L'APPROCHE ORGANISATIONNELLE : LES INSTRUMENTS PARLEMENTAIRES D'ÉVALUATION DE LA QUALITÉ DE LA LÉGISLATION

Charles-Henri MONTIN

Cette seconde partie se veut plus comparative. Nous appliquerons la méthode de l'OCDE qui recherche et choisit par consensus, dans les pratiques étrangères, des exemples de réussites. Trois exemples vous seront présentés aujourd'hui, la Suède, le Royaume-Uni et le Parlement européen. L'OCDE, en la personne de Céline Kauffmann, réalisera ensuite un tour d'horizons d'autres modèles qui ont contribué au débat. Nous avons demandé à chaque orateur de rechercher dans sa sphère d'expérience les éléments les plus pertinents de montage institutionnel et les méthodes de travail qui pourraient inspirer nos pratiques françaises.

Christer ASTRÖM (Parlement suédois) : la pratique suédoise

Compte rendu effectué à partir de la traduction en français de l'exposé présenté par l'orateur en anglais.

Je tiens à remercier les organisateurs de ce colloque. C'est un grand honneur pour moi d'avoir l'occasion d'évoquer le rôle du Parlement suédois dans l'évaluation de la qualité de la législation. Je mettrai l'accent sur la pratique du Parlement dans l'évaluation. Cette pratique est très bien réglementée en Suède où l'évaluation ex-post a été introduite comme une obligation constitutionnelle depuis dix ans. Cette disposition constitue un instrument pour le Gouvernement et un indicateur de l'importance attachée aux évaluations parlementaires.

En Suède, le Parlement joue un grand rôle dans l'évaluation. Il constitue un maillon important dans la chaîne démocratique de la gouvernance et un acteur essentiel dans le cycle des politiques. Il importe pour les pouvoirs politiques d'appréhender les circonstances dans lesquelles certaines législations ont été adoptées et d'utiliser ces données pour prendre des décisions sur de nouvelles législations.

Depuis les années 1990, les comités de la Diète suédoise ont conduit des évaluations ex-post de diverses façons et dans différentes mesures. L'évaluation au sein du Parlement vise à mesurer les objectifs, il ne s'agit pas de scruter la législation ou la rédaction de cette législation. L'évaluation consiste à mesurer dans quelle mesure les objectifs assignés au départ ont été atteints. L'évaluation représente un moyen de procurer des informations sur les résultats et de créer des liens bien plus solides entre le Parlement et les organes réglementaires. Cet outil permet d'évaluer les ajustements éventuellement nécessaires et définir une perspective orientée vers l'avenir. Les évaluations fournissent également une base saine et solide à une prise de décision éclairée. Chaque comité du Parlement suédois a pour responsabilité de conduire des évaluations sur les décisions prises en son sein. Le comité qui a pris la décision est également responsable de l'évaluation des résultats qui en découlent.

Ces évaluations sont effectuées selon diverses manières. Elles peuvent être réalisées dans un cadre régulier, notamment lorsque le Gouvernement prépare sa déclaration annuelle. Elles peuvent également intervenir ponctuellement et se révéler très exhaustives sur un sujet précis, bien défini. Ces évaluations portent sur les résultats atteints par la législation et s'attachent à déterminer si cette législation a eu les effets escomptés.

Les parlementaires souhaitent savoir si les ressources ont été allouées conformément aux priorités politiques définies, si les textes adoptés ont atteint les résultats désirés et planifiés, comment les lois fonctionnent en pratique, si elles s'avèrent lisibles et transparentes, ou si elles n'entrent pas en conflit entre elles. Telles sont les questions qui peuvent être soulevées pendant les évaluations. Elles sont également abordées dans les recommandations portant sur la politique réglementaire du Gouvernement.

Au Parlement suédois, les évaluations sont réalisées par les parlementaires. Il importe de disposer à cet effet d'une structure institutionnelle dédiée au sein du Parlement. Les députés doivent également être impliqués dans le processus d'évaluation et y participer directement. Ils doivent comprendre et exploiter les résultats dans les débats pour prendre des décisions éclairés sur les projets de loi. Pour atteindre l'ensemble de ces objectifs, les comités du Parlement suédois sont tous dotés de sous-comités ou groupes d'évaluation, qui comprennent des parlementaires issus des différents partis politiques. Ces groupes d'évaluation examinent la proposition et leur rapport est présenté au comité. Ces groupes produisent également des conclusions. Chacun des 15 comités du Parlement suédois décide séparément s'il souhaite mener une évaluation. Les décisions sont souvent fondées sur quelques informations contextuelles fournies au Parlement.

Le Parlement dispose enfin d'un secrétariat spécialisé qui apporte une assistance aux comités. Une grande importance est accordée aux évaluateurs. Ces personnes sont chargées de la partie empirique de l'évaluation. Les députés assument la responsabilité de l'évaluation et de la préparation des conclusions. Ils utilisent pour cela les résultats des discussions menées au sein des comités et décident des mesures à prendre.

Les parlements peuvent jouer un rôle de premier plan dans le processus d'évaluation. L'évaluation ex-post constitue un outil de renforcement du rôle du Parlement vis-à-vis du Gouvernement. Il importe d'établir une perspective citoyenne dans le processus d'évaluation et de poursuivre un objectif de meilleure réglementation. Ce processus d'évaluation ne se déploie pas du jour au lendemain. Il se conçoit avec le temps. Les parlementaires doivent rester très actifs et disposer d'une équipe d'experts spécialisés qui les assistent dans ce travail d'évaluation.

Charles-Henri MONTIN

La Suède est entrée résolument dans le contrôle de la qualité, avec un personnel dédié et des critères clairs. Le Royaume-Uni, très ancienne démocratie, est considéré comme le leader en termes d'études d'impact. C'est ce pays qui, le premier, a expérimenté en grandeur nature la vérification du fondement des textes. Sur la scène internationale, le rôle de la Chambre des Lords est fréquemment évoqué. Nous avons choisi, aujourd'hui, d'inviter une représentante de la Chambre des Communes.

Jessica MULLEY (Chambre des Communes britannique) : la pratique britannique

Compte rendu effectué à partir de la traduction en français de l'exposé présenté par l'orateur en anglais.

Je vous remercie pour cette invitation. J'évoquerai certaines de nos méthodes de travail, en me concentrant sur les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui et les remèdes que nous cherchons pour y remédier.

Je répondrai en préambule à une question évoquée lors de la première session sur l'équilibre des ressources disponibles pour les évaluations d'impact et l'aide dont le Parlement peut bénéficier pour traiter les chiffres. Il y a dix ans que la Chambre des Communes a mis en place l'équipe que je dirige aujourd'hui. Elle compte 25 personnes dont 5 avocats, 5 analystes financiers et un économiste. L'an dernier, nous avons réfléchi aux défis auxquels nous allions être confrontés vis-à-vis de la législation primaire et, dans une certaine mesure, de la législation secondaire.

Le volume de la législation constitue l'un de ces défis. Selon les statistiques du Parlement, le nombre d'actes passés a diminué en 20 ans mais leur volume moyen a crû, passant de 37 pages dans les années 1980 à plus de 85 aujourd'hui et ce volume continue de croître très rapidement, suscitant un certain nombre de difficultés pour tous ceux qui souhaitent lire dans le détail les lois proposées. Il importe que la culture du Parlement affecte la manière dont les évaluations sont effectuées. Notre culture de production des lois est de plus en plus fondée sur la vitesse pour répondre à un problème politique. Autre conséquence de cette précipitation, sur 210 lois adoptées entre 2005 et 2010, 77, soit le tiers des lois adoptées depuis 7 ans, n'ont pas été mises en application. Les dangers de l'absence d'application ont été évoqués tout à l'heure. Un cas a focalisé nos réflexions visant à améliorer notre évaluation de la législation. Lors d'une affaire présentée à la Cour suprême en 2010, trois lois différentes affectaient la date de libération du prévenu et il s'avérait impossible pour les responsables de l'administration pénitentiaire de déterminer cette date. Les tribunaux et la Cour suprême ont consacré beaucoup de temps à cette affaire, qui a représenté une violation des droits du prisonnier et s'est révélée très onéreuse.

En 2006, nous avons transformé notre ancien modèle des comités. Nous `disposons aujourd'hui de Public Bill Committees qui examinent les propositions de législation, peuvent entendre des témoins, recueillir des éléments d'information afin de comprendre l'effet de la mise en application d'une loi. Nous allons tester les standards. Nous intervenons très tardivement dans le processus. Dans une certaine mesure, le Parlement et le Gouvernement ont déjà adhéré aux propositions et il apparaît difficile de les faire changer radicalement à ce stade du processus.

Cette année, nous avons donc choisi de développer une approche différente en procédant à une consultation publique. Dans le cadre d'un forum internet, nous avons demandé au grand public de commenter, ligne par ligne, un projet de loi. Nous avons également essayé l'examen pré-législatif d'un projet de loi. Nous publions ainsi un avant-propos pour présenter le principe du projet de loi. Ce projet est ensuite étudié par un comité du Parlement. Cette démarche a été initiée dans les années 1990 et elle concerne aujourd'hui près de la moitié des projets. Nous avons par ailleurs testé l'évaluation post-législative afin d'appréhender la réussite de mise en application de cette loi. Le Gouvernement et la Chambre des communes ont signé un accord en 2010 dans lequel le Gouvernement s'engageait, trois à cinq ans après l'adoption, à conduire une évaluation en interne afin de vérifier si le projet de loi avait rempli ses objectifs et s'était révélé d'un bon rapport coût/efficacité. Le Parlement peut, ensuite, examiner les conclusions de cette évaluation. 68 évaluations ont été menées depuis, dont 13 ont été examinées par le Parlement. Nous utilisons les ressources de mon équipe pour cela. Il me semble prématuré pour juger de la réussite de ce processus, qui commence à se mettre en place. Nous devons relever de défi de la disponibilité : nous devons trouver le temps pour évaluer ces revues.

Un rapport majeur, rendu par un comité de membres de la Chambre des communes, a souligné le manque de standards dans la législation et recommandé en particulier l'introduction d'un code de standards et la mise en place d'un comité ad hoc au sein du Parlement. S'agissant de la première recommandation, il s'agissait de recueillir toutes les bonnes informations nécessaires aux membres du Gouvernement pour voter les projets de loi. Nous avions pensé qu'une fois ce code en vigueur nous en apprendrions beaucoup plus sur les standards. Or cette démarche a surtout montré que les membres du Parlement estiment ne pas disposer des informations nécessaires, malgré les efforts déjà réalisés pour examiner les projets de loi. Quant à la deuxième recommandation sur la mise en place d'un comité des standards législatifs, elle semble un peu idéaliste et ne sera pas retenue. Un tel comité viendrait en effet remettre en cause le calendrier du Gouvernement. Ce comité visait à identifier les tâches à réaliser au cours de l'examen des projets de loi.

Le bureau responsable de la rédaction des lois a établi ses propres recommandations, en particulier la Better law initiative qui vise à établir une rédaction plus efficace des lois et à mieux traduire la volonté législative. Elle vise aussi à bâtir une compréhension partagée et déterminer en quoi consiste une bonne loi. Parfois, la loi est inévitablement compliquée mais elle doit à tout le moins rester compréhensible pour les tribunaux. L'examen pré-législatif a été préconisé par le comité de modernisation. L'évaluation doit être effectuée avant le vote de la législation sur laquelle elle porte. Non seulement les ministres se montreront plus réceptifs pour y apporter des changements mais cela permettra aussi d'établir une meilleure législation et de réduire le nombre d'amendements. De plus en plus de projets lois passent par ce processus, et j'y vois un signe de progrès.

Le promoteur de cet effort, Robin Cook, estime qu'un bon examen crée un bon Gouvernement. Je pense qu'un bon examen conduit à une bonne législation. Or cela exige que les parlementaires participent pleinement au processus.

Charles-Henri MONTIN

On dit souvent que le Royaume-Uni ne possède pas de constitution écrite. Malgré cela ou peut-être à cause de cela, Gouvernement et Parlement amorcent ce dialogue que recommandait le Président Assouline dans le cadre d'un examen pré-législatif. J'ai également noté avec intérêt votre initiative en vue d'émettre des normes, signe de l'engagement des Parlements dans l'amélioration de la qualité de la législation. Autre temps fort de notre rencontre, nous accueillons Madame Elke Ballon pour évoquer la pratique du Parlement européen en la matière.

Elke BALLON (Parlement européen) : la pratique au Parlement européen

Compte rendu effectué à partir de la traduction en français de l'exposé présenté par l'orateur en anglais.

Je vous remercie pour cette invitation. Le Parlement européen se trouve aujourd'hui dans une phase de transition vers une autre organisation de tous les services de recherche, au-delà des analyses d'impact. Nous apprenons beaucoup de l'expérience des parlements nationaux et des questions que vous soulevez.

J'évoquerai les démarches pratiques que nous avons conduites au sein du Parlement européen sans revenir sur les raisons pour lesquelles les parlements se doivent de mettre en place une démarche d'évaluation. Je souhaite plutôt vous présenter la façon dont nous avons su, en pratique, fournir une assistance et un service d'évaluation et d'étude d'impact aux 750 parlementaires qui travaillent dans plus de 20 langues sur un large éventail de domaines politiques. Le Traité de Lisbonne a conféré au Parlement européen un rôle de co-législateur avec le Conseil. Pour le contrôle de l'exécutif, toutefois, nous accusons encore quelques retards. Suite aux dernières élections au Parlement européen, en 2009, il nous a fallu attendre plus de 18 mois pour que la Commission puisse mettre en oeuvre la première initiative législative. Le Parlement se montrait très enthousiaste à l'idée de réformer l'Union européenne mais se trouvait dans l'incapacité d'agir, faute pour la Commission d'avoir proposé une première initiative. Plusieurs rapports ont été rendus mais ils n'ont jamais été pris au sérieux. Au niveau politique, nous avons considéré que cette situation ne pouvait durer, que les pouvoirs du Parlement devaient être élargis et que celui-ci devait être informé avant l'apparition d'une initiative législative. Les parlements nationaux comme le Parlement européen doivent pouvoir examiner la qualité de la législation.

Le marché intérieur dans l'Union européenne n'est pas entièrement réglementé mais nous sommes en passe d'en achever la réglementation. Les législations, à l'avenir, devraient être amenées à revoir les législations existantes. Il paraît donc intéressant de déterminer la façon dont ces législations existantes ont fonctionné dans les États membres. C'est l'une de ces questions auxquelles les parlementaires doivent s'attacher à répondre dans le cadre de leur campagne électorale. Il s'agit donc d'une tâche très importante. Nous souhaitons appréhender la situation avant et après la mise en oeuvre des amendements. Nous avons créé, en 2012, une nouvelle direction pour la réalisation des études d'impact. Il s'agissait en premier lieu de permettre au Parlement de réaliser des études d'impact sur les amendements importants. Or depuis 2012, nous avons réalisé une dizaine d'études seulement.

En tant que responsable des études d'impact ex-ante, je ne souhaitais pas tout bouleverser du jour au lendemain. J'ai préféré dresser un état des lieux.

Nous étudions actuellement les études d'impact de la Commission, des documents très volumineux d'environ 60 pages avec jusqu'à 300 pages d'annexes. Nous analysons ces documents de manière systématique, les résumons et les condensons en 4-5 pages pour fournir aux États membres des informations les plus pertinentes. En même temps, nous donnons notre avis sur les atouts et faiblesses des études d'impact. Nous avons déjà produit 55 évaluations et les comités peuvent ensuite décider le parcours qu'ils souhaitent suivre.

Notre action dépend des comités. Si un comité ne nous sollicite pas, nous ne déploierons jamais cette démarche. Cette obligation de sollicitation fait partie de la procédure interne. Les groupes politiques attachent une grande importance à ce principe que nous avons confirmé dans le livret élaboré sur les études d'impact. Tout est décidé par les représentants des groupes politiques réunis au sein des comités. Une fois cet examen préalable mené, nous pouvons demander à la commission d'assister à une réunion du comité pour défendre son étude d'impact et apporter des précisions. Une circulaire d'une page est transmise aux membres avec une liste de questions ou recommandations pour améliorer l'étude d'impact. Nous pouvons également demander une étude pour détaillée, surtout lorsque le sujet s'avère très controversé.

Le comité du commerce international nous a par exemple demandé de conduire une étude sur le mandat de négociation sur le commerce transatlantique, étude d'autant plus complexe que nous ne possédons pas l'expertise en interne pour conduire ce genre de travail, que nous devons donc sous-traiter à des économistes. Très souvent, les conclusions soulignent que les études d'impact comportent des lacunes et recommandent d'effectuer une étude d'impact complémentaire. Nous n'avons pas encore réalisé un tel exercice, nous reposant sur la Commission jusqu'à présent. Or si la Commission ne peut fournir des informations supplémentaires, nous ne pouvons pas agir non plus. Jusqu'à présent, nous avons conduit une étude d'impact complémentaire dans le secteur de l'apiculture, où la proposition n'était pas accompagnée d'une étude d'impact. Cette étude a, là encore, été sous-traitée à des experts. Nous ne disposons en effet que de ressources limitées avec une équipe de quatre personnes seulement. Je suis malgré tout très fière de mon équipe. Nous avons accompli de grands progrès mais nous sommes contraints de sous-traiter certains travaux. Il faut disposer d'une capacité interne forte et même si vous sous-traitez, vous devez bâtir un bon cahier des charges pour éviter des rapports médiocres.

Les comités peuvent également demander des évaluations d'impact sur les amendements. Cette pratique tend à se développer. L'an dernier, nous avons réalisé six évaluations d'impact. Nous sommes obligés de travailler avec des experts externes pour préserver la neutralité. Les comités ont trouvé un moyen pour traiter le problème du temps. Pour conduire une évaluation d'impact sur un amendement, qui exige la consultation des parties prenantes, une semaine ne suffit pas. Les comités sont soumis à une très forte pression. Les dossiers doivent être finalisés avant la fin de la présidence du pays, avec les élections, etc. Nous devons réaliser les évaluations d'impact une fois l'amendement adopté. Lorsque nous engageons la négociation avec le Conseil pour parvenir à un accord, celui-ci souhaite que l'évaluation soit effectuée sur des amendements pour lesquels la décision reste incertaine. Les questions les plus sensibles concernent les PME ou l'emploi. Pour ces sujets, nous demandons à nos experts d'échanger avec les rapporteurs. Lorsqu'ils travaillent sur l'évaluation d'impact, les interactions s'avèrent fortes. Nous veillons sans cesse à la transparence. Toutes les études d'impact sont publiées même celles qui vont à l'encontre des amendements votés et publiés. Cela peut créer des tensions mais nous veillons à rester très transparents.

Nous avons lancé l'idée de procéder à une évaluation ex-post en septembre 2013. L'unité ad hoc, composée de seulement deux personnes, va également surveiller le travail de la Commission. Nous informerons nos membres des éléments disponibles sur la mise en oeuvre. Certains États membres disposent d'informations importantes sur la mise en oeuvre des législations mais elles se restent très éparpillées, sans vue d'ensemble. Le premier exercice que nous allons tenter consistera à recueillir toutes ces informations et leur donner une structuration pour guider le Parlement dans la mise en oeuvre des législations.

Aujourd'hui, nous sommes perçus comme un frein alors que notre unité constitue un accélérateur, une unité de valeur ajoutée européenne. Nous travaillons à améliorer le processus des études d'impact pour aider les nouveaux parlementaires, qui se renouvellent en grande partie à chaque élection.

Charles-Henri MONTIN

Ce modèle se révèle assez avancé, dans un contexte constitutionnel évidemment très différent. J'ai retenu quelques points techniques pour notre discussion : le contrôle politique sur les travaux techniques, le souci de l'indépendance et de l'objectivité du travail avec le recours aux experts externes si nécessaire, etc. Céline Kauffmann, en tant que co-organisatrice pour l'OCDE, a proposé de réduire la durée de son exposé pour laisser plus de temps aux échanges.

Céline KAUFFMANN (OCDE) : la pratique dans quelques autres pays de l'OCDE

Je tiens à remercier chaleureusement le Président David Assouline et son équipe de la Commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois d'avoir rendu possible cet événement qui vient à point nommé sur une question relativement nouvelle, pour laquelle nous souhaiterions développer davantage de capacités analytiques de recherche et de soutien aux pays.

J'ajouterai quelques mots aux exposés précédents pour compléter rapidement le panorama. Dans notre mandat, nous devons assurer une fonction de veille des pratiques des pays dans le domaine de la bonne gouvernance réglementaire. À cet effet, nous effectuons périodiquement un certain nombre d'enquêtes auprès des pays de l'OCDE, une en 2005, une en 2008 et la prochaine en 2014, qui couvrent tous les champs, y compris les rôles des institutions dans cet agenda de bonne politique réglementaire. Nous avions, lors des précédentes enquêtes, prévu une question sur le rôle des parlements. Nous décelons un renforcement du rôle des parlements en ce domaine de bonne gouvernance réglementaire. En 2005, environ 11 membres de l'OCDE disposaient d'une commission parlementaire ou d'une unité spécialisée au sein de leur Parlement chargée de cette bonne politique réglementaire ; ils étaient passés à 15 en 2008 et nous pensons que la prochaine enquête verra ce nombre encore augmenter, comme le montre par exemple le Chili, qui vient de se doter d'une telle structure.

Il existe principalement trois rôles pour le parlement dans ce domaine de gouvernance réglementaire. Les parlements peuvent jouer un rôle spécifique dans l'évaluation préalable (ex-ante) des projets de loi, y compris l'étude d'impact qui peut y être associée. Les exemples du Royaume-Uni et de l'Union européenne nous ont été présentés aujourd'hui. Un autre rôle émerge dans l'évaluation ex-post de l'efficacité d'application des lois. Au modèle suédois que nous avons examiné vient s'ajouter le modèle suisse, à travers son unité du contrôle parlementaire de l'administration ; cette instance évalue de manière indépendante, avec d'autres organismes de recherche et organes d'évaluation, les mesures prises par le Gouvernement au regard de trois critères, à savoir leur qualité juridique, l'adéquation des mesures et leur efficacité concrète. Enfin, le troisième rôle du parlement consiste à passer en revue plus globalement la politique réglementaire du Gouvernement et de l'administration dans son ensemble. D'après nos enquêtes précédentes, entre six et huit pays ont confié ce rôle à leur parlement.

L'organisation institutionnelle de la coordination entre Parlement et Gouvernement varie très fortement entre les pays. Aucun modèle ne ressort. Les unités spécialisées disposent d'un personnel doté des capacités techniques pour réaliser des évaluations. Le comité ou la commission constitue le modèle le plus couramment utilisé. Au Canada, par exemple, un comité mixte entre le Sénat et la Chambre des communes est chargé de l'examen de la réglementation et contrôle la légalité et les aspects procéduraux de la réglementation. En Belgique, un comité parlementaire commun aux deux chambres a pour tâche d'évaluer la législation fédérale en vue d'en améliorer la qualité d'application. Aux États-Unis, ce contrôle est effectué par des institutions spécifiques pour le compte du Parlement.

Quel que soit le modèle, la question des ressources reste au centre des préoccupations pour mener à bien cet exercice d'évaluation, de même que la coordination des différents organismes pouvant être mis à contribution et, dans les Parlements bicaméraux, les synergies entre les chambres. J'évoquerai également la question du rôle des acteurs moins conventionnels comme les bureaux statistiques pour effectuer l'évaluation des lois.

Discussion et échanges avec la salle

Bertrand COMBRADE, Doctorant Paris 1

Je rédige une thèse sur l'étude d'impact des projets de loi à l'Université Paris 1. Or je note que vous évoquez assez peu la face sombre des études d'impact. Au-delà du manque de moyens, d'outils, de temps, pouvons-nous réellement concilier la détermination des choix politiques avec une étude de leur faisabilité qui se voudrait totalement extrapolitique ? Il n'y a pas une route toute tracée vers le « mieux légiférer » : selon ce point de vue, l'étude d'impact est présentée comme un processus d'amélioration de la législation mais l'on aborde assez peu la façon dont ces études peuvent aider à mieux exprimer la volonté générale, voire à la cadrer.

Marie-Anne COHENDET, Professeur à l'Université Paris 1

L'une des questions majeures réside dans l'influence des groupes de pression. Les Parlements jouent un grand rôle dans l'évaluation a priori et a posteriori, sur certains projets de loi ou de manière globale, en complément de l'évaluation par d'autres acteurs comme le Conseil d'État, la Cour des comptes ou le Conseil constitutionnel. Mais qui effectue ces évaluations pour le compte du Parlement ? Lorsque le Parlement européen demande des évaluations extérieures, à qui les confie-t-il ? Je suis agacée par la théorie économique du droit, selon laquelle les juristes se révéleraient incapables de réfléchir à l'intelligence d'une législation, à sa cohérence ou à l'effectivité du droit. Pour conduire une bonne évaluation du droit, il ne faut pas la confier seulement à des économistes : l'équipe doit être pluridisciplinaire, réunissant des économistes, des juristes, des sociologues voire des psychologues, dont on sous-estime trop souvent le rôle dans l'action publique ; j'en veux pour preuve la dimension essentielle du psycho-sociologique dans les rapports avec certaines professions, par exemple le monde agricole face à la politique agricole commune. L'étude doit être ainsi réalisée effectuée par des organes indépendants. En ce sens, les universitaires et les chercheurs devraient être mis à contribution plus souvent, me semble-t-il. Ma crainte serait que ces évaluations soient confiées à des groupes de pression ou à des organes d'audit eux-mêmes soumis à ces groupes de pression.

Alain RICHARD, sénateur du Val d'Oise

On a déjà beaucoup réfléchi aux techniques d'évaluation, mais dans la dimension de la qualité, je pense qu'il y a une piste sur laquelle nous avons très peu travaillé en France, ce que j'appellerais « l'examen du sommaire » d'un projet de décret ou de loi. Les facteurs de pluralisme ou de contre-expertise interviennent trop tard, notamment les avis consultatifs. J'ai siégé au Conseil de la transition écologique. Or j'ai constaté que conformément à la loi, nous n'étions consultés que sur la version finale du projet, notre avis se bornant dès lors à un exercice de posture ou à un jugement inopérant. Nous devrions tenter de conduire un travail sur l'esquisse du projet, sur la commande initiale et entretenir dès ce stade un dialogue avec la commission parlementaire intéressée. [L'intervenant poursuit en anglais] Nous serions d'ailleurs très intéressés par des exemples sur le travail de premier niveau réalisé par les commissions parlementaires britanniques, dès la phase d'écriture du projet de loi.

Elke BALLON

Je me suis posé la même question par rapport à ces études d'impact. Depuis que la Commission a commencé les évaluations, les législations de dernière minute et les propositions farfelues se révèlent moins nombreuses. Les propositions elles-mêmes se sont réduites, sans doute en partie grâce à ces évaluations d'impact. La démarche ne suffit pas à justifier une proposition mais ce processus apporte une véritable aide. L'évaluation enrichit le débat mais ne fournit pas la solution. Je pourrais citer de nombreux cas où l'évaluation a fait toute la différence. Nous ne choisissons pas les évaluateurs. Nous respectons des procédures d'appel d'offre pour recruter des experts et nous nous assurons de travailler avec des consortiums relativement grands, avec des équipes pluridisciplinaires.

Jessica MULLEY

Au Royaume-Uni, toutes les analyses sont réalisées par le Gouvernement lui-même. Nous sous-traitons rarement ces évaluations, et seulement à des universitaires ou experts du domaine. En fin d'année dernière, nous avons examiné un projet de loi sur les délais de communication et le Gouvernement l'a retiré sur la recommandation du comité qui avait jugé le projet inexploitable. Nous avons ensuite étudié un projet de loi sur l'Irlande du Nord et l'évolution des pouvoirs de l'Assemblée Sur ce projet, le comité ad hoc a pu proposer des changements importants très en amont. Cette année, nous avons évalué une loi sur l'antiterrorisme et les pouvoirs d'urgence mis en place dans des cas extrêmes.

Deux projets sont en cours. Le premier projet vise à déterminer si le Royaume-Uni va instaurer le droit de vote pour les prisonniers. Nous étudions les principes du projet plutôt que ses qualités techniques. Le second concerne la régulation des conscrits avec 170 items de législation secondaire dont nous proposons le retrait.

Nick MALYSHEV

Nos discussions ont été très intéressantes, et élargi ma réflexion sur l'évaluation. Elles se sont axées sur deux points : la gouvernance et les outils.

On a déjà beaucoup travaillé sur les outils, je pense que nous devrions désormais nous focaliser sur la gouvernance. Deux éléments méritent une réflexion supplémentaire : l'articulation entre le parlement et l'exécutif pour fournir une vue d'ensemble et surtout la manière dont le parlement examine son propre travail. Peut-être n'avons-nous pas suffisamment pris en considération le besoin d'indépendance, de professionnalisme et de consensus. Améliorer la gouvernance au sein du parlement constitue un sujet vraiment critique. Il ressort de l'évaluation ex-ante que les organismes d'examen, au Royaume-Uni ou au sein de l'Union européenne, relaient les commentaires de l'exécutif et ne réalisent pas le travail eux-mêmes. L'évaluation ex-ante constitue une démarche d'avenir même s'il est plus facile de procéder ex-post puisque les données sont alors disponibles et que l'exercice peut être conduit sans précipitation. L'instauration d'un acteur totalement indépendant du Parlement et du Gouvernement peut se révéler très intéressant. Or il manque dans l'OCDE. À ma connaissance, il n'existe qu'un seul exemple de ce type, la commission de productivité en Australie.

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