B. L'EFFET DE TRAPPE À INACTIVITÉ DÛ À L'INSUFFISANCE DES REVENUS SALARIÉS

Pour certains économistes, il est économiquement utile d'éviter que la faiblesse de l'écart entre le niveau de revenus procurés par les minima sociaux et les bas salaires soit de nature à engendrer ce que l'on appelle une " trappe à inactivité " qui ferait que le titulaire du minimum de ressources préférerait continuer à toucher une allocation plutôt que de rechercher un travail.

En d'autres termes, l'existence d'un revenu de remplacement rendrait moins nécessaire le recours à une activité professionnelle ou tout au moins n'inciterait pas à la recherche effective d'un emploi parce que le revenu associé à ce dernier serait insuffisant.

1. Le risque de " trappe à inactivité "

Il faut souligner que la comparaison entre revenus procurés par un minimum social et revenus d'activité est compliquée par plusieurs facteurs : tout d'abord, la très grande hétérogénéité du dispositif des minima sociaux lui-même est un facteur de complexité. Ensuite, la mise en oeuvre de la politique familiale , à travers les allocations familiales ou les allocations logement, a une incidence importante et peut réduire considérablement l'écart avec le revenu salarial. Par exemple, les allocations logement représentaient en moyenne en 1997, 20 % des ressources des allocataires du RMI ; 3 % de ressources étaient constituées par des allocations chômage et les prestations familiales représentaient en moyenne 9 % des ressources. Mais les aides au logement peuvent représenter 26 % des ressources des couples au RMI avec enfants 2 ( * ) .

Enfin, il faut tenir compte de facteurs propres au marché du travail qui ont également un effet dissuasif.

Comme le rappelle M. Jean-Michel Belorgey et Mme Annie Fouquet dans leur rapport de mai 2000 3 ( * ) , les années quatre-vingt ont été marquées par l'accroissement des formes d'emploi à durée déterminée (contrats à durée déterminée, intérim, stages professionnels rémunérés) pour répondre à la demande de flexibilité des entreprises, et parfois aussi des personnes : stages, contrats aidés et temps partiel représentent aujourd'hui 20 % de la population active alors que le taux était de 9 % en 1982 et de 5 % en 1971 !

Or, le travail à temps partiel génère automatiquement des ressources moindres pour son titulaire ; les contrats à durée déterminée sont perçus comme des éléments d'insécurité pour le titulaire d'un revenu d'assistance qui craint la période intermédiaire entre le moment où il peut perdre son emploi et celui où il va bénéficier à nouveau d'un minimum de ressources.

A la limite, le revenu d'assistance sécurise plus que l'emploi ce qui est pour le moins paradoxal sinon dangereux.

Ainsi, comme l'indiquait récemment dans la presse 4 ( * ) , Mme Alix de la Bretesche, présidente de la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (FNARS) : " Il y a une réelle mise en danger des personnes qui reprennent un travail par définition précaire au début. Avec le RMI et les APL (aides au logement), au moins on sait où on va . En revanche avec un emploi précaire, la personne n'a aucune visibilité ".

La réflexion sur la " trappe à l'inactivité " s'est fortement développée depuis un an.

Dans le rapport précité du Commissariat Général du Plan de mai 2000, M. Jean-Michel Belorgey présente les résultats d'une étude de la Direction de la prévision réalisée, sur la base de la législation applicable en 1998 qui s'est efforcée d'analyser les effets de seuil dus au changement de situation pour les ménages dont les budgets sont les plus restreints et pour lesquels les allocations familiales et les allocations logement représentent dans certains cas les trois quarts des ressources, ou bien souvent plus de la moitié.

Il en ressort que le gain net obtenu par un bénéficiaire du RMI isolé et locataire est de 1.543 francs par mois, lorsqu'il reprend un emploi à temps plein payé au SMIC. Par contre, s'il ne reprend qu'un emploi à mi-temps toujours payé au SMIC, il subit une perte nette de revenus, du fait du mode de calcul des allocations logement, dès que l'intéressement s'interrompt. Au bout de neuf mois, il apparaît un " gain négatif " de 216 francs mensuels.

Enfin, il apparaît que, d'une manière générale, plus une famille est importante, plus le gain net engendré par un retour à l'activité est faible, ce qui apparaît contradictoire avec les objectifs assignés à la politique familiale.

Les analyses économétriques sur échantillon et notamment celles de MM. Laroque et Salanié, font utilement apparaître l'incidence du système de prélèvement et de transfert en 1997 5 ( * ) .

Cette étude est notamment reprise dans le rapport du Conseil d'Analyse Economique (CAE) sur le plein emploi 6 ( * ) présenté au Premier ministre en septembre 2000.

Effet de la reprise d'un emploi (niveau)

Emploi à plein temps rémunéré au SMIC

Gain net en francs

Chômeurs

Inactifs

Ensemble

moins de 1.000

12,2 %

6,9 %

9,0 %

1.000-2.000

32,5 %

20,4 %

25,3 %

2.000-3.000

8,7 %

8,6 %

8,6 %

3.000-4.000

20,5 %

33,1 %

28,0 %

plus de 4.000

26,2 %

31,1 %

29,1 %

Total (en millions)

1,9

2,9

4,9

Emploi à mi-temps rémunéré au SMIC

Gain net en francs

Chômeurs

Inactifs

Ensemble

moins de 500

54,0 %

33,9 %

42,0 %

500-1.000

3,0 %

5,1 %

4,2 %

1.000-1.500

2,0 %

1,8 %

1,9 %

1.500-2.000

20,0 %

18,7 %

19,2 %

plus de 2.000

21,1 %

40,5 %

32,7 %

Total (en millions)

1,9

2,9

4,9

Source : MM. Laroque et Salanié (Economie et Statistiques)

Il apparaît que " 20 % de la population étudiée, essentiellement parmi les bénéficiaires d'allocations différentielles comme le RMI ou l'allocation de parent isolé, subissaient un taux d'imposition marginal supérieur à 90 %. En d'autres termes, pour 4 millions de personnes, un supplément de revenu du travail de 100 francs rapportait moins de 10 francs de revenu net. De manière plus précise, pour 57 % des chômeurs, la reprise d'un emploi à mi-temps au SMIC ne procurait qu'un gain inférieur à 1.000 francs par mois et pour 45 % des chômeurs la reprise d'un emploi à plein temps au SMIC ne procurait que moins de 2.000 francs par mois. Dans la réalité, la situation était très probablement plus défavorable encore en raison des prestations différentielles locales non prises en compte dans l'étude ".

Sur ce point, le rapport de M. Jean Pisani-Ferry souligne que les collectivités territoriales accordent souvent aux familles à bas revenus un certain nombre d'avantages sociaux (crèche, cantine, accès aux équipements collectifs, etc.) dont la perte joue aussi comme un impôt sur le travail. Par ailleurs, pour les ménages surendettés, la reprise d'un emploi implique généralement la sortie des procédures de suspension ou d'allégement des dettes antérieurement contractées.

Dans une autre analyse, toujours conduite à partir des éléments de l'enquête relative à l'emploi de 1997, MM. Laroque et Salanié s'efforcent de présenter une analyse des causes du chômage à partir des données individuelles 7 ( * ) : ils estiment que les chômeurs se classent pour 46 % dans le " non-emploi volontaire " c'est-à-dire qu'ils sont désireux de travailler mais ne le font pas notamment " parce que l'emploi auquel ils peuvent prétendre n'accroît pas leurs ressources de manière suffisante pour compenser les contraintes associées à un emploi ". 23 % des chômeurs seraient en situation de non-emploi " classique ", c'est-à-dire qu'ils ne sont pas suffisamment productifs pour que les employeurs leur offrent un salaire au moins égal au SMIC ; 31 % des chômeurs relèvent de l'autre non-emploi et sont, soit en situation de chômage keynésien, soit en situation de chômage frictionnel correspondant à une transition entre deux emplois.

Enfin, il convient de noter que dans le rapport déposé par le Gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire en mai 2000, sont reconnus les obstacles qui pèsent sur le retour à l'activité des personnes en difficulté titulaires de minima sociaux.

" Il faut également veiller à ce que le système de prélèvements et de transferts ne vienne pas entretenir un phénomène de " trappe à inactivité ", en décourageant la reprise d'un emploi. Or, compte tenu de la réglementation actuelle, le surcroît de revenu résultant d'un travail salarié faiblement rémunéré est très modeste, tout particulièrement s'il s'agit d'un temps partiel. Par exemple, un couple marié avec deux enfants dont aucun conjoint ne travaille dispose d'un revenu (RMI + allocation logement + allocations familiales) de près de 7.200 francs. Si l'un des conjoints obtient un travail rémunéré au SMIC horaire et à mi-temps, le revenu familial reste inchangé ; s'il s'agit d'un travail à plein temps, le revenu familial s'accroît de 600 francs, soit moins de 4 francs par heure travaillée.

" L'envie ou le besoin de rester actif, de demeurer intégré dans le marché du travail existent et tous les ménages ne sont pas sensibles à ces faibles gains. A l'inverse, il serait excessif d'affirmer qu'elles sont sans effet ".

* 2 DREES, Etudes et résultats, n° 62 mai 2000.

* 3 Minima sociaux, revenus d'activité, précarité - Commissariat Général du Plan - mai 2000.

* 4 Le Figaro - 12 mai 2000 .

* 5 Prélèvements et transferts sociaux : une analyse descriptive des incitations financières au travail. Guy Laroque et Bernard Salanié Economie et statistiques n° 328 1999-8.

* 6 Plein Emploi - rapport de M. Jean Pisani-Ferry - Conseil d'analyse économique - La Documentation française.

* 7 Une décomposition du non-emploi en France - Guy Laroque et Bernard Salanié - Economie et statistiques - juin 2000.

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