E. LES DIFFICULTÉS COMPTABLES DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

La nécessité de comptes fiables pour être utilisables, clairs pour être compréhensibles, homogènes pour être comparables, disponibles dans des délais suffisamment courts pour être contrôlés n'a plus besoin de démonstration.

L'année 1999 devait constituer une période de transition vers une présentation du projet de loi de financement en encaissements / décaissements. Il n'en est rien.

Une mission interministérielle devait rendre ses conclusions. Elle le fera au plus tôt courant 2000, repoussant à 2001 les dispositions législatives et à 2002 au mieux leur application.

Certaines améliorations comme Racine devait rendre les comptes plus fiables. Racine les a rendus moins compréhensibles. Bref, comme l'indiquait le Premier Président de la Cour des comptes devant la commission des affaires sociales du Sénat le 27 octobre 1999 : " il y a un travail important de pure comptabilité à accomplir en matière de finances sociales. Ces dernières sont encore loin d'avoir atteint la qualité et la fiabilité des finances de l'Etat (....). En conclusion, il faudra encore beaucoup de temps pour disposer de comptes sociaux précis et fiables. "

1. Les retards et difficultés de la modernisation de la comptabilité

Le rapport de la commission des comptes de la sécuritésociale s'est fait l'écho des retards et difficultés rencontrés dans la modernisation des méthodes comptables.

Il a ainsi décrit les missions et l'activité de la Mission interministérielle sur la comptabilité des organismes de sécurité sociale (MIRCOSS) qui a défini un projet de plan comptable qui devait être soumis au comité de pilotage de la mission en octobre 1999, avant d'être transmis aux différents organismes.

Le rapport décrit également les conséquences sur les résultats des exercices du passage complet en comptabilité en droits constatés du régime général depuis 1996. Comme cela était prévu, ce passage se traduit par des écarts importants du résultat selon les méthodes adoptées.

Ecart du résultat du régime général selon les méthodes comptables

(en milliards de francs)

 

1997

1998

Résultat en droits constatés

- 24,22

- 9,68

Résultat en encaissements / décaissements

- 39,23

- 18,22

Ecart

15,01

8,54

Source : commission des comptes de la sécurité sociale

Enfin, il fait état des difficultés rencontrées par l'ACOSS à l'occasion de la mise en place du système Racine. Elles ont occasionné une partie des erreurs de prévisions de résultats du régime général. Il n'est pas encore possible de diposer d'une comparaison exacte de ce chacun aurait été mais on peut prendre la mesure des différences en constatant que le changement de méthode d'affectation des encaissements est à l'origine de 5 milliards de francs d'écarts entre les différents régimes.

Encaissements CGSS - URSSAF

Comparaison attributions Racine/attributions forfaitaires - Année 1998

 


Répartition comptable

Attributions forfaitaires en trésorerie

 
 

Montant (MdF)

%

Montant (MdF)

%

Ecart (MdF)

CNAMTS (mal + CSG)

475,047

43,95

480,866

44,47

- 5,819

CNAMTS/AT

39,665

3,67

39,732

3,67

- 0,067

CNAVTS

277,128

25,64

271,904

25,14

+ 5,224

CNAF

163,637

15,14

166,139

15,36

- 2,502

Total branches

955,477

 

958,641

 

- 3,164

FSV

46,881

4,34

47,648

4,40

- 0,767

Cades

17,809

1,65

17,792

1,65

+ 0,017

Rég. Oblig.assur.mal.

21,428

1,98

20,891

1,93

+ 0,537

Sous-total A

1.041,594

96,37

1.044,972

96,63

- 3,377

Autres tiers

39,283

3,63

36,423

3,37

+ 2,860

Total

1.080,877

100,0

1.081,394

100,0

- 0,517

Source : Commission des comptes de la sécurité sociale - mai 1999.

Avantages de la comptabilité en droits constatés...

" La méthode des droits constatés présente de nombreux avantages pour la sincérité et la transparence des comptes :

- elle donne au résultat de l'exercice sa pleine signification en le rendant indépendant d'événements perturbant l'encaissement des cotisations ou le règlement des prestations : il s'agit d'une garantie précieuse dans la perspective d'une régulation fine des dépenses, notamment d'assurance maladie ;

- elle offre l'occasion d'harmoniser les méthodes comptables de l'ensemble des régimes puisqu'un même événement est traité comptablement de la même manière pour tous les régimes : il s'agit d'une étape préalable essentielle sur la voie d'une agrégation des comptes de la sécurité sociale ;

- elle donne un cadre de référence comparable à celui des régimes complémentaires et des mutuelles ;

- elle favorise enfin la transparence financière entre les différents acteurs de la sécurité sociale en faisant apparaître les créances et les dettes respectives de chacun : elle devrait ainsi inciter les régimes à suivre de manière plus attentive le recouvrement de leurs créances et à respecter les échéances de règlement entre partenaires. "

... et difficultés de sa mise en oeuvre

" La première année du passage d'une méthode à l'autre génère un résultat exceptionnel dans la mesure notamment où les cotisations restant à recouvrer sur exercices antérieurs à celui de la réforme qui n'ont jamais pu être comptabilisés sont de produits exceptionnels, compensés d'ailleurs en grande partie par une provision pour créances douteuses en raison de l'irrécouvrabilité probable de la majeure partie d'entre elles.

Le changement de réglementation comptable procure donc une amélioration du résultat dont l'ampleur est néanmoins difficilement prévisible. C'est la raison pour laquelle le résultat exceptionnel dû au changement de méthode comptable est isolé et distinct du résultat courant de l'exercice de mise en oeuvre de la réforme. "

Source : rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale de 1998.


Les changements informatiques, notamment à l'URSSAF de Paris, ont été à l'origine d'un montant extrêmement élevé de ressources non affectées (52 milliards de francs) qui ont été réparties selon des attributions forfaitaires. Une enquête de l'IGAS sur ce point montre que ce phénomène a eu des causes conjoncturelles mais que " de nouveaux problèmes ne peuvent être totalement exclus, même si la répétition d'erreurs aussi importantes que celles ayant affecté les années 1997 et 1998 est peu probable. " 14( * )

2. Le changement du mode de répartition de la CSG (article 5)

Afin de simplifier le mode de répartition de la CSG qui avait fait l'objet de nombreuses critiques, le Gouvernement propose un changement qui profite en premier lieu à la CNAVTS.

Le I de l'article 5 modifie les règles d'affectation de la CSG instaurées lors de la substitution de la CSG aux cotisations maladie dans la loi de financement de 1998.

Le système mis en place à ce moment se caractérisait en effet par sa complexité. Les régimes obligatoires d'assurance maladie reçoivent une ressource correspondant à la part maladie de la CSG et à 40 % des droits de consommation sur les alcools. Le montant total est réparti en deux temps.

D'abord, il s'agit de compenser aux régimes la baisse de cotisation d'assurance maladie résultant de la substitution. Ensuite, le solde est attribué à la CNAMTS à concurrence de son déficit comptable. Le solde éventuel revient aux autres caisses d'assurance maladie selon leur déficit comptable avant attribution de la C3S.

La complexité de ce mécanisme réside dans les acomptes et régularisations qu'il occasionne. La première régularisation est mensuelle : chaque mois, l'ACOSS verse aux régimes autres que la CNAMTS (pour celle-ci le versement est quotidien) un acompte régularisé le mois suivant. La seconde régularisation est annuelle : le calcul de ce qu'auraient dû recevoir le régimes est fait au 30 novembre. Le ministère de la santé établit alors la clef de répartition définitive de l'année, ce qui permet de régulariser les acomptes faits depuis le 1 er janvier selon une clef provisoire établie par l'ACOSS. Enfin, la troisième régularisation a lieu après le 30 juin de l'année suivante, date à laquelle les montants définitifs des recettes de cotisations restantes sont connus et donc sont faits les calculs de répartition. Pour l'année 1997, la répartition définitive n'a pu avoir lieu qu'à l'automne 1999 ! Ainsi donc, la complexité avait des effets pervers pluriannuels.

De plus, ces mécanismes suscitent des réactions en chaîne. Si, comme c'était le cas pour la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, un équilibre prévu pour la CNAMTS se transforme en lourd déficit, alors la CANAM qui devait recevoir de la CSG enregistre une régularisation négative (2,9 milliards de francs en 1999) qui sera absorbée par la C3S. En définitive, une erreur de prévision du déficit de la CNAMTS en 1999 revient dans le système actuel à minorer les recettes de la première partie du Fonds de solidarité vieillesse en 2000 (au titre de la C3S) et donc du fonds de réserve pour les retraites en 2001 !

Le nouveau système remplace le calcul de ce qu'auraient perçu les régimes si les cotisations maladie 1997 avaient été maintenues en une attribution forfaitaire appuyée sur les ressources de 1998, corrigées de certains effets et revalorisées selon l'évolution de l'assiette de la CSG. Il n'y aura donc plus de régularisation. Le solde est entièrement dévolu à la CNAMTS.

Par ailleurs, les 40 % de droits sur les alcools iront à partir du 1 er janvier 2000 en totalité à la CNAMTS, ce qui représente pour elle une ressource totale de 4,9 milliards de francs auxquels s'ajouteront les 5 % (soit 600 millions de francs) transférés du FSV vers la CNAMTS en vertu de la loi portant création de la couverture maladie universelle.

Ce système a le mérite de la clarté, et il sera revu dans cinq ans ce qui paraît une bonne échéance, sept ans après la substitution de la CSG aux cotisations maladie. De plus, dorénavant, la ressource évoluera selon l'assiette de la CSG alors que la précédente ressource (masse salariale) était moins dynamique.

Il présente cependant l'inconvénient de priver les régimes de base autres que la CNAMTS - principalement la CANAM - d'une ressource qui venait compléter les sommes qu'ils recevaient au titre de la C3S. Ainsi, la CNAMTS verra-t-elle ses recettes augmenter et le FSV, bénéficiaire du solde de C3S, les siennes diminuer. La CNAMTS bénéficie donc indirectement de la ressource que représente la C3S.

Votre rapporteur pour avis
est favorable à toute mesure permettant une stabilisation et une simplification des ressources des régimes d'assurance maladie. Il s'interroge cependant sur la cohérence du nouveau système avec l'objectif annoncé de doter le fonds de réserve pour les retraites de recettes importantes lui permettant de remplir ses objectifs, qui d'ailleurs ne sont pas encore fixés en l'absence d'indication sur sa destination exacte.

Enfin, le II de l'article 5 tire une partie des conséquences financières de l'instauration de la couverture maladie universelle. A partir du 1 er janvier 2000, la CNAMTS bénéficiera de 5 % des droits de consommation sur les alcools qui étaient auparavant attribués au FSV, soit 600 millions de francs.

3. L'urgence de l'aboutissement de la réforme

Il devient plus que jamais indispensable que les comptes présentés à la commission des comptes de la sécurité sociale l'année prochaine et donc le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (qui s'appuie sur les premiers) soient établis en droits constatés et non plus en encaissements / décaissements.

Votre rapporteur pour avis souhaite ainsi que le projet de loi de modernisation de la santé du premier semestre prochain contienne les dispositions législatives nécessaires à ce passage, indispensable pour disposer d'outils fiables de connaissance et donc de maîtrise des dépenses comme des recettes.

Cependant, comme l'indique le dernier rapport de la Cour des comptes, la modernisation de la comptabilité ne saurait se résumer au passage en droits constatés. Il s'agit d'un effort plus global en vue de disposer de données d'une qualité identique et élevée.

Enfin, cela ne saurait exonérer de la réflexion de fond, esquissée par la Cour des comptes là aussi, sur la nature même des concepts utilisés en lois de financement 15( * ) . S'il s'agit de prévisions, cela dépend de la nature de l'agrégat en cause (ONDAM en droits constatés par exemple, mais cela ne vaut pas nécessairement pour les objectifs de dépenses et les prévisions de recettes) ; s'il s'agit d'exécution, les droits constatés s'imposent, mais aussi des lois rectificatives ; s'il s'agit de besoin de financement, alors il faut utiliser les méthodes comptables en cours pour les traités européens de Maastricht et Amsterdam.

Votre rapporteur pour avis restera très attentif en 2000 et dans les années à venir sur la question de la comptabilité qui montre les efforts très importants qu'ont encore à faire les finances sociales sur le chemin de la clarté, de la fiabilité et de la crédibilité.

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