N° 206

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2000-2001

Annexe au procès-verbal de la séance du 30 janvier 2001

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur la proposition de loi de MM. Alain LAMBERT et Philippe MARINI, portant création du Revenu Minimum d'Activité ,

Par M. Philippe NOGRIX,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jean Delaneau, président ; Jacques Bimbenet, Louis Boyer, Mme Marie-Madeleine Dieulangard, MM. Guy Fischer, Jean-Louis Lorrain, Louis Souvet, vice-présidents ; Mme Annick Bocandé, MM. Charles Descours, Alain Gournac, Roland Huguet, secrétaires ; Henri d'Attilio, François Autain, Jean-Yves Autexier, Paul Blanc, Mme Claire-Lise Campion, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Gilbert Chabroux, Jean Chérioux, Philippe Darniche, Claude Domeizel, Jacques Dominati, Michel Esneu, Alfred Foy, Serge Franchis, Francis Giraud, Alain Hethener, Claude Huriet, André Jourdain, Roger Lagorsse, Dominique Larifla, Henri Le Breton, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Jacques Machet, Max Marest, Georges Mouly, Roland Muzeau, Lucien Neuwirth, Philippe Nogrix, Mme Nelly Olin, MM. Lylian Payet, André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Bernard Seillier, Martial Taugourdeau, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vezinhet, Guy Vissac.

Voir le numéro :

Sénat : 317 (1999-2000)

Emploi.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Il est frappant qu'après deux années de croissance soutenue, le nombre des titulaires de minima sociaux n'ait pas connu un reflux plus marqué.

Cette situation est dangereuse car si le mouvement de créations d'emploi devait à nouveau ralentir, la France devrait assumer à nouveau l'inexorable montée en charge des bénéficiaires de revenus d'assistance financés par la solidarité nationale, sans avoir saisi les opportunités qui lui étaient ouvertes de leur réintégration dans le monde de l'entreprise.

Le revenu minimum d'activité (RMA), issu de la réflexion de MM. Alain Lambert, président de la commission des Finances, et Philippe Marini, rapporteur général, est l'outil qui peut mobiliser les entreprises au service de la cause de l'insertion devant laquelle les collectivités locales se sentent désarmées faute d'instrument adapté.

Le RMA sera d'autant plus efficace qu'il viendra compléter au niveau de l'offre d'emploi par les entreprises, le caractère incitatif des mesures de crédit d'impôts qui devraient être mises en place en faveur des ménages dont les revenus d'activité sont les plus modestes.

Le RMA est un outil d'insertion puissant qui ne met nullement en cause les protections nécessaires offertes aujourd'hui par les minima sociaux.

Bien appliqué, il permettra à des personnes aujourd'hui durablement éloignées du monde du travail de retrouver une dignité tout en échappant au double écueil de la précarité et de l'assistance.

I. LES OBSTACLES QUI PÈSENT SUR LE RETOUR À L'EMPLOI DES TITULAIRES DE MINIMA SOCIAUX

Il convient de rappeler les principales caractéristiques des minima sociaux en France avant d'étudier les facteurs qui peuvent expliquer le maintien du nombre élevé de leurs titulaires.

A. LA DIVERSITÉ DES MINIMA SOCIAUX

A la fin de 1999, huit minima sociaux étaient versés à plus de 3 millions de foyers dans notre pays ; ils assuraient, compte tenu des ayants droit, une protection à une population de 5,5 millions de personnes, soit un peu moins de 10 % de la population métropolitaine. C'est dire l'importance de l'enjeu auquel s'efforce de répondre la présente proposition de loi.

Notre système de protection sociale comprend d'abord un volet " assurantiel ", mais également un volet de solidarité financé principalement par le budget de l'Etat et qui comprend actuellement huit allocations différentes. Comme le rappelle M. Jean-Michel Belorgey, " l'existence de huit minima sociaux s'explique par la tension entre universalisme et organisation à base professionnelle qui sous-tend l'histoire du système français de protection sociale " 1 ( * ) .

Les minima sociaux présentent tous la particularité d'être des allocations différentielles. Ils sont donc soumis à des plafonds de ressources variables selon la catégorie de prestation envisagée et la configuration familiale.

Le montant de l'allocation versée est déterminé en fonction des autres ressources de l'allocataire de sorte que la somme des deux n'excède pas le plafond fixé.

Parmi les minima sociaux, il apparaît nécessaire de distinguer ceux qui concernent des personnes susceptibles de se réinsérer sur le marché du travail de ceux qui visent à compenser le mauvais état de santé d'une personne ou à tenir compte de son âge.

Synthèse de la législation sur les minima sociaux

Institué en 1988, le revenu minimum d'insertion (RMI) garantit des ressources minimales à toute personne de plus de 25 ans (cette condition d'âge n'est pas exigée pour les personnes ayant au moins un enfant né ou à naître). La personne qui demande le RMI s'engage à participer aux actions ou activités définies avec elle, nécessaires à son insertion sociale ou professionnelle. Les actions d'insertion concernent l'allocataire et éventuellement ses ayants droit. La prestation est financée par l'Etat et les collectivités territoriales et elle est versée par le régime général (CAF) ou la MSA.

L'allocation de parent isolé (API) a été créée en 1976 pour apporter un minimum de ressources aux personnes isolées assumant seules la charge d'enfant(s) . La femme seule enceinte est, pour l'enfant à naître, assimilée à un parent isolé. L'allocation est versée par la CAF ou la MSA jusqu'au troisième anniversaire du dernier enfant. Elle est financée par le fonds national de prestations familiales géré par la CNAF.

Instituée en 1984, l'allocation de solidarité spécifique (ASS) est servie par les ASSEDIC aux chômeurs qui ont épuisé leurs droits à l'allocation unique dégressive (AUD) de l'assurance chômage. Le bénéficiaire doit justifier d'au moins cinq années d'activité salariée au cours des dix dernières années précédant la rupture du contrat qui a ouvert droit à l'indemnisation au titre de l'assurance-chômage. Elle est financée par une subvention de l'Etat et par la contribution de solidarité des fonctionnaires.

Comme l'ASS, l'allocation d'insertion (AI) a été créée en 1984 et est gérée par les ASSEDIC pour le compte de l'Etat. Initialement destinée à certains demandeurs d'emploi ne pouvant prétendre à l'indemnisation du chômage, car ne justifiant pas d'une activité professionnelle passée suffisante, elle est réservée depuis 1992 aux populations très particulières : les détenus libérés à l'issue d'une période au moins égale à deux mois de détention et les personnes en attente de réinsertion ou en instance de reclassement (rapatriés, apatrides, réfugiés et personnes ayant sollicité l'asile en France, salariés expatriés non couverts par le régime d'assurance chômage, etc.). Le bénéficiaire doit avoir moins de 60 ans. Elle est versée pendant un an au maximum. Elle est financée par une subvention de l'Etat et par la contribution de solidarité des fonctionnaires.

Instituée en 1975, en remplacement de l'allocation aux handicapés adultes, l'allocation aux adultes handicapés (AAH) permet d'assurer un minimum de ressources aux personnes handicapées sans ressources, ou disposant de revenus modestes, qui ne peuvent prétendre à un avantage de vieillesse ou d'invalidité ou à une rente d'accident de travail. Le bénéficiaire doit justifier d'un taux d'incapacité permanente d'au moins 80 % ou de 50 % en cas d'impossibilité reconnue de se procurer un emploi du fait du handicap. Il doit être âgé de 20 ans et plus (16 ans pour tout enfant n'ouvrant plus droit aux allocations familiales). Un complément d'AAH (16 % du montant de l'AAH), de même qu'une allocation compensatrice peuvent être servis sous certaines conditions. Le financement, à l'origine effectué par le fonds national de prestations familiales, est depuis 1984 remboursé à la CNAF l'année suivante par l'Etat.

Créée en 1930, l'allocation supplémentaire d'invalidité permet d'assurer un minimum de ressources aux titulaires d'une pension d'invalidité servie par un régime de sécurité sociale au titre d'une incapacité permanente ayant réduit des deux tiers au moins la capacité de travail, lorsque cette pension d'invalidité est inférieure à un certain montant. Le bénéficiaire doit être âgé de moins de 60 ans. L'allocation est servie par la Caisse régionale d'assurance maladie (CRAM) ou la Mutualité sociale agricole (MSA). Elle est financée par le fonds de solidarité invalidité de l'Etat.

L'allocation supplémentaire de vieillesse est un complément de ressources qui permet de porter au niveau du minimum vieillesse les revenus des personnes âgées disposant de faibles moyens d'existence. Créée en 1956, elle était gérée jusqu'en 1993 par le Fonds national de solidarité (FNS) et depuis le 1 er janvier 1994 par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV). Le bénéficiaire doit être âgé de plus de 65 ans (ou de plus de 60 ans en cas d'inaptitude au travail), être titulaire, soit d'un ou plusieurs avantages de base, contributifs ou non, attribués par des régimes obligatoires d'assurance vieillesse (salariés ou non-salariés), soit d'une allocation spéciale servie par le Service de l'allocation spéciale vieillesse. Elle est versée par les caisses de retraite et ne peut être suspendue que si la condition de ressources n'est plus vérifiée. Le FSV est financé par le produit de la majoration de la CSG (1,3 %) depuis 1994 et par l'essentiel des droits sur les alcools et les boissons non alcoolisées.

L'allocation d'assurance veuvage a été créée en 1980 pour assurer un minimum de ressources au conjoint survivant d'un assuré social. Le bénéficiaire doit être âgé de moins de 55 ans et avoir élevé au moins un enfant pendant 9 ans avant son 16 e anniversaire ou élever, au moment du veuvage, au moins un enfant. Il ne doit pas vivre maritalement avec une autre personne. L'allocation est gérée par la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et la MSA et versée pendant 3 ans, avec dégressivité. Elle a deux sources de financement : le fonds national d'assurance veuvage, géré par la CNAV et alimenté par les cotisations sociales des salariés, et un fonds géré par la MSA et alimenté par les cotisations à la charge des exploitants agricoles.

Source : Données sociales - La société française - INSEE 1999

Dans la première catégorie , se trouve le revenu minimum d'insertion (RMI), institué par la loi du 1 er décembre 1988 pour garantir des ressources minimales à toute personne de 25 ans ou plus. Le RMI est la dernière prestation créée afin d'assurer un ultime " filet de sécurité " aux personnes qui ne bénéficiaient pas auparavant de mesures spécifiques.

Parmi celles-ci, on retrouve les titulaires de l'allocation de parent isolé (API), créée en 1976 pour assurer un minimum de ressources aux personnes isolées assumant seules la charge d'enfants. Par ailleurs, l'allocation de solidarité spécifique (ASS), instaurée en 1984, est servie par les ASSEDIC aux chômeurs qui ont travaillé au moins cinq ans et qui ont épuisé leurs droits à l'assurance chômage. Est également gérée par les ASSEDIC pour le compte de l'Etat, l'allocation d'insertion (AI), créée en 1984, réservée aux détenus libérés et aux personnes en attente de réinsertion ou de reclassement, telles que les rapatriés, les apatrides, les demandeurs d'asile et les Français de l'étranger dépourvus de couverture sociale. Enfin, l'allocation d'assurance veuvage (AAV) a été créée en 1980 pour assurer un minimum de ressources au conjoint survivant d'un assuré social, âgé de moins de 55 ans et ayant élevé ou élevant un enfant, mais ne vivant pas maritalement avec une autre personne.

Dans la seconde catégorie de minima sociaux, doivent être inscrites l'allocation aux adultes handicapés (AAH), destinée aux personnes justifiant d'un taux d'incapacité permanente d'au moins 80 %, ainsi que l'allocation supplémentaire invalidité (ASI) pour les titulaires d'une pension d'invalidité servie par la sécurité sociale au titre d'une incapacité permanente et l'allocation supplémentaire vieillesse (ASV) pour les personnes âgées de plus de 65 ans et n'ayant pas cotisé suffisamment pour l'obtention d'un droit à la retraite. La réinsertion professionnelle de ces personnes n'est guère envisageable en raison de leur âge ou nécessite le recours à un accompagnement médico-social assuré par des institutions spécialisées ou à des aides à l'adaptation professionnelle financées par l'Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des handicapés (AGEFIPH).

Pour donner un ordre de grandeur, ces trois derniers minima sociaux représentent au total environ 1,5 million de bénéficiaires : il reste cependant environ 1,7 million de personnes bénéficiaires de la première catégorie, dont on peut penser qu'elles pourraient trouver un emploi dans une entreprise du secteur marchand classique .

On ne peut que constater que la reprise de la croissance économique n'a pas eu un impact fort sur la diminution du nombre des allocataires de minima sociaux . Tout au plus peut-on dire que la progression s'est ralentie. Ainsi, entre 1994 et 1999, le nombre de bénéficiaires s'est accru de moins de 3 % alors que le taux de progression était proche de 9 % entre 1990 et 1994.

Concernant le RMI, la situation est également relativement décevante. Le taux de croissance du RMI, qui était de 7,5 % en 1996 et de 6 % en 1997, a atteint enfin 4 % en 1998 et 2,5 % en 1999. L'année 2000 doit être marquée par une certaine stabilité et il serait observé une baisse récente de 4 % des titulaires au cours des six derniers mois, au moins en métropole.

L'ASS fait apparaître des données plus satisfaisantes dans la mesure où l'évolution de la situation de l'emploi a bien un effet direct sur cette prestation : en évolution annuelle, en mai 2000, le taux de diminution des titulaires de l'ASS a atteint 23,6 %.

Effectifs des allocataires de minima sociaux
au 31 décembre en France métropolitaine

(en milliers)

Comme l'a déclaré le Président de la République, le 8 janvier dernier lors de la présentation de ses voeux aux forces vives de la Nation, " il n'est pas normal qu'en dépit de l'amélioration de la situation de l'emploi, le nombre de bénéficiaires du RMI commence à peine à diminuer. On ne peut pas non plus se satisfaire que plus de la moitié des allocataires du RMI le soient depuis deux ans ou plus ".

Pour expliquer cette situation, il faut faire appel à deux catégories de causes qui appellent chacune un remède différent.

* 1 Minima sociaux, revenus d'activité, précarité - Commissariat Général du Plan mai 2000 - Rapport du groupe de concertation présidé par M. Jean Michel Belorgey.

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