EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 10 novembre 1999, sous la présidence de M. Alain Lambert, la commission a procédé, à l' examen du projet de loi 40 (1999-2000), adopté par l'Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2000 , sur le rapport de M. Jacques Oudin , rapporteur pour avis .

M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis, a d'emblée indiqué qu'il estimait ce projet de loi encore plus mauvais qu'il aurait pu le penser. Rappelant le rôle que jouait la commission des finances dans l'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale, il a estimé que cette dernière devait donner une vision nette du présent et de l'avenir : étudier au Parlement les différents comptes sociaux, évaluer l'état des réformes entreprises en matière de politiques sociales, décider des ajustements nécessaires pour prendre en compte les dérives financières. Il a observé que, sur aucun de ces sujets, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 n'offrait de perspective satisfaisante : les comptes sont brouillés ; les finances sociales n'ont pas de cohérence avec les finances de l'Etat ; les politiques sociales sont bien loin de l'ampleur des enjeux ; l'exercice est comme pollué par les modalités de financement du passage aux 35 heures.

Le rapporteur pour avis a souhaité replacer le projet de loi de financement dans le contexte plus général des finances publiques. Il a ainsi indiqué que la protection sociale représentait en 1998 30,6 % du produit intérieur brut (PIB), et que ce projet avait une ampleur financière supérieure à celle de la loi de finances. Il a ensuite formulé plusieurs observations sur les prélèvements obligatoires affectés aux administrations de sécurité sociale : ceux-ci dépassent ceux affectés à l'Etat ; ils connaissent une hausse ininterrompue ; la France est le pays d'Europe qui a le plus fort taux de prélèvements obligatoires sociaux (19,6 % contre une moyenne de 9,8 % dans les pays membres de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) et la plus forte proportion de prélèvements sociaux dans l'ensemble des prélèvements obligatoires (41,6 % contre une moyenne de 28,9 % dans l'OCDE). Il a constaté que, depuis 1997, pas moins de douze impositions et taxes sociales avaient été soit créées, soit élargies. Il a rappelé que la sécurité sociale avait bénéficié de recettes exceptionnellement favorables depuis 1997, fruit de la croissance économique et des prélèvements nouveaux. Il a constaté en revanche que les dépenses se poursuivaient depuis trois ans sur un rythme trop élevé, supérieur à 3 % en moyenne et que, de ce point de vue, le Gouvernement porterait la lourde responsabilité de n'avoir pas utilisé les recettes supplémentaires pour engager les réformes essentielles dont a besoin notre système de protection sociale. Il a également voulu dénoncer par avance toute approche par le solde, estimant que son redressement ne devait pas cacher la progression des dépenses, rigides et pérennes, et des recettes, elles, plus volatiles.

Puis M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis, a mentionné les liens très étroits unissant les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2000.

Il a indiqué que ces imbrications, non seulement rendaient presque impossible une vision globale et cohérente des finances publiques, mais encore retiraient toute sincérité à chacun des deux textes. En dehors des dispositions nécessaires au financement des 35 heures, il a illustré son propos de plusieurs exemples :

- la loi de finances ne mentionne pas la part de l'Etat (4,7 milliards de francs) dans la majoration de l'allocation de rentrée scolaire (ARS) qui figure pourtant au projet de loi de financement ;

- la loi de finances ne mentionne pas la prise en charge par l'Etat d'un milliard de francs correspondant à la subvention de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), au Fonds d'action sociale des travailleurs immigrés et de leur famille, dont le transfert vers le budget de l'Etat figure pourtant au projet de loi de financement ;

- la loi de finances ne mentionne pas la prise en charge par l'Etat de la baisse de 3 milliards de francs sur deux ans du versement de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) au titre de la surcompensation, baisse qui figure pourtant dans la loi de financement ;

- la loi de finances ne mentionne pas les conséquences financières des diverses revalorisations de prestations et exonérations de cotisations qui figurent pourtant au projet de loi de financement dans le budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA) ;

- à l'inverse, la loi de financement ne mentionne pas le prélèvement de 1 milliard de francs sur le produit de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) au BAPSA qui figure pourtant en loi de finances.

M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis, a ainsi souligné la nécessité, déjà mise en évidence par le rapporteur général, de disposer d'une lecture consolidée des finances publiques.

Il a ensuite mis en doute la fiabilité des comptes de la sécurité sociale. Il a observé que ces observations résultaient avant tout de l'incapacité de l'Etat à présenter une comptabilité en droits constatés de l'ensemble des régimes. Il a expliqué que la commission des comptes de la sécurité sociale avait, contre tout principe, minoré l'excédent prévisionnel du régime général de 8,1 milliards de francs en imputant sur les comptes des caisses des mesures figurant dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale : la participation du régime général à hauteur de 5,6 milliards de francs au financement des 35 heures et la part revenant à la CNAF de la majoration de l'ARS (2,5 milliards de francs). Il a fait remarqué que la loi de financement dégradait ainsi en réalité le compte tendanciel de plus de 12 milliards de francs, et non pas de 4 milliards de francs comme l'indique le Gouvernement.

Puis, le rapporteur pour avis a détaillé le mode de financement des 35 heures en constatant que le bouleversement du dispositif lors de l'examen par l'Assemblée nationale en première lecture avait deux conséquences étonnantes : l'attribution de droits sur les alcools au fonds de financement des 35 heures au lieu du fonds de solidarité vieillesse revient à priver de 5,6 milliards de francs en 2000 et de 12 milliards de francs par an par la suite le fonds de réserve pour les retraites ; l'attribution de 49 % du produit du prélèvement social de 2 % sur les revenus du patrimoine revient à remettre en cause le mode de financement de la couverture maladie universelle (CMU), pourtant instauré en juin dernier.

Décrivant la mise en place du fonds de financement des 35 heures et ses dépenses futures, estimées à 65 milliards de francs en 2000 et à 105 milliards de francs en année pleine, M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis, a expliqué que le Gouvernement proposait de les financer l'année prochaine par cinq prélèvements obligatoires nouveaux et une subvention de l'Etat : transfert de droits sur les tabacs, transfert de droits sur les alcools, transfert et élargissement de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), création d'une cotisation sociale sur les bénéfices des sociétés (CSB), création d'une taxe sur les heures supplémentaires, et subvention de l'Etat prélevée sur le budget de l'emploi.

Il a prédit pour 2001 que ces différents prélèvements obligatoires augmenteraient sensiblement puisque le Gouvernement aurait à trouver 50 milliards de francs nouveaux pour financer les 35 heures. Evoquant les conséquences néfastes de cette mesure et de son mode de financement pour l'économie française, il a indiqué qu'il en proposerait la suppression.

Le rapporteur pour avis a ensuite critiqué le Gouvernement pour le choix d'un nouveau mode de calcul de l'objectif national d'évolution des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) : le projet de loi propose de calculer son taux d'évolution par rapport, non pas aux prévisions de l'année précédente, mais aux réalisations, ce qui revient à afficher un taux de progression de 2,5 % quand les dépenses augmentent en réalité de 4,5 %. Il a estimé que cette tromperie permettait de tirer un trait sur les dépassements des années précédentes, soit 13 milliards de francs, mais qu'il n'en restait pas moins que l'ONDAM passerait, si les prévisions se réalisaient, de 599,5 milliards de francs en 1997, à 658 milliards de francs en 2000. Dénonçant d'autres astuces comptables, il a appelé de ses voeux l'établissement d'une loi de règlement pour le financement de la sécurité sociale qui permettrait de limiter ces manipulations de chiffres. Rappelant que les dépenses de santé constituaient le premier poste de dérive des dépenses sociales, il a fortement critiqué le mode de régulation proposé cette année par le Gouvernement, en le qualifiant de trop complexe, d'obstacle à la concertation, et de morcellement des responsabilités.

S'agissant de l'industrie pharmaceutique, il a émis les plus vives réserves sur la création d'une contribution exceptionnelle des entreprises pharmaceutiques, mesure équivalente à une précédente contribution déjà annulée par le Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat, et la Cour de justice des communautés européennes.

Il a dénoncé l'absence de politique hospitalière, les retards excessifs pris pour l'utilisation des fonds de restructuration sous-dotés par rapport aux enjeux. Il a reproché au Gouvernement de ne pas mener de réelle politique de rattrapage des disparités régionales en matière de dotations hospitalières.

Abordant la question des retraites, le rapporteur pour avis a fait part de ses interrogations sur les objectifs, le mode de gestion, et la nature des ressources du fonds de réserve pour les retraites créé il y a un an. De ce point de vue, il a dit chercher la cohérence entre les prélèvements sur les ressources du fonds de solidarité vieillesse et l'apparente volonté du Gouvernement de donner la priorité au fonds de réserve. De même, il a déploré l'immobilisme du projet de loi sur la réforme du système français de retraites.

M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis, a qualifié de " sans ambition " la politique de revalorisation arbitraire de certaines prestations familiales. Il a fait part de ses craintes pour les ressources de la branche famille face à l'absence, dans le projet de loi de finances, de la part de la prise en charge par l'Etat de la majoration de l'ARS. Il a précisé que le projet de loi de financement contenait plusieurs mesures d'élargissement du dispositif de cessation anticipée d'activité en faveur des victimes de l'amiante pour un coût en année pleine d'un milliard de francs.

Enfin, le rapporteur pour avis a dénoncé les aberrations de la politique de trésorerie. Il a expliqué que l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) devait recourir jusqu'à 29 milliards de francs d'avances de trésorerie de la part de la Caisse des dépôts et consignations, résultant en partie des retards de paiement de l'Etat et du déficit cumulé du régime général faute de mesures correctrices (8,5 milliards de francs) à la fin de l'année 1999.

Il a évoqué le cas de la CNRACL, qui doit recourir à des avances de trésorerie, et prélever sur ses réserves, pour financer un versement de 20 milliards de francs au titre de la surcompensation.

M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis, a conclu en proposant à la commission d'émettre un avis négatif sur ce projet de loi de financement, qui augmente les prélèvements, augmente les dépenses, n'engage aucune réforme, fragilise l'économie française.

M. Philippe Marini, rapporteur général, a remercié le rapporteur pour avis de sa mise en perspective du projet de loi de financement, et s'est félicité qu'ayant travaillé en liaison étroite avec la commission des affaires sociales, il puisse formuler des analyses similaires et montrer des approches cohérentes.

Abordant la question du fonds de réserve pour les retraites, le rapporteur général a constaté, pour le déplorer, que les recettes de ce fonds s'annonçaient dramatiquement insuffisantes par rapport aux objectifs, d'ailleurs assez flous. Il a fait part de sa surprise devant le prélèvement opéré sur ces recettes pour le financement des 35 heures, et a donc qualifié ce fonds de " véritable imposture ". Il a noté que ce fonds, présenté comme un signal du Gouvernement, se retrouvait écorné dès la première occasion venue. Il s'est donc interrogé sur l'évolution à venir du fonds de réserve. Il a ensuite demandé à M. Jacques Oudin les raisons pour lesquelles la partie de la majoration de l'ARS à la charge de l'Etat ne figurait pas en loi de finances initiale. Enfin, il a posé une question sur la cohérence entre la politique de trésorerie du régime général de sécurité sociale et celle de l'Etat.

M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis, a indiqué que rien n'avait été fait encore pour le fonds de réserve et que toutes les possibilités étaient donc ouvertes. Pour l'ARS, il a rappelé qu'elle figurait auparavant en loi de finances rectificative parce que la décision de majoration n'était pas prise au moment de l'établissement de la loi de finances initiale. Il a cependant fait remarquer que pour 2000 la décision de pérenniser la majoration de l'ARS avait été prise dès le mois de juillet 1999, et qu'elle aurait ainsi dû figurer en loi de finances initiale. S'agissant de la politique de trésorerie, il a expliqué que les retards de paiement de l'Etat permettaient à ce dernier de faire reposer la charge de trésorerie sur la sécurité sociale.

M. Michel Mercier a observé que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 manifestait les limites de cet instrument juridique, qui ne contribue pas à la maîtrise des dépenses et apparaît de plus en plus comme une seconde loi de fiscalité sans que l'on en connaisse vraiment les affectations. Il a estimé qu'il y avait là un complet dérapage de la volonté initiale du législateur organique qui était de doter le Parlement d'un outil de maîtrise des dépenses.

M. René Ballayer a fait remarquer que le texte adopté par l'Assemblée nationale mentionnait une hausse future des droits sur les tabacs.

M. Joseph Ostermann a estimé qu'il devenait nécessaire de réaliser un bilan net des prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises, et s'est demandé comment pourrait être atteint le montant de 12,5 milliards de francs chacune pour la CSB et la TGAP.

Le rapporteur pour avis a fait part de sa forte préoccupation devant l'évolution des projets de loi de financement de la sécurité sociale. Il a estimé que l'objectif vertueux initial, qui était de fournir un cadre global d'analyse de la dépense sociale, se transformait par le machiavélisme de l'Etat en moyen d'échapper aux stricts encadrements qui entravent les lois de finances. Il a regretté, de ce point de vue, que l'examen des deux textes procède de deux commissions différentes. Il s'est félicité pour le chemin réalisé avec la commission des affaires sociales sur la voie de la convergence des approches et a souligné l'importance des réflexions menées sur la dynamique des dépenses et l'inefficacité des mécanismes de leur maîtrise. La loi de financement lui paraît ainsi utilisée pour seulement augmenter et créer des taxes. Il a estimé, s'agissant de la CSB et de la TGAP, que l'on n'éviterait pas dans les années à venir une forte augmentation de leur taux. Il a confié ses inquiétudes sur les conséquences de ce jeu de dupes sur les entreprises françaises dans un contexte d'économie ouverte.

La commission a ensuite procédé à l'examen des articles.

A l'article 2 (création du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale), elle a adopté un amendement de suppression.

Elle a également proposé de supprimer les articles 3 (institution d'une contribution sociale sur les bénéfices des sociétés) et 4 (extension de la taxe générale sur les activités polluantes).

Enfin, la commission a décidé d'émettre un avis négatif sur l'ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale.

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