B. DES EXCÉDENTS CONFISQUÉS

Le peu de clarté actuel des comptes de la branche famille n'est finalement que l'aboutissement d'un long processus de complexification de ses ressources et de ses dépenses.

En modifiant les clefs de répartition d'un prélèvement, en changeant l'organisme financeur d'une prestation, ou en substituant une source de recettes à une autre, un maquis inextricable de flux et de tuyauteries rend illisible la nature des prestations servies et leur mode de financement.

Cette situation pourrait être le fruit d'une stratification progressive, d'un " hasard administratif ". Pourtant, ces mécanismes n'ont qu'un même résultat : l'augmentation des charges de la branche, sans bénéfice pour les familles, ou la diminution de ses recettes.

1. Le discours de la méthode confiscatoire

En 1998 et 1999, M. Jacques Machet recensait, dans ses rapports sur les projets de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 et 2000, les mesures qui dégradaient les comptes de la branche famille.

Trois mécanismes qui ont permis, en effet, sur deux ans, de prélever plus de 13 milliards de francs sur la branche famille.

a) Les familles victimes de " l'effet de cliquet "

Lors des années précédentes, dans un contexte de difficultés financières de la branche, les familles ont été lourdement pénalisées par les décisions gouvernementales qui ont eu pour effet de réduire fortement les prestations ayant un caractère universel. Ainsi, les allocations familiales ont été mises sous conditions de ressources, et les facilités offertes par l'AGED réduites.

L'argumentation gouvernementale soutenait qu'il était légitime de faire porter le coût des ajustements nécessaires sur les familles les plus favorisées.

La mise en place de ces mesures d'économies a ainsi frappé durement les familles et a accentué le caractère horizontal de la redistribution des prestations familiales.

Avec le retour de la croissance, les excédents de la branche famille redeviennent considérables. Toutefois, le Gouvernement n'entend pas restituer aux familles le fruit de leurs efforts et détourne les excédents de la branche à d'autres fins.

En conséquence, les familles sont les victimes d'un effet de cliquet qui bloque à la hausse les prestations lorsque la branche connaît des excédents mais baisse durement celles-ci lorsque sa situation financière est plus délicate.

b) Les " voies et moyens " du prélèvement sur la branche famille

1. La diminution de recettes

Une forte proportion des recettes fiscales affectées au financement de la sécurité sociale sont partagées entre les branches ou divers organismes.

La première méthode consiste alors à modifier les clefs de répartition entre les branches de ces recettes.

Le cas du prélèvement de 2 % sur les revenus du capital est particulièrement significatif.

Ce prélèvement était initialement affecté aux branches vieillesse, maladie et famille dans des proportions variables. En 1998, la CNAF recevait 50 % du prélèvement de 2 % soit, en francs 2000, 5,75 milliards de francs.

En 1999, la loi créant la couverture maladie universelle minore de 28 % la part de la branche famille, en contrepartie de la reprise par l'Etat de diverses cotisations 8 ( * ) .

Cette disposition n'est même pas entrée en vigueur car la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 a diminué sa part de 28 à 13 %.

De 50 à 13 %, la ponction sur la branche famille est de 4,255 milliards de francs dont 2,4 milliards de francs seulement sont compensés par la prise en charge par l'Etat des cotisations précitées. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 entend d'ailleurs réduire cette part à zéro, soit une diminution supplémentaire de recettes de 1,495 milliard de francs.

La garantie de ressources de la branche famille n'a jamais fonctionné

1) La garantie prévue par la loi famille

La garantie de ressources prévue par l'article 34 de la loi famille n'a jamais fonctionné

L'article 34 de la loi du 25 juillet 1994 relative à la famille prévoit une garantie de ressources spécifique à la branche famille, assurant à la CNAF des ressources au moins égales, chaque année, au montant qui aurait résulté de la législation et de la réglementation applicable à la date du 1 er janvier 1993.

A ce titre, la Commission des comptes de la sécurité sociale est chargée de vérifier le maintien des ressources de la CNAF sur la période allant du 1 er janvier 1994 au 31 décembre 1998. S'il est constaté que les ressources sont inférieures au montant évoqué, un versement de l'Etat équivalent à cette différence intervient selon les modalités prévues par la loi de finances établie au titre de l'année suivante. Jusqu'à présent, cette garantie de ressources n'a jamais joué, les différentes parties concernées (CNAF, ACOSS, Direction de la sécurité sociale, Ministère de l'agriculture, Direction du Budget) ne parvenant pas à s'accorder sur l'évaluation des pertes ou des gains de recettes enregistrés par la branche famille.

En réalité, deux interprétations de l'article 34 de la loi famille semblent possibles. D'une part, celle de la Direction du Budget qui considère qu'il faut retenir une appréciation globale des ressources de la Caisse nationale d'allocations familiales et qui estime que cette disposition ne s'applique pas seulement aux mesures pénalisantes. D'autre part, celle de la Caisse nationale d'allocations familiales qui considère qu'il faut retenir chaque catégorie de ressources séparément et souligne que la double garantie (article 34 de la loi famille et article L. 131-7 du code de la sécurité sociale) témoigne du souhait du législateur de prendre en compte les seules réductions de ressources, année après année.

2) La tentative d'une seconde garantie dans le projet de loi de financement pour la sécurité sociale 2000

Le projet de loi de financement pour la sécurité sociale 2000 prévoyait un mécanisme de garantie de ressources pour la branche, car celui prévu par la loi famille de 1994 expirait fin 1999.

En effet, l'article 15 du projet de loi disposait :

" La caisse nationale des allocations familiales bénéficie d'une garantie de ressources pour la période courant du 1 er janvier 1998 au 31 décembre 2002.

" Les ressources de la Caisse nationale des allocations familiales perçues au titre de l'année 2002 ne seront pas inférieures aux ressources de cette caisse pour l'année 1997 revalorisées , déduction faite de la subvention versée par l'Etat au titre de la majoration d'allocation de rentrée scolaire et d'un montant équivalent aux ressources transférées en 2000 à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés en vertu de l'article 10 de la loi n° 99-641 du 27 juillet 1999 portant création d'une couverture maladie universelle.

" Dans le cas contraire, constaté à l'issue de la période mentionnée au premier alinéa par la Commission des comptes de la sécurité sociale, un versement de l'Etat à la Caisse nationale des allocations familiales permet, dans les conditions prévues par les lois de finances et de financement de la sécurité sociale, de combler la différence observée.

" La revalorisation mentionnée au deuxième alinéa est égale à l'évolution du produit intérieur brut en valeur au prix courant sur l'ensemble de la période visée au premier alinéa mentionné dans le rapport sur les comptes de la Nation . "

Le Gouvernement avait donc demandé au Parlement de voter un mécanisme qui prévoyait une garantie en même temps qu'il en laissait apparaître les limites car si la débudgétisation de la MARS et le prélèvement au profit de la branche maladie pour le financement de la couverture maladie universelle sont mentionnés en " déduction ", il ne peut en être ainsi pour les transferts futurs sauf à modifier chaque année les termes de la garantie. Comment, par exemple, aurait été traitée la prise en charge pour 2001 de la proposition de pension pour enfant ?

Quoi qu'il en soit, le Conseil constitutionnel a invalidé cette disposition dans sa décision 99-422 DC relative au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.

2. Le transfert de charges

Ces deux dernières années ont été propices à de nombreux transferts de charges qui ont lourdement pénalisé la branche.

•  Les charges indues

La CNAF supporte des frais de gestion importants relatifs à des prestations payées pour le compte de l'Etat.

La gestion de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et du revenu minimum d'insertion (RMI) a été confiée à la branche famille sans prise en charge de frais de gestion par l'Etat. Or ceux-ci s'élèvent à près de 1,5 milliard de francs.

En outre, les frais de tutelle aux prestations sociales adultes sont financés par la branche famille alors qu'elle n'est pas le prescripteur de ces mesures de tutelle et ne maîtrise pas l'évolution des sommes versées aux organismes gestionnaires sachant que plus de la moitié de ces frais sont dus au titre de l'AAH, prestation versée pour le compte de l'Etat.

Frais de gestion des prestations gérées par
le régime général pour le compte de l'Etat

(en %)

Prestations

AAH

ARS

API

RMI

APL

ALS

ALT

ASA

Frais de gestion

0

0

0

0

4

2

2

1*

* montant porté dans le projet de convention source : rapport CCSS septembre 2000

Enfin, l'allocation spécifique d'attente (ASA) versée par les caisses d'allocations familiales depuis 1998 n'a toujours pas été remboursée à la Caisse nationale d'allocations familiales par le fonds de solidarité vieillesse (FSV) qui finance l'allocation. Celui-ci attend de disposer de la convention prévue par la loi. Un projet de convention adressé par la Caisse nationale d'allocations familiales en mai 1999 n'a toujours pas reçu la signature de l'Etat, un an et demi après son dépôt.

Il faut y rajouter les frais financiers qu'ont engendrés, pour la CNAF, les retards de paiement de la MARS durant des années.

•  Le transfert de prestations

La prise en charge de telle ou telle prestation par telle ou telle branche de la sécurité sociale ou " fonds contribuant à son financement " ou encore par le budget de l'Etat, ne correspond pas à des principes absolus mais souvent à des raisons historiques et plus souvent encore à un " jeu de mistigri ".

Ainsi l'allocation de rentrée scolaire est une prestation familiale. Sa majoration relevait des dépenses d'intervention de l'Etat (budget général). Mais cette majoration est devenue une prestation familiale dès lors qu'elle a été pérennisée.

On se demande dans ces conditions, pourquoi l'Etat a tant attendu pour annoncer cette pérennisation qui lui permettait d'économiser 7 milliards de francs : rares, en effet, sont les bonnes nouvelles qui peuvent être annoncées à si bon compte.

De même, l'allocation de parent isolé qui était une prestation familiale est devenue une dépense d'intervention de l'Etat à la suite (voir plus haut) du " pas de clerc " qui a marqué la mise sous condition de ressources des allocations familiales. La " pérennité " de cette allocation justifiera-t-elle que le Gouvernement annonce un jour qu'il est " normal " qu'elle soit réintégrée à la branche famille ?

- L'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF)

L'assurance vieillesse des parents au foyer, créée en 1972, vise à prendre en charge les cotisations vieillesse au titre des périodes passées à élever un enfant, pour certains parents seulement.

Depuis 1975, la branche famille paye des " cotisations fictives " à la Caisse nationale d'assurance vieillesse afin " d'acheter " l'assurance vieillesse de ces parents. Or, si la branche famille verse près de 20 milliards de francs en 2000 au titre de cette cotisation, les prestations versées sont de l'ordre de 3 milliards de francs. La CNAVTS prétend devoir faire face, dans l'avenir, à des charges considérables au titre de cette assurance.

Mais comme le note M. Alain Vasselle dans le présent rapport (tome II - assurance vieillesse), la branche famille a versé, au titre de cette AVPF, près de 300 milliards de francs en vingt ans qui ont servi au paiement des retraites courantes.

- La majoration de l'allocation de rentrée scolaire (MARS)

Sans revenir sur ce qui a été dit ci-dessus, l'Etat a, en mettant à la charge de la branche famille 6,6 milliards de francs, débudgétisé une dépense qui lui incombait.

Il a donc allégé son budget d'autant sans que les familles ne perçoivent un centime de plus.

3. La confiscation des excédents futurs

Il est évident que toute ponction sur recettes ou transferts de charges induit des effets sur l'avenir, pour peu qu'ils soient décidés à titre permanent.

Lorsque le Gouvernement décide la substitution d'une recette à une autre recette, d'une charge à une recette, ou d'une charge à une autre charge, il est rare dans les faits, que les " échanges " de recettes ou de charges soient un jeu à somme neutre ou positive pour les comptes de la branche famille.

En raison du dynamisme différent de ces ressources et charges, le Gouvernement peut substituer une ressource qui croît lentement à une ressource qui croît plus vite, sans que l'échange apparaisse déséquilibré l'année de la substitution.

• La substitution de cotisations diverses au prélèvement de 2% sur les revenus du capital.

La loi du 27 juillet 1999 portant création de la couverture maladie universelle prévoyait une baisse de la part du prélèvement de 2 % sur les revenus du capital affecté à la Caisse nationale d'allocations familiales en contrepartie de la prise en charge par l'Etat des cotisations des titulaires de prestations familiales non couvertes par un régime d'assurance maladie, et de manière totale, celles des bénéficiaires de l'allocation de parent isolé (API) et des personnes veuves ou divorcées ayant eu au moins trois enfants à charge.

L'effet immédiat sur le solde ne devait être, pour la Caisse nationale d'allocations familiales, " que " de 300 millions de francs puisque l'Etat lui retirait pour 2,4 milliards de francs de dépenses et 2,7 milliards de francs de recettes.

La ponction réelle ne se révèle qu'avec le temps car, en échange de cotisations dont le montant s'accroissait peu d'une année sur l'autre, la branche famille a dû céder une recette très dynamique dont le rendement a progressé de 25 % en 1999.

Le temps passant, la ponction sur la branche famille s'accroît de l'écart entre le taux de croissance de la recette perdue et celui de la dépense enlevée.

• La substitution de l'allocation de parent isolé au quotient familial

En contrepartie du retour à l'universalité des allocations familiales (rétablissement d'une dépense de 4,7 milliards de francs pour la branche famille), le Gouvernement a pris à sa charge l'allocation de parent isolé (API), soit un montant de 4,2 milliards de francs.

Mais l'Etat s'est en quelque sorte remboursé sur les familles en diminuant le plafond du quotient familial, générant ainsi, pour le budget général, une recette supplémentaire de 3,9 milliards de francs.

A première vue, l'Etat s'est montré libéral puisqu'il a consenti à prendre en charge une dépense nette de 300 millions de francs (4,2 milliards de francs - 3,9 milliards de francs). Mais après les fortes années de croissance, les rentrées fiscales supplémentaires engendrées par le plafonnement du quotient familial se sont révélées bien supérieures à la croissance de l'allocation de parent isolé.

Ce sont donc les familles qui ont, grâce à cette substitution, abondé les caisses de l'Etat et financé partiellement la " cagnotte ".

En conclusion, le Gouvernement dispose d'une batterie de moyens pour procéder à des ponctions sur la branche famille. Mme Nicole Prud'homme, présidente de la Caisse nationale d'allocations familiales, devant votre commission, a pu ainsi déclarer que la branche portait financièrement tout le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.

2. Une mise en oeuvre exhaustive pour 2001

a) Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 dégrade les comptes de la branche famille de 7,83 milliards de francs

Le Gouvernement, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, fait usage d'une gamme complète des techniques confiscatoires pour prélever 7,83 milliards de francs sur la branche.

1. Au titre des diminutions de recettes, le Gouvernement a supprimé le résidu de la part du 2 % de la branche famille.

Au titre des ponctions sur recettes, l'article 24 supprime la part de la taxe de 2 % sur les revenus du capital attribuée à la Caisse nationale d'allocations familiales, soit 1,495 milliard de francs.

2. Au titre des transferts de prestations, le Gouvernement met à la charge de la branche famille la majoration des pensions de retraite pour enfants, et le reliquat de la MARS.

•  La majoration de pensions pour enfant permet de réaliser une économie de 2,9 milliards de francs au détriment des familles.

Le Gouvernement a inscrit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale la prise en charge par la branche famille d'une majoration des pensions pour les retraités ayant élevé trois enfants ou plus. Cette mesure coûtera, en 2001, 2,9 milliards de francs à la branche au titre d'une première tranche de 15 % du total, actuellement financé par le fonds de solidarité vieillesse. Cette contribution devrait s'élever avec le temps comme le suggère le graphique ci dessous.

Transfert progressif de la majoration de pension pour enfant
du FSV à la branche famille (sur une base de 15 % par an
et une progression des prestations tendancielles de 4 % par an)

La majoration de pension pour les retraités ayant élevé trois enfants et plus

Historique

Cette majoration est la plus ancienne de toutes les majorations de pension car elle a été instituée en même temps que le régime général sur laquelle elle s'appuie.

C'est l'article 68 de l'ordonnance du 19 octobre 1945 qui crée cette majoration, symbolique du consensus issu de la résistance.

Elle a toujours été versée par la CNAVTS, car son caractère de prestation vieillesse n'a jamais été contesté.

Néanmoins, et comme le rappelle le ministre de l'Economie et des Finances en réponse à une question de la Cour des Comptes, les régimes de retraite ayant supporté des réformes importantes en 1993-1994, le législateur a souhaité que la solidarité nationale prenne en charge le complément de retraite via le fonds de solidarité vieillesse.

La solidarité nationale s'est substituée à la branche vieillesse, mais il n'appartient pas à la branche famille à se substituer à la solidarité nationale sauf à vouloir prétendre que ces deux ne font qu'un.

Dispositif

Cette majoration ne concerne que le régime général de base et les régimes alignés. Des prestations équivalentes existent pour les régimes spéciaux et complémentaires de solidarité.

Elle n'est ouverte qu'aux parents de trois enfants et plus et majore de 10 % les pensions des parents. Elle n'est pas imposable.

Cette majoration coûtera en 2000 de l'ordre de 14 milliards de francs pour le régime général et 3 milliards de francs pour les régimes alignés.

A cette somme, s'ajoute la dépense fiscale de 2,3 milliards de francs due à la non-imposition de ces sommes.

Projet de transfert

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 prévoit ce transfert, par tranche progressive, commençant par un prélèvement de 2,9 milliards de francs pour 2001.

Le Gouvernement justifie ce transfert en prétendant qu'il s'agit d'une part d'une prestation familiale et d'autre part qu'en la mettant à la charge de la CNAF et eu égard à la situation de la branche famille, celle-ci se trouverait en quelque sorte pérennisée.

Or, il n'en est rien. La majoration de pension est par essence une prestation vieillesse. L'esprit de ses initiateurs, issu de la Résistance, était de prendre acte que les familles avec de nombreux enfants, trois ou davantage, ne peuvent se constituer un capital comparable à celui des familles de plus petite taille (célibataires, couples 0-2 enfants).

Il s'agissait à l'époque de promouvoir le régime de retraite par répartition. La majoration a été adoptée en même temps que le régime général. Accorder un complément de revenu aux parents de familles nombreuses, c'est consentir une prime à ceux qui, par leurs choix familiaux, assurent la pérennité du système de répartition . Or, qui peut nier que l'équilibre de ce système n'est pas aujourd'hui précarisé par les perspectives démographiques françaises ?

•  La MARS sera intégralement financée par la branche famille dès 2001

Le Gouvernement a annoncé le transfert du financement de la MARS à la branche pour sa totalité en 2001.

Evalué sur la base de l'exercice 2000, ce transfert représente une charge de 6,6 milliards de francs.

Compte tenu de la provision de 2,5 milliards de francs inscrite dans la loi de financement pour 2000, ce transfert dégrade les comptes de la branche famille de 4,1 milliards de francs par rapport à l'an dernier.

Comme la promesse de budgétiser en contrepartie la charge du FASTIF (1,1 milliard de francs) ne s'était pas traduite en loi de financement pour 2000, mais est effective dans le projet de loi de financement pour 2001, cette dégradation du solde se limite comptablement à 3 milliards de francs (4,1 milliards de francs - 1,1 milliard de francs).

On observera toutefois que cette prise en charge du FASTIF par l'Etat semblait être acquise dès l'origine et être la contrepartie de la provision de 2,5 milliards de francs au titre de la MARS.

De fait, cette prise en charge apparaît dès 2000 dans les comptes de la branche famille (voir plus haut).

En revanche, on observera que l'accélération de la débudgétisation de la MARS (4,5 milliards de francs dès 2000) conduit à transférer, au terme de cet échange inégal, une charge de près de 9 milliards de francs sur la branche famille pour les deux exercices 2000-2001 (4,5 milliards de francs en 2000 et 6,6 milliards de francs en 2001, au titre de la MARS, diminués de 1,1 milliard de francs au titre du FASTIF pour chacun de ces exercices).

3. Au titre de confiscation des excédents futurs, le Gouvernement substitue une fraction de la taxe sur les conventions d'assurance à une partie de la CSG affectée à la branche.

Afin de combattre la " trappe à inactivité ", le ministre de l'Economie et des Finances a décidé d'une ristourne dégressive de CSG jusqu'à 1,3 SMIC, portée à 1,4 SMIC par l'Assemblée nationale.

A titre de compensation il a annoncé l'attribution, à l'ensemble des organismes de sécurité sociale affectés par la mesure, d'une fraction de la taxe sur les conventions d'assurance.

Si cette substitution semble neutre pour l'année 2001, aux alentours de 1 milliard de francs, l'échange pourrait se révéler inéquitable sur le long terme.

La taxe sur les conventions d'assurance est une taxe dotée d'un faible dynamisme, qui est de surcroît contestée, notamment en raison des distorsions qu'elle introduit entre les assurance et les mutuelles.

De surcroît, la mesure d'exonération de CSG jusque 1,4 SMIC risque de générer un effet de " trappe à bas salaire " qui risque fort de l'emporter sur la " trappe à inactivité ".

Le manque à gagner risque donc d'être double : d'une part, une recette nouvelle à l'avenir incertain, d'autre part, une réforme qui risque, en accentuant le freinage des salaires, d'affecter la totalité de la CSG perçue par la CNAF.

4. Le total du prélèvement en 2001 atteindra donc 7,4 milliards de francs.

L'ensemble de ces prélèvements obère fortement les moyens de la politique familiale.

Prélèvement supplémentaire sur la branche famille en 2001

(en milliards de francs)

Prélèvement de 2 %

1,5

MARS

4,5

Majoration de pension pour enfant

2,9

Reprise par l'Etat du FASTIF

-1,1

Total

7,4

Cumulées sur deux ans, les ponctions sur la branche famille laissaient entrevoir des moyens considérables qui ont fait naître des attentes de la part des familles. Or l'utilisation de ces excédents ne leur est pas acquise.

5. La destination des excédents : le financement des 35 heures

•  En 2000, 1 milliard de francs avait été prélevé sur la branche famille pour le financement du FOREC.

Ce mécanisme avait été démontré par M. Jacques Machet dans son rapport " Famille " sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 :

Le Gouvernement avait prévu initialement un prélèvement affecté au financement de la réduction du temps de travail.

L'article 2 du projet de loi prévoyait ainsi la création d'un fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale qui devait être notamment alimenté par une contribution versée par les organismes de protection sociale (...).

Contraint de reculer sur cette mesure, le Gouvernement n'a pas pour autant renoncé à ponctionner le régime général. Les branches du régime général de la sécurité sociale devaient logiquement " récupérer " les 5,5 milliards de francs " provisionnés " par le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale. Mais le Gouvernement a décidé de diminuer les ressources affectées aux différentes branches de 5,5 milliards de francs pour alimenter le fonds de réserve pour les retraites.

La contribution des organismes de sécurité sociale est donc maintenue ; elle devient désormais indirecte.

Le Gouvernement a fait adopter par l'Assemblée nationale, en première lecture, un nouveau dispositif qui permet de ponctionner la branche famille de manière plus subtile et sans doute moins voyante.

L'amendement présenté par le Gouvernement à l'article 10 du projet de loi modifie la clé de répartition applicable au prélèvement social de 2 % sur les revenus du patrimoine. Cette répartition avait déjà été modifiée -il faut le souligner- en juillet dernier par la loi portant création d'une couverture maladie universelle (CMU).

Cette loi prévoit notamment la suppression au 1 er janvier 2000 de l'assurance personnelle et la prise en charge par la CNAMTS de la couverture maladie de base sur le critère de la résidence. Elle devait se traduire par des conséquences financières non négligeables pour la branche famille.

Les caisses d'allocations familiales prennent en effet en charge, de manière totale ou partielle, les cotisations des titulaires de prestations familiales non couverts par un régime d'assurance maladie et, de manière totale, celles des bénéficiaires de l'allocation de parent isolé (API) et des personnes veuves ou divorcées ayant eu au moins trois enfants à charge.

La loi portant création de la CMU a donc affecté à la CNAMTS de nouvelles recettes afin de compenser la suppression des cotisations d'assurance personnelle qui étaient auparavant prises en charge par les CAF, le fonds de solidarité vieillesse (FSV), les départements ou l'Etat.

Pour compenser la suppression de la prise en charge d'une partie des cotisations d'assurance personnelle par les caisses d'allocations familiales, la loi a modifié l'affectation du prélèvement social de 2 % sur les revenus du patrimoine, réparti alors pour moitié entre la CNAF et la CNAVTS.

Elle prévoit, à compter du 1 er janvier 2000, l'attribution d'une partie de ce prélèvement à une troisième branche du régime général : la CNAMTS. La répartition serait de 50 % pour la CNAVTS (situation inchangée), 28 % pour la CNAMTS et 22 % pour la CNAF.

La perte de recettes aurait été, pour la CNAF, de 2,7 milliards de francs, pour une moindre dépense de 2,4 milliards de francs. L'opération n'était donc pas neutre pour la branche famille : elle devait en effet se traduire par une dégradation de 300 millions de francs de son solde en 2000.

On ajoutera qu'elle privait la branche famille d'une part importante d'une recette très dynamique -le rendement du prélèvement social de 2 % sur les revenus du patrimoine a progressé de 25 % en 1999- en contrepartie de la suppression d'une charge qui augmentait à un rythme très modéré.

Avant même d'être entrée en vigueur, cette disposition est remplacée par une nouvelle répartition prévue dans le présent projet de loi.

Après avoir vu sa part du prélèvement de 2 % sur les revenus du patrimoine passer de 50 % à 22 % dans la loi " CMU ", la branche famille enregistre une nouvelle diminution des sommes qui lui seraient affectées puisque sa part tomberait à 13 % !

Le prélèvement de 2 % devrait rapporter 11,3 milliards de francs en 2000 : la branche famille ne percevra finalement que 1,47 milliard de francs contre 2,49 milliards prévus dans le cadre de la loi CMU. Cette perte de 1,017 milliard de francs est sensiblement équivalente, à 7 millions près, à la somme qui devait lui être prélevée pour financer la réduction du temps de travail (1,01 milliard de francs).

La branche famille sera toujours ponctionnée de plus d'un milliard de francs.

Dans le schéma initial, la branche famille se voyait imposer une dépense nouvelle : la participation au financement des " 35 heures " ; dans le nouveau schéma, elle perd le bénéfice d'une recette qui lui était affectée initialement pour moitié. Les nouvelles propositions du Gouvernement font véritablement tomber la branche famille de Charybde en Scylla !

Aucune des deux solutions n'est préférable ; elles aboutissent toutes deux au même résultat : ponctionner la branche de plus d'un milliard de francs. La branche famille finançait les " 35 heures ", elle finance désormais le fonds de réserve pour les retraites.

En réalité, elle continue à financer indirectement les " 35 heures " . En effet, la contribution du régime général au fonds de réserve est justifiée par l'affectation au financement des " 35 heures " d'une partie des droits sur les alcools qui constituait une recette du fonds de solidarité vieillesse (FSV).

Le FSV se voyant privé d'une recette importante, il ne pourra plus alimenter le fonds de réserve pour les retraites. C'est donc au régime général qu'incombera désormais cette charge. La boucle est bouclée !

•  En 2001, ce sont près de 7,4 milliards de francs qui viendront abonder le FOREC en provenance de la branche famille.

Comme le démontre M. Charles Descours dans son rapport sur les équilibres financiers du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, la même opération se reproduit pour 2001 mais, cette fois, à hauteur de 7,4 milliards de francs.

L'intégralité du prélèvement sur la branche famille est ainsi affectée au FOREC par le truchement :

- du budget de l'Etat grâce à la débudgétisation totale de la MARS ;

- du FSV grâce au transfert de la majoration de pension pour enfant et de la modification de la clef de répartition du 2 % sur les revenus du capital.

En conséquence, après avoir subi une ponction de 7,4 milliards de francs en 2001, la branche famille ne dispose plus des moyens de répondre aux attentes des familles, attentes que les excédents de la branche avaient fait naître et que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 déçoit.

* 8 Cotisations de titulaires de prestations familiales non couverts par un régime d'assurance maladie et de manière totale, celles des bénéficiaires de l'allocation de parent isolé et des personnes veuves ou divorcées ayant eu au moins trois enfants à charge.

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