N° 8

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 4 octobre 2000

RAPPORT

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'adhésion au protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (protocole I) (ensemble deux annexes),

Par M. Jean FAURE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Serge Vinçon, Guy Penne, André Dulait, Charles-Henri de Cossé-Brissac, André Boyer, Mme Danielle Bidard-Reydet, vice-présidents ; MM. Michel Caldaguès, Daniel Goulet, Bertrand Delanoë, Pierre Biarnès, secrétaires ; Bertrand Auban, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Jean Bernard, Daniel Bernardet, Didier Borotra, Jean-Guy Branger, Mme Paulette Brisepierre, M. Robert Calmejane, Mme Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Marcel Debarge, Robert Del Picchia, Xavier Dugoin, Hubert Durand-Chastel, Mme Josette Durrieu, MM. Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Emmanuel Hamel, Christian de La Malène, Louis Le Pensec, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, René Marquès, Paul Masson, Serge Mathieu, Pierre Mauroy, René Monory, Aymeri de Montesquiou, Bernard Murat, Paul d'Ornano, Michel Pelchat, Xavier Pintat, Bernard Plasait, Jean-Marie Poirier, Jean Puech, Yves Rispat, Gérard Roujas, André Rouvière.

Voir le numéro :

Sénat : 294 (1999-2000).

Traités et conventions .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi a pour objet d'autoriser l'adhésion de la France au protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (protocole I) adopté à Genève le 8 juin 1977.

Les quatre conventions de Genève de 1949, élaborées au lendemain de la seconde guerre mondiale, ont marqué une avancée importante du droit international humanitaire en renforçant les prescriptions applicables au traitement des blessés et prisonniers de guerre et en établissant, pour la première fois, un corps de règles relatives à la protection des populations civiles en temps de guerre. Trois décennies plus tard, en 1977, une conférence diplomatique réunie à Genève adoptait deux protocoles additionnels destinés à compléter ces quatre conventions.

La France a adhéré, en 1984, au protocole II, relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux. Elle n'est en revanche pas partie au protocole I, relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux. Ce dernier apporte de nombreux ajouts aux conventions de Genève, et notamment une série de dispositions entièrement nouvelles consacrées à la conduite des hostilités. Certaines d'entre elles, aux yeux des autorités françaises, paraissaient susceptibles de donner lieu à des interprétations diverses et donc à des difficultés au regard de la politique de défense de la France et de sa doctrine militaire, en particulier en matière de dissuasion nucléaire.

Lors du cinquantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'homme, en 1998, les autorités françaises ont annoncé leur intention d'engager la procédure d'adhésion au protocole I de 1977. Il est apparu d'une part que certains doutes émis lors de l'adoption du protocole avaient pu être en partie dissipés, notamment au fil des adhésions nouvelles qui ont confirmé sur plusieurs points une interprétation du protocole proche de celle de la France. D'autre part, les difficultés subsistantes pouvaient être surmontées par le dépôt, lors de l'adhésion, d'une déclaration interprétative, comme l'ont fait plusieurs Etats parties.

Les conditions sont donc aujourd'hui réunies pour permettre à la France, à l'image de tous ses partenaires européens de l'OTAN, d'adhérer à un instrument dont elle partageait évidemment dès l'origine l'inspiration et les principes fondamentaux.

Votre rapporteur exposera tout d'abord le contenu du protocole I relatif aux victimes des conflits armés internationaux et son apport au droit international humanitaire.

Il rappellera ensuite les raisons qui avaient conduit la France à différer son adhésion et précisera les conditions dans lesquelles cette dernière est aujourd'hui envisagée.

I. LE PROTOCOLE I SUR LES VICTIMES DES CONFLITS ARMÉS INTERNATIONAUX : UNE INFLEXION DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE

Les conventions de Genève de 1949, tirant les conséquences du second conflit mondial, avaient constitué une avancée importante du droit international humanitaire, notamment en intégrant la protection des populations civiles en cas de conflit armé. Près de trente ans plus tard, les protocoles additionnels adoptés à Genève ont complété et renforcé les dispositions de ces conventions, en prenant en compte le contexte nouveau créé par les guerres de libération internationale et en introduisant de nombreuses dispositions relatives à la conduite des combats.

A. LA VOLONTÉ D'ÉLARGIR LA PORTÉE DES CONVENTIONS DE GENÈVE

Votre rapporteur souhaite tout d'abord rappeler que le droit international humanitaire comportait traditionnellement deux branches :

- l'une, dite " droit de Genève ", car il résultait de diverses conventions adoptées à Genève, s'intéressant à la protection des victimes des conflits tels que les blessés au combat, les prisonniers de guerre et les populations civiles,

- l'autre, dite " droit de La Haye " ou droit de la guerre, s'attachant à proscrire ou limiter l'usage de certains types d'armes ou de méthodes de guerre.

En 1949, tirant les enseignements du second conflit mondial, la communauté internationale a considérablement renforcé le " droit de Genève " en adoptant quatre conventions améliorant la protection des non-combattants, c'est-à-dire des blessés, des prisonniers et des populations civiles.

Adoptées le 12 août 1949 , ces quatre conventions portent sur :

- l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne (l ère convention),

- l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées en mer (2 ème convention),

- le traitement des prisonniers de guerre (3 ème convention),

- la protection des personnes civiles en temps de guerre (4 ème convention).

Ces conventions ont élargi la notion de conflits armés et le champ des catégories de personnes bénéficiant de la protection. A cet égard, la quatrième convention constitue une innovation majeure puisqu'elle établit pour la première fois un ensemble de dispositions applicables aux civils en temps de guerre.

Les conventions de Genève de 1949 ont aujourd'hui acquis une portée quasi universelle , puisque 188 Etats parties y ont adhéré. Dès les années 1960 se sont cependant manifestées diverses initiatives destinées à les compléter ou à les actualiser, principalement sous l'effet de deux préoccupations :

- l'une, émanant des pays ayant nouvellement accédé à l'indépendance, et visant à faire prendre en compte les formes nouvelles de conflits armés, qu'il s'agisse de guerres de libération nationale ou de conflits internes,

- l'autre, plus directement liée au droit humanitaire, tendant à considérer les méthodes modernes de guerre, telles que la guerre aérienne, et leur impact au-delà du champ de bataille, notamment sur les populations civiles.

Saisi de la question, le Comité international de la Croix-Rouge provoqua la réunion de deux conférences d'experts gouvernementaux à Genève en 1971 et 1972 et élabora deux projets de protocole transmis aux Etats parties aux conventions de Genève de 1949.

En 1974, le gouvernement suisse, dépositaire des conventions, convoquait à Genève une conférence diplomatique sur la réaffirmation et le développement du droit international humanitaire applicable dans les conflits armés. Cette conférence s'est réunie à quatre reprises entre 1974 et 1977 et a associé plus de 120 Etats, 11 mouvements de libération nationale et 51 organisation intergouvernementales ou non gouvernementales y ayant également participé en qualité d'observateurs.

La durée de cette conférence -trois ans- témoigne à elle seule des difficultés à élaborer un texte consensuel, liées au clivage est-ouest mais aussi à des divergences entre pays occidentaux et pays du sud ayant nouvellement accédé à l'indépendance.

Les pays en développement, à travers l'entreprise de développement du droit international humanitaire, souhaitaient faire reconnaître les guerres de libération nationale, mais, par ailleurs, ne voulaient pas que les règles concernant les conflits armés internes soient développés. Les pays occidentaux s'opposaient pour leur part à l'élargissement de la notion de conflit armé international mais étaient disposés à améliorer le droit régissant les conflits armés internes.

Par ailleurs, le débat sur la distinction entre droit international humanitaire et droit du désarmement a opposé deux grandes tendances. L'une, maximaliste, était favorable à l'élaboration de règles portant interdiction ou limitation d'emploi de certaines armes classiques, alors que l'autre faisait valoir que l'objet de la conférence était l'amélioration du droit international humanitaire et non le développement du droit du désarmement.

Au total, la Conférence aboutissait le 8 juin 1977 sur l'adoption de deux protocoles :

- le protocole I relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux ,

- et le protocole II relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux.

Si le protocole II, sous l'impulsion de plusieurs pays en développement confrontés à des conflits internes et soucieux d'éviter une ingérence dans leurs affaires intérieures, s'est en fin de compte soldé par un dispositif relativement simplifié ne comportant que 28 articles, le protocole I se présente quant à lui comme un dispositif beaucoup plus étoffé, comportant 102 articles, et touchant à des domaines divers du droit humanitaire.

B. L'APPORT DU PROTOCOLE I AU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE

Le protocole I du 8 juin 1977 ne se substitue en rien aux conventions de Genève de 1949 mais les complète en renforçant certaines normes existantes et en édictant des règles nouvelles, tout particulièrement dans le domaine de la conduite des hostilités et des comportements au combat qui relevait traditionnellement du " droit de La Haye ".

La première innovation du protocole I résulte d'une extension du champ d'application de la notion de conflits armés internationaux qui englobe désormais " les conflits armés dans lesquels les peuples luttent contre la domination coloniale et l'occupation étrangère et contre les régimes racistes dans l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes " (article 1 er -4). En conséquence, l'exigence du port de l'uniforme en toutes circonstances n'est plus imposée pour bénéficier du statut de combattant et donc de celui de prisonnier de guerre en cas de capture, ce qui ne dispense pas de remplir les autres conditions, notamment l'obligation du port ouvert des armes durant l'attaque.

Le titre II du protocole, relatif aux blessés, malades et naufragés, développe les dispositions de la première et de la deuxième convention de Genève de 1949. Les articles 8 à 34 étendent la protection accordée par les conventions au personnel sanitaire civil , à l'équipement et à l'approvisionnement ainsi qu'aux unités et transports civils. Les dispositions détaillées relatives aux transports sanitaires prennent en compte, s'agissant des moyens d'identification, les nouvelles technologies (signal radio, radar, acoustique...).

Mais les modifications essentielles apportées par le protocole figurent aux titre III (méthodes et moyens de guerre - statut de combattant et de prisonnier de guerre) et IV (population civile). Il s'agit là de règles touchant à la conduite des hostilités qui relevaient jusqu'alors des conventions de La Haye et du droit coutumier.

L'article 35 reprend, en les clarifiant, les règles fondamentales coutumières relatives à la conduite des hostilités et selon lesquelles :

- " le droit des parties au conflit de choisir des méthodes ou moyens de guerre n'est pas illimité ",

- " il est interdit d'employer des armes, des projectiles et des matières, ainsi que des méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus ",

- " il est interdit d'utiliser des méthodes ou moyens de guerre qui sont conçus pour causer, ou dont on peut attendre qu'ils causeront des dommages étendus, durables et graves à l'environnement naturel.

L'article 48 énonce quant à lui une autre règle fondamentale :

" En vue d'assurer le respect et la protection de la population civile et des biens de caractère civil, les Parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre la population civile et les combattants, ainsi qu'entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires et, par conséquent, ne diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires ".

Découlent de ce principe l'interdiction des " actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile " et celle des " attaques sans discrimination ", c'est-à-dire " propres à frapper indistinctement des objectifs militaires et des personnes civiles ou des biens de caractère civil " (article 51).

Les articles 52 à 56 détaillent les mesures de protection des biens de caractère civil, notamment des biens cultuels et des lieux de culte, des biens indispensables à la survie de la population civile et des ouvrages et installations contenant des forces dangereuses (barrages, centrales nucléaires...).

Appuyant ces différentes règles, les articles 57 et 58 détaillent plusieurs mesures de précaution dans l'attaque ou contre les effets des attaques, les opérations militaires devant être " conduites en veillant constamment à épargner la population civile, les personnes civiles et les biens à caractère civil ".

Parmi les autres novations du protocole I, il faut mentionner l'article 36 qui impose, lors de l'étude, de la mise au point ou de l'acquisition d'une arme nouvelle, d'examiner si son usage en serait interdit, dans certaines circonstances ou en toutes circonstances, par les dispositions du texte.

Par ailleurs, les articles 61 à 79 incorporent dans le droit international humanitaire des règles de protection et de respect des organismes de protection civile et de leur personnel et renforcent la protection des personnes au pouvoir d'une partie au conflit.

Le titre V apporte quant à lui de nombreux éléments nouveaux concernant les mécanismes de contrôle et de mise en oeuvre des conventions de 1949 et du protocole I.

L'article 90 instaure une commission internationale d'établissement des faits chargée d'enquêter sur toute éventuelle infraction grave aux conventions et au protocole. Toutefois, les Etats parties ne sont pas tenus d'accepter la compétence de la commission et doivent donc effectuer une déclaration spécifique de reconnaissance du mécanisme (à ce jour, une cinquantaine d'Etats ont effectué cette déclaration). La commission comporte 15 membres élus par les Parties ayant accepté sa compétence, les enquêtes étant menées par une chambre de 7 membres comportant 5 membres de la commission n'étant pas ressortissants d'une partie au conflit et 2 membres ad hoc non ressortissants des parties au conflit mais nommés par chacune d'elles.

Par ailleurs, le protocole élargit le champ des actes qualifiés d'infractions graves ou de crimes de guerre, ces derniers incorporant désormais les attaques contre la population civile ou les personnes civiles, les attaques contre les ouvrages et installations contenant des forces dangereuses (barrages, centrales nucléaires), la déportation et le transfert forcé de populations, les attaques contre les monuments appartenant au patrimoine culturel ou spirituel des peuples ou encore la privation du droit à un procès impartial et régulier.

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