EXPOSÉ GÉNÉRAL

" Cependant, dans les derniers temps de la République, en tant que régulateur des relations sociales, le calendrier n'était plus à l'abri des luttes de pouvoir et de leurs conséquences. "

Norbert Elias

Du temps

" L'interprétation juridique doit éviter avec le plus grand soin la fiction qu'une norme juridique ne permet jamais qu'une seule interprétation, l'interprétation " exacte " ou " vraie ".

Hans Kelsen

Théorie pure du droit

Mesdames, Messieurs,

La proposition de loi organique soumise au Sénat tend à proroger, pour la première fois sous la V e République, la durée du mandat en cours des membres de l'Assemblée nationale en reportant du premier mardi d'avril au troisième mardi de juin la date d'expiration des pouvoirs de celle-ci.

Une telle proposition paraissait suffisamment importante pour que le Parlement en débatte de manière approfondie et examine sereinement les motifs et les conséquences du choix proposé. Cette analyse ne semble pourtant pas partagée par tous.

Au choix d'une proposition plutôt que d'un projet de loi, à la déclaration d'urgence faite par le Gouvernement, aux délais très brefs concédés aux assemblées pour conduire leurs travaux, se sont en effet ajoutés les propos de M. le Président de l'Assemblée nationale, parlementaire expérimenté, esprit fin s'il en fût, pour qui " Le Sénat aurait quelque audace à retenir un texte qui ne le concerne pas directement puisqu'il s'agit des élections à l'Assemblée nationale " 1 ( * ) . M. le ministre des relations avec le Parlement - et donc avec le Sénat - a lui aussi cru utile de déclarer publiquement : " Je ne vois pas une chambre se mêler de manière intempestive des pouvoirs qui concernent l'autre assemblée " 2 ( * ) .

Pareils propos ne traduisent-ils pas une singulière conception de la lettre et de...l'esprit de nos institutions ?

Au demeurant, votre rapporteur ne se souvient pas que l'Assemblée nationale ait jugé souhaitable d'examiner avec un certain recul le projet de loi relatif au mode d'élection des sénateurs.

Quoi qu'il en soit, le Sénat, et notamment sa commission des lois qui a procédé à des auditions 3 ( * ) , entend jouer tout son rôle de chambre de réflexion sur le texte qui lui est soumis.

I. LE TEXTE SOUMIS AU SÉNAT : MODIFIER EN URGENCE L'ORDRE DES ÉCHÉANCES ÉLECTORALES

A. DES CONDITIONS D'EXAMEN PEU ACCEPTABLES

La procédure d'examen de la présente proposition de loi organique est particulièrement contestable, tant en ce qui concerne les conditions d'examen imposées au Parlement que la lisibilité de l'action gouvernementale.

1. La volte-face du Gouvernement

Le Gouvernement a brutalement changé de position sur la question de l'ordre des échéances électorales prévues en 2002.

Rappelons en effet que le 19 octobre 2000, Monsieur le Premier ministre déclarait, au cours d'une intervention télévisée : " Toute initiative de ma part serait interprétée de façon étroitement politique, voire politicienne. Moi, j'en resterai là et il faudrait vraiment qu'un consensus s'esquisse pour que des initiatives puissent être prises ".

Quelques jours auparavant, M. Daniel Vaillant, ministre de l'Intérieur, commentant un amendement tendant précisément à modifier l'ordre des consultations électorales, avait tenu des propos similaires : " Le Gouvernement, vous le savez, respecte les échéances fixées par les lois de la République. Il n'a pas pris d'initiative pour modifier le calendrier électoral de 2002, ce qui nécessiterait en effet de proroger le mandat de cette assemblée. Dans l'hypothèse où l'évolution du débat politique ferait apparaître un très large accord pour inverser l'ordre des échéances électorales, le Gouvernement serait alors disponible pour en débattre, naturellement, mais c'est loin d'être le cas aujourd'hui " 4 ( * ) .

Le 24 novembre 2000, pourtant, le Premier ministre annonçait en ces termes devant le Congrès du Parti socialiste réuni à Grenoble, un changement radical d'orientation : " Ce qu'il faut souhaiter, c'est que le printemps 2002, celui des grands rendez-vous démocratiques, dans lesquels le peuple s'exprime et tranche, ne soit pas un printemps de la confusion et des choix de convenance, mais un printemps de la clarté ".

Dès lors, le 30 novembre, M. Jean-Marc Ayrault et les membres du groupe socialiste et apparentés de l'Assemblée nationale déposaient une proposition de loi organique tendant à modifier la date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée nationale. Cette proposition de loi organique, ainsi que cinq autres portant sur le même sujet, était inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale des 19 et 20 décembre.

Ce bref rappel des circonstances de l'inscription de ce texte à l'ordre du jour des assemblées appelle quelques remarques.

Si le Premier ministre entendait éviter que sa démarche soit " interprétée de façon étroitement politique voire politicienne ", il eût peut-être été préférable qu'il en fasse l'annonce dans une autre enceinte que celle du Congrès du parti auquel il appartient.

Par ailleurs, le calendrier électoral de 2002 est connu depuis 1997 . Si le Gouvernement estimait nécessaire de modifier une situation conjoncturelle, il lui était possible de le faire dès 1998 ou 1999, afin que le Parlement puisse débattre de manière sereine et approfondie. A l'inverse, si le texte proposé s'inscrit dans une perspective à long terme prenant en considération la réduction de la durée du mandat présidentiel, est-il réellement souhaitable qu'une telle discussion soit conduite dans l'improvisation quelques mois avant les élections ? Quoi qu'on pense sur le fond, le texte soumis au Sénat est présenté trop tard... ou trop tôt .

Il est enfin difficile de savoir sur quel " consensus ", quel " large accord " la décision du Gouvernement a été prise.

S'agit-il du large accord de la représentation nationale ? Dans l'attente de la position du Sénat, le vote par l'Assemblée nationale de la proposition de loi organique par 300 voix contre 245 ne manifeste pourtant qu'un consensus relatif.

S'agit-il du large accord de l'opinion publique ? La dernière enquête d'opinion réalisée sur ce sujet a fait apparaître que 41 % des Français souhaitaient le maintien du calendrier électoral tandis que 32 % se prononçaient pour sa modification 5 ( * ) .

* 1 Le journal du dimanche, 31 décembre 2000.

* 2 LCI, 10 janvier 2000.

* 3 Cf, en annexe, le compte-rendu de ces auditions.

* 4 JO Débats AN, 2 ème séance du 10 octobre 2000, p. 6617.

* 5 Enquête BVA des 1 er et 2 décembre 2000 pour Paris-Match.

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