II. L'ALLONGEMENT DU DÉLAI LÉGAL DE L'IVG : LA FUITE EN AVANT

A. UNE RÉPONSE INADAPTÉE

La disposition essentielle de ce projet de loi est l'allongement de deux semaines, soit de dix à douze semaines de grossesse, du délai légal pour pratiquer une IVG.

Cette modification de la loi Veil est jugée nécessaire par le Gouvernement pour répondre à la situation de femmes, dont le nombre est estimé à 5.000 par an, qui, ayant dépassé le terme des dix semaines de grossesse, sont contraintes de se rendre à l'étranger pour obtenir une IVG dans des pays où le terme légal est plus éloigné.

L'étude d'impact du projet de loi, dont le contenu est particulièrement étique 7 ( * ) , précise que cette mesure " ferait diminuer de plus de 80 % le nombre de femmes se rendant à l'étranger pour une IVG (5.000) et irait dans le sens d'une harmonisation des législations européennes sur ce plan. "

Nul ne peut naturellement rester insensible à la détresse de ces femmes et chacun s'accordera à considérer que cette situation est véritablement inacceptable.

On notera cependant que ces 5.000 femmes ne représentent que 2,3 % du nombre des IVG pratiquées chaque année en France. Le législateur s'interroge nécessairement sur le bien-fondé de la modification d'une règle générale, adaptée pour 98 % des femmes concernées, pour tenter de traiter des situations certes dramatiques mais qui n'en concernent que 2 %.

On pourrait toutefois concevoir une modification des principes définis en 1975 si cet allongement du délai était de nature à résoudre les problèmes évoqués. Ce n'est malheureusement pas le cas.

En effet, en pratique seule la moitié, 2.000 à 3.000 selon les estimations les plus fiables, serait susceptible de bénéficier de ces deux semaines supplémentaires 8 ( * ) . L'autre moitié dépasse de toute façon le délai de douze semaines de grossesse. Dans l'immédiat, qu'adviendra-t-il de ces femmes enceintes ? Le projet de loi reste muet sur ce point : pour elles, ce sera donc, comme aujourd'hui, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne ou l'Espagne ! Comment s'en satisfaire ?

Un allongement du délai conduira inévitablement un certain nombre de femmes, de manière bien compréhensible s'agissant d'une décision aussi douloureuse, à attendre davantage qu'elles ne font aujourd'hui.

Il y a fort à craindre que, demain, ce soit 5.000 femmes et non plus 2.000 ou 3.000 qui se trouvent au-delà du délai légal de douze semaines de grossesse. Faudra-t-il alors changer encore la loi pour passer à quatorze semaines, puis à seize semaines de grossesse ?

Le Gouvernement n'a pas essayé d'analyser les raisons pour lesquelles un certain nombre de femmes sont contraintes de partir à l'étranger. Il répugne à formuler une analyse qui conclurait à la carence des politiques publiques.

Ces raisons sont en effet de trois ordres.

•  Il y a tout d'abord l'insuffisante formation de nos concitoyens sur les mécanismes de la transmission de la vie. Il n'est pas normal que des jeunes filles se retrouvent hors délai tout simplement parce que personne ne leur a expliqué qu'elles pouvaient être enceintes.

•  Il y a ensuite les fréquentes difficultés rencontrées par les femmes pour accéder à l'IVG dans les délais légaux, difficultés qui ont été évoquées plus haut.

•  Il y a enfin des situations particulières de détresse extrême qui conduisent à un dépassement des délais. Il s'agit souvent de femmes isolées, en situation de précarité, parfois victimes de viols, voire d'incestes.

A toutes ces difficultés, le Gouvernement répond par un allongement du délai légal qui :

- ne portera pas remède à l'ignorance de certains de nos concitoyens sur les mécanismes essentiels de la transmission de la vie ;

- n'améliorera pas le fonctionnement quotidien du service public de l'IVG ;

- enfin, ne résoudra en rien les situations particulières de détresse évoquées à l'instant.

Votre commission, dans sa majorité, partage à cet égard l'analyse formulée par le Professeur Nisand, lors de son audition le 20 décembre 2000 9 ( * ) , " Il me semble, en tant que citoyen qu'il eût été préférable, plut™t que de voter deux semaines maintenant, de trouver une configuration qui perm»t de régler définitivement ce problème.

" Toujours dans le domaine du droit de la femme, ce sont les plus défavorisées et les plus jeunes qui dépassent le plus le délai. Les plus jeunes sont souvent dans des situations de sollicitation sexuelle intra-familiale, nous sommes dans du Zola. Il n'y aura nul mal à démontrer d'ici trois ans que l'ajout de deux semaines, apporté en 2001, est insuffisant. Ce sera à nouveau les 3.000 femmes les plus défavorisées qui seront dans la " panade " la plus complète et nous ne pourrons à nouveau ne pas écouter cette très grande misère et cette très grande difficulté. Je peux vous prédire que si nous laissons le texte tel qu'il est actuellement, nous y reviendrons encore et encore . Je ne trouve cela ni astucieux ni élégant sur le plan de la logique parlementaire. "

* 7 Cette étude d'impact est publiée en annexe du présent rapport.

* 8 Mme Martine Leroy, de la Confédération du Mouvement français pour le planning familial, a ainsi indiqué, lors de son audition devant la commission le 20 décembre 2000 : " Nous avons expliqué que ce délai (de deux semaines supplémentaires) ne couvrirait pas les demandes de 80 % des situations comme il a été dit parfois. Ce seront 40 % des situations qui seront réglées. Par conséquent, 60 % partiront à l'étranger s'il n'y a pas de solution proposée en France. "

* 9 Cf. tome II du présent rapport, p. 5-6.

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