atténuations et plafonnements ont été annoncés pour les entreprises fortement consommatrices d'énergie.

Les recettes issues de cette nouvelle taxe seraient intégralement affectées au financement de la politique des 35 heures. Sans en connaître précisément les modalités, on sait d'ores et déjà que cette taxation doit rapporter environ 4,9 milliards de francs, qui ajoutés aux 3,2 milliards de francs que devrait déjà rapporter la TGAP en 2000, devraient permettre de financer à peu près la moitié des 25 milliards de francs consacrés aux nouveaux allégements de charges .

b) Ce projet s'inscrit dans le cadre de la négociation européenne sur l'écotaxe

La réflexion sur la fiscalité écologique au niveau communautaire a été relancée en mars 1997 par une proposition de directive restructurant le cadre communautaire de la taxation des produits énergétiques.

Cette proposition prévoit de moderniser le système communautaire de taxation des huiles minérales et d'étendre son champ à l'ensemble des produits énergétiques : houilles, coke, lignite, bitumes et produits dérivés, gaz naturel et électricité. Des minima de taxation seraient fixés avec un calendrier de revalorisation progressive. Des taux réduits, voire des exonérations, pourraient être appliqués par les Etats à certains produits ou usages jugés plus écologiques. En outre, des " mesures " en faveur des entreprises seraient prises par la Commission européenne afin que ce nouveau dispositif ne nuise pas à la compétitivité des entreprises européennes.

Selon l'institut Rexecode, l'application à l'économie française des taux évoqués ci-dessus donnerait pour l'électricité une recette de 3,7 milliards de francs et pour les énergies fossiles un produit de 5,6 milliards de francs. L'analyse de Rexecode indique que ces montants (9,2 milliards de francs au total) ne sont pas économiquement tenables et que de nombreuses exemptions devront être mises en place.

Au Conseil européen, les questions fiscales doivent être tranchées à l'unanimité : en raison de l'opposition de quatre pays au sommet de Cologne (Espagne, Portugal, Grèce et Irlande), cette proposition de directive n'a pas encore pu être adoptée. Néanmoins, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Italie se sont d'ores et déjà engagées dans la voie de l'éco-taxe.

c) Les appréciations de votre commission

Ce projet de taxation, s'il est mis en place, entraînera une pénalisation très forte des entreprises françaises. L'instauration d'un tel impôt va nécessairement créer des distorsions de concurrence entre entreprises et entre secteurs (l'intensité énergétique varie de 1 à 50 selon les entreprises) et entre industries nationales car en l'absence d'harmonisation au niveau communautaire, le développement de ce type de fiscalité va poser des problèmes de compétitivité relative entre Etats membres.

On assisterait à un transfert massif de charges des entreprises de base (ciment, verre, acier, aluminium, etc.), plus polluantes, vers les entreprises de main d'oeuvre bénéficiaires des allégements de cotisations sociales. Dans le Livre Blanc transmis aux industriels afin de déterminer les modalités précises de cette taxation, le Gouvernement annonce que la " réforme n'induira aucun prélèvement net supplémentaire sur les entreprises ". Il est d'ores et déjà certain que cela ne sera pas vrai au niveau de chaque entreprise : les entreprises qui consomment 75 % de l'énergie dans l'industrie n'emploient que 20 % des salariés et souvent peu de salariés à faible qualification.

Par ailleurs, il faut rappeler que les prix de l'énergie en Europe et plus particulièrement en France sont déjà supérieurs de 20 à 30 % aux prix pratiqués aux Etats-Unis. Et l'ouverture a minima du marché de l'électricité en France ne va pas améliorer cette situation.

La sagesse aurait donc voulu que l'on attende l'adoption de la directive européenne comme le suggère notre collègue Sénateur Serge Lepeltier dans son rapport sur les émissions de gaz à effet de serre 48( * ) .

Enfin, les effets sur l'amélioration de l'environnement seront vraisemblablement mitigés. Tout d'abord, on peut s'interroger sur la véritable vocation d'un tel impôt : il ne s'agit pas d'un impôt à vocation écologique puisque sa principale motivation est de fournir des recettes pour financer la seconde loi sur les 35 heures. En outre, les émissions de carbone liées au transport routier seront exonérées alors qu'elles constituent vraisemblablement le coeur du problème. Enfin, remarquons que la consommation d'énergie des entreprises concernées représente un tel pourcentage des coûts de production que celles-ci sont naturellement portées à réaliser des économies d'énergie, comme elles se sont engagées à le faire, contractuellement avec le ministère de l'environnement.

3. L'affectation de la TGAP au budget de la sécurité sociale : de l'impôt écologique à l'impôt de rendement

a) La controverse juridique

S'appuyant sur l'article 18 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 49( * ) , la commission des finances de l'Assemblée nationale a estimé que le transfert de la TGAP, recette de l'Etat, au budget de la sécurité sociale nécessitait une disposition explicite, d'origine Gouvernementale, en loi de finances. Peu convaincu des arguments juridiques développés par les députés 50( * ) mais soucieux de se montrer de bonne grâce, le Gouvernement a introduit par voie d'amendement en première lecture de la loi de finances pour 2000 à l'Assemblée nationale, un article 27 bis prévoyant le transfert explicite de la TGAP du budget de l'Etat vers celui de la sécurité sociale.

Il paraissait en effet quelque peu cavalier et constitutionnellement douteux que le Gouvernement transférât ce qui était jusqu'à nouvel ordre une recette de l'Etat sans en faire état dans le projet de loi de finances.

b) Le débat de fond : le détournement de la fiscalité écologique
(1) Une affectation pour une autre

La TGAP a été créée en 1999 en particulier pour " désaffecter " les taxes de l'ADEME. Aujourd'hui, que fait le Gouvernement ? Il " affecte " la TGAP au budget de la sécurité sociale.

Il convient de remarquer à ce stade que le transfert de la TGAP au budget de la sécurité sociale s'analyse comme une perte d'environ 2 milliards de francs de recettes pour le budget général de l'Etat.

Le produit de la TGAP n'aura donc conservé qu'une seule année son caractère de recette générale du budget de l'Etat. " L'an II de la fiscalité écologique " n'est pas même entamé que déjà cette recette miracle est affectée à un nouvel objet : le financement de la sécurité sociale et en particulier, des allégements de charges décidés dans le cadre de la politique des 35 heures.

Dans son rapport précité, M. Yves Tavernier relève que cette nouvelle affectation " rencontre (...) un risque inhérent à toute affectation, y compris à la sécurité sociale : le niveau des prélèvements à objet environnemental doit être déterminé par la recherche d'une efficacité intrinsèque (évaluation de leur effet dissuasif sur les comportements pollueurs et des coûts liés aux pollutions visées) et non par une logique de financement ; le montant de la TGAP ne saurait devenir la variable d'équilibre de la sécurité sociale ".

Votre rapporteur pour avis partage cette inquiétude : la TGAP affectée au financement des " 35 heures ", c'est l'assurance que la logique de financement prend désormais le pas sur la logique environnementale.

(2) A la recherche du " premier dividende "

La TGAP a été créée en 1999 sur la théorie du double dividende : la fiscalité écologique améliore d'une part l'environnement, par son effet dissuasif sur la pollution (c'est le premier dividende), et d'autre part l'emploi, par les recettes qu'elle procure et qui peuvent permettre la diminution des charges qui pèsent sur le facteur travail (c'est le second dividende).

(a) La TGAP, " machine à taxer "

Votre rapporteur pour avis estime qu'une fiscalité écologique doit contribuer à l'amélioration de l'environnement et que la dispersion des objectifs nuit à leur réalisation. Or, s'il est clair que le produit de la TGAP viendra en déduction des charges des entreprises dans le cadre de la politique des 35 heures, il est moins que certain que la TGAP aura un effet sur l'environnement.

La logique de financement a pris le pas sur la logique environnementale.

Un économiste, M. Guillaume Sainteny 51( * ) , écrit : " Il convient de se poser la question du but de l'utilisation d'instruments fiscaux en matière d'environnement. Que cherche-t-on : accroître les ressources publiques ou diminuer les atteintes à l'environnement ? ". En effet, une taxe " fiscale " aura une assiette large et un taux bas ; une taxe " incitative " aura une assiette bien déterminée et un taux élevé pour que le coût soit dissuasif. Si le but est la suppression de la pollution, l'assiette et donc les rentrées fiscales disparaissent. Le même économiste ajoute : " les taxes environnementales ne doivent pas être inspirées par des motifs de financement. " On ne saurait être plus clair.

L'an dernier, notre collègue Philippe Marini, rapporteur général du budget, soulignait dans son rapport général 52( * ) le risque d'instauration d'une " machine à taxer " : " Une décision de hausse de la TGAP, impôt " écologique " serait favorablement perçue par l'opinion publique, alors que l'objectif de cette augmentation (...) ne serait pas forcément l'amélioration de l'environnement mais l'augmentation des recettes de l'Etat ".

Les arbitrages rendus sur les différentes taxes prévues pour 2000 et 2001 illustrent bien la prééminence de la logique de financement : des taux bas, sur des assiettes larges. Ces taxes acceptables par le plus grand nombre et peu dissuasives n'ont pas vocation à réduire la pollution mais à procurer de nouvelles ressources publiques.

En outre, on remarquera avec intérêt que les produits de ces taxes sont prédéterminés en fonction des besoins de financement de la politique des 35 heures. S'agissant de la future taxe sur les consommations intermédiaires d'énergie on peut parler d'un " impôt de répartition " : le montant (environ 9 milliards) est déjà choisi, le Livre Blanc envoyé aux industriels ne servira qu'à déterminer les modalités de ce nouveau prélèvement.

(b) La disparition du " premier dividende "

Il est donc clair que la montée en puissance de la TGAP n'entraînera qu'une amélioration limitée de l'environnement. Ses différents compartiments ont en effet des effets dissuasifs faibles et les recettes dégagées n'iront pas à l'environnement. Dans ces conditions, peut-on encore se targuer d'atteindre un quelconque " premier dividende environnemental " ?

Votre rapporteur pour avis rappelle qu'il est attaché au principe de l'affectation du produit de certaines taxes, qui permet de garantir l'utilisation environnementale des produits et d'encourager les actions de dépollution, sur le fondement du double principe du pollueur-payeur et du dépollué-aidé. Ce système a été supprimé pour certaines taxes, votre rapporteur pour avis le déplore : il lui semble légitime que les ressources issues de l'environnement financent des actions environnementales.

(3) Peut-on espérer dégager un " deuxième dividende - emploi " contre les entreprises ?

Votre rapporteur pour avis estime en outre que le " deuxième dividende - emploi " est partiellement contradictoire puisque son application en 2000 et en 2001 va vraisemblablement avoir un impact négatif sur l'emploi.

C'est le cas notamment du projet de taxation des consommations intermédiaires d'énergie. Il faut rappeler au Gouvernement que les entreprises sont les employeurs naturels et qu'à trop les considérer comme taxables à merci, on s'attaque directement à l'emploi en France.

Il conviendrait donc, dans cette optique, de privilégier les démarches coordonnées dans le cadre communautaire pour la mise en place des taxations environnementales qui, dans le cas contraire, pénalisent les employeurs privés établis en France par rapport à leurs compétiteurs européens.

En définitive, votre rapporteur pour avis ne peut que condamner l'extension d'un impôt incohérent, son affectation au financement des 35 heures, ses perspectives d'évolution contraires à l'urgence du besoin de baisse des prélèvements obligatoires, et décalées avec nos échéances européennes. La TGAP, " machine à taxer ", n'a plus qu'une fonction : financer une mesure coûteuse, inutile, handicapante.

*

Droits sur les tabacs prélevés sur l'Etat, droits sur les alcools prélevés sur le fonds de réserve pour les retraites, taxe générale sur les activités polluantes, cotisation sociale sur les bénéfices, taxation des heures supplémentaires, subvention d'équilibre de l'Etat, et tout cela pour n'arriver qu'à un financement imparfait en 2000, non assuré en 2001. La réforme d'ampleur de l'assiette des cotisations sociales réside ainsi dans l'élargissement de l'assiette aux activités polluantes, à la consommation d'alcools, à la consommation de tabacs, à la multiplication des heures supplémentaires et à des profits dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils apparaîtront comme des rescapés de cette politique incohérente et dangereuse.

Pour ces raisons, votre rapporteur pour avis vous propose la suppression des articles 2, 3 et 4 relatifs au financement des 35 heures dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

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