II. LA POLITIQUE EN FAVEUR DES HANDICAPÉS NE DOIT PLUS FAIRE L'ÉCONOMIE D'UNE RÉORGANISATION DES COTOREP

Avant de faire le point sur les projets du Gouvernement et de présenter les observations de votre commission, il est utile de rappeler les caractéristiques de la population handicapée ainsi que les principaux aspects des divers dispositifs mis en place en faveur des personnes handicapées.

A. L'IMPORTANCE DE LA POPULATION HANDICAPÉE

Plusieurs millions de personnes sont confrontées au handicap dans la société française ce qui soulève, d'une manière générale, la question de la prévention du handicap.

1. Une population nombreuse

L'estimation de la population des personnes handicapées est un exercice difficile car les chiffres disponibles varient en fonction de l'appréciation subjective de la notion de handicap ou du choix des critères objectifs retenus.

L'enquête décennale relative à la santé conduite par l'INSEE en 1991 fait ressortir qu'en France, 5,5 millions de personnes , soit 9,7 % de la population, déclarent un handicap ou une gêne dans la vie quotidienne. Toutefois, sur la base d'une définition plus stricte ne retenant que les personnes se déclarant handicapées, une enquête sur échantillon réalisée en 1987 a fait ressortir le chiffre de 3,2 millions de personnes , soit environ 6 % de la population.

Une autre approche consiste à prendre en compte l'ensemble des bénéficiaires des prestations prévues en faveur des handicapés. Ainsi, la population des personnes handicapées dont l'incapacité génère un handicap sévère restreignant significativement leur autonomie et affectant durablement ou définitivement leur vie scolaire, sociale et professionnelle, est évaluée à 1,814 million de personnes en 1991, soit 3,4 % de la population.

Cette statistique est obtenue à partir de l'addition du nombre des bénéficiaires de l'abattement spécial pour le calcul de l'impôt sur le revenu (1,6 million de personnes), des titulaires de l'AAH présentant donc un taux d'invalidité supérieur à 50 % (139.000 personnes), des enfants handicapés accueillis en établissements ou services d'éducation spéciale (40.000 enfants estimés) et d'une fraction des titulaires d'une pension d'invalidité importante de la sécurité sociale (55.000 personnes).

Les origines du handicap sont diverses. Par ordre décroissant, les quatre principales causes d'un handicap sont : la maladie, la vieillesse, l'accident et la naissance.

Les origines des handicaps, gênes ou difficultés
chez les 18 ans et plus

Origine

Pourcentage

Naissance

10,2

Maladie

38,3

Accident

12,2

Vieillesse

28,2

Autre

11,1

Source enquête santé 1991

Ces données devraient connaître une actualisation : le Centre Technique national d'Etudes et de Recherches sur le Handicap et les Inadaptations (CTNERHI) procède à une enquête statistique et prospective sur le thème " Handicap et démographie ". En cours de réalisation, elle devrait élaborer un outil de connaissances quantitatives et prospectives du handicap, mobilisant les informations disponibles sur ce sujet et permettant d'anticiper, pour décider des priorités dans la politique en faveur des personnes handicapées.

Par ailleurs, le Conseil national de l'Information statistique (CNIS) dans le cadre d'un groupe spécifique de réflexion " handicap et dépendance " a préconisé le lancement, au cours des trois prochaines années, d'une grande enquête, sous l'égide de l'INSEE qui serait centrée sur les incapacités et les dépendances à partir de l'observation, non plus des déficiences, mais des situations réelles et de leurs évolutions.

Par ailleurs, la première partie de l'enquête " Handicap-Incapacité-Dépendance " a été réalisée fin 1998 par l'INSEE auprès de 15.000 personnes. Ces mêmes personnes seront à nouveau interrogées à la fin de l'année 2000.

Cette enquête permettra d'estimer le nombre de personnes affectées par des incapacités physiques ou mentales selon les grilles habituellement utilisées telles que la grille AGGIR. Elle permettra enfin de mieux appréhender le nombre de personnes handicapées qui vivent à domicile. Elle apportera en outre des informations sur l'entourage ou l'isolement des personnes, sur les aides formelles et informelles dont elles bénéficient, mais aussi sur la formation, l'emploi, les revenus et le logement des personnes handicapées.

La mise à disposition d'informations statistiques plus précises sur cette question serait en effet utile en particulier pour les départements concernés par cette question cruciale .

Enfin, votre rapporteur souligne que les CDES et COTOREP représentent en effet aujourd'hui des " mines " d'information potentielles encore mal exploitées en raison de difficultés de fonctionnement récurrentes. Le passage d'une informatisation de gestion à un système d'information sur le handicap permettra de mieux connaître la population handicapée. L'effort engagé par l'Etat doit être particulièrement soutenu.

A l'évidence, l'ensemble de ces données statistiques montre l'importance de la population handicapée en France, qui justifie pleinement une politique globale mobilisant des moyens substantiels. Elle révèle également l'utilité de la prévention des accidents quelle que soit leur origine.

2. La prévention doit demeurer prioritaire

Les accidents de la circulation et de la vie domestique, de sports ou de loisirs sont impliqués dans 6,8 % des handicapés ou gênes (soit 370.000 des 5,5 millions de personnes souffrant de handicaps ou gênes vivant à domicile) et environ 11 % des handicaps au sens strict du terme (soit environ 380.000 des 3,5 millions de personnes handicapées gravement vivant à domicile ou en institution).

Les accidents dans les origines du handicap

 

INSEE 1

CTNERHI

CTNERHI

 
 

Saône-et-Loire 2

Paris 3

 

1991

1990

1994

1995

Tous accidents dont :

11,8 %

17,5 %

21,6 %

21,5 %

travail (trajet exclu)

5,0 %

-

7,4 %

 

travail (trajet inclus)

 

-

9,7 %

 

circulation

3,9 %

-

6,5 %

8,0 %

sport ou loisirs

1,0 %

-

2,0 %

4,6 %

vie domestique

1,9 %

-

0,8 %

0,9 %

 
 

-

 
 

Autres

-

-

1,5 %

4,2 %

Non réponse

 
 

3,4 %

2,7 %

Total accidents hors travail

6,8 %

-

10,8 %

10,8 %

Sources :

1) Enquête réalisée par l'INSEE en 1991 auprès d'un échantillon de 8.235 ménages, soit 21.597 individus représentatifs de la population nationale des ménages ordinaires. (Définition large du handicap : handicap ou quelques gênes dans la vie quotidienne).

2) Enquête du CTNERHI précité

3) Enquête du CTNERHI et de la DASES précités.


Comme votre rapporteur l'a déjà souligné, la politique de prévention peut jouer un rôle essentiel pour sauver des vies et des existences, économiser des crédits et ainsi augmenter les concours aux actions des personnes handicapées.

Les réponses au questionnaire budgétaire sont éclairantes à cet égard : la consommation médicale annuelle des personnes victimes d'un handicap dû à un accident (hors accidents du travail) s'élève à 10,4 milliards de francs. Le CTNERHT évalue à 5,5 % le pourcentage des déficiences dues aux accidents de la route : selon la sécurité routière, le coût des accidents corporels est estimé en 1996 à 58 milliards de francs.

Coût de l'insécurité routière en 1996

Accidents corporels

Tués

Blessés graves

Blessés légers

Total coûts unitaires 1990 (1)

3.258.400

338.700

72.400

Actualisation en 1996 (1)

3.834.000

394.840

83.940

Population concernée en 1996

8.541

35.743

133.913

(1) (en millions de francs )

Source : Revue de la sécurité routière


Votre rapporteur ne peut que mettre à nouveau l'accent sur le renforcement des politiques de prévention, notamment en matière d'accidents du travail, d'accidents de la circulation et des difficultés survenues lors des accouchements.

3. La question cruciale du renforcement de l'accessibilité

Abordant les problèmes que rencontrent les handicapés au quotidien, votre rapporteur tenait à évoquer la question du renforcement de l'accessibilité des bâtiments publics et privés, de la voirie et des transports publics, même si les conséquences budgétaires dépassent largement le périmètre du présent rapport.

a) L'excessive focalisation du débat sur la question du transport aérien

Au cours de l'été 1999, la compagnie Air France a fait l'objet de diverses critiques dans les médias en raison de décisions prises à l'encontre de passagers handicapés, notamment le refus d'embarquement d'un adulte trisomique non accompagné.

Votre rapporteur a donc tenu à entendre des représentants de la compagnie Air France pour faire le point sur la situation et les mesures envisageables.

Il a été rappelé qu'Air France assurait en moyenne chaque année le transport de 3 millions de passagers nécessitant une aide ou ayant besoin d'une assistance.

Les demandes les plus nombreuses concernent les passagers ayant besoin de chaises roulantes pour se déplacer à l'intérieur des aérogares, accéder aux avions ou emprunter les circuits de correspondance. Ces chaises sont mises gracieusement à disposition dès que le passager en exprime la demande auprès d'un agent d'Air France, et il est alors pris en charge jusqu'à son arrivée à destination. A titre de référence, les interventions réalisées en métropole à propos des demandes de chaises roulantes et civières sur les principales escales auront représentées 211.500 demandes en 1998, soit pour les seuls aéroports de Charles-de-Gaulle et Orly plus de 500 demandes par jour .

Les passagers malades, ou ne pouvant voyager assis, peuvent être transportés sur civières : la totalité de la flotte est ainsi équipée de fauteuils dont les dossiers rabattables permettent cette installation.

Les aveugles ou malvoyants, les sourds ou malentendants, les passagers handicapés physiques ou mentaux, les passagers nécessitant de l'oxygène supplémentaire pendant le vol, peuvent bénéficier d'attentions particulières et adaptées pendant tout le voyage (pré-embarquement, installation à bord, service, post-embarquement).

On rappellera en outre que dans le cadre de la politique européenne de lutte contre les maladies rares, Air France s'est associé avec l'INSERM, qui gère la banque de données spécifiques Orphanet , en liaison avec l'UNAPEI, afin d'ouvrir la possibilité aux enfants atteints de maladie rare, de se rendre avec leur famille, sur le lieu de consultation hospitalière pour le diagnostic ou le traitement dont ils ont besoin, y compris à l'étranger.

La mise en oeuvre de ces dispositifs nécessitent une information préalable dans des délais acceptables de la compagnie. Conformément aux normes internationales, celle-ci demande le cas échéant la présence d'un accompagnement pour des raisons médicales.

Les conditions d'acceptation de tous les clients sont fixées par des autorités aériennes internationales. L'avion, en effet, est un mode de transport particulier, pour lequel des règles strictes liées à la sécurité des personnes doivent être observées et appliquées . On connaît les conséquences graves que peuvent avoir des incidents au cours d'un vol.

Ainsi, les passagers nécessitant une aide doivent-ils être installés sur des sièges spécifiques, dont l'accès est facilité par leur position en cabine, ou dont les accoudoirs sont relevables, à proximité des issues pour faciliter une éventuelle évacuation. L'ensemble des personnels de la Compagnie ont reçu dans leur formation de base des consignes précises sur la manière d'appréhender ces passagers handicapés, et sur la façon de répondre à leurs attentes.

S'agissant des personnes handicapées mentales, la réglementation intérieure de la compagnie prévoit des dispositions spécifiques. Lorsque celles-ci sont accompagnées, elles peuvent évidemment voyager sur Air France sans qu'aucune procédure particulière ne leur soit imposée. Lorsqu'elles voyagent seules, en revanche, elles doivent le faire avec l'accord d'un médecin, attestant de leur capacité à voyager sans être accompagnées. Il s'agit d'une procédure en principe simple, qui met en relation le médecin traitant de la personne et le service médical d'Air France dans le strict respect du secret médical. Loin d'introduire une quelconque discrimination à l'égard des handicapés, elle s'applique aussi aux personnes venant de subir une intervention chirurgicale et aux femmes enceintes ayant atteint le neuvième mois de grossesse.

La question est sans doute moins celle d'un manque d'accessibilité que celle d'un formalisme parfois un peu lourd et sans doute mal vécu par les personnes concernées.

Il a été indiqué à votre rapporteur qu'il était envisagé de consentir des tarifs spéciaux pour les accompagnateurs de passagers handicapés mentaux, et de restreindre les formalités pour les passagers dont le handicap physique est mineur ou stabilisé et voyageant fréquemment.

Votre rapporteur partage le sentiment exprimé par M. Jean Cyril Spinetta, président d'Air France 8( * ) : " accueillir les handicapés n'est pas nier leur handicap. C'est s'assurer à chaque instant, dans toutes les circonstances de la vie quotidienne, que la revendication légitime d'un traitement non différencié ne s'exerce pas à leur détriment ".

Sur ce point, l'essentiel reste à faire dans la vie quotidienne des handicapés dans leurs déplacements quotidiens.

b) Intensifier les mesures en faveur de l'accessibilité

Comme le souligne l'Association des Paralysés de France (APF) que votre rapporteur a reçue, les cheminements publics impraticables, les accès infranchissables et les équipements inutilisables représentent des difficultés quotidiennes pour les personnes handicapées et constituent un frein redoutable pour leur intégration scolaire, professionnelle culturelle et sociale 9( * ) .

Le ministère de l'emploi et de la solidarité souligne que l'accessibilité est une exigence alors que le nombre de personnes à mobilité ou à perception réduite augmente, que les handicaps s'aggravent et que " l'aspiration à vivre chez soi, sans y être confiné, s'affirme ".

Les décrets d'application de la loi n° 91-663 du 13 juillet 1991 portant diverses mesures destinées à favoriser l'accessibilité aux personnes handicapées des locaux d'habitation, des lieux de travail et des installations recevant du public, votée à l'unanimité par le Parlement, sont aujourd'hui publiés.

Dorénavant, le dossier de demande d'autorisation de travaux ou de permis de construire relatif à des bâtiments d'habitations collectifs neufs et à des lieux de travail auxquels s'appliquent les règles d'accessibilité, doit être accompagné d'un engagement du demandeur et d'une notice technique décrivant les moyens mis en oeuvre pour respecter les règles d'accessibilité. A défaut de ces deux documents, la demande de permis ne peut être instruite.

S'agissant du domaine public, une circulaire du Premier ministre aux membres du Gouvernement et aux préfets en date du 29 janvier 1996, complétant celle en date du 27 mai 1994, a mis en place effectivement le Fonds interministériel pour l'accessibilité aux personnes handicapées des bâtiments anciens ouverts au public appartenant à l'Etat.

Placée sous l'égide de la Commission interministérielle de la politique immobilière de l'Etat, ce Fonds, financé sur le budget des charges communes, permet de compléter les efforts de chaque ministère en cofinançant les travaux d'accessibilité des bâtiments.

Au titre des cinq dernières années, près de 400 dossiers recevables ont ainsi été étudiés.

Ainsi, 142 bâtiments anciens appartenant à l'Etat et ouverts au public dont 27 au titre de l'année 1998 ont bénéficié d'un cofinancement du fonds pour un total de crédit de 31 millions de francs. Pour 1999, 8 millions de francs seront consacrés au cofinancement d'une trentaine d'opérations.

La dotation de l'article 40 du chapitre 57-05 du budget des charges communes est fixée à 8 millions de francs en autorisations de programme et en crédits de paiement dans le projet de loi de finances pour 2000.

La dotation du fonds pour l'accessibilité demeure encore trop modeste . Si les contraintes légales s'appliquent, en principe, aux bâtiments nouveaux, le travail à réaliser sur la voirie existante ou les bâtiments publics anciens reste considérable.

Les communes moyennes ou petites souffrent d'un manque de moyens pour répondre à l'ensemble des besoins. Le fonds peut apporter un complément de financement utile.

Enfin, tout effort budgétaire devra être accompagné d'un travail de sensibilisation en amont . Comme le fait remarquer M. Paul Boulinier, président de l'APF, les architectes, les urbanistes, les conducteurs de travaux sont, au cours de leurs études, insuffisamment formés aux difficultés des handicapés moteurs.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page