III.  LA PROPOSITION DE LOI : UNE RÉPONSE RAPIDE, SIMPLE ET ADAPTÉE

Face à l'attentisme du Gouvernement, votre rapporteur a pris l'initiative de déposer une proposition de loi qui apporte une réponse rapide, simple et adaptée.

Brève, simple sur le plan institutionnel, elle ne crée, ni " fonds ", ni commission d'indemnisation, ni troisième ordre de juridiction. Elle n'institue pas de taxe ou prélèvement à la charge des patients, des professionnels de santé ou des assureurs. Elle maintient la faute comme fondement premier de la responsabilité médicale et ne prétend pas ôter le contentieux de la responsabilité médicale au juge administratif, au juge judiciaire ou aux deux ordres de juridiction. Elle est enfin applicable sans délai puisque c'est l'assurance maladie qui prendra à sa charge l'indemnisation.

A. INDEMNISER PAR L'ASSURANCE MALADIE L'ACCIDENT MÉDICAL GRAVE ET NON FAUTIF

1. L'indemnisation de l'accident grave et non fautif

Pour votre rapporteur, il est indispensable de maintenir la faute comme fondement premier de la responsabilité médicale

En dépit du développement rapide de la jurisprudence consacrant une responsabilité pour risque, il serait faux d'affirmer que la faute ne constitue plus, aujourd'hui, un critère pertinent d'évaluation des responsabilités dans le domaine médical : si la pratique de la médecine n'est pas, effectivement, sans risques (de sorte que tout accident n'est pas nécessairement fautif), pour autant personne ne conteste le principe de la responsabilité des médecins et personnels de santé, dès lors qu'un manquement est constaté à l'obligation de prodiguer des soins " consciencieux, attentifs " et " conformes aux données acquises de la science ".

Dans ces conditions, la proposition de loi ne vise que l'indemnisation des accidents pour lesquels aucune faute n'a été commise à l'occasion de l'acte ou des soins médicaux.

Elle prévoit la réparation intégrale des dommages non fautifs lorsqu'ils sont graves et anormaux.

Les accidents non fautifs les plus graves doivent, à l'évidence, être indemnisés : ils ne représentent statistiquement qu'une faible part des accidents mais ils éveillent un grave sentiment d'injustice et un besoin légitime de réparation.

L'estimation du volume des accidents médicaux graves
par la mission IGAS-IGSJ

Les calculs présentés ci-dessous reprennent les hypothèses de la Direction générale de la santé pour extrapoler à l'ensemble du système de santé les statistiques issues des assureurs médicaux.

En revanche, la mission a considéré qu'elle ne disposait pas de données suffisantes pour chiffrer valablement le coût des accidents graves.

1) Le volume annuel moyen des déclarations de sinistres

Le GAMM qui regroupe le Sou médical et la MACSF recense, en 1998, 2.155 déclarations de sinistres.

Sachant que les chiffres du GAMM représentent 60 % de la médecine libérale, le volume total de déclarations peut être estimé à 3.591.

La SHAM qui assure 40 % des lits publics recense pour sa part 2.500 sinistres corporels en 1998 extrapolés à l'ensemble du secteur hospitalier, hors AP le volume total peut être estimé à 6.250. A ces chiffres, il convient d'ajouter les réclamations propres à l'AP-HP, soit 565.

Au total, on peut estimer sur la base des extrapolations ci-dessus qu'en 1998 le total des sinistres déclarés s'élève à 10.406.

2) L'estimation du volume des accidents médicaux graves

Sur la base des statistiques disponibles, seule une estimation du volume des accidents les plus graves est raisonnable en prenant, en l'absence d'autres hypothèses, la distribution indiquée par la Direction du trésor en 1992 :

- 4 % des dossiers d'indemnisation concernent un décès,

- 4 % des dossiers une invalidité supérieure à 50 %.

Une étude du Sou médical réalisée sur 695 dossiers donne un résultat plus faible pour la distribution des invalidités (2,3 %), mais considérablement plus élevé pour les décès (22,5 %). Compte tenu de cette incertitude, la distribution de 1992 a été jugée préférable.

Si l'on applique à ce volume la répartition du Sou médical entre les accidents indemnisés et ceux qui ne reçoivent pas un sort favorable, soit 25/75 sur un total de déclarations de 10.400, on doit prendre pour base les 2.600 dossiers indemnisables pour décompter les accidents :

- 104 décès,

- 104 accidents graves.

Comme le souligne le rapport commun IGAS-IGSJ, " face à un préjudice anormalement grave, il devient particulièrement difficile d'opposer à la victime le simple constat que tout acte médical comporte une part de risque et qu'elle a consenti à l'acte. "

Le rapport IGAS-IGSJ souligne à cet égard qu'il apparaît souhaitable que la forte et légitime demande d'indemnisation des accidents non fautifs les plus graves trouve sa réponse dans l'expression de la solidarité nationale, dont elle relève d'ailleurs plus naturellement que de la responsabilité personnelle des acteurs de santé.

Pour votre rapporteur, aller au-delà , non seulement favoriserait une dérive des finances publiques, mais serait illégitime, les Français qui le souhaitent pouvant par eux mêmes se couvrir, en s'assurant contre les risques de faible importance, obtenant par cette voie la réparation de préjudices mineurs.

En effet, la proposition de loi n'a pas pour objectif de limiter la participation de l'assurance à la couverture des risques médicaux. Chacun s'accorde à reconnaître que le recours à l'assurance, outre qu'il satisfait le besoin de sécurité des Français, permet d'accélérer les règlements, d'établir et de développer des mécanismes de négociation entre les assureurs des victimes et ceux des médecins et d'offrir par ailleurs l'assistance-recours.

De même, compte tenu des dispositions constitutionnelles et organiques relatives aux pouvoirs financiers du Parlement, la présente proposition de loi ne peut avoir pour ambition d'organiser la prise en charge par la solidarité nationale des conséquences des accidents médicaux sériels, et notamment de la réparation des contaminations transfusionnelles par le virus de l'hépatite C.

2. La prise en charge par l'assurance maladie de la réparation du dommage

L'aléa médical trouvant toujours son origine dans une pathologie, réelle ou supposée, il a semblé logique à votre rapporteur que la solidarité nationale, à travers l'assurance maladie, puisse prendre à sa charge les préjudices graves, non fautifs et anormaux susceptibles de résulter de l'accès au système de soins.

Le choix de l'assurance maladie ne saurait surprendre 8 ( * ) .

Bien des propositions de loi intervenues en matière d'aléa médical visent à instituer, aux fins d'accélérer le règlement des litiges, des commissions ou fonds d'indemnisation censés répondre à l'attente des victimes dans des délais plus brefs que ceux qui sont actuellement constatés devant le juge.

Une telle commission ou un tel fonds se trouverait toutefois destinataire de tout le contentieux médical constaté actuellement et d'un contentieux nouveau induit par la perspective de délais plus courts ou d'une meilleure indemnisation. Elle éprouverait alors les mêmes difficultés que l'institution judiciaire à y répondre rapidement, sauf à disposer de moyens en personnel très importants.

Loin d'être accéléré, le règlement des litiges pourrait s'en trouver au contraire ralenti. Toutes les propositions de loi ayant retenu cette solution prévoient, en cas de désaccord d'une des parties, des recours judiciaires aux décisions de la commission ou du fonds qu'elles instituent. On imagine aisément, que de tels recours seraient fréquemment intentés, notamment dans les cas où la commission conclurait à une faute médicale ou en cas de refus d'indemnisation.

Dès lors, l'institution d'un fonds ou d'une commission apparaît comme une " fausse bonne idée " qui ne constitue que sur le papier une réponse appropriée aux difficultés rencontrées par les victimes.

Aussi, la présente proposition de loi confie au juge, comme c'est le cas aujourd'hui, la résolution des litiges entre usagers et professionnels ou établissements de santé. Les ordres judiciaire et administratif demeureront compétents, chacun pour ce qui le concerne.

Certes, d'aucuns souligneront l'importance des inconvénients résultant, aujourd'hui, d'une dualité de juridiction en matière de responsabilité médicale, et ils estimeront peut-être qu'il conviendrait, à tout le moins, de confier le contentieux médical à un seul juge, judiciaire ou administratif.

Votre rapporteur considère que les difficultés actuelles tiennent à la dualité de jurisprudence, et non à la dualité de juridiction. Et cette dualité de jurisprudence n'existe qu'en raison de l'absence d'une loi consacrée à l'indemnisation de l'aléa médical. Lorsque la loi sera votée, non seulement la dualité de juridiction ne constituera pas un inconvénient, mais elle aura pour avantage de respecter les statuts respectifs des acteurs du système de santé.

3. Le principe de la responsabilité sans faute en matière d'infections nosocomiales

En matière d'infections nosocomiales, la proposition de loi retient le " mieux disant " des jurisprudences administratives et judiciaires, en inscrivant dans la loi le principe d'une responsabilité sans faute.

Même en l'absence de faute, les établissements de santé seraient responsables, vis-à-vis des patients qu'ils accueillent, des dommages résultant d'infections nosocomiales

Si, en effet, certaines de ces infections peuvent être directement rattachées à l'accomplissement d'un acte de diagnostic ou de soins, notamment par insuffisance des mesures d'asepsie, beaucoup sont également contractées du fait même du séjour du patient au sein de l'établissement et ce, sans qu'un manquement aux réglementations ou recommandations sanitaires puisse être toujours précisément identifié.

Compte tenu des conséquences parfois gravissimes de ces infections et de leur caractère particulièrement injuste, parce que frappant de manière apparemment fortuite, il apparaîtrait toutefois inopportun de les exclure du régime d'indemnisation des accidents non fautifs graves par une interprétation restrictive de la notion d'accident médical.

* 8 Il faut noter que l'assurance maladie finançant les établissements hospitaliers par la dotation globale, elle prend déjà à sa charge, de manière indirecte, l'indemnisation de l'aléa médical survenu dans ces établissements.

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