2. Rétablir, s'agissant des droits en propriété, la distinction traditionnelle entre la masse de calcul et la masse d'exercice

Dans la mesure où le but poursuivi est de permettre au conjoint de maintenir ses conditions d'existence, le Sénat a, en première lecture, jugé préférable de ne permettre au conjoint d'exercer ses droits que sur les biens existants au décès et non sur l'ensemble de la succession comme l'a prévu l'Assemblée nationale en première comme en deuxième lecture.

Sont en effet incluses dans la masse successorale des donations effectuées par le défunt antérieurement au décès. Ces donations peuvent avoir été faites par exemple à des enfants, y compris à des enfants d'un premier lit. Le conjoint peut d'ailleurs y avoir lui-même contribué. Il n'y a pas de raison de remettre ces donations en cause au bénéfice du conjoint survivant, sous peine de porter gravement atteinte à la paix des familles.

En l'absence de volonté contraire du défunt, le rapport des donations permet de préserver une stricte égalité entre les héritiers. Il n'aurait, en tout état de cause, pas la même justification à l'égard du conjoint survivant qui se trouve de facto dans une situation spécifique.

S'agissant des droits d'usufruit ouverts au conjoint en présence de descendants, il ne paraît pas envisageable de les faire porter sur d'autres biens que les biens existants.

S'agissant des droits en propriété , votre commission admettra cependant qu'ils soient calculés sur l'ensemble de la succession , à condition qu'ils ne s'exercent que dans la limite des biens existants et sur ces mêmes biens. En cas de donations antérieures, la part du conjoint ainsi obtenue serait supérieure à celle calculée sur les seuls biens existants, sans qu'il y ait lieu de remettre en cause les donations antérieures. L'amélioration de la situation successorale du conjoint serait ainsi confortée sans créer de situations inextricables dans les familles.

On retrouverait ainsi la distinction traditionnelle entre la masse de calcul et la masse d'exercice développée à l'article 767 actuel du code civil s'agissant de l'usufruit légal du conjoint. Votre commission vous proposera donc de ne plus préciser que les droits en propriété du conjoint portent sur les biens existants mais d'introduire dans le code civil un article précisant le mode de calcul et d'exercice des droits en propriété du conjoint sur le modèle de la formulation figurant actuellement à l'article 767 du code civil ( art. 2, art. 758-5 du code civil ).

3. Ne pas écarter la famille par le sang

En l'absence de descendant et de père ou mère du défunt, l'Assemblée nationale a prévu que l'ensemble de la succession reviendrait au conjoint survivant. Elle a donc exclu les collatéraux comme les ascendants ordinaires de la succession.

En l'absence d'ascendant et de descendant, elle a même aggravé la situation des collatéraux en prévoyant une réserve du quart des biens au bénéfice du conjoint survivant. Le défunt ne pourrait pas, même s'il le souhaitait, léguer plus de trois quarts de ses biens à ses frères et soeurs.

Or, à sa mort, le conjoint survivant laisserait lui-même les biens qu'il a recueillis à son éventuel nouveau conjoint, à ses enfants issus d'un autre mariage ou à ses propres parents. Il semble anormal qu'à défaut de testament, les biens du conjoint prédécédé échappent entièrement à sa famille par le sang pour revenir in fine à la famille de son conjoint, ou même à l'Etat en l'absence d'héritier.

La volonté légitime d'accroître les droits du conjoint survivant ne doit donc pas conduire à exclure totalement les collatéraux privilégiés et les ascendants ordinaires du défunt de la dévolution légale.

Il ne convient pas de passer d'une situation où le conjoint était exclu par la famille par le sang à une situation où il exclurait lui-même cette famille . Il faut trouver un équilibre entre ces deux extrêmes.

Un époux gardera toute possibilité de gratifier son conjoint de l'ensemble de ses biens par voie de libéralité. En l'absence de dispositions spécifiques, il ne convient cependant pas de présumer d'emblée qu'il souhaite l'éviction totale de sa famille par le sang. Les liens d'affection qu'il entretient avec son conjoint n'excluent pas d'emblée tout lien avec sa famille.

Le droit successoral reflète une certaine conception de la société. Il semble à votre commission qu'il ne faut pas exagérer ou encourager outre mesure l'incontestable déclin de la famille par le sang .

Les solutions adoptées dans les pays voisins à cet égard sont variables. Au Danemark, le conjoint survivant exclut complètement la famille par le sang en l'absence de descendant. En Allemagne, en Italie, en Belgique ou en Grande-Bretagne, le conjoint n'exclut pas les collatéraux privilégiés ou les ascendants en l'absence de descendant.

Votre commission vous proposera, comme l'a fait le Sénat en première lecture, de prévoir qu'en l'absence de père et de mère du défunt, ou de l'un deux, la part qui leur serait échue revienne aux frères et soeurs ou à leurs descendants, ou, à défaut, aux ascendants les plus proches dans chaque ligne (v oir tableau détaillé ci-dessous ).

En présence de parents ou de collatéraux privilégiés, le conjoint hériterait donc de la moitié des biens en pleine propriété , au lieu de la moitié en usufruit, à l'heure actuelle ( art. 2, art. 757-1, deuxième alinéa, du code civil ).

En l'absence de collatéraux privilégiés, le conjoint survivant hériterait en pleine propriété de la moitié des biens , au lieu de la moitié en usufruit, à l'heure actuelle, s'il existe des ascendants dans les deux branches paternelle et maternelle. Il hériterait des trois quarts des biens , au lieu de la moitié à l'heure actuelle, s'il n'existe d'ascendants que dans une branche ( art. 757-2 ).

A défaut de descendant, d'ascendant et de collatéral privilégié, le conjoint recueillerait, comme à l'heure actuelle, toute la succession ( art. 758 ).

Dans tous les cas, le conjoint survivant se retrouverait mieux doté qu'à l'heure actuelle sans toutefois éliminer la proche famille par le sang. Il recueillerait en effet : la moitié en propriété au lieu de la moitié en usufruit en présence de collatéraux privilégiés ou d'ascendants dans les deux branches ; les trois quarts en propriété au lieu de la moitié en l'absence de collatéral privilégié et d'ascendant dans une branche.

Le partage proposé entre le lignage et le mariage paraît en tout état de cause plus cohérent que celui adopté par l'Assemblée nationale dans la mesure où il n'est pas conditionné par le prédécès ou non des père et mère du défunt . L'Assemblée nationale a en effet prévu que dans le cas où les père et mère du défunt ne seraient pas prédécédés, ils recueilleraient une part de la succession. Or, celle-ci aurait à terme vocation à revenir aux frères et soeurs du défunt. Il n'est donc pas logique de priver entièrement ces frères et soeurs de tout droit successoral en cas de prédécès des parents.

Le fait de restituer des droits successoraux aux ascendants ordinaires du défunt évite en outre de prévoir à leur intention, comme l'a fait l'Assemblée nationale, une créance alimentaire contre la succession. Il semble plus adapté de voir des ascendants ordinaires être appelés à la succession que de prévoir le versement d'une pension par le conjoint aux ascendants dans le besoin. Votre commission vous proposera donc, comme en première lecture, de supprimer cette disposition ( art. 2, art. 767-2 ).

Il convient de noter, en tout état de cause, que l'exclusion des ascendants ordinaires de la succession en présence d'un conjoint survivant vide de toute signification les dispositions relatives à la réserve dont ils disposent actuellement en application des dispositions combinées des articles 1094 et 914 du code civil .

Droits successoraux ab intestat du conjoint survivant

Parents laissés par le défunt (1)

Droit actuel (2)

Texte AN
(3) (4)

Texte Sénat
(5) (6) (7)

Descendants (enfants, petits enfants)

¼ des biens existants
en usufruit

( art. 767 2è alinéa)

¼ de la succession en propriété
( art. 766 )

¼ des biens en propriété
ou

usufruit sur la totalité
des biens existants.

( art. 757 )

enfants adultérins uniquement :

- 24 -

en présence d'ascendants dans chaque ligne ou de collatéraux privilégiés

½ en usufruit
( art. 767 3è alinéa )

en présence d'ascendants dans une seule ligne (sans collatéraux privilégiés)

¼ en propriété
( art. 759 et 766 )

sans objet, la proposition supprimant la distinction

sans objet, la proposition, supprimant la distinction

en l'absence d'ascendants et de collatéraux privilégiés

½ en propriété
( art. 759 et 765 )

En l'absence de descendant :

- Ascendants privilégiés dans les deux lignes (père et mère)

½ en usufruit
( art. 767 3è alinéa )

½ en propriété
( art. 767 )

½ en propriété
( art. 757-1 )

- Ascendant privilégié dans une seule ligne (père ou mère) :

présence de collatéraux privilégiés ou d'ascendant ordinaire dans l'autre ligne

½ en usufruit
( art. 767 3è alinéa)

¾ en propriété
( art. 767)

½ en propriété
( art. 757-1 et 757-2 )

ni collatéral privilégié ni ascendant ordinaire dans l'autre ligne

½ en propriété
( art. 766 )


"

- 25 -

¾ en propriété
( art. 757-2)

En l'absence de descendant et d'ascendant privilégiés dans les deux lignes (ni enfants, ni père ni mère) :

- Collatéraux privilégiés ou ascendants ordinaires dans les deux lignes

½ en usufruit
( art. 767 3è alinéa )

totalité en propriété
(art. 767-1)

½ en propriété
( art. 757-1 et 757-2 )

- Pas de collatéraux privilégiés et ascendant ordinaire dans une seule ligne

½ en propriété
( art. 766 )


"

¾ en propriété
( art. 757-2)

- En l'absence d'ascendants ordinaires et de collatéraux privilégiés

totalité en propriété
( art. 765 )


"

totalité en propriété
( art. 758 )

NOTES
(sur le tableau droit successoraux ab intestat du conjoint survivant)

(1) Parents laissés par le défunt :

- Descendants : enfants, petits enfants et autres

- Ascendants privilégiés : père et mère

- Ascendants ordinaires : grand-parents, arrière grands parents et autres

- Collatéraux privilégiés : frères, soeur ou, en cas de décès, leurs descendants les représentant.

(2) Les articles donnés en référence sont ceux du code civil actuel.

(3) Les articles donnés en référence sont les articles du code civil résultant du texte adopté par l'Assemblée nationale.

- 26 -

(4) Sur ces droits successoraux, peut être imputé, à la demande du conjoint survivant, un droit d'usage et d'habitation portant sur le logement et le mobilier ( art. 767-4 ). Si la valeur de ce droit est inférieure à celle des droits successoraux du conjoint, celui-ci prend le complément sur la succession ; si la valeur est supérieure, aucune récompense n'est due à la succession ( art. 767-5 ).

(5) Les articles donnés en référence sont les articles du code civil résultant du texte du Sénat

(6) Sur ces droits successoraux, peut être imputé, à la demande du conjoint survivant, un droit d'usage et d'habitation portant sur le logement et le mobilier ( art. 764 ). Si la valeur de ce droit est inférieure à celle des droits successoraux du conjoint, celui-ci prend le complément sur les biens existants ; si sa valeur est supérieure, aucune récompense n'est due à la succession à la condition que l'importance du logement ne dépasse pas de manière manifestement excessive les besoins effectifs du conjoint ( art. 765-1 ).

(7) Les droits en propriété sont calculés sur la succession mais ils ne s'exercent que dans la limite des biens existants au décès , et sur ces mêmes biens (art. 758-5 ).

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