TRAVAUX DE COMMISSION

I. AUDITIONS

A. AUDITION DE M. GUY LAROQUE, DIRECTEUR DES ÉTUDES ET SYNTHÈSES ÉCONOMIQUES À L'INSTITUT NATIONAL DE LA STATISTIQUE ET DES ÉTUDES ÉCONOMIQUES (INSEE)

La commission s'est réunie le mercredi 28 juin 2000 sous la présidence de M. Jean Delaneau, président, pour procéder à des auditions sur le retour à l'emploi et sur la notion de " trappe à inactivité " .

M. Jean Delaneau, président, a rappelé que la commission était saisie de la proposition de loi de MM. Alain Lambert, président de la commission des finances, et Philippe Marini, rapporteur général, portant création d'un revenu minimum d'activité, et a considéré que l'examen de ce texte fournissait l'occasion de se pencher sur la question de la " trappe à inactivité ".

Evoquant le rapport présenté par le Gouvernement pour le débat d'orientation budgétaire, ainsi que la réforme des aides au logement annoncée lors de la conférence de la famille du 15 juin dernier, il a souligné que la question de l'incitation financière à la reprise d'un emploi pour les titulaires de minima sociaux semblait particulièrement d'actualité.

Après avoir rappelé que l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) avait approfondi sa réflexion depuis deux ans et demi sur la question des minima sociaux et de l'incitation financière au travail, M. Guy Laroque a tout d'abord rappelé que le chômage était resté, en France, à un niveau élevé au cours des vingt dernières années, malgré les fluctuations conjoncturelles.

M. Guy Laroque a indiqué que, si l'on distinguait les causes du chômage à partir des comportements individuels, l'on pouvait identifier trois types de situations :

- ceux qui ne veulent pas travailler, parce que le salaire net auquel ils peuvent prétendre n'accroît pas leurs ressources de manière suffisante pour compenser les contraintes liées à un emploi et la réduction des revenus distribués par " l'Etat-providence " ;

- ensuite, ceux qui ne travaillent pas, parce qu'ils ne sont pas assez productifs pour que les employeurs potentiels leur offrent un salaire égal ou supérieur au salaire minimum de croissance (SMIC) ;

- enfin, ceux qui ne travaillent pas parce qu'ils sont entre deux emplois, ou parce que l'économie traverse une phase de conjoncture défavorable.

Si l'on opère, suivant cette modélisation, une distinction entre le " non-emploi volontaire ", le " non-emploi classique " et le " non-emploi frictionnel ou conjoncturel ", il ressort, d'après l'étude de l'INSEE consacrée à " une analyse descriptive des incitations au travail " que 50 % du " non-emploi " s'explique par un " non-emploi " volontaire provoqué par l'Etat-Providence, et que le non-emploi " classique " d'une part et le non-emploi " conjoncturel ou frictionnel ", d'autre part, pèsent chacun pour 25 % dans les facteurs d'explication.

M. Guy Laroque a rappelé que la première étude de l'INSEE portait sur le " coin socio-fiscal " qui est le résultat de l'ensemble complexe de prélèvements et de transferts sociaux qui s'interpose entre les rémunérations que les employeurs versent aux ménages, et le revenu disponible de ces mêmes ménages.

L'étude, conduite à partir de l'enquête annuelle " Emplois " de l'INSEE de mars 1997, porte sur un échantillon représentatif de 19,9 millions d'individus, qui se répartit en 14,8 millions d'actifs occupés, 2 millions de chômeurs et 3,1 millions d'inactifs. L'enquête ne prend en compte ni les pensions de retraite ou de préretraite, ni les revenus du patrimoine, ni les revenus des travailleurs indépendants.

L'enquête évalue le taux marginal de prélèvement, c'est-à-dire la somme prélevée par le système socio-fiscal quand l'employeur augmente de 100 francs le coût du travail de l'individu considéré.

Il apparaît que, pour 3,8 millions d'individus sur 19,9 millions, soit 19,3 % de l'échantillon considéré, le taux marginal de prélèvement est égal ou supérieur à 95 %. En particulier, la quasi-totalité des personnes qui perçoivent une allocation différentielle se voit confisquer tout accroissement marginal de revenus (20 % de l'échantillon) ; les salaires inférieurs au SMIC connaissent un prélèvement de l'ordre de 35 à 45 % ; le taux passe à 60 % pour les salariés recevant un salaire compris entre le SMIC et 1,33 fois le SMIC ; le taux atteint de 45 % à 65 % pour les salariés rémunérés au-delà de 1,33 fois le SMIC : au-delà de 30.000 francs de revenu mensuel, le taux augmente fortement en raison de l'impôt sur le revenu.

Il est à noter que cette étude se place dans une optique de long terme et qu'elle ne prend donc pas en compte les mécanismes d'intéressement qui réduisent à court terme le taux marginal.

M. Guy Laroque a observé que ce sont les personnes qui ont les revenus les plus bas qui ont les taux marginaux les plus élevés.

L'étude porte également sur l'avantage financier que les chômeurs ou inactifs retirent de la prise d'un emploi, à temps plein ou à temps partiel rémunéré au SMIC.

Il en ressort que 45 % des chômeurs ont un gain net mensuel inférieur à 2.000 francs lorsqu'ils reprennent un emploi à temps plein rémunéré au SMIC ; par ailleurs, pour 54 % des chômeurs, la reprise d'un emploi à mi-temps rémunéré au SMIC représente un gain net qui ne dépasse pas 500 francs.

Une fraction de la population concernée, de l'ordre de 12 %, n'a pas intérêt financièrement à prendre un emploi à mi-temps rémunéré au SMIC parce que, perdant le bénéfice du RMI, elle devient redevable de la taxe d'habitation et connaît, en outre, une réduction brutale de son allocation logement.

La seconde étude de l'INSEE, consacrée à la " décomposition du non-emploi en France ", s'efforce de montrer comment les personnes en situation de non-emploi répondent à une incitation financière à la reprise d'un emploi.

Elle repose sur deux variables que l'on peut associer à chaque individu : la première -" le salaire potentiel net "- est le coût mensuel qu'un employeur est prêt à payer pour embaucher cette personne à temps plein, compte tenu de ses diplômes et de son expérience ; la seconde, dénommée " salaire de réserve ", est la somme mensuelle que la personne demande pour effectivement prendre un travail. Le salaire de réserve dépend de multiples éléments, notamment du nombre d'enfants à charge et du salaire du conjoint ou des frais de transport.

Schématiquement, sans tenir compte des prélèvements ni des transferts sociaux, le croisement des deux variables permet de déterminer les différentes formes de non-emploi, le cas où le " salaire de réserve " est supérieur au salaire net potentiel, correspond à la situation de " non-emploi volontaire ". Un autre cas est celui où le salaire de réserve est inférieur au salaire potentiel net, mais où les intéressés ne trouvent pas d'emploi parce que ce dernier est inférieur au SMIC ; la rigidité du marché du travail induit donc un " non-emploi classique " ; d'autres personnes enfin dont la productivité est supérieure au SMIC ne parviennent pas à trouver un emploi du fait de " frictions " dans l'économie ou de la conjoncture.

L'étude est effectuée sur un échantillon représentatif d'une sous-population de 9,6 millions d'adultes entre 25 et 49 ans dont 6,35 millions ont un emploi à temps plein et 3,25 millions sont sans emploi, comprenant 1,5 million de personnes au chômage. L'échantillon exclut les salariés à temps partiel et les fonctionnaires.

Le modèle, fonctionnant à partir du croisement des variables relatives au salaire de réserve et au salaire potentiel net, montre que, sur les 3,25 millions de personnes sans emploi, 57 % sont volontairement dans cette situation, 20 % en sont empêchées par le niveau du SMIC et 23 % sont en situation autre (chômage frictionnel ou conjoncturel).

M. Guy Laroque a souligné que la notion de non-emploi volontaire ne signifiait pas que la personne concernée ne cherchait pas un emploi, mais simplement que ces personnes gagneraient peu à prendre un emploi de sorte, qu'au vu du comportement moyen de la population, elles ne devraient effectivement pas participer au marché du travail.

M. Guy Laroque a estimé que le taux de 20 % de " chômage classique ", correspondant à ceux qui souhaitent travailler, mais dont la qualification est insuffisante, est apparu sensiblement plus élevé que les hypothèses généralement retenues par les économistes.

L'étude comporte également une simulation de l'effet d'une suppression des allégements de charge sur les bas salaires.

Il ressort de cette simulation que les mesures d'allégement des charges sociales patronales sur les bas salaires en vigueur en 1997 devraient créer environ 500.000 emplois à long terme, soit sensiblement plus que les 250.000 emplois à long terme retenus par les estimations actuelles.

La simulation de l'effet d'une augmentation de 10 % du SMIC montre en revanche que les destructions d'emplois seraient très nombreuses et représenteraient la perte d'environ 290.000 emplois.

M. Philippe Nogrix s'est interrogé sur les effets des mesures d'intéressement au retour à l'emploi, les conséquences de la mise en place de la couverture maladie universelle (CMU) et les pistes de réforme du RMI.

M. Guy Laroque a indiqué que les mécanismes d'intéressement avaient certainement un effet positif, puisqu'ils permettaient d'accroître l'écart entre le minimum social et le revenu d'activité, mais que le modèle de la direction de la prévision n'avait pas pris en compte ce paramètre qui aurait considérablement compliqué l'analyse, en raison des effets complexes de calendrier.

Il a observé que, sur un plan économique, il pouvait apparaître des effets pervers du fait de multiples " allers et retours " entre les situations d'activité et le minimum social pour optimiser les effets financiers de l'intéressement. Ce type de phénomène est observé au niveau de l'assurance chômage des intermittents du spectacle.

Concernant l'effet de la CMU, M. Guy Laroque a indiqué que l'étude de l'INSEE prenait en compte les données de 1997 et que celle-ci ne pouvait donc intégrer les effets de la réforme entrée en vigueur au 1 er janvier 2000.

En première analyse, il a considéré que l'effet désincitatif principal proviendrait du mécanisme d'assurance complémentaire et non pas du dispositif de la couverture de base dans la mesure où les personnes qui ne sont pas couvertes par l'assurance maladie sont celles qui sont plus éloignées du marché de l'emploi.

Concernant les pistes de réforme, il a rappelé qu'il n'incombait pas à l'INSEE de se prononcer sur ce point tout en observant cependant, qu'au-delà du simple raisonnement économique, beaucoup de chômeurs étaient prêts à faire beaucoup d'efforts pour pouvoir accéder à un véritable travail.

Il a remarqué que les femmes en couple, dont le conjoint était sans emploi, avaient un taux d'emploi de 31,1 %, beaucoup plus faible que celui des femmes dont le conjoint détient un emploi (46 %).

Le modèle économétrique montre que la différence provient du " non-emploi volontaire " : une femme dont le conjoint travaille gagne en moyenne 5.500 francs par mois en prenant un emploi, alors que le supplément de revenu n'est plus que de 2.800 francs pour les épouses dont le conjoint est sans emploi, du fait de la perte d'une partie non négligeable des prestations sociales.

Le fait que le conjoint travaille est donc un facteur incitatif pour sortir de la " trappe à pauvreté ".

M. Guy Laroque a rappelé qu'en économie, il fallait opérer de nombreux arbitrages entre l'efficacité et l'équité, et qu'il appartenait aux décideurs politiques de fixer le curseur des minima sociaux, afin d'assurer un équilibre entre l'incitation au travail salarié et la " trappe à inactivité ".

M. Louis Souvet a souligné l'importance des créations d'emplois générées par les allégements de charges et s'est félicité que l'étude montre les effets pervers d'une augmentation du RMI.

M. Jean Chérioux a souligné que la situation de " non-emploi volontaire " recouvrait le cas de personnes handicapées qui pouvaient difficilement accéder au marché du travail. Il s'est interrogé sur les effets d'une inscription systématique des titulaires du RMI à l'ANPE.

M. Alain Vasselle s'est interrogé sur les effets de l'intéressement en se demandant si des effets concrets étaient mesurés par les études économiques.

M. Jean Delaneau, président, s'est enquis des conséquences de la réforme des allocations logement annoncée lors de la Conférence de la famille du 15 juin dernier.

En réponse, M. Guy Laroque a souligné que l'impact des politiques d'allégement des charges sociales sur les bas revenus pouvait être différent, selon que la mesure concerne les employeurs ou les salariés.

Il a rappelé que les études de l'INSEE ne permettaient pas de quantifier les effets des mesures d'intéressement, et que le coût budgétaire de ces politiques était relativement élevé, ce qui conduisait à des arbitrages délicats.

S'agissant du dispositif d'allocation logement, il a rappelé qu'avant la réforme annoncée par le Gouvernement, le dispositif actuel aboutissait paradoxalement à une légère baisse de revenus, de l'ordre de 400 francs par mois, pour certaines catégories de ménages qui passaient du RMI au SMIC. Il a rappelé par ailleurs qu'en France 50 % des ménages étaient locataires et que 40 % bénéficiaient d'une allocation logement, ce qui prouvait que le dispositif était peu sélectif.

S'agissant du rôle de l'ANPE vis-à-vis des bénéficiaires du RMI, il a rappelé que ces derniers étaient souvent des personnes peu employables, car très éloignées du marché du travail. Il a évoqué par ailleurs le maintien à un niveau élevé des effectifs de titulaires de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) versée à des chômeurs de longue durée pourtant inscrits à l'ANPE.

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