III. DES CHANTIERS QUI RESTENT EN SUSPENS

La revalorisation de la fonction de chef d'établissement, les conditions de travail et l'évaluation des enseignants constituent des thèmes sensibles qui ont fait l'objet de rapports récents ainsi que d'une analyse approfondie de la commission d'enquête du Sénat.

Votre commission portera en conséquence une attention toute particulière aux mesures qui seront prises par le gouvernement sur ces trois dossiers importants pour l'avenir de l'enseignement scolaire.

A. LA NÉCESSAIRE REVALORISATION DE LA FONCTION DES CHEFS D'ÉTABLISSEMENT

1. La mission Blanchet

Une mission de concertation et de réflexion a été confiée au recteur Blanchet afin de proposer des mesures tendant à redonner au chef d'établissement les moyens, la considération, les conditions de travail, les procédures de recrutement et les perspectives de carrière adaptées à la situation difficile du moment.

Cette mission a été complétée par un groupe de suivi, une table ronde et un dispositif académique de concertation.

2. Le constat

Les travaux effectués dans le cadre de la mission Blanchet ont permis de révéler trois types de difficultés attachées à la fonction :

- un accroissement et une diversification des tâches confiées aux chefs d'établissement résultant de l'évolution sociale et de la multiplicité des demandes émanant de la hiérarchie administrative ;

- des obligations statutaires et des missions qui appellent une clarification, notamment avec le personnel d'encadrement ;

- des relations à préciser avec la hiérarchie administrative et les corps d'inspection, des inquiétudes concernant la mise en jeu de la responsabilité pénale et les conditions de rémunération, notamment en début de carrière.

3. Les propositions de réforme

Les pistes de réforme avancées par le rapport Blanchet portent aussi bien sur l'organisation des établissements, et leur " pilotage ", que sur la situation des personnels de direction, en termes de recrutement, de formation et de carrière.

Les 39 propositions formulées peuvent être regroupées en cinq thèmes principaux qui font actuellement l'objet d'une concertation avec les représentants des intéressés :

a) Faciliter l'exécution des tâches

Cet objectif suppose une contractualisation des missions et des moyens dévolus aux établissements, une plus grande autonomie de ces derniers dans l'utilisation d'une partie de la DHG, la mise en place d'un " conseiller juridique " dans les inspections académiques et d'une personne-relais dans les rectorats affectée à la bonne circulation des informations, une délégation des crédits de maintenance par les collectivités locales.

b) Moderniser le " pilotage " des établissements

L'académie doit être l'intermédiaire unique entre le ministère et l'établissement ; des bassins de formation regrouperont les établissements homogènes ; les petits collèges et lycées ont vocation à être regroupés ; les instances de " pilotage " sont le conseil d'administration, le bureau, le conseil de la vie scolaire et le conseil pédagogique.

c) Renforcer le rôle des chefs d'établissement et de leurs équipes

Le contenu des fonctions du chef d'établissement devraient faire l'objet d'une directive ; une lettre de mission devrait préciser pour chaque collège ou lycée des objectifs en tenant compte du contexte local.

L'équipe de direction doit être entendue comme recouvrant le ou les directeurs adjoints, le gestionnaire, le conseiller principal d'éducation et le personnel social et de santé, les personnels de l'administration et d'intendance constituant le pôle unique de gestion administrative et financière.

d) Favoriser l'accès à la fonction

Les propositions formulées à partir de cet objectif sont particulièrement importantes puisqu'elles permettraient d'ouvrir la fonction de chef d'établissement : sont visés sous des conditions particulières, les personnels de la fonction publique d'Etat, hospitalière ou territoriale.

En outre, sont prévus des détachements d'un autre corps d'origine, dont la durée est limitée à cinq ans.

Enfin, les personnels " faisant fonction " auraient la possibilité d'être titularisés comme adjoints.

e) Accompagner les carrières des personnels de direction

Les personnels de direction devraient bénéficier d'une formation initiale d'une durée d'un an, celle-ci devant être incluse dans les plans de formation continue. Par ailleurs, ces personnels feront l'objet d'une évaluation.

Enfin, et afin de valoriser les carrières, ces personnels devraient avoir la possibilité de devenir inspecteur d'académie, directeur des services départementaux de l'éducation nationale (IA-DSDEN), inspecteur pédagogique régional, inspecteur d'académie (IPR-IA) et inspecteur d'académie " correspondant de proximité ", ou pouvoir accéder à l'autres corps de la fonction publique.

4. Les observations de la commission

Votre commission tient à souligner l'intérêt des propositions avancées par le rapport Blanchet dont certaines recoupent les mesures suggérées par la commission d'enquête du Sénat.

Celle-ci proposait en effet une redéfinition des modalités de recrutement des chefs d'établissement, une revalorisation de leur fonction, un développement de leurs prérogatives à l'égard de leur équipe éducative et un élargissement de leur recrutement en dehors du monde enseignant, dans une perspective de professionnalisation.

Votre commission estime cependant que le rapport Blanchet reste muet sur un certain nombre de questions qu'elle estime importantes pour l'avenir de la fonction.

Elle considère d'abord que l'évaluation des enseignants par le chef d'établissement, qui résulte d'une note administrative censée permettre de se prononcer sur l'autorité et le " rayonnement " de l'enseignant, sans empiéter sur le terrain pédagogique qui relève des corps d'inspection, n'est pas suffisamment prise en compte et qu'il conviendrait sans doute d'instituer en ce domaine une collaboration plus étroite entre les personnels de direction et les inspections.

Sur un plan plus général, la commission constate que la crise de la fonction s'explique certes par des problèmes de recrutement, et la qualité des personnels, mais aussi, et surtout, par une évolution considérable du rôle des chefs d'établissement dont les prérogatives n'ont pas été renforcées.

Elle considère notamment que la règle du concours, telle qu'elle est posée par le décret du 11 avril 1988, ne constitue pas le meilleur moyen de sélection et de recrutement de personnels ayant les qualités requises pour animer une équipe pédagogique et piloter le fonctionnement de l'établissement.

Elle estime enfin que l'absence d'autorité pédagogique des chefs d'établissement sur les professeurs est d'autant plus paradoxale qu'ils sont eux-mêmes issus du corps enseignant, et que leur fonction prend une dimension pédagogique de plus en plus importante : constitution des classes, détermination des emplois du temps, choix du professeur principal, organisation du travail scolaire et des enseignements, animation de la vie scolaire, supervision de l'évaluation et de l'orientation des élèves, élaboration du projet d'établissement...

Lors de son audition devant votre commission, le 20 octobre dernier, le ministre a estimé anormal que les chefs d'établissement ne soient pas davantage associés à la notation des enseignants et a indiqué que le nombre de postes vacants avait été réduit de 1 100 à 350 entre 1998 et 1999.

Votre commission attend donc avec un intérêt tout particulier les mesures qui seront prises à partir des conclusions du rapport Blanchet et souhaiterait que ces mesures s'inspirent de ses propres observations et propositions.

B. UNE NOUVELLE APPROCHE DE L'ÉVALUATION DES ENSEIGNANTS

Le recteur Jean-Marc Monteil a été chargé d'une réflexion sur l'évaluation des enseignants qui doit dépasser leur seule notation en s'inscrivant dans une " démarche de valorisation institutionnelle de ses contenus et de ses produits " , cette nouvelle procédure permettant ainsi de constituer " un patrimoine d'expertises didactiques et pédagogiques, effectivement partagé ".

En termes plus clairs, il semblerait donc que l'évaluation ait pour nouvelle mission de contribuer à la diffusion et à l'enrichissement des pratiques pédagogiques. Le rapport Monteil formule ainsi trois propositions :

- une prise en compte dans l'évaluation d'un rapport d'activité produit par l'enseignant ;

- une entrée progressive et accompagnée dans le métier d'enseignant ;

- une association fonctionnelle plus étroite entre les corps d'inspection et les personnels de direction.

1. Un rapport d'activité rédigé tous les trois ans

Ce rapport devrait être rédigé par l'enseignant lui-même et contenir ses observations sur les programmes, le contenu des savoirs, les difficultés d'apprentissage des élèves et mentionner les responsabilités particulières assumées par l'enseignant (soutien des élèves, responsabilités administratives...)

Il convient de noter que cette proposition a suscité certaines réserves de la part des syndicats représentant les corps d'inspection qui craignent que la rédaction de ce rapport " ne soit fortement influencée par le désir de se mettre en valeur, plutôt que par un authentique souci de réfléchir sur ses pratiques ".

2. Une association plus étroite entre les corps d'inspection et les personnels de direction

Le rapport d'activité serait utilisé lors d'un entretien avec le chef d'établissement et les inspecteurs pédagogiques (dont l'un d'une discipline différente de celle de l'enseignant) et constituerait le fondement de la note administrative.

Il alimenterait la réflexion d'un conseil des études intervenant dans la rédaction du volet pédagogique du projet d'établissement, l'observation d'une séquence en classe restant le fondement de la note pédagogique.

Cette proposition a appelé aussi des réserves des corps d'inspection qui l'ont estimée " chronophage " et qui voient mal l'utilité d'une évaluation croisée, par exemple d'un inspecteur de mathématiques sur un cours de langue vivante.

3. Une entrée progressive dans le métier d'enseignant

Les professeurs débutants bénéficieraient lors de leurs deux premières années d'exercice de l'aide d'un tuteur choisi par les collègues les plus expérimentés de leur discipline, ces tuteurs étant placés sous la responsabilité pédagogique de deux inspecteurs (dont l'un n'appartiendrait pas à la discipline) et d'un formateur d'IUFM.

Au terme de ces deux années, les professeurs débutants seraient soumis à la même procédure que les plus anciens et, deux ans plus tard, à une seconde évaluation conduite avec deux inspecteurs différents.

4. Les observations de la commission

Le rapport de la commission d'enquête avait souligné le caractère peu satisfaisant de l'évaluation des enseignants et déploré que la notation-évaluation soit sans incidence véritable sur la gestion des carrières, l'éducation nationale à la différence d'autres administrations n'utilisant pas à cet égard toutes les ressources du statut de la fonction publique.

Comme il a été dit, la commission d'enquête appelait de ses voeux une meilleure prise en compte de l'évaluation administrative effectuée par les chefs d'établissement et une collaboration plus étroite entre ces derniers et les corps d'inspection.

Les mesures prônées par le rapport Monteil répondent en partie à cet objectif mais votre commission tient à souligner les moyens insuffisants dont dispose aujourd'hui l'inspection.

Les inspections des enseignants sont en effet rares ou trop espacées et l'on sait qu'un système de péréquation des notes a même été institué pour que les professeurs non inspectés ne soient pas pénalisés dans le déroulement de leur carrière.

Votre commission estime donc qu'une association plus étroite entre les corps d'inspection et les personnels de direction n'est susceptible d'être mise en place que si les corps d'inspection sont renforcés.

Le ministre indiquait en 1998 qu'il fallait augmenter de moitié le nombre d'inspecteurs d'académie, qui n'est actuellement que de 1.500 : force est de constater que son dernier budget ne prévoit que 40 postes supplémentaires...

C. UNE NOUVELLE ORGANISATION DU TEMPS DE TRAVAIL ET DE MEILLEURES CONDITIONS MATÉRIELLES DE TRAVAIL DES ENSEIGNANTS

1. Les grandes lignes du rapport Bancel

A l'automne 1998, le recteur Bancel a été chargé d'une mission relative à l'étude des conditions de travail et de vie des enseignants.

Son rapport, publié en mai 1999, souligne une nécessité  -tenir compte de l'évolution importante intervenue dans le métier d'enseignant-, énonce deux principes -conforter l'enseignant dans son rôle d'expert, élargir son cadre de référence professionnel- et formule enfin 23 propositions qui peuvent être regroupées autour de quatre orientations : tenir compte dans la fixation des services des enseignants des évolutions du métier, professionnaliser le recrutement et la formation, organiser le travail dans l'établissement, améliorer le parcours professionnel et les conditions de vie.

2. Les principales mesures proposées par le rapport

a) La révision des obligations de service

Le rapport préconise d'abord une révision des décrets du 25 mai 1950 fixant l'obligation de service des enseignants : si la référence hebdomadaire est maintenue, la charge de travail des enseignants ne devra pas être alourdie.

b) Un projet pédagogique

La dotation horaire de base serait conservée mais complétée par l'attribution de moyens spécifiques définis par le chef d'établissement et l'équipe enseignante dans un projet pédagogique contractuel : cette mesure permettrait d'abaisser ponctuellement le nombre d'élèves par classe pour effectuer des travaux pratiques et dirigés, et d'encadrer des travaux personnels.

Des mesures incitatives consistant notamment en décharges d'heures devraient permettre de mettre en oeuvre une " véritable approche interdisciplinaire " et de coordonner le travail donné aux élèves dans le cadre d'un travail en équipe.

c) La création d'un conseil pédagogique et scientifique

Ce conseil, créé dans chaque collège et lycée, serait constitué d'enseignants et du chef d'établissement.

Il devrait proposer au conseil d'administration une répartition des moyens d'enseignement.

Sur un plan plus général, les enseignants seraient associés aux " réseaux de réflexion sur les savoirs, la didactique et la pédagogie " organisés par disciplines , ces réseaux comprenant en outre des universitaires.

d) La professionnalisation des recrutements et de la formation

Les concours de recrutement devraient prendre en compte la dimension professionnelle et inclure une composante de préprofessionnalisation dans la formation universitaire ; l'adéquation des épreuves théoriques aux objectifs de l'enseignement devrait être vérifiée préalablement à l'organisation de ces concours.

e) Les autres mesures

Les enseignants débutants devraient pouvoir bénéficier d'un accompagnement par une " personne ressource " pendant leurs premières années de vie professionnelle.

Des plans de formation continue individualisée seront proposés aux enseignants.

La mobilité professionnelle, entre disciplines, et vers le secteur privé, devrait être encouragée notamment pour les enseignants en difficulté.

Enfin, une enquête épidémiologique devrait être engagée sur les maladies professionnelles chez les enseignants, ce qui implique un renforcement des services de médecine préventive.

3. Les observations de la commission

Votre commission ne peut que saluer l'intérêt de certaines de ces propositions qui répondent en effet aux problèmes soulevés par l'évolution rapide du métier des enseignants, notamment s'agissant du nécessaire accompagnement des plus jeunes d'entre eux.

Dans le droit fil des observations formulées par la commission d'enquête qui avait dénoncé l'imbroglio des obligations de service et stigmatisé les aberrations résultant d'une définition hebdomadaire des temps de service, notamment pour l'enseignement professionnel, elle remarque que le rapport Bancel, s'il préconise une révision des décrets de 1950, conserve la référence hebdomadaire et s'interdit d'alourdir la charge de travail des enseignements.

Si le travail en équipe de ces derniers doit en effet être privilégié, votre commission estime qu'un aménagement et une annualisation du service des enseignants titulaires, permettant de faire une part plus importante à l'aide individualisée aux élèves en difficulté, sont particulièrement nécessaires, afin notamment de réduire un recours aujourd'hui excessif aux variables d'ajustement, qui rend encore plus complexe la gestion du système éducatif et dont les incidences budgétaires ont été à maintes reprises dénoncées.

Elle forme le voeu que le ministre, passant outre les résistances qui sont susceptibles de s'exprimer, et après une concertation nécessaire, mettra en place les aménagements qui s'imposent.

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